Something Entirely New | Rosier & Reflet

Mes yeux s’ouvrent sur la lumière pâle de l’aube automnale qui filtre à peine dans la tanière. Je me redresse d’un bond, il faut que je profite de cette journée ! Ouille. J’avais oublié à quel point le plafond est bas ici. Je viens de bousculer tout le monde, et quelques grognements se font entendre autour de moi. Oh ça va ça va, je n’ai pas non plus tout cassé, ce n’est pas la fin du monde, ils râlent vraiment pour rien. La tanière des apprentis, trou dans le sol recouvert de branchages, est bien plus petite que la pouponnière. On y dort un peu moins bien aussi. Cela me donne l’idée d’aller y chiper quelques plumes pour les déposer dans mon nid. Mais tout cela sera pour un autre jour ! J’ai autre chose de prévu aujourd’hui. Après tout, il s’agit de la première journée de repos que m’a laissé Bulle d’Océan depuis le début de l’entraînement ! « Journée de repos », c’est drôle comme appellation, car je compte tout faire sauf me reposer. Et hop là, me voilà qui me faufile par le trou laissé pour passer au dehors, laissant derrière moi les ronflements de tous ces fainéants. Qu’est ce qu’on dit déjà après tout ? Le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt ? Ou un truc comme ça. En tous cas, cette journée m’appartient à moi, alors pas question de la gaspiller à roupiller ! Je songe un instant à réveiller Vaillance et Rafale, mais les exclamations renfrognées qui s’élèvent encore dans la petite tanière me dissuadent de retourner y faire un tour. Quand même, je n’ai pas fait tant de raffut que ça si ? Je jette un coup d’œil rapide au toit de branchage… Oups. Je crois que j’ai fait un petit trou dedans. Bon. On va s’éloigner discrètement hein, j’aurai tout le temps de réparer cela à un autre moment, mais là c’est que ça n’était pas vraiment prévu dans mes plans.

En deux temps trois mouvements, me voilà dehors. Je profite du calme et du vide matinal dans le camp pour me faufiler en douce. Il ne faudrait tout de même pas qu’un ancien ou guerrier mal réveillé me mette une corvée sur le dos au dernier moment. Je ne suis apprentie que depuis peu, mais j’ai déjà eu le malheur de devoir faire les tiques aux anciens une fois, et ça m’a suffi. J’aurai presque de la compassion pour Ombre des Chouettes qui doit parfois s’en charger lorsque les apprentis sont en période d’évaluation. Franchement, il faut avoir la tête à l’envers pour devenir guérisseur au lieu de guerrier. Enfin bref.

Que vais-je faire à présent ? La forêt est jolie, même à cette heure où tout est encore plat et calme. La nuit ne s’est pas encore complètement retirée, et des lambeaux de noirceur restent accrochés ça et là à l’ombre des feuillages. Peut-être que des proies se cachent dans ces ombres ? Je me concentre au maximum pour humer l’air et tenter de repérer le fumet de quelques rongeurs tout en progressant, mais à chaque fois que je crois sentir quelque chose et que je bondis vers la source, je ne vois rien. Le territoire est si grand, je pourrai passer la journée à l’explorer. Je m’arrête un instant, tentant de me remémorer les maigres enseignements que Bulle de l’Océan a eu le temps de m’inculquer. Il me semble qu’il m’a dit quelque chose sur la rivière, et qu’on y trouve généralement beaucoup de proies… Bon, on va essayer de se diriger par là. Je parviens bientôt à l’orée de la forêt, là où les arbres s’écartent pour laisser place au soleil automnal rayonnant doucement sur l’herbe verte qui descend en pente douce jusqu’au bord de l’eau. Aujourd’hui, l’astre est clément et vient se refléter en mille étincelles dansantes dans la mélodie du bras de la rivière. J’en oublie un instant mon histoire de chasse, courant vers l’eau, dont je ne me suis jamais approchée d’aussi près même si on est déjà passés dans le coin avec Océan. Je suis à un endroit où quelques pierres s’avancent dans l’eau et en effleurent la surface, permettant de traverser le cours d’eau. Toute contente de cette expérience nouvelle, je saisis l’occasion et saute sur la première pierre, oubliant un instant que cet espace est celui de la frontière avec le clan de la Rivière, et que mon jeu pourrait être pris pour un affront. Ouh là, ça glisse un peu ces pierres ! Me penchant vers l’eau, mes yeux rencontrent ceux de mon reflet. Mince alors ! J’ai pleins de brindilles et quelques feuilles coincées dans les poils, souvenirs de la rencontre de mon crâne avec le plafond de la tanière des apprentis. Je m’apprête à nettoyer tout cela, lorsqu’en relevant mon regard je croise deux lueurs orangées, appartenant à une silhouette sombre qui m’observe depuis l’autre rive, enfin à quelques longueurs de queue maintenant puisque je suis à peu près au milieu de la rivière. Oups.

