Rencontre dans la brume

Ardeur des Braises aurait pensé dormir mieux que jamais dans la tanière des guerriers qu’elle venait enfin de rejoindre après de longues lunes passées abritées par l’épaisseur des ronces de la pouponnière. A peine s’était elle laissée tomber sur son nouveau lit de mousse qu’elle s’était en effet enfoncée dans ses songes, mais son sommeil n’avait pas été de tout repos comme elle l’aurait cru. Elle s’était réveillée à plusieurs reprises au milieu de la nuit, ses pattes tâtonnant dans l’obscurité, cherchant le poids des trois fourrures qui étaient habituellement pressées contre elle durant leur sommeil. Elle était bien forcée de l’admettre à présent, elle qui pensait que reprendre sa vie de guerrier se ferait aussi naturellement que de respirer, il y avait certaines habitudes qu’elle allait devoir perdre, et d’autres qu’elle serait forcée de retrouver.

A commencer par le réveil matinal, par exemple. Elle fut réveillée peu après les premières lueurs du jour par l’agitation des guerriers autour d’elle qui pour la plupart commençaient à se redresser sur leurs litières et à faire leur toilette avant de sortir. Ardeur des Braises n’avait pas totalement perdu de son dynamisme pendant ses lunes de maternité, mais elle devait tout de même admettre qu’elle avait profité des grasses matinées et des après-midis de sieste au soleil que son statut de reine lui permettait, et un grognement s’échappa de sa gorge lorsque son voisin passa un peu trop près d’elle en la frôlant. Elle ne se sentait pas encore prête à se soustraire aux confortables brumes du sommeil par lesquelles elle se laissait bercée. Elle avait prévenu son apprentie le jour précédent de ne pas l’attendre trop tôt, elle pouvait donc se permettre quelques instants de quiétude encore…

Devoir finalement se redresser de son couchage douillet pour mettre le nez au dehors lui coûta plus de détermination que ce qu’elle aurait pensé. S’était-elle vraiment ramollie ? Elle secoua la tête, repoussant cette éventualité inconfortable. Elle allait vite redevenir la meilleure guerrière du clan, sans aucun doute. Après avoir choisi un écureuil sur le tas de gibier et l’avoir dévoré, elle leva les yeux pour chercher autour d’elle des fourrures particulières, mais Nuage Libre, Nuage de Ronce, Nuage de la Tigresse et Nuage Céleste n’étaient nulle part en vue. Peut-être étaient-ils tous déjà partis avec leurs mentors… Elle n’aurait qu’à se lever plus tôt les prochains jours, mais cela l’agaça tout de même assez pour lui faire froncer le museau. Bon, tant pis, elle-même avait à présent son propre emploi du temps auquel se tenir. Elle rechercha autour d’elle la silhouette sombre de sa nouvelle apprentie, bien qu’elle peine encore à comprendre ce que cela impliquait, et s’approcha d’elle avec sa discrétion légendaire, c’est-à-dire absolument aucune. Elle devina facilement à l’odeur émanant de l’apprentie qu’elle venait aussi de finir son repas.

« Si tu es prête et que tu as mangé, allons-y ! »

Elle s’éloigna du camp, perdue dans ses pensées pendant un instant. Elle ressentait un soupçon d’excitation à présent qu’elle courrait dans la pinède, écoutant les pas plus légers de Nuage Sombre derrière elle. Elle qui en avait marre de la monotonie de la pouponnière, voilà qu’un changement, et non des moindres, survenait. Sa pensée hésita un instant sur le premier endroit auquel elle pouvait mener la plus jeune, et elle bifurqua au dernier instant vers le cœur des bois, à l’endroit ou les pins cessent brusquement pour dévoiler un arbre déchiré en son cœur, mourant, et pourtant toujours debout, dressant ses branches maigres loin tout là-haut au-dessus du sol. Autour de lui s’est créé un vide, comme si ces congénères s’étaient consciemment écartés de cet étrange énergumène et de son aura lugubre. Ardeur des Braises l’aime bien cet arbre lui, c’est un bon challenge de grimpe, pas aussi simple que les pins aux troncs solides qui peuplent le territoire, elle se demande à quelle hauteur elle pourrait monter dedans. Elle se tourne subitement vers son apprentie, tout sourire.

