never let your guard down • muse des forêts

L'après midi avait commencé au moment où le soleil, après avoir atteint son zénith, avait entamé sa longue descente vers les entrailles de la terre. Après une longue matinée de chasse, Chant d'Antan s'était de suite dirigé de nouveau vers la sortie du camp, cette fois-ci visant le cottage abandonné. On ne pouvait pas duper l'argenté ; bien que les temps soient calmes en ce moment sur le plan de la présence humaine - il n'était pas question des pauvres chatons disparus, qui occupaient l'esprit du mâle en permanence - ils n'étaient jamais bien loin. C'était pour cela que le rôle d'Antan, en bonne sentinelle, était de patrouiller vers les édifices bipèdes pour vérifier que leur proximité ne menace pas la vie des chats sauvages.

Après un peu de marche, Chant d'Antan arriva sur les lieux convoités. Il passa d'abord quelques minutes tapi dans l'ombre au cas où une présence malvenue soit dans les parages et, après s'être assuré qu'il n'y avait pas de danger, ressortit des feuillages. Maintenant, il fallait passer la zone au peigne fin (ou plutôt, au museau fin) pour tenter de déceler quelques odeurs, vieilles comme nouvelles, et en avertir les patrouilles suivantes en conséquence.

Alors qu'il s'apprêtait à passer à cette deuxième étape, une branche craqua dans son dos. Les poils de son échine se dressèrent immédiatement ; il avait beau être sur son propre territoire, rien n'assurait la sécurité de ses terres en ces temps sombres. Il se retourna vivement en lançant d'un ton calme mais froid : « Qui va là ? »

Il ne s'agissait que de Muse des Forêts. Chant d'Antan aurait laissé échapper un soupir de soulagement s'il n'avait pas été... eh bien, Chant d'Antan. Mais le mâle contrôle tout sur tout, de ses paroles jusqu'à l'expression qu'il arbore. Il faudrait être un sacré champion pour le voir se défaire de cette allure stoique qu'il n'a même pas à feindre, puisqu'elle fait partie intégrante de sa personnalité.

La petite guerrière - sacrément petite même, la différence entre le mâle gris et la femelle brune serait presque grotesque - se confondit en excuses, avant de s'inquiéter de l'état de la traque du mastodonte. Ce dernier secoua brièvement la tête, avant de rassurer Muse des Forêts. « N'aie crainte. Je n'étais pas ici pour chasser ; je patrouillais autour du périmètre. Nous ne sommes jamais trop prudents. » Surtout par les temps qui courent, aurait-il précisé si besoin il y avait eu. Le sous-entendu relevait plutôt de l'évidence ces derniers temps. Malgré le pincement au cœur à l'idée que ça aurait pu être ses petites sœurs quelques lunes auparavant, Chant d'Antan n'en fit rien voir. « Muse des Forêts, si je ne me trompe pas ? » dit-il en maintenant le regard de la petite femelle. Il ne comptait pas la vexer, loin de là ; il n'avait simplement pas eu l'occasion de discuter avec elle depuis... eh bien, depuis toujours, à vrai dire.

La jeune femelle ne sembla pas s'offenser à la question du géant. Au contraire, elle fit même un trait d'humour en jouant sur son nom. Contrairement à ce que Muse des Forêts aurait pu penser, Chant d'Antan afficha bel et bien un petit sourire fin en réaction à la blague. Sa personnalité ne l'empêchait pas d'apprécier la gentillesse et l'enthousiasme de ses interlocuteurs. Par contre, quelqu'un d'autre aurait surenchéri avec une autre boutade, ou même simplement acquiescé pour marquer le coup. Ça, ce n'est tout simplement pas du style du mastodonte.

Muse des Forêts... ça lui revenait, maintenant ; il s'en voulait un peu d'avoir posé la question, car elle ne venait pas d'un manque de respect ou d'une indifférence de sa part ; son esprit était seulement submergé par les vagues de crainte pour sa famille, pour son Clan, pour ces chatons qu'il leur était impossible de retrouver. Leur rencontre officielle se serait-elle passée il y a quelques lunes de cela, il aurait eu l'esprit assez vif pour remettre son prénom tout de suite. Il se rappelait maintenant très bien du jour de son baptême, aux côtés de son frère. Quelque chose avait cloché ; peut-être que personne d'autre ne s'en était rendu compte, mais Chant d'Antan était très observateur. Il avait suffit d'un regard dans la direction de Nuage... de Muse des Forêts, puis dans celle de ses parents, de son frère, et de nouveau sur la petite femelle pour voir une certaine déception du côté parental, une consternation du côté de la fille, et un air pédant du côté du fils. Cette expression de tristesse s'était bien vite effacée, balayée par une vague de congratulations de la part de tous les autres membres du Clan - l'argenté compris - mais Chant d'Antan, lui, n'avait pas oublié.