« Euh… salut ? »

Mon cœur bat un peu vite sous l'effet de la surprise, c'est que je ne l'avais pas du tout vu ! Un ange passe, et je me reprends. Je crie pour me faire entendre par dessus le bruit de l'eau.

« Moi c’est Reflet des Nuages, et toi qui es-tu ? »

L’étranger, ou plutôt étrangère au son de sa voix me répond d’un ton neutre, le même que ceux que les grandes personnes utilisent lorsqu’ils « jaugent la situation » comme ils disent, ça me fait sourire. Sourire qui s’évanouit quand elle me demande ce que je fais. Euuuuuh. J’ai beau réfléchir, il m’est difficile de lui apporter une réponse satisfaisante. Et pourtant, je sais que je n’ai rien à me reprocher ! Je voulais simplement jouer sur les pierres, c’est qu’il n’y a pas de rivière aussi grande à traverser chez nous. Pour me donner le temps de réfléchir, je profite du fait que je sois toute sale pour faire mine de me nettoyer. C’est vrai que je trouve ça mieux aussi, pour une première rencontre, de me faire toute belle. Pour cela, je dois passer quelques coups de langues sur ma patte avant, puis la passer sur mon crâne… sauf que, ouh là ! Le rocher glissant, à trois pattes, c’est pas une bonne idée.

Me sentant basculer vers l’onde bleutée, je pousse un petit cri de détresse et saute aussitôt pour me réceptionner maladroitement sur la pierre suivante. Mais voilà, emportée par mon élan, je failli à nouveau glisser et bondi aussitôt pour tenter de reprendre le contrôle de la situation. C’est ainsi que j’atterri… Devant mon interlocutrice. Maintenant que je me retrouve juste devant elle, il devient évident qu’elle est plus âgée que moi. Plus musclée aussi. Je lui adresse un petit sourire gêné, me faisant toute petite. Je ne cherche tout de même pas à me faire attaquer, c’était une erreur !

« Ahahah… Pardon je- j’ai pas fait exprès, je voulais pas toucher l’eau… En fait, je voulais m’entraîner pour avoir un meilleur équilibre ! Mais t’as vu, j’ai super bien réussi, je suis même pas tombée ! »

Je reprends contenance. Il ne sera pas dit que je suis une poule mouillée ! Et puis maintenant que je suis là, je me dis que c’est l’occasion de me faire une nouvelle amie- ou de grapiller quelques informations intéressantes sur le clan de la rivière, qui sait ! Mes yeux avisent le tas de poisson qui trône à quelques pas de l’apprentie. Qu’est ce que ça pue ! Mon nez se fronce. Mais je garde mon rôle d’espionne, et m’exclame tout sourire :

« Wouaw, c’est vraiment génial ! Tu en as attrapé tellement, vous devez vous nourrir seulement de poissons et ne jamais attraper d’autres proies ? »

Une hypothèse qui me semble plausible, Nuage de Rosier sent en réalité tellement le poisson que je ne serai pas surprise de découvrir des branchies sous ses poils noirs !