Question anodine aux lourdes conséquences ? Ft. Cœur de Pluie

Question anodine aux lourdes conséquences ?
Reflet de la Nuit & Cœur de Pluie
Lune 1210


Après avoir donné des directives aux guerriers et aux apprentis de l’Ombre pour la journée, Cœur de Pluie s’assit au milieu de la clairière, contemplant un instant les reflets dansants du soleil sur les rochers qui formaient les différentes tanières. Il appréciait lorsque le camp bourdonnait d'activité, chacun contribuant au bien-être du clan. Le vent était doux, le temps était clair ; la saison des feuilles nouvelles ne tarderait plus désormais, et cela mettait du baume au cœur du lieutenant. La naissance de ses petits était pour bientôt mais il tentait le plus souvent de ne pas y penser, soucieux de rester concentrer sur ses diverses responsabilités.

Il gardait sa visite quotidienne à la pouponnière pour la fin de la journée. Il pourrait s’y entretenir avec Étoile de Jais puis rester un peu auprès de Lune Givrée. Avec de la chance, il aurait peut-être même le temps de jouer avec Petite Tortue et Petit Éclair. Il était ravi que ces deux-là semblent bien s’entendre. Pour l’heure, il aurait bien rendu visite à Épine Fleurie, histoire de vérifier que la guérisseuse ne manquait de rien. Sinon, il pourrait lui assigner un apprenti pour la journée pour l’aider à accomplir ses tâches. Remarque, l’ancienne lui en voudrait sûrement s’il lui collait un novice dans les pattes. Il gloussa bêtement à cette idée. Derrière son caractère ronchon se trouvait une femelle pleine d’empathie et empreinte d’une grande sagesse. Bien, assez cogité ! Il se décida enfin à se lever pour se diriger vers l’antre de la guérisseuse.

C’est alors qu’il vit apparaître Reflet de la Nuit à l’entrée du camp, semblant se diriger vers lui. Il ne connaissait pas très bien la guerrière, même s’il l’avait déjà aperçue en compagnie de Lune Givrée. Enfin, ils avaient bien partagé diverses patrouilles et expéditions de chasse, mais aussi loin qu’il puisse s’en rappeler, il n’avait jamais eu des discussions très profondes avec la chasseuse au pelage noir.

« Cœur de Pluie ! Excuse-moi de te déranger, mais j'ai trouvé une proie bizarre à l'extérieur. Je ne sais pas si elle est malade ou… enfin, tu veux bien jeter un coup d'œil s'il te plait ? »

Le lieutenant considéra la guerrière. Il hésita à lui répondre que même si le printemps ne tarderait plus, les proies se faisaient encore rares et que l’on ne pouvait se permettre de les sélectionner. Il se ravisa, cependant, réalisant à quel point cette réflexion était stupide. Manger une proie malade, voilà qui ne pouvait rien apporter de bon, qu’importe la saison. Enfin, le mieux était encore d’aller voir.

« Tu ne me déranges pas, Reflet de la Nuit. Allons donc examiner cette proie ! Je t’en prie, guide-moi. »

Sur le chemin qui menait aux Faux, il se demanda pourquoi il ne connaissait pas mieux la guerrière aux yeux clairs. Si ses souvenirs étaient bons, elle avait dû recevoir son nom de chasseuse à peu près au moment où lui-même était devenu apprenti. Peut-être avait-elle été proche de Neige Éternelle ? Il se rappelait de la popularité de sa défunte mentor, toujours si avenante et serviable. Sûrement que Reflet de la Nuit avait quelques souvenirs d’elle ? Il profita donc de ce trajet pour lui poser la question.

« Cette partie de la pinède me rappelle un peu Cerfblanc parfois. Je me demandais .. est-ce que tu as des souvenirs particuliers de Neige Éternelle ? »

Pluie remarquait à quel point sa tendance à s’exprimer avait augmentée depuis qu’il était lieutenant. C’était une bonne chose, en revanche il ne savait pas si sa question, en l'occurrence, était très pertinente. Il ne savait même pas vraiment ce qu’il attendait comme réponse. Peut-être simplement que quelqu’un d’autre que lui fasse un peu vivre la guerrière immaculée à travers le prisme de la mémoire. Si personne n’en parlait jamais, qu’importe qu’elle siège parmi les Étoiles, c’était comme si elle n’avait jamais vécu, et cette pensée lui était insupportable.

