T'es fatigué ? (Rêverie du Loir)

Quelle cruauté, vraiment, c'était monstrueux et il ne s'en remettrait jamais ! Ô rage, ô désespoir, ô sommeil perdu ! C'était affreux de l'obliger à faire une telle chose, n'avaient-ils pas honte ?

Loir avait été forcé de se lever à l'aube pour participer à une patrouille, les tensions incitant les guerriers à multiplier ces dernières. Habituellement, le matou roux faisait son possible pour éviter d'être envoyé aussi tôt, c'était de la cruauté animale après tout. Mais pour une fois, ses plaintes n'avaient pas suffi et il avait été forcé de se lever beaucoup trop tôt, de suivre ses camarades, tout ça pour surveiller la frontière avec la Lune jusqu'aux Cinq Rocs.

Il avait baillé durant presque la totalité de la patrouille, avait agacé ses partenaires jusqu'au bout et avait certainement été à nouveau rayé des patrouilles matinales pour les dix lunes à venir. Tant mieux, il pourra à nouveau faire la grasse matinée ! Passant enfin l'entrée du camp, Rêverie du Loir traîna sa lourde carcasse épuisée jusqu'à un rocher au soleil et s'y effondra pour faire une sieste. Il allait enfin être tranquille et pouvoir dormir.

Il ne fallut que quelques secondes bien installé au soleil pour que le sommeil l'emporte et que le matou ne soit plus conscient du monde extérieur. Et bien plus tard, il lui fallut de longues minutes pour enfin émerger de sa sieste. Pourquoi s'était-il réveillé au juste, il était si bien là...

Des petites pattes l'escaladant étaient les fautives. Refusant tout de même de bouger pour une raison pareille, Rêverie du Loir resta immobile et ne frémit même pas d'une moustache. Mais quand une petite voix le questionna, le rouquin décida d'enfin ouvrir les yeux et de répondre, il n'allait tout de même pas ignorer la petite chatonne.

« Rien de particulier, je profite du beau soleil. Ça serait dommage de l'ignorer alors qu'il est si agréable, la saison des Feuilles Mortes va arriver bien trop vite malheureusement tu t'en rendras vite compte. »

Loir adressa un sourire encore un peu endormi à Petite Âme en disant cela. Le guerrier n'avait jamais été particulièrement proche des chatons du Clan, il les connaissait parce qu'ils alimentaient les anecdotes et ragots mais s'en approchait relativement peu. Après tout, des chatons surexcités c'était rapidement fatiguant et le guerrier ne se sentait jamais d'attaque pour les surveiller autrement que de très loin. Généralement, ces mêmes chatons le laissaient tranquille quand il faisait une sieste dans le camp, ce qui l'arrangeait bien.

Mais voilà qu'une petite exploratrice venait l'embêter dans son doux sommeil. Le matou n'allait rien faire bien entendu, il ne lui en voulait pas de l'avoir réveillé. C'était un chaton après tout, la curiosité était parfaitement normale. Et puis si elle restait sur lui à l'interroger, on allait peut être l'oublier assez longtemps pour éviter la patrouille du soir.

« Et toi ? Qu'est-ce que tu fais ? »

A part être sur son dos et déranger sa sieste bien entendu.

Au moins, Petite Âme n'était pas le genre de chaton à essayer de l'ennuyer et à lui sauter dessus constamment. C'était déjà un excellent point pour la chatonne alors Loir n'allait pas complètement l'ignorer ou partir se chercher un coin tranquille plus loin. Il n'avait rien contre les chatons en particulier mais ceux qui dérangeaient sa sieste et qui étaient trop bruyants étaient toujours dans son collimateur.

La petite s'installa même plus confortablement sur son dos, s'étendant de tout son long et ayant l'air d'être prête à faire également une petite sieste. Pas que cela dérange le matou, elle n'était pas bien lourde et ne bloquait pas vraiment le soleil avec son petit corps. Ils étaient bien là, Loir n'avait pas de raison de lui dire de partir et de le laisser tranquille.

Rêverie du Loir retint un petit rire et agita ses moustaches d'amusement en sentant la chatonne manquer de tomber en essayant de s'installer plus confortablement. Mais le fait qu'elle ait envie de tester la sieste au soleil à ses côtés lui fit plaisir, ça n'arrivait pas souvent qu'on l'accompagne dans sa sieste.

