Ta dernière vue du monde et ma première rencontre

Réservé.e. Date d'inscription : 13/03/2022 Nombre de messages : 178

Ballotée de droite à gauche entre les crocs de son père, Tortue sentait la cadence ralentir peu à peu. La respiration du matou se faisait de plus en plus saccadée. Voilà maintenant 1h que son père la portait en courant de toutes ses forces, de toute son âme. Au prix d’un ultime effort, le jeune père de famille déposa sa fille sur un petit tas de mousse avant de s’écrouler au pied d’un vieux sapin. Pour la première fois depuis le début de sa vie, Tortue ouvrit les yeux sur ce monde extérieur. Celle qui se cachait jusque là de cet inconnu effrayant en passant ses journées à dormir contre les ventres de ses parents, n’avait aujourd’hui pas d’autre choix que de l’affronter. Loin de la chaleur de sa tanière et de son silence apaisant, la forêt qu’elle découvrait grouillait de vie. Bruyante, inhospitalière, dangereuse. Mais alors que son regard se baladait d’arbre en arbre, il finit par se poser sur le corps de son père, ce qui la figea sur place. Ce dernier était parsemé de plaies béantes desquelles se déversait son sang et sa chair. Pourtant, malgré son aspect apocalyptique et la faiblesse de sa respiration, son père la fixait, la contemplait de son soûl, à mille lieux de paniqué, bien que sa fin était inévitable. Il le savait, elle le comprenait… avec horreur. La petite féline écaille se jeta dans sa fourrure sanguinolente, y enfouissant son museau, suppliant en pleurant toutes les larmes de son corps. Emportée par les émotions, elle se coupa petit à petit du monde, fermant pour se plongeait dans la bulle rassurante de sa naissance. Elle ne souhaitait pas croire en cette histoire, pourtant elle s’imposait à elle.
Une phrase la tira de cette bulle. Un murmure. Celui de son père, qui dans un dernier effort lui déclara d’une voix rassurante : « Je savais que tes yeux étaient verts comme les miens, je l’avais bien dit. » Tortue s’arrêta alors de pleurer, préférant reculer d’un pas pour regarder son père dans les yeux. Il mourrait. Une odeur vint alors atterrir dans les narines de Tortue, des fleurs de pavot. Sa mère lui en avait parlé, de leur utilité, de comment elle s’en était servie pour abréger les souffrances de son frère à la naissance. Sans réfléchir à comment un tel souvenir lui était parvenu, la chatonne se déplaça jusqu’au plant de pavot y arracha deux graines en prenant soin de ne pas les avaler et les déposa devant son père. Ce dernier, surpris dans un premier temps, sourit ensuite à sa fille, fier d’elle et les avala. Tortue, qui ne put attendre que les paupières de son père ne se ferme sous l’effet des plantes, se remit à pleurer en silence, et s’installa contre le corps de son père, dont la chaleur commencerait bientôt à disparaitre.

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Lune 1205 _

Depuis quelques jours, le grand blanc n'avait plus les idées claires. Il sentait qu'il avait de la fièvre, et pour ne rien arranger, sa blessure au museau s'était rouverte. Ça le démangeait. Tout ça parce qu'il s'était battu contre deux solitaires. Ils en avaient eu assez, et les hostilités avaient cessées. Une victoire en demie teinte pour Ninja. Mais une fois en pleine possession de ses moyens, il reviendrait à la charge. Il connaissait leurs habitudes, leur routine. Et la tanière qu'ils occupaient depuis de longues lunes, selon leurs dires. Ils n'avaient pas voulu partager leur cachette. Faisant visiblement partie des félins qui rechignaient à tuer leurs semblables, ils avaient commis leur deuxième erreur. Et cette addition ne mènerait qu'à une issue : leur mort. Pour l'heure, le solitaire s'éloignait des terres officielles du clan d'Appel du Loup, mais il reviendrait...

Le félin traversait la clairière de fleurs. Cette dernière perdait peu à peu de sa superbe, avec le mauvais temps qui arrivait. Ce serait la première mauvaise saison qu'il passerait à Valeemar. Et Ninja aurait d'autant plus besoin de l'abri qu'il convoitait. Mais il ne se faisait pas de soucis, il parviendrait à ses fins. Tôt ou tard. Un sourire glaçant se dessina sur le côté valide de son museau. Entre le parfum des plantes, une odeur bien connue chatouilla son museau pourtant embrumé par la fièvre. L'odeur de la mort. Intrigué, le grand blanc n'hésita pas longtemps avant de suivre la piste macabre. La senteur était celle d'un chat, il l'avait bien senti. Après quelques instants, ses yeux oranges aperçurent une fourrure. Il s'approcha davantage.

Un félin était effectivement étendu, sans vie. Le corps présentait de vieilles blessures, et... Quoi ? Une petite boule de fourrure tricolore était blottie contre le cadavre. Un chaton ? Voilà qui devenait très intéressant. Ninja n'avait pas d'utilité à faire durer la suite des évènements. Mais il n'avait pas spécialement faim, et surtout, il ne disait jamais non à un peu de distraction. Le plus naturellement du monde, il vint s'asseoir en face de la dépouille, près du chaton orphelin. « C'était ton père ? » miaula-t-il sans faire de cérémonie. Lien de parenté ou non, ça ne lui changeait rien. Le grand blanc savait pertinemment que la petite créature, livrée à elle-même, ne tiendrait pas longtemps ici. Le monde n'appartenait qu'aux plus forts et aux plus rusés.