« Voilà l’arbre fendu, il se trouve à peu près au centre du territoire. C’est aussi un bon endroit pour venir chercher de la mousse, car celle du marécage est parfois trop humide pour que l’on puisse l’utiliser, ou du moins pas sans que les anciens viennent nous casser les oreilles en râlant. »

Le visage de Nuage Sombre ne s’éclaira pas plus que ça devant la vision de cet arbre martyre. Hm, pas si impressionnable que ça la gamine. Puisque le lieu ne sembla pas plus que ça retenir son attention, la guerrière fit volte-face sans plus attendre et l’entraîna vers les marécages. La brume commençait à apparaître ça et là sur le sol au fur et à mesure qu’on s’avançait vers lui. Même au plus profond de la saison chaude, des lambeaux translucides restaient ça et là entre les roches et les mousses de cette partie de la forêt. Mais l’été ne faisait que commencer, et le brouillard était aujourd’hui consistant, masquant partiellement la vision des félines. Ardeur des Braises finit par s’arrêter, vérifiant enfin que Nuage Sombre la suivait toujours, et remarquant finalement son essoufflement. Oups, elle y était peut-être allée un peu vite.

« Bah alors, déjà fatiguée ? Pourtant, la journée commence tout juste. Bon, comme je suis pleine de miséricorde, on va faire une pause ici. »

Bien sûr, elle a un but derrière la tête. Aux premiers abords, le silence semble s’être refermé autour d’elles, comme si la chape de brume était solide, et que les sons ne pouvaient la traverser. Mais pour des oreilles attentives, la forêt n’était jamais silencieuse. Ardeur a eu le temps d’écouter, d’entendre loin au-dessus d’elles, sans pouvoir déterminer ou, le chant d’un coucou, et à seulement quelques pas devant elles, masqué par un bandeau de brume, une petite flaque qui clapote de temps à autre, indiquant sûrement la présence de grenouilles, qui d’ailleurs coasse de temps à autre. Ces sons distincts se mélangent de temps à autre avec la rumeur perpétuelle de la forêt que tournoie sans fin, et qu’il est facile de confondre avec le silence lorsque l’on se laisse emporter par elle. Et puis il y a les odeurs, qui se mélange et se diffusent les unes dans les autres, se perdent parfois dans l’humidité, pour peu que l’on ne soit pas concentrés, et la lumière, pâle et incertaine mais qui filtre çà et là, laisse des indices sur son passages, la brume se fait plus claire ici & moins foncée là, indiquant une masse en dessous, un rocher ? Ardeur des Braises se tourne donc vers son apprentie et baisse sa voix, la laissant devenir un murmure.

« Pas facile de discerner grand-chose avec toute cette brume hein ? On se laisse facilement surprendre. N’importe quel guerrier d’un autre clan ne pourrait pas circuler ici sans trébucher à chaque pas comme un chaton à peine né, et je ne te parle même pas d'essayer chasser. Elle laisse échapper un ricanement bref devant cette image mentale, avant de se reprendre. Mais nous sommes différents. Te voilà privée d’une partie de ta vue, alors sers toi de tes autres sens, et dit moi. Qu’y a-t-il autour de nous ? »

Hors rp:

Ardeur des Braises, une fois n’est pas coutume, se fait silencieuse et immobile. Sans mouvements autour d’elles, les sons les plus distincts se taisent, ne laissant que ce fourmillement silencieux de la forêt, des milliers de vies qui les entoure sans que leur conscience ne puisse seulement effleurer l’idée de leurs existences. Elle darde ses yeux sur son apprentie sombre qui a fermé les yeux, se demandant ce qu’elle va pouvoir déceler de cet ensemble.

La guerrière renifle de manière appréciative lorsque son apprentie mentionne la flaque. Le bruit de l’eau étant l’un des plus familier, il n’est pas forcément le plus simple à percevoir. Elle est également surprise à la mention d’une chouette, l’animal se trouve dans le lointain et hulule à intervalles irrégulières, ce qui fait qu’elle-même ne l’avait pas perçue dès le début.

