Doucement, Opium étire ses membres encore engourdis de la veille. Sa course folle après une souris l’a achevé et elle en paie aujourd’hui les conséquences. Baillant à s’en décrocher la mâchoire, elle se lève de son tapis de mousse, avant de se secouer, faisant tomber quelques brindilles sur le sol de sa tanière de fortune. Enfin, elle entame une toilette rapide, lustrant ses poils comme elle aime tant le faire. C’est un peu son petit rituel matinal – bien que souvent, son pelage vient à se retrouver dans un sale état en fin de journée ; sa soif d’aventure et de découverte la menant dans des endroits peu propres généralement–. Autant elle aime avoir sa fourrure bien soignée, autant la salir ne la dérange pas vraiment. Peut-être parce que cela lui permet de montrer au monde entier qu’elle est libre de ses actes et de ses mouvements ? – en même temps, elle n’en a que faire des autres en vérité –.

Aujourd’hui promet d’être une belle journée – comme toutes les précédentes ; après tout, il n’y a pas vraiment de raison pour que ce n’en soit pas une –. Et puis, même si quelqu’un ou quelque chose venait à ébranler la tranquillité de la solitaire, elle saura trouver un moyen de retrouver sa quiétude, et vite. Jamais au grand jamais elle ne laissera une autre bestiole mettre un terme à ses petites occupations – elle est bien trop égoïste pour ça –. De plus, ses capacités en termes de combat sont plutôt bonnes, alors elle n’hésite pas une seule seconde à montrer les crocs – elle sait qu’elle est en mesure de se défendre, de mettre à terre d’autres ennemis –. Vraiment, Opium n’est pas une chatte que les autres aiment croiser – on l’évite plutôt en général, pour son plus grand bonheur –. Elle se délecte et elle jouit de la peur qu’elle peut lire au travers des regards qui croisent le sien – elle trouve ça si bon de se sentir supérieure ; c’est tellement satisfaisant, ça lui en ferait presque perdre la tête –.

C’est une douce sensation qu’elle espère faire perdurer. Avoir le contrôle de la situation, se savoir en sécurité presque à coup sûr, c’est tout ce qu’elle aime, et tout ce qu’elle espère faire durer au maximum. Si un jour les autres chats et autres animaux peuplant la vallée viennent à ne plus frissonner en entendant le nom d’Opium, se serait probablement la fin pour elle – ou du moins une fin psychologique –. Enfin, la solitaire secoue la tête afin de ne plus penser à ça – au risque de faire fuir cette magnifique journée en perspective –.

Les journées se font de plus en plus fraîches et Opium remercie ses parents de lui avoir transmis ce pelage imposant, mais qui lui permet surtout de rester au chaud l’hiver. Elle préfère largement avoir plus chaud durant l’été plutôt que de mourir de froid durant la dure saison hivernale. En revanche, ce n’est pas celui-ci qui lui permet de garder le ventre plein. Se décidant enfin, elle sort de sa petite tanière de fortune, légèrement aveuglée par la lumière matinale. Elle cligne plusieurs fois ses paupières avant de pouvoir retrouver une vision normale. A nouveau, elle s’étire de tout son long, avant qu’un sourire satisfait ne s’affiche sur son visage. Il est grand temps pour elle de se mettre en quête de quelque chose à se mettre sous la dent. D’ailleurs, son ventre grogne et réclame son dû.

Sans attendre, Opium se met en marche, la truffe en l’air, en quête d’une proie, si petite soit-elle. Un rien pourrait la satisfaire – elle n’est pas compliquée –. Et rapidement, un effluve d’un petit campagnol lui parvient. Aussitôt aux aguets, elle se met en chasse – ce n’est pas vraiment son domaine de prédilection et elle sait qu’elle doit se dépêcher d’attraper sa proie, car son endurance laisse légèrement à désirer –. Une fois celui-ci repéré, elle s’aplatit au sol, s’approche au maximum, et saute sur le rongeur. Manque de chance, il l’a repéré. Et flûte, ça va refaire comme hier. Ses craintes s’avèrent être vraies : si elle le veut, il va falloir qu’elle court un peu – peut-être que chercher une autre proie serait plus judicieux ; mais là, c’est ce campagnol qu’elle veut et elle fera tout pour l’avoir, quitte à finir à plat une nouvelle fois –. Elle s’élance donc à la suite du rongeur, le souffle déjà court.

