Le crépuscule pointe le bout de son nez. Le ciel s’assombrit et sur la toile bleue marine commence à apparaitre tout un tas de petites lumières. C’est une belle nuit, qui s’annonce fraîche. Opium traverse une petite prairie à ras le sol, courant à vive allure. Haletante, n’importe quel autre félin la voyant passer ainsi se serait demandé ce qui pouvait bien lui arriver. En vérité, la solitaire avait son petit rituel. Si elle veut pouvoir continuer de se défendre seule, il faut qu’elle entretienne sa santé, et qu’elle continue de se muscler. Aussi, elle doit impérativement améliorer son endurance. Alors, quoi de mieux qu’une petite course nocturne pour améliorer ses facultés ? Chaque soir, ou du moins lorsque l’atmosphère est assez fraîche, Opium fait sa petite course. Elle en bave, pour sûr, mais elle ne lâche rien. Elle sait que c’est le prix à payer pour conserver sa liberté, son individualité.

Lorsqu’elle se déplace, la solitaire n’a jamais de destination réellement précise. Elle se laisse guider au gré du vent, des étoiles, de la lune ou même du soleil. La féline vit au jour le jour – de toute façon, elle n’a pas réellement d’autre chose à faire, si ce n’est jouir de son autonomie –. Liberté gagnée grâce à l’abandon de sa mère et de son frère. Elle les avait longuement pleurés, lorsqu’elle était plus petite. Elle avait passé bon nombre de nuits à la belle étoile, le regard voilé d’une profonde tristesse. Après tout, elle avait dû apprendre à se débrouiller seule – heureusement, un autre solitaire l’avait prise sous son aile, lui apprenant les bases de la survie –. Finalement, ce fut grâce à ce chat rencontré inopinément qu’elle avait réussi à les oublier, à faire une croix sur eux. Depuis, elle vit parfaitement bien sans eux et elle ne pense même pas à ce qu’ils ont bien pu devenir – si c’était le cas, si elle pensait encore à eux deux, elle ne vivrait pas aussi bien –.

Enfin, dans la vallée de Valeemar, il y a un endroit qu’Opium adore par-dessus tout : le lieu que tout le monde nomme le « Bateau Fantôme ». La solitaire est du genre à n’avoir peur de rien et malgré les rumeurs qui peuvent bien courir sur l’endroit, cela ne l’empêche aucunement de s’y rendre assez régulièrement. Elle apprécie s’y rendre de nuit surtout, afin de contempler les millions de petites constellations parcourant le ciel, le clapotis de l’eau s’échouant sur les rives de sable. Jamais elle ne saurait dire pourquoi ce site l’attirait tant, mais il y a une ambiance particulière qui s’y dégage. Et puis, chose non négligeable, elle n’y croise que très peu d’autres chats ou animaux en tout genre. Opium sait que ses chances d’être tranquille sont très élevées.

Une fois le bateau atteint, la chatte va s’installer sur un petit rocher à deux queues de renard de l’épave. Elle s’y installe, se couchant sur la roche froide, son regard se perdant dans l’immensité de bleu se dressant devant ses yeux. L’air est frais, pourtant cela ne la dérange pas vraiment. Elle ne craint pas réellement le froid grâce à son pelage imposant. Aujourd’hui, la mer est calme, le clapotis doux et régulier. La solitaire ferme les yeux, inspirant un grand coup. Elle aimait tellement ça. Elle aurait d’ailleurs pu s’assoupir, si un bruit non loin d’elle n’avait pas attiré son attention.

Intérieurement, elle se mit à pester. Toujours couchée, elle scruta les environs. Elle discerna une silhouette féline non loin. Agacée, soupirant, sa queue commença à s’agiter. « Qui ose donc venir mettre un terme à mon somme ? Tu n’aurais pas autre chose à faire plutôt que de venir déranger une pauvre âme meurtrie par la fatigue ? » Crache-t-elle avec cynisme. C’est totalement faux, elle n’est aucunement fatiguée. Elle aspire juste à profiter de cet instant seule, sans personne pour la déranger – loupé –.

Sa petite soirée tranquille est donc gâchée.

C’est fou la façon que la vie a de se moquer d’elle.
Toujours il faut qu’elle s’amuse à mettre des obstacles sur son chemin, des briseurs de tranquillité – oui, elle n’a clairement que ce mot à la bouche –.

Rares sont les fois où elle peut se promener seule sans que personne ne vienne la déranger. Enfin, elle préfère tout de même ça plutôt que de venir à croiser sa mère et son frère – cependant, serait-elle en capacité de les reconnaitre ? Sûrement pas. Et quand bien même si, par miracle, elle venait à se rendre compte que ce sont eux qui se trouvent devant elle, la solitaire leur cracherait sûrement à la figure et les enverrai bouler. Ils n’existent plus pour elle depuis longtemps, ils sont rayés de sa vie –.

Enfin, le chat qui a fait irruption fait preuve de tout autant de sarcasme que la chatte – sauf que lui, ça semble un peu plus gentillet –. Opium aime bien les chats qui ont du répondant, du moment qu’elle est persuadée qu’elle reste en position de force – personne ne la contrôle, personne ne lui dicte aucun ordre, en revanche elle n’a aucune pitié pour les autres ; c’est comme ça, elle aime se savoir maître de la situation –. « Pff, c’est toi qui ne verras même pas que je faisais semblant de dormir et qui comprendra ton erreur lorsque mes crocs se planteront dans ta gorge. » Lance-t-elle avec un petit rire démoniaque. Elle est littéralement horrible dans ses propos, mais le pire c’est qu’elle aime ça. Et puis, c’est de cette façon qu’elle se sent libre. Libre de ses paroles, de ses mouvements, de ses actions.

Le matou continue sa route. Pourtant, les yeux de la solitaire ne le quittent pas une seule seconde. Elle arque même un sourcil lorsqu’il commence à appeler une certaine « Aurore ». Opium pensait que le silence allait enfin régner sur les lieux, qu’il allait partir. Mais non. Il finit par faire demi-tour et revenir vers elle. Soupirant fortement – histoire de bien lui montrer son agacement – elle posa sa tête sur ses pattes et l’écouta. Une fois sa tirade finit, son regard ambré se planta dans celui du chat. Décidemment, ces derniers temps, elle n’avait fait que de rencontrer des félins qui monologuaient sans penser à respirer. C’est quoi leur problème à tous ?

« Effectivement, tu me déranges. Tu viens perturber ma petite sieste au bord de la mer et je n’apprécie pas. » Dit-elle avec cynisme. Puis elle fit mine de réfléchir. « Oh, ta description me dit quelque chose… Je me rappelle ! J’étais en train de dormir, lorsque j’ai entendu des cris. Et effectivement, une petite chatte au pelage blanc s’est faite avalée par la mer, juste devant mes yeux ! La pauvre, elle hurlait, je n’ai rien pu faire… »

C’est totalement faux évidemment. Cela faisait à peine quelques minutes qu’elle se trouvait ici, vingt tout au plus. Voyant le chat se décomposer en face d’elle, la solitaire ne put s’empêcher d’éclater de rire. « Ehhh ça va l’ami, détends-toi ! Je suis là depuis pas longtemps, j’ai rien vu, rien senti. Tu l’as vu où pour la dernière fois ? »

Tiens, maintenant elle s’intéresse aux problèmes des autres ?