La brune repris la parole. Elle n'avait pas tort ; le monde était si petit que l'on pouvait rencontrer quelqu'un que l'on connaissait au coin d'une rue, comme à mille lieues de son territoire natal. Mais il était grand au point de perdre des chatons et d'être incapable de les retrouver. Il hocha la tête pour appuyer les propos de la femelle - s'il n'y avait pas lieu de paroles inutiles, il ne les prononçait tout simplement pas - et l'écouta attentivement tandis qu'elle mentionnait Vieille Branche. Si Chant d'Antan savait que l'ancien avait une préférence pour les écureuils ? Parbleu, le vieux mâle lui avait déjà dit maintes fois ! Le géant pensait souvent à lui lors de ses parties de chasse en solitaire, et lui ramenait toujours une petite créature rousse au début ou à la fin de ces dernières. Maintenant qu'elle le lui faisait penser, il ne s'y était pas attelé ce matin...

Cette réalisation se passa au moment où le monsieur la sentinelle sortit des babines de la femelle, et Chant d'Antan n'y prêta pas plus d'attention. La pauvre va finir par croire qu'il n'en a que faire ! Mais ce n'était pas du tout le cas. Très terre à terre, l'argenté se laissait parfois submerger par ses pensées, et s'absentait mentalement le temps d'une micro seconde, parfois deux. « C'est une bonne idée. Je n'en ai pas spécialement senti depuis mon arrivée, mais j'étais concentré sur l'odeur des bipèdes. Nous pouvons revérifier s'il n'y en a pas dans les parages. » Chant d'Antan ne pensa pas à répondre au « tu sais ? » de la femelle, tout simplement parce qu'il n'était pas là pour prouver son mérite ou tout ramener à lui. Muse des Forêts avait aujourd'hui fait l'effort de satisfaire Vieille Branche, pas lui.

S'il était compliqué de lire les expressions - presque inexistantes, il faut se le dire - de Chant d'Antan, ce dernier avait les talents d'un observateur d'élite, et arriva donc facilement à discerner la joie qui emplis le cœur de la petite femelle lorsqu'elle entendit le mot nous. En silence - comme à son habitude - le géant attendit que Muse des Forêts entame la marche, car il s'agissait de sa partie de chasse à elle. Loin des idées quelque peu machistes de certains félins, Chant d'Antan ne pensait pas qu'il en était de son rôle de tout contrôler ; la brune avait initié cette chasse à l'écureuil, il était donc normal que ce soit elle qui mène la danse.

Après quelques minutes d'analyse des lieux - il ne fallait pas trop s'éloigner du cottage si Muse voulait retrouver son petit rouquin disparu - Chant d'Antan aperçut la queue en panache de l'intéressé. La partie de cache-cache était visiblement terminée. Il s'attelait à la dure tâche d'ôter une noisette des lattes de bois de l'édifice, ce qui semblait compliqué car le pauvre écureuil n'avait pas l'air de s'en sortir vainqueur. L'argenté était sur le point de prévenir sa partenaire de chasse mais, en posant les yeux sur elle, se rendit compte qu'elle était déjà en position de traque. Elle n'a pas besoin de moi, dit-il en esquissant un autre petit sourire surpris dans le dos de la femelle. Non pas surpris parce qu'il ne la pensait pas capable d'une traque efficace, mais parce que cela ne lui avait pris qu'un temps record pour identifier sa proie, se mettre en position, et débuter sa longue danse silencieuse et calculée vers le rouquin. En deux temps trois mouvements, Muse des Forêts se retrouva sur le toit. Chant d'Antan ne s'y était jamais aventuré ; malgré le fait que cela puisse représenter un point d'observation stratégique et très utile, il ne s'était jamais risqué à une telle escalade à cause de sa taille et de son poids. Il ne dit cependant rien à la chasseuse ; il ne voulait pas griller sa couverture, et puis elle était aussi fine et lourde qu'une petite brindille, alors elle ne devait pas risquer grand cho...

« Woah ! » s'exclama la traqueuse, son cri accompagné d'un gros crack ! qui ne laissait pas vraiment de doute quant à ce qu'il venait de se produire.