Spoiler:

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La fourrure de son père était désormais froid comme la pierre. La chatonne y colla son oreille pour entendre sa respiration, mais seul le silence l’accueillit. Un silence bien différend de celui de la tanière. Un silence froid et menaçant. Toute petite et sans défense dans cet environnement aux milles inconnues, Tortue se recroquevilla tandis que les heures passèrent. Soudain un grand félin à la fourrure blanche fendit le décor. Les yeux oranges sombres, analysant tout sur leur passage. Et une horrible cicatrice sur le visage déformant presque son museau. Jamais la féline n'eut aussi peur. Ils les avaient retrouvés, ceux qui les avaient attaqués ! Ceux qui venaient de blesser à mort son père.

« C'était ton père ? »

La question de l'inconnu surpris grandement Tortue. Pourquoi lui demander ce qu'il savait déjà ? S'il l'avait attaqué, il aurait du bien sans rendre compte non ? Baissant sa garde, la jeune femelle écaille se releva doucement hochant de la tête, puis finit par poser la question qui l'obséder désormais :

"C'est toi qui nous as attaqué avec les autres ?"

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Lune 1205 _

Alléché par l'odeur de la mort, le solitaire avait remonté la piste, comme un carnassier avide de d'emplir ses sens d'un poison macabre. La scène qui s'offrit à lui le laissa un instant interdit. Une petite chatonne, blottie contre le corps inerte d'un félin qui devait être son père, pleurait toutes les larmes que ses petits yeux étaient capables de faire couler.

Sans se départir de sa nonchalance malaisante, Ninja s'était inquiété de l'identité du mort : effectivement, c'était le père de la petite. Cette dernière, qui ne paraissait pas plus effrayée que ça par la présence du grand blanc, lui demanda s'il était l'un des meurtriers. Un sourcil blanc se haussa. Une bande de solitaire ? Il ne pouvait s'agir des deux lourdauds qu'il avait menacés tantôt, une troupe plus organisée sévissait donc dans les parages.

Le plus simplement du monde, il répondit sur un ton calme. "Non, ce n'est pas moi". Il avisa avec une curiositié malsaine les plaies du défunt pendant quelques longues secondes, avant de reporter son attention sur la petite créature. Une petite femelle tricolore. La même fourrure que celle dont il avait demandé à une mère solitaire de se débarasser, alors qu'il régnait encore dans le monde de la rue.

Cette époque était révolue pour Ninja, mais ses habitudes ne changeraient pas pour autant. Il énonça une vérité simple à celle qui constiturait probablement son prochain repas. « Tu ne survivras pas deux jours seule. » il la fixa sans qu'aucune expression définissable ne s'affiche sur museau enflé et balafré. « Si ce n'est pas moi qui met fin à tes souffrances, les meurtriers de ton père te retrouveront. » La menace n'était même pas voilée. Pourquoi l'aurait-il fait ? Cajoler son repas pour mieux pouvoir briser ses illusions ? Fût un temps ou cette option l'aurait amusé, mais plus maintenant. Il lui fallait survivre, et la loi du plus fort était toujours la meilleure.

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Le mystère autour de l'inconnu à la balafre se densifiait à chacune de ses réponses. S'il n'appartenait pas au groupe des assaillants, qui était-il ? et pourquoi vouloir la tuer dans ce cas ?! L'instinct de survie prit le dessus sur sa peur grandissante et Tortue fixa le matou blanc droit dans les yeux en se relevant. Elle ne s'offrirait pas à la mort, pas après les efforts surnaturels de son père pour la maintenir en vie !

Mais la volonté de survivre était une chose, en avoir les capacités en était une toute autre... Et malgré tout le déni du monde, la chatonne fut forcée de reconnaitre son impuissance face au solitaire. Si ce dernier souhaitait la tuer, alors elle ne pourrait pas l'en empêcher. Une seule solution lui restait : lui donner une bonne raison de la maintenir en vie !

"-S'il vous plait non, je serai bien plus utile en vie que morte..." supplia-t-elle d'une voix tremblante.

Comment lui serait-elle utile ? A vrai dire Tortue n'en avait pas la moindre idée, cependant elle ne devait pas tardé à trouver une excuse, aussi futile soit-elle... sous peine de finir dans le ventre de l'inconnu. Trouver la chose susceptible d’intéresser un félin fou... cette chose existait-elle seulement ? Réfléchissant aussi vite que son esprit de petite effrayée le lui permis, la chatonne écaille fouilla dans sa mémoire, à la recherche d'un miracle...

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Lune 1205 _

Voilà le grand blanc qui faisait face une nouvelle fois à l'ironie de la vie. Une petite créature sans défense aucune. Dotée de parole, elle semblait pourtant vouloir suivre le chemin des vivants. Et Ninja seul, avait le pouvoir de vie ou de mort sur cette chatonne. Là ou de parfaits sociopathes auraient été galvanisés par ce sentiment, l'oreille du solitaire tinta. Soufflant du nez, il miaula « Quel est ton nom ? » c'était inapproprié. S'il dévorait la petite chatte, son nom n'avait aucune importance.

Le lui demander, en revanche, lui donnerait de l'espoir, et un rôle. A un instant T dans sa vie, il l'aurait rencontrée. Pour le meilleur ou pour le pire, peu importait, elle ferait partie de son histoire. Cependant, dans ces conditions, il devait se présenter lui aussi. « Mon nom à moi est Ninja. » son sourire s'étira, mais plus qu'il l'aurait voulu, une vive douleur lui paralysa la mâchoire l'espace d'un instant.

Arborant un air tout à fait détaché de la situation, il questionna la jeune chatte tricolore « Un service contre un service. C'est ma manière de fonctionner. Qu'as-tu à m'offrir en échange de ta vie, petite ? »

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