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Reflet de la Nuit & Cœur de Pluie
Lune 1210


Cœur de Pluie commençait à regretter d’avoir posé cette stupide question. Pour faire la conversation, il aurait sans doute pu trouver mieux que d’ennuyer Reflet de la Nuit avec le fantôme de sa défunte mentor. Il s’en voulait d’être incapable de faire son deuil comme tout le monde, surtout après autant de lunes. Il s’apprêtait à reprendre la parole, pour dire à la guerrière d’oublier ce qu’il venait de dire, que ce n’était pas si important. Il ne voulait plus savoir. Il ne voulait plus ressasser sans cesse les mêmes idées noires.

« Des souvenirs en particuliers, je ne sais pas vraiment, aucun ne me vient spontanément, mais on s'entendait bien. C'était si facile de parler avec elle, et on avait pas mal de points communs. Ah si, je sais ! »

Le regard de la femelle au pelage de jais changea légèrement, alors que les souvenirs semblaient lui revenir peu à peu. Elle conta à Pluie l’attitude de Neige Éternelle pendant le Grand Voyage. L’histoire du petit concours entre les deux reines amusa le lieutenant. Oui, cela ressemblait bien à la chatte qu’il avait connue. Un enthousiasme sans limite, une volonté de bien faire sans égal, un dévouement à tout épreuve. Il n’y avait rien d’étonnant à ce qu’elle ait remporté le défi consistant à se faire offrir une proie ; plus d’un chat se serait battu pour obtenir ses faveurs. Il se demanda un instant pourquoi elle n’avait jamais eu de chatons, elle qui était pourtant toute désignée pour être mère. Et il se rappela alors à quel point elle semblait encore si jeune lorsque la maladie l’avait fauchée.

Reflet de la Nuit rit doucement à l’évocation de ses joyeux souvenirs.

« Je l'aimais bien, même si elle pouvait être sacrément pénible lorsqu'elle voulait toujours tout faire toute seule. C'était bien l'une des rares choses qui pouvait me mettre en rogne chez elle. »

Ce fut au tour du guerrier gris de rire. Oui, ça lui ressemblait bien. Sous le regard pâle de sa comparse, il se sentit faiblir et ne put retenir ses larmes. Son rire laissa peu à peu place à des sanglots. Il dû s’arrêter de marcher un instant, repris son souffle, secoua la tête et se passa quelques coups de langue rapides sur le poitrail pour se donner une contenance. Il tenta de réprimer ses émotions du mieux qu’il pût, cherchant désespérément à focaliser son attention sur autre chose. Il finit par y arriver - après un moment un peu trop long à son goût. Ils se remirent en route. Le chasseur tigré savait bien que pleurer n’était pas un mal, et il n’en tirait aucune honte. Il se sentait simplement stupide ; ne serait-il pas plus heureux s’il pouvait penser à Neige Éternelle sans s’effondrer sous le poids de l’émotion ? Et en même temps, il ne pouvait pas s’en défaire. Il avait passé tant de ses jeunes lunes à errer sans but, broyant du noir, ressassant les mêmes pensées sombres … En fait, jusqu’à récemment, il n’avait jamais pensé à sa mentor dans des moments joyeux. Et il savait au fond de lui qu’il était devenu addict, en quelque sorte, à cette forme particulière de tristesse qu’est la mélancolie.

Il pouvait s’estimer heureux que Lune Givrée soit apparue dans sa vie, dissipant cette obscurité qu’il avait lui-même créé sans vraiment le vouloir. Son cœur était à l’Ombre, et depuis qu’il était lieutenant, il savourait chaque moment passé avec l’un de ses membres. Il appréciait enfin la chance qu’il avait à sa juste valeur.

« Merci, Reflet de la Nuit … Merci de m’avoir raconté ça. Elle comptait beaucoup pour moi. » Ils étaient arrivés aux Faux, et Cœur de Pluie avait retrouvé son assurance. « Alors, où se trouve cette proie suspecte ? »

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Reflet de la Nuit & Cœur de Pluie
Lune 1210


« Ce n'est rien, et désolée de… enfin, si j'en ai trop dit. Je ne voulais pas… enfin bref, elle est par là. »

Cœur de Pluie lança un regard compréhensif à Reflet de la Nuit. Ses excuses le touchaient même s’il n’y avait rien à pardonner en premier lieu. Après tout, c’est lui qui avait posé la question, et c’était également lui qui était incapable de contrôler ses émotions. Chassant Neige Éternelle de ses pensées, il suivit l’indication de la femelle au pelage noir et s’approcha de la proie à pas feutrés.