Chant d'Antan se décala pour mieux voir - l'angle de la bâtisse lui avait jusque-là caché le corps de la femelle, seulement sa tête lui avait été visible. Là-dessus, rien n'avait changé ; la petite tête brune dépassait toujours. C'était le reste du corps que l'édifice avait engouffré dans les ombres. Nom du Clan des Étoiles ! se renfrogna le mastodonte intérieurement. même lorsqu'ils sont absents, les bipèdes nous sont hostiles ! Il ne laissa pas plus de temps à ses pensées pour encombrer son esprit, et passa directement à l'action. Même avec les postérieurs dans le vide, Muse des Forêts trouvait toujours le temps et l'envie de faire des traits d'humour. La sentinelle se dépêcha de rentrer par une des fenêtres décadentes pour pouvoir évaluer la situation. En soi, la vie de Muse n'était pas en danger ; mais la façon dont elle... pendait pouvait résulter en une mauvaise entorse ou une luxation de l'épaule, et non seulement le Clan de la Lune n'avait pas du tout besoin de ça en ce moment si jamais l'occasion de se battre pour les petits se présentait, Chant d'Antan n'avait tout simplement pas envie que la brunette se fasse mal. Fine comme elle était, il avait bien peur qu'elle se brise en deux.

« Laisse-toi tomber ! » dit-il en levant la voix, gardant pour autant son ton calme et rassurant habituel.

Il laissa passer une seconde, durant laquelle la femelle ne lâcha pas prise. Il ne savait pas vraiment pourquoi - il avait beau lire dans les gens comme dans un livre ouvert, il ne pouvait pas deviner leurs pensées et, dans ce cas là, il avait plutôt accès à une autre partie de l'anatomie de Muse qu'à ses yeux - mais décida de partir du principe que c'était parce qu'elle avait peur, ou qu'elle ne voulait pas déranger, ou bien autre chose. « Fais-moi confiance. » dit-il simplement en se positionnant pour la réceptionner sur son flanc.

La petite femelle décida enfin de lâcher prise, et vint atterrir moelleusement sur le flanc de la sentinelle. En réalité, elle ne pesait pas plus qu'une petite souris en hiver, ou du moins ce fut le ressenti de Chant d'Antan quand il la réceptionna en douceur. Quand Muse s'empressa de lui demander si elle ne lui avait pas fait mal - toutefois sans bouger d'une moustache, avâchie sur le coussin... pelage de celui qui l'avait réceptionnée - Antan pensa à ce poids de plume et voulut la rassurer, mais s'abstint de s'en servir comme argument, craignant d'offenser la brunette. Il ne la connaissait pas bien, et bien qu'elle n'ait pas l'air d'être du genre à se vexer pour un peu, il ne voulait pas tenter le diable pour le savoir. Et puis, c'était tout simplement déplacé, et Antan était un gentleman. Il ne put cependant s'empêcher de sourire doucement à cette question qui lui paraissait un peu absurde à son échelle : elle, lui faire mal à lui ? Il faudrait qu'il y ait au moins trois Muse de plus avant qu'il ne sente quelque chose !

« N'aie crainte. Je n'ai rien senti. » dit-il en plantant son regard vif azuréen dans les yeux de la chasseresse.

Après que leurs yeux aient été bloqués pendant quelques secondes, la jeune brune sembla reprendre ses esprits et s'empressa de se remettre sur pattes. Elle refit une petite blague pour détendre l'atmosphère - qui, du côté du mastodonte, était loin d'être tendue - et Antan commença à penser que s'il devait la décrire à quelqu'un un jour, le premier mot qui lui viendrait à l'esprit serait bavarde sous pression. Voire bavarde tout court. Ce n'était pas forcément quelque chose de négatif, au contraire ça amusait gentiment le géant de la voir perdre ses mots de la sorte, mais il réprima un autre sourire en prenant soudain conscience qu'elle devait être très embarrassée de ce qu'il venait de se passer. Encore une fois, les talents d'observateur du mâle le mettaient souvent sur le bon chemin, mais il ne lisait pas dans les pensées non plus.