« Bien, ce n’est pas mal pour une première fois, on se concentrera sans doute sur l’odorat la prochaine fois, puisqu’à priori tes oreilles sont déjà assez utiles. Bon, néanmoins je ne te conseille pas forcément de fermer les yeux lorsque tu veux te déplacer dans cette partie de la forêt, j’ai dit que tu étais privée d’une partie de ta vue et qu’il fallait compenser, mais pas besoin de se priver de ta vue entière. »

Fit-elle, un sourire goguenard sur le visage. Peu sensible aux autres, Ardeur des Nuages ne remarquait pas l’attitude mal à l’aise de Nuage Sombre. Aurait-elle changé son discours si elle l’avait remarqué ? Rien n’était moins sûr. Elle était sûrement plus douée pour les blagues, de bon ou mauvais goût, que pour les états d’âme. Elle ne peut d’ailleurs résister à une autre occasion de se moquer lorsque Nuage Sombre lui tend la perche, lui demandant de se rendre au champ de fougère car les anciens lui en avaient beaucoup parlé.

« Les anciens ? Tu écoutes les bêtises que racontent ces sacs de tiques ? Très bien, allons y. »

Elles sortent lentement des brumes marécageuses, Ardeur des Braises s’arrêtant parfois pour attendre la plus jeune dans les passages difficiles. Ses premières excursions en tant qu’apprentie dans cet espace avaient été catastrophiques, comme si les trous d’eau et la jeune chatte étaient aimantés et s’attiraient l’un & l’autre. Nuage Sombre semblait au moins ne pas avoir autant de mal.

Ardeur des Braises ne comptait faire qu’une courte halte au champ de fougères, mais imprévisible, Nuage Sombre se métamorphosa en chaton devant l’étendue de fougères. La mentor se contenta de la fixer avec incrédulité quelques minutes avant de s’avancer sur elle, attendant qu’elle bute dans ses pattes. Elle la dominait de toute sa hauteur.

« Eh bien, je ne pensais pas que ma présence était si facilement oubliable… Me voilà vexée, lâche t-elle en riant. Oui, le champ de fougère est un terrain de chasse prisé, on y trouve de nombreux rongeurs, mais ce sera le programme d’un autre jour. Suis-moi à présent. »

Elle l’entraîna à travers les pins jusqu’à rencontrer un premier arbre étrange, biscornu et surmonté d’une coupole de feuillage qui tombait jusqu’à effleurer le sol. Ardeur des Braises écarte un pan de feuillage, invitant son apprentie à pénétrer avec elle dans la cachette. Elle sourit devant les nouvelles questions. Était-elle ainsi également, à demander sans cesse pleins de choses, puis remuer sans attendre les réponses ? Elle secoue la tête. Non, elle était sûrement bien pire. Se reconcentrant, elle vient du bout de sa queue inviter Nuage Sombre à changer sa position de sorte qu’elle regarde à l’extérieur de l’arbre.

« Regarde, que vois-tu ? Nous sommes totalement invisibles de l’extérieur, mais nous voyons tout. Les frontières sont non loin, ceci est un poste d’observation parfait. En effet, si nous devions un jour tendre une embuscade, tu peux imaginer que ceci serait un lieu de choix. »

Sans attendre, elle bondit à l’extérieur, entraînant son apprentie juste un peu plus loin, à l’endroit ou les pins & les feuillus se rencontrent, ou les aiguilles qui recouvrent le sol & la mousse se font aussi nombreuses que les feuilles tombant avant la saison froide. Ardeur des Braises se stoppe soudainement et se retourne vers la femelle au poil sombre.

« En parlant de frontière, peux-tu me dire ou nous sommes exactement ? Si tu devines bien, je te ferais un premier entraînement de chasse juste après cela. »

En effet, la Forêt des Passages était un lieu de chasse prisé. Étant un terrain facile, cela serait sans doute l’idéal pour une débutante. Ce qui était également la raison pour laquelle c’était un bout de territoire aux frontières mouvantes et parfois disputées.