Et comme elle l’avait prévu, elle finit par perdre sa trace, le campagnol étant beaucoup plus rapide qu’elle. Opium vient donc d’user de l’énergie pour rien. Elle aurait mieux fait de changer de cible – mais elle est tellement têtue et obstinée –. Haletante, elle secoue à de nombreuses reprises sa tête afin de chasser cette vision trouble. Ce n’est qu’après quelques minutes qu’elle finit par se rendre compte de l’endroit où elle se trouve. Ou du moins, elle s’aperçoit bien vite qu’elle est rendue dans un endroit qu’elle ne connait pas, qu’elle n’a jamais vu. Du moins, sa mémoire immédiate lui hurle qu’elle n’a jamais visité ce lieu et qu’elle ferait mieux de s’en aller, car une odeur étrange envahit ses narines. Opium se concentre alors, essayant tant bien que mal de faire marcher sa mémoire olfactive. Elle a la cruelle impression de reconnaître cette odeur, mais elle n’arrive pas à se souvenir. La solitaire ne cesse de pester en son fort intérieur. Lorsque soudain, elle comprend. Elle n’est plus en terres neutres ; elle a traversé la frontière du Clan de la Rivière. Si une lueur d’effroi peut se lire dans son regard, elle n’est que passagère. Relevant le menton, elle épie les alentours. Elle n’a rien en soit contre les Clans, elle s’en moque. Jusque-là, elle espérait juste qu’il la laisse tranquille. Or, elle n’avait jamais réellement dépassé les frontières jusqu’à aujourd’hui.

Elle s’apprête à faire demi-tour, lorsqu’un bruissement provenant d’un buisson proche attire son attention. Se retournant vivement, elle gonfle le poitrail, levant le menton. Elle ne peut plus faire demi-tour, c’est trop tard. Alors, elle se prépare à un éventuel affrontement. Mais lorsque le chat décide enfin à se montrer, Opium fronce les traits de son visage. Un chaton ? S’en suit alors un rire à glacer le sang.

« Moi qui pensais me retrouver face à un grand et valeureux guerrier de Clan… Me voilà déçue. Qu’est-ce que tu fiches par ici, tu es toute seule ? T’es pas censée être avec ta mère ? » Demande-t-elle avec un sourire sournois aux coins des lèvres.

Elle n’est pas sans cœur, loin de là. Mais la peur, elle aime la voir dans tous les regards, que ce soit dans celui des plus vieux comme des plus jeunes.

Opium n’aspire qu’à la paix et la tranquillité.
C’est si compliqué à obtenir ?
Oui, visiblement.

Elle déteste tomber sur d’autres félins durant ses petites balades. Qui plus est lorsque ce sont des chatons. Elle déteste les chatons. C’est beaucoup trop surexcité, trop plein d’énergie pour elle – la solitaire a même l’impression qu’ils aspirent la sienne au passage –. Et puis, c’est bruyant, ça saute partout, ça ne tient pas en place. C’est usant, les chatons. Et il fallait bien évidemment que ce soit sur un chat de cette trempe qu’elle tombe. Ah, si seulement elle n’avait pas dépassé la frontière – frontière ? elle ne connaissait pas ce mot, elle ne respectait donc pas les marquages non plus ; bien entendu, elle le faisait exprès –.