Sans mentionner le fait qu'il pense que Muse soit actuellement gênée, Antan enteprit des paroles rassurantes mais assez génériques, qui feraient sans doute du bien si elles étaient bienvenues et qui ne vexeraient pas de par leur banalité : « Je suis sûr que nous trouverons un autre écureuil. Ils savent que même les plus expérimentés doivent parfois s'y prendre à deux fois. » Il se leva ensuite, s'ébroua pour retirer la poussière et la sciure qui s'étaient incrustées dans son long pelage, et pris cette fois-ci la tête de leur petit cortège. « Mettons-nous en route, veux-tu bien ? »

Muse des Forêts ne mit pas bien longtemps à accepter la proposition du géant, et bien vite les deux félins se mirent en route. Tandis qu'ils laissaient le cottage abandonné derrière eux, une discussion plus sérieuse commença. Chant d'Antan ne savait pas si la petite femelle le regardait ou non pendant qu'elle posait ses questions, car il était trop occupé à fixer l'horizon de son air stoïque habituel. Il n'y avait pas de doute et le mâle l'avait déjà remarqué ; la brune était très bavarde. Bien que ce trait personnel soit à l'opposé total du caractère de Chant d'Antan, ce dernier n'allait pas s'en servir d'excuse pour mépriser la petite ; il était bien conscient des nombreuses personnalités peuplant ce monde, et savait que certaines d'entre elles façonnaient des réactions différentes face à la violence, le malaise ou, dans ce cas précis, l'inquiétude. L'argenté préférait se perdre dans ses pensées, tenter de trouver des solutions silencieusement, en liant esprit et action. Muse des Forêts, elle, semblait avoir besoin de parler. Parler, pour chasser les idées noires de sa tête trop remplie, pour les laisser s'échapper de ses babines et noircir les troncs des arbres, les grains de poussière, les toits délabrés des cottages abandonnés. Cela ne pouvait pas les atteindre, de toute façon ; la nuit finissait toujours par arriver, et ce petit bout de noirceur finissait englouti par l'obscurité inévitable.

Malgré la compassion pour cette façon de lâcher prise, Chant d'Antan ne pouvait inventer des réponses. Certains en étaient peut être capables, mais le mensonge n'avait pas sa place au creux des babines de l'argenté. L'utopisme non plus.

« J'aimerais le savoir, commença-t-il en tournant enfin ses yeux azuréens vers la brune. Certaines personnes font des choses insensées pour arriver à des fins respectables, tandis que d'autres ne sont tout simplement pas inquiétées par la morale. Je ne saurais dire à laquelle de ces catégories appartiennent les coupables. Peut être en existe-t-il une troisième dont j'ignore l'existence. »

C'était beaucoup de mots pour une conclusion plutôt sans appel : je ne sais pas. Le mâle ne se handicapait d'habitude pas de mots inutiles, mais il semblait ici que Muse des Forêts ait besoin d'entendre que, parfois, le plus dur était l'impuissance. Que parfois, bien que de rester assis sans attendre ne soit pas une solution adéquate, mille et unes patrouilles ne suffisaient pas pour retrouver un ancien, un guerrier, un apprenti, un chaton disparu. Que les pistes dont elle parlait en début de conversation, plutôt que de n'être pas encore arrivées, pourraient bien ne jamais venir.

« J'aimerais t'offrir une réponse plus satisfaisante. » dit-il simplement, se passant cette fois ci du sous entendu évident : malheureusement, je n'en ai pas.

La marche commençait à être longue, sans aucune proie à l'horizon. Bien sûr, les kilomètres parcourus n'ont jamais dérangé Chant d'Antan ; en tant que sentinelle, il avait bien l'habitude de marcher toute la journée, parfois même toute la nuit s'il prenait une garde nocturne, et il ne considérait jamais cela comme une perte de temps. Si leur traque était peu fructueuse sur le plan des proies, elle était plus qu'utile au niveau de la surveillance. Au moins, Muse des Forêts pouvait maintenant avoir un ordre d'idée de ce qu'était réellement être une sentinelle, de la responsabilité que cela représentait... mais aussi du sentiment de frustration qui accompagnaient leurs pas lorsqu'ils n'arrivaient pas à trouver ce qu'ils cherchaient - ici, les chatons disparus. Tous ces éléments, peut-être la jeune femelle ne les remarquait-elle pas, peut-être n'en avait-elle pas du tout conscience. Mais Chant d'Antan n'était pas là pour lui enseigner l'art du métier ; Muse était une guerrière, et remplissait très bien ses fonctions. Elle n'avait pas besoin de comprendre toutes les subtilités du poste de sentinelle.