Un rire s'échappa des babines du rouquin quand il entendit la seconde raison pour laquelle la chatonne avait quitté la pouponnière. Essayant de rester relativement immobile pour ne pas la faire tomber, il répondit.

« Les chatons sont trop remuant pour toi à l'intérieur ? »

Se retenant de bouger plus d'une oreille ou une moustache, le matou attendit sa réponse patiemment, se prélassant dans la douce chaleur du soleil en attendant. Finalement, la curiosité de Petite Âme gagna et elle lui posa la fameuse question que tout le monde se posait. "Avait-il le droit de ne rien faire comme cela ?" C'était la question d'or que tout le monde se posait après tout, pourquoi aurait-il plus de droit que les autres à se prélasser au soleil ?

« Disons que je m'accorde de longues pauses entre chacune de mes tâches. Si je suis efficace quand on a besoin de moi, je peux me permettre de passer le reste de mon temps libre à ne rien faire si je le désire. Les autres aiment être utile et chasser quand ils n'ont pas d'obligation, moi je préfère dormir. »

Et c'était aussi simple que cela. Oui il traînait les pattes quand on le forçait à trop faire mais il faisait toujours son devoir si besoin. Il n'aimait peut être pas faire d'effort mais il ne souhaitait pas non plus être un poids pour le clan après tout.

Le matou agita à nouveau ses moustaches d'amusement et fit un petit ronron d'encouragement en entendant la raison de sa fuite de la pouponnière. Il est vrai qu'elle n'était pas encore très grande, elle devait avoir quoi, une lune ? C'était encore une toute petite chatonne face aux autres qui se rapprochaient de plus en plus de la vie d'apprenti. Peut-être que Petite Âme trouvera de meilleurs compagnons de jeux dans une future portée, avec des petits plus proche de son âge.

« C'est cela oui, certains jouent et je dors. C'est clairement moins fatiguant après tout et apparemment je suis une très bonne montagne d'escalade pour chaton quand je dors, dit-il avec un demi-sourire en jetant un coup d'œil à Petite Âme. »

L'instant d'après, un gros bâillement passa ses babines. Le soleil l'endormait vraiment bien, c'était particulièrement agréable. Se retenant de s'affaler d'autant plus comme une carpette pour ne pas déloger la boule de poil sur son dos, elle était très bien là où elle était et il ne comptait pas l'envoyer voler par un mouvement imprévu. Ça serait totalement contre-productif pour sa sieste après tout.

Beaucoup de chats n'appréciaient pas ses siestes et sa flemme, il le savait bien. Petite Âme n'avait pas besoin de le pointer pour qu'il remarque les regards désobligeants et agacés de certains. Il était au courant des rumeurs et des commentaires qui tournaient autour de lui, des remarques sur ses origines étrangères et du fait que certains considèrent qu'il ne devrait même pas être guerrier. Ça faisait bien longtemps qu'il n'y faisait plus attention mais pour la chatonne ça devait effectivement être étonnant.

« On s'habitue à force, je n'ai jamais été très aimé par certains depuis mon arrivée dans le Clan… Apparemment le fait de ne pas partager le sang du Vent fait que je serai forcément un mauvais guerrier qu'importe ce que je fasse. Alors autant ne pas me prendre la tête et faire ce qui est nécessaire et rien de plus. »

Au fond de lui, il savait qu'il était un guerrier loyal au Vent alors l'opinion des autres ne le dérangeait pas. Il préférait en rire plutôt que de s'apitoyer sur lui-même encore et encore, qu'importe ce que les autres attendaient, il savait ce qu'il était et point barre pas besoin de plus. Ils étaient dans une démocratie après tout, le système était différent des autres clans et personne n’avait le droit de lui faire directement des remarques désobligeantes et le forcer à faire des choses qu’il méprise.

Petite Âme était encore jeune et avait tout à apprendre. Il espérait qu’elle ne retiendrait pas les idées reçues de certains et qu’elle ne prendra pas de mauvaises habitudes. La chatonne n’avait pas l’air particulièrement belliqueuse ou pleine de préjugés mais on ne sait jamais. L’apprentissage changeait toujours drastiquement les chatons, il espérait qu’elle aurait un bon mentor et pas une brute qui l’entraînera sur un chemin dangereux. La petite avait de l’avenir, il en était sûr alors voir ce potentiel gâché l’embêterait. Mais c’étaient des questions pour le futur, il avait mieux à faire à l’instant. Comme dorer au soleil avec une chatonne sur le dos.