Finalement, c’est une chatte vraiment compliquée, qui ne sait pas ce qu’elle veut. Tandis qu’elle hurle et veut faire comprendre à la vallée entière qu’elle ne désire qu’une chose, qu’on lui foute la paix, elle s’amuse en même temps à ne pas respecter leurs règles et à les provoquer. Mais ça, c’est parce qu’elle n’a pas peur, Opium. Elle se sent tout à fait capable d’affronter l’un des leurs, ceux qu’ils appellent « guerriers » - si seulement s’en était réellement ; la solitaire doute complètement de leurs capacités au combat ; elle a foi dans les siennes ; mais ça, c’est parce qu’elle n’a jamais eu à se battre encore contre l’un d’entre eux –. Sûrement rira-t-elle moins le jour où cela se produira. Mais pour le moment, elle aime à croire qu’elle peut tous les mettre au sol en deux temps trois mouvements.

Mais là n’est pas vraiment où elle doit avoir la tête en ce moment. Car le petit chaton qui est sorti des fourrés semble légèrement enthousiaste – beaucoup trop pour la solitaire ; elle fatigue déjà rien que de l’entendre –.

« Oooh mais qui es-tu ? Tu viens de quel Clan ? Tu t'appelles comment ? Tu sais que si un guerrier passe, tu risques d'avoir des problèmes ? Surtout mon papa, il est hyper fort mon papa et ma maman aussi ! Pourquoi tu es là ? Tu t'es perdue ? Si tu vois ma maman, tu ne lui dis pas que j'étais avec toi d'accord ? J'ai pas le droit de sortir normalement. Je suis Petite Légende au fait et je deviendrais une grande guerrière du clan de la Rivière quand je serai grande ! »

La chatte arque un sourcil avant d’exploser de rire – un rire à faire courber l’échine –. « T’as pris le temps de respirer au moins ? » Demande-t-elle d’un ton sarcastique. Mais, visiblement, la petite ne semble clairement pas avoir peur d’elle. Pourtant, elle est impressionnante non ? Pourtant, elle est imposante non ? Ca ferait presque mal à son égo – oh que c’est douloureux dans sa poitrine en ce moment même –. Mais ce n’est qu’une chatonne. Les petits n’ont jamais peur de rien. Oui, Opium cherche à s’auto-convaincre, elle se chercher des excuses, des explications, alors qu’il n’y a pas vraiment lieu d’être. Soupirant un grand coup, elle décide finalement de s’assoir. Que faire d’autre sinon ? Elle ne peut plus partir maintenant que Petite Légende l’a dans le collimateur. Elle est prise au piège – prise dans son propre piège –.

« On t’a pas appris que c’est mal poli de poser autant de question ? Et puis surtout, on t’a pas appris à te méfier des inconnus ? » Lança-t-elle, tout en mettant en évidence ses crocs, une lueur inquiétante dans le regard. « Oh, c’est que tu m’as donné mal à la tête. » C’est totalement faux. « Breeeef, je crois que je n’ai pas d’autre choix. Moi c’est Opium. Et t’avises pas de me donner un surnom à la noix ou tu vas finir dans la rivière c’est compris ? J’appartiens à aucun Clan, je suis libre comme l’air et je suis très bien comme ça. » Elle est bien bavarde pour une chatte qui voulait jouir de la quiétude des lieux. Elle se donna quelques coups de langue sur le poitrail avant de continuer. « Je ne suis pas perdue, tu crois quoi ? Je me balade c’est tout. Et je n’ai ni peur de ton père, ni de ta mère, ni de tous les autres chats. En revanche toi, petite délinquante, tu devrais t’inquiéter du sort qu’ils te réservent lorsque tu rentreras. C’est pas très malin de faire ce que tu as fait. Heureusement, tu as eu la chance de tomber sur moi et pas sur un autre chat plus vil. » Est-ce réellement une chance que la chatonne soit tombée truffe à truffe avec la solitaire ? Pas sur.

« Ah oui, tu vas devenir une grande guerrière ? Et comment ça dis-moi ? Raconte-moi tout. » Ou le moyen le moins subtil qui soit afin de récolter quelques informations concernant les Clans.