RP intrigue | I have a bad feeling about this

Parfois, j’en arrive à croire que nous avons la poisse car il faut bien l’avouer, les ennuis poursuivent les clans où qu’ils aillent. Nous avons quitté la forêt dévastée de Cerfblanc pour les vertes contrées de Valeemar, et voilà que nos rives se teintent d’une marée noire poisseuse et destructrice. À croire que nous portons en nous le sceau d’une malédiction, ou que nous avons commis suffisamment de péchés pour être damnés pour l’éternité.

… Pardon pour ces pensées noires. Ça, c’est moi quand on me réveille trop tôt ; je vous assure que je suis beaucoup plus jovial après une grasse matinée. Mais aujourd’hui est un jour particulier, puisqu’on m’a assigné une nouvelle mission en tant qu’Escadron : mener une patrouille d’exploration à la recherche de nouvelles plantes qui pourraient guérir l’étrange mal qui nous frappe depuis qu’un monstre s’est échoué sur nos plages. Je n’ai rien d’un guérisseur, mais je connais notre territoire mieux que personne, j’ai appris à en reconnaître la flore, et Etoile de Jais me fait confiance. Cela doit suffire.

Si je suis habitué à patrouiller avec mes semblables au sein de l’Escadron, j’avoue être cependant réticent vis-à-vis de la compagnie qu’on m’a imposée pour cette mission. Ailes de Corbeau est un vétéran respecté, et je suis gêné à l’idée de lui donner des ordres ; quant à Constellation de Lumière, je ne peux m’empêcher de douter du sourire qu’il affiche au quotidien. Cette bonne humeur constante a quelque chose d’artificiel… Tout cela nourrit mon pessimisme, alors que je mastique lentement une souris choisie sur le tas de gibier. Je pousse un soupire récalcitrant, allez Ours, ça ira mieux quand tu seras dehors, au grand air, les pattes dans la terre et le museau levé vers le ciel.

Après une toilette rapide, je me dirige d’un pas tranquille vers mes deux compagnons du jour. Ailes de Corbeau est immanquable, il est si grand qu’on le repère de loin ! Tous deux m’accueillent de leurs yeux bleus qui me mettent curieusement mal à l’aise. J’espère qu’ils ne m’ont pas attendu trop longtemps, le soleil est déjà levé depuis un moment maintenant. Inutile de leur expliquer notre mission, notre meneuse nous l’a exposée à tous les trois hier. Ce qu’ils ignorent peut-être cependant, c’est qu’en tant qu’Escadron, il nous arrive parfois de passer outre les frontières… Comment réagiraient-ils alors ? À quel point sont-ils attachés au code du guerrier ? Chassant ces interrogations, je leur adresse un sourire en guise de salut.

« Ailes de Corbeau, Constellation de Lumière, vous êtes prêts à partir ? Je vous propose que nous allions vers le chemin aux cristaux pour y chercher des baies de genièvre et de la menthe aquatique. En chemin, nous pourrons récolter de la bourrache, Ardeur des Braises en aura peut-être besoin pour ses chatons. Et, mhh… tâchons d’ouvrir l’œil pour repérer toute plante inconnue qui pourrait s’avérer utile, nous les apporterons à ma fille, enfin, à Hymne des Ombres. »

J’espère ne pas les avoir déjà perdus avec tous ces noms de plantes ; et en même temps, je risquerais de les vexer si je leur expliquais tout comme à des apprentis… Nerveux, je donne un dernier coup de langue à ma fourrure brune, me préparant à prendre la tête de notre patrouille improvisée, avec un dernier regard en direction de la tanière d’Etoile de Jais. Je regrette qu’elle ne m’ait pas choisi pour faire partie de la sienne, car avec elle et Dent de Sabre j’aurais été bien plus à l’aise !

« Eh bien euh… si vous êtes prêts, suivez-moi, et n’hésitez pas à m’alerter si vous voyez une plante inconnue », leur dis-je maladroitement tout en me levant et en esquissant quelques pas vers la sortie du camp. Puis d’un coup, je me ravise, m’arrête tout à fait, et me tourne vers eux pour les scruter tour à tour de mon regard ambré. « Oh, et dernière chose… soyez discrets », dis-je simplement.