Rêverie du Loir regardait la chatonne avec étonnement, ne s'attendant absolument pas à sa réponse. Il avait un peu de mal à croire que la chatonne venait de défendre ses siestes face au reste du clan, c'était assez surréaliste pour lui. Surtout venant d'une petite chatonne, ça n'arrivait clairement pas tous les jours !

Mais rapidement, l'étonnement laissa simplement place à de la joie et de l'affection. Le matou se mit à ronronner de plaisir, faisant vibrer tout son corps et la petite sur son dos mais pas assez pour la faire dégringoler de son perchoir. Il l'aimait bien Petite Âme, c'était rare d'entendre ce genre de commentaire venant d'une jeune chatonne et il appréciait beaucoup le caractère de la jeune chatte.

Quand elle aura grandi et qu'elle deviendra apprentie, il se surprit à vouloir être son mentor s'il en avait la possibilité. Pendant longtemps il avait fait tout son possible pour être sûr de ne pas en avoir et voilà que maintenant il avait l'air de ne plus pouvoir s'en passer. Rivière des Terres Inconnues avait presque finie son entraînement et même s'il aimait bien se plaindre de l'énergie débordante de son apprentie et de tout le travail qu'elle lui donnait, il avait apprécié lui apprendre tout ce qu'il savait.

Alors peut être que le conseil le choisira pour être le mentor de Petite Âme quand elle sera assez grande. Ou peut-être qu'ils choisiront un autre chat, plus apte d'après eux pour lui apprendre toutes les ficelles du métier de guerrier. En tout cas une chose était sûre, il allait suivre son évolution d'un œil attentif, il était certain qu'elle fera une bonne guerrière quand elle aura grandi.

« Peut-être qu'ils sont jaloux oui, tu as même certainement raison ! Je suis sûr que Saule Pleureur est jaloux de ne pas pouvoir faire la sieste comme moi et c'est la raison pour laquelle il est tout le temps grognon, répondit-il avec humour. »

La chatonne éclata de rire à la remarque sur Saule Pleureur. Sourire lui allait bien mieux que cet air sérieux qu'elle avait constamment au museau en tout cas. Loir se mit à ronronner d'autant plus, content de l'effet de sa blague sur la petite. Saule Pleureur rentra à ce moment-là dans le camp, comme s'il avait également entendu la remarque. Il rentrait certainement de patrouille et se dirigeait vers la pile de gibier, ignorant de ce qui se disait entre Loir et la chatonne.

Le matou pouffa un peu en le voyant avant de se concentrer à nouveau sur la boule de poil sur son dos. Il sentait déjà le regard désapprobateur de la mère sur sa fourrure mais il n'y fit pas attention. Si Petite Âme voulait passer un peu de temps avec lui, elle avait totalement le droit et madame n'avait rien à y redire, même si elle ne l'aimait pas.

Rêverie du Loir était fier de ses origines, même si cela le rendait impopulaire chez certains. Et il ne comptait certainement pas changer ses habitudes pour faire plaisir à quelqu'un, il croyait en l'honnêteté avant tout ! Il préférait être le mouton noir d'une partie du clan plutôt que de cacher ses opinions sur certains sujets. Et puis comme ça il pouvait faire la sieste dans un coin du camp sans qu'on l'embête, les regards désapprobateurs il avait l'habitude à force.

Petite Âme semblait avoir aussi remarqué l'attention de sa mère vers eux. Penaude, elle descendit de son dos et lui dit au revoir, certainement déçue de devoir partir aussi vite. Ils s'amusaient bien après tout. Loir la retint un instant avant son départ, lui léchant avec douceur le haut du crâne avant de murmurer.

« Si tu as envie de revenir faire la sieste quelques minutes n'hésites pas, je suis souvent dans le coin après tout. »

Et il lui fit un clin d'œil avant de la laisser partir, un sourire aux babines en se recouchant. Il l'aimait bien cette petite.