« Tu as vu ? Elle n'est pas morte, mais elle ne bouge pas. »

Le lieutenant resta interloqué. Il n’avait jamais rien vu de tel. Lorsque sa comparse poussa prudemment le petit être du bout de la patte, le chasseur crut un bref instant qu’il allait détaler, mais non, rien. Il poussa simplement un petit couinement pitoyable. Il jeta un œil à Reflet de la Nuit qui semblait tout aussi déboussolée que lui. Il comprenait mieux pourquoi elle était venue le trouver en premier lieu.

Passant en revue les options qui s’offraient à eux, Pluie resta parfaitement immobile quelques instants, ne quittant pas la petite bête des yeux. L’hiver tirait sur sa fin mais les proies n’étaient pas encore de retour en abondance … Aucune possibilité de nourrir le clan ne devait être négligée, et l’idée de ne pas rentrer au camp avec cette proie était un crève-cœur. Toutefois, même si la saison des feuilles nouvelles était bientôt là, il n’était pas impossible qu’une épidémie se propage. Et quoi de mieux, pour favoriser une épidémie, que de ramener une proie semblant en tout point malade ? Non, le risque était trop grand. Et puis, cette proie était maigrichonne, elle aurait à peine nourri un adulte. Tant pis.

« Nous ne prendrons pas le risque de ramener cette proie au camp, auprès des reines et des anciens. Nous devrions la tuer et l’enterrer pour être sûrs qu’elle n’aille pas contaminer d’autres proies. »

Voilà qui semblait le plus raisonnable. Il considéra un instant la féline aux yeux pâles. Il avait été surpris au début, qu’elle vienne le consulter pour ce qui semblait si peu. Mais peu à peu, il prenait conscience de ce que signifiait son rang. Ce n’était pas une simple question d’autorité, d’organisation des patrouilles et des expéditions de chasse. Il s’agissait d’être là pour les autres, d’être au service du clan et de ses besoins, de soulever les doutes et les angoisses. Bien sûr, il était parfois rongé par ses propres doutes, mais - de façon surprenante - il arrivait à en faire une force. C’était cette angoisse que tout aille de travers, que tout se passe de la pire façon possible, qui le poussait à anticiper chaque action pour empêcher les mauvais scénarios de devenir réalité. Petit à petit, il prenait goût à son nouveau rôle, en même temps qu’il prenait confiance en lui.

« Tu as bien fait de me consulter. » Son ton était léger et reconnaissant. D’un mouvement de tête accompagné d’un sourire, il encouragea sa camarade à tuer la proie.

HRP:

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Reflet de la Nuit & Cœur de Pluie
Lune 1210


Cœur de Pluie fut un instant déstabilisé par la remarque de sa camarade. Lui, aussi bien placé qu’Épine ? C’était drôle à entendre. De son point de vue, rien ne pouvait surpasser la sagesse d’une guérisseuse. Et la vieille femelle, malgré son caractère parfois difficile, était sage. Lui, en revanche, n’était qu’un amas de doutes et d’angoisse. Mais en rencontrant le regard pâle de Reflet de la Nuit, il comprit pourquoi elle avait dit ça. Parce qu’elle avait confiance en Étoile de Jais, et surtout, elle avait confiance en son choix. Il devait arrêter de se demander sans cesse s’il était le bon chat pour ce rôle et embrasser ses responsabilités, sans regard en arrière. Il devait essayer de se voir comme les autres le voyaient.

La guerrière s’approcha de la proie, mais marqua une hésitation. Le lieutenant se demanda ce qu’il pouvait bien se tramer dans sa tête. Puis, elle acheva finalement la proie avant de se tourner vers lui.

« Je me demandais… je me demandais si je devais adresser une prière au Clan des Etoiles. Après tout, j'ai pris sa vie pour rien, on ne va pas la manger, elle ne m'est pas bénéfique. Ce serait bizarre de les remercier pour son sacrifice alors que sa mort ne m'est d'aucune importance, non ?  »

Le chasseur tigré regarda la femelle, les yeux grands ouverts. Il n’en avait strictement aucune idée. D’ailleurs, il ne s’était même pas posé la question. L’aurait-il fait ? Par réflexe, oui, probablement. Maintenant, la guerrière soulevait un questionnement intéressant. Si la proie ne leur était pas bénéfique, cela servait-il à quelque chose d’adresser une prière à leurs ancêtres,  en remerciement pour sa vie ? Peut-être pas.

« Eh bien .. Peut-être qu’au lieu de les remercier, on pourrait s’excuser ? Tu sais, s’excuser de prendre une vie qui ne nous nourrira pas, mais dont le sacrifice est nécessaire par précaution.  »

Il espérait que la guerrière ne trouverait pas cette alternative trop incongrue, mais c’était la seule idée qui lui était venue à l’esprit.