On ne sait jamais.

Les premières difficultés font leur apparition avant même que nous soyons sortis du camp. J’aurais dû m’en douter, mes deux compagnons du jour n’ont aucune connaissance en matière de plantes. Je parie même qu’ils ne seraient pas capables de distinguer une plante comestible d’une branche d’ortie… Mais bon, je ne peux pas vraiment leur en vouloir. Cet enseignement ne fait pas partie de la voie du guerrier, et c’est bien regrettable, il faudra que j’en touche deux mots aux mentors de nos apprentis actuels. Loin d’avoir autant de connaissances qu’un guérisseur ou même qu’un herboriste, j’ai quant à moi pu perfectionner mon savoir au fil de mes explorations. J’espère que cela sera suffisant pour aujourd’hui.

« Eh bien, nous tâcherons de faire de notre mieux, c’est tout ce qu’Étoile de Jais attend de nous. Constellation de Lumière, puisque tu sais reconnaître la bourrache, ta mission sera d’en rapporter le plus possible, concentre-toi là-dessus. » Puis, je me tourne vers le vétéran, choisissant mes mots avec soin. « Ailes de Corbeau, une fois que je t’aurai montré un plant de menthe aquatique tu ne pourras plus te tromper, car son odeur est très forte et caractéristique ! Quant à moi, je m’occuperai des baies de genièvre, pour être sûr qu’elles ne soient pas confondues avec… euh… des baies moins comestibles. » … pour ne pas dire complètement mortelles. Ok, respire Ours.

Je déglutis, non sans mal, pour tenter de chasser le nœud qui se forme dans ma gorge. J’appréhende cette sortie plus que je ne le devrais, comme un soldat que l’on envoie combattre un ennemi invisible. Je me rassure en songeant que ma fille est une guérisseuse expérimentée qui saura faire bon usage des remèdes que nous lui fournirons. D’ici-là, mon rôle en tant que meneur de patrouille consistera surtout à ramener les deux guerriers sains et saufs au camp et d’éviter tout conflit au cas où nous serions surpris par une patrouille adverse du mauvais côté de la frontière. Un jeu d’enfant, vraiment…

À peine commençons-nous à nous éloigner du camp que Constellation de Lumière s’approche pour me chuchoter à l’oreille. Je suis touché par ses paroles qui se veulent encourageantes, mais un frisson glacé me parcourt le dos lorsqu’Ailes du Corbeau y répond à ma place. Manifestement, il a encore une bonne ouïe… Mes oreilles se plaquent sur mon crâne sous l’effet de l’embarras, mais heureusement le vétéran change vite de sujet, m’épargnant toute réponse. Je saute sur l’occasion pour en revenir au sujet qui nous préoccupe, et sur lequel j’ai un peu de contrôle.

« Pour différencier les plantes, il faudra vous fier autant à votre odorat qu’à votre vue. Nous allons suivre le ruisseau rocheux puis nous traverserons les faux pour rejoindre le chemin aux cristaux. On trouve de la bourrache un peu partout, c’est une plante avec de grandes feuilles vertes à l’aspect granuleux. Quant à la menthe, les feuilles sont beaucoup plus petites et foncées, on la trouvera aux abords de la rivière. »

Ma voix retrouve son affirmation au fil de mes pas, mais se fait aussi de plus en plus basse : une habitude que j’ai prises lors de nos expéditions avec l’Escadron, durant lesquelles discrétion et furtivité sont les maîtres mots. Sous le couvert des pins, nous sommes plongés dans une semi-obscurité permanente à laquelle je me suis habitué. Enfin, je suis dans mon élément, à l’aise au milieu de ce territoire que j’ai appris à connaître et à aimer. Je me surprends à emprunter le même ton qu’avec mes apprentis. Le même genre d’humour, aussi.

« Et puis, Ailes de Corbeau, tu n’es pas si vieux que ça… Regarde Présage des Rats, c’est un miracle qu’il tienne encore debout ! J’ai bien peur qu’il survive même à Étoile de Jais et ses neuf vies. »

Je ne manque jamais une occasion de me moquer de ce vieux fou.