Après que la brunette ait confirmé les paroles du géant, renchérissant en disant tout haut ce qui avait été sous entendu par Antan. Si on y pensait, il était assez amusant de voir le contexte dans lequel ces deux-là se présentaient ; la première complétait les mots de l'autre. La muse, qui explicitait ce que les chants devaient exprimer. S'en suivit alors une question, assez personnelle cette fois-ci ; Chant d'Antan ne put s'empêcher de marquer un temps d'arrêt, très bref, avant de reprendre la marche aussi stoïquement qu'à son habitude. Il ne s'attendait pas à ce qu'une telle question survienne lors d'une première rencontre - du moins, une première rencontre officielle - et pensa à la position d'embarras dans laquelle cette demande aurait pu mettre Muse si la réponse avait été oui ; heureusement pour l'un comme pour l'autre, Chant d'Antan n'avait perdu personne de sa famille lors de cette tragédie. Cela ne réduisait en rien la gravité de la situation et le sérieux avec lequel il tentait de la réparer, mais c'était déjà un début.

« Non, loué soit le Clan des Étoiles. Mes trois petites sœurs sont saines et sauves. » dit-il simplement, comme à son habitude.

Il se surprit à débattre le fait de lui retourner la question. Habituellement, il ne l'aurait même pas considéré ; c'était là une demande bien trop personnelle. Mais cette femelle avait visiblement une tendance toute particulière à entraîner les gens dans la confidence, à les laisser se confier à elle. Bien qu'Antan ne puisse nier cette faculté, il ne pouvait pas aller à l'encontre de qui il était non plus ; pour cette raison, il ne demanda rien. Si Muse des Forêts voulait se confier, elle le ferait très sûrement seule. Et la sentinelle, elle, serait là pour l'écouter d'une oreille attentive.

« La seule chose que nous pouvons faire pour les faire aller mieux, c'est retrouver leurs petits disparus... mais nos efforts semblent vains pour le moment. Il marqua une pause, puis reprit la parole de son ton calme et réfléchi. Si tu veux savoir comment faire pour atténuer leur douleur, je dirais que nous pourrions leur annoncer que nous faisons absolument tout ce qui est en notre pouvoir pour leur rendre leurs chatons.»

Il accompagna ces paroles d'un petit sourire sincère. Chant d'Antan était très terre à terre, mais il ne pouvait pas réprimer l'espoir. Cette petite étoile qui brillait dans ses yeux, cette certitude que le Clan des Étoiles était avec eux, qu'ils ne laisseraient pas passer cela. Mais cela signifiait quelque chose de très évident : un combat approchait.

Chant d'Antan écouta la femelle brune tandis qu'elle faisait part de ses doutes, de ses craintes, mais aussi de son espoir qu'un jour, les petits soient retrouvés. À leur niveau, les chats des Clans faisaient déjà tout ce qu'ils étaient capables de faire pour restituer les petits disparus à leurs parents, pour réparer les familles brisées ; il fallait désormais s'en remettre au Clan des Étoiles pour la suite des événements. Il devait bien avoir une raison à tout cela, une leçon à tirer, un présage caché... non ? Chant d'Antan, bien que toujours terre à terre, ne pouvait s'empêcher d'en être certain ; il ne voulait pas perdre foi en le Clan des Étoiles, en leurs guides, leurs ancêtres. Il ne voulait pas leur mettre la faute dessus. Il ne voulait pas concevoir que de tels êtres mystiques soient capables de telles erreurs, de telles cruautés sans raison derrière elles. Le mastodonte, à cette idée, fut contraint de prendre une grande inspiration pour se ramener à la raison et au calme : le sang froid, c'était l'une de ses plus grandes qualités.

Bientôt, les deux patrouilleurs atteignirent les bords de leur camp. Si la chasse n'avait pas été fructueuse, la surveillance, elle, était toujours bienvenue ; et Chant d'Antan était bien content que Muse des Forêts se soit prêtée au jeu, ait endossé cette responsabilité de sentinelle le temps de quelques heures. « Je suis sûr que tu reverras cet écureuil un jour, et que tu pourras lui montrer que la première fois n'avait été qu'un coup de chance pour lui. » dit-il alors doucement, anticipant la probable tristesse de Muse après leur retour bredouille. L'argenté repensa d'un coup à ses paroles ; peut-être aurait-il dû dire nous... il ne s'était jamais repris intérieurement auparavant. Pourquoi pensait-il ici avoir fait une erreur ? Qu'est-ce qui était différent ?

En tout cas, ce qui était dit était dit, et le géant n'aimait pas revenir sur ses mots, toujours exprimés après réflexion. Il ne voulait pas prendre congé maintenant, par respect. Il attendit alors que la brune lui réponde, pour être sûr qu'elle n'avait besoin de rien d'autre.