Calling |LuLoup|

Je t’ai attendu à l’orée de mes doutes. Tu n’as pas saisi mon appel, Loup. Pourtant, je me suis faites insistante dans mes silences, m’as-tu entendu qui hurlait ton nom ? T’es-tu fait sourd à ma rengaine ou n’as-tu pas compris mes intentions& J’ai cru longtemps que je t’avais tout dit cette journée-là où tu m’as sauvée tu trou profond où je suis tombée. Tes mots, eux, ont été semence d’un ébranlement dramatique, les premiers grains d’une croissance douloureuse mais ô combien nécessaire. J’ai été naïve ? Aveugle ? Entêtée? Je ne sais pas. Difficile à dire toutes ces lunes après, quand j’ai le loisir de regarder vers l’arrière et de constater ma lente ascension vers une meilleure version de moi-même. À présent, ces non-dits me pèsent trop pour repousser l’affrontement qui m’effraie autant. Car il ne pourra pas en être autrement, Loup, tu n’aime pas être contredit. Tu as scandé si fort, si longtemps, que personne ne t’aimait et que ça t’était égal. Tu as dit que j’étais hypocrite; tu n’as pas entendu les Étoiles rire au-dessus de ta tête. Ô combien tu m’agaces, ce qui malheureusement n’a pas raison de mon attachement. Peu importe à quel point je tente de l’éviter, la réalité me ramène toujours à cette idée. Me ramène toujours à toi.

J’ai beau faire la fière, ta réaction m’effraie. En bien ou en mal, elle affectera nécessairement notre relation à jamais. Je ne sais pas si je suis prête… Mais encore le serai-je même un jour ? Il est des moments où je me dois d’affronter les habitudes. Aujourd’hui, je ne fuirai pas. J’espère juste que tu accepteras d’écouter, juste cette fois je t’en prie. Après, je me plierai à tes caprices, je te laisserai en paix si tel est ton désir. Je ne demande – non, j’exige ! – que quelques minutes de ton temps. Tu auras toute une vie pour haïr ensuite.

Alors que je me dirige vers toi, le souffle vient à me manquer. Depuis mon retour, j’ai pris mes distances, mais je t’ai observé, je t’ai dit que je t’attendais de mille et un regards. Tu es sot. Si seulement tu pouvais comprendre, sans que je n’aille à faire tout le travail. Donne-moi un peu du tien, Loup, car je chavire en t’approchant ce matin. Il n’y a presque plus que nous au camp ainsi mon approche ne peut appartenir au hasard. Pendant un moment, tremblant de la tête au bout de la queue, je t’observe avec prudence, mesurant le poids de toutes mes peurs. Je me tiens là, transie, embrasée par ta proximité. J’ai probablement esquissé un pas de trop dans mes efforts pour ne pas reculer. À présent, j’ai probablement causé un peu d’inconfort, mais il est impensable de reculer à présent. En prenant une grande inspiration, j’assemble les parts déchiquetées d’un courage qui a volé en éclats il y a plusieurs lunes. Je lève mon regard bleu-gris vers toi, le même que papa. S’est-il senti si mal en considérant avouer ses sentiments à ma mère ? Cette pression douloureuse au creux du ventre ? Probablement pas. Nous n’avons pas la même histoire après tout.

«Appel du Loup, j’ai besoin de te parler. Suis-moi près du lac.»

D’un bond que je veux digne, je me dirige en direction de l’entrée du camp. Quelques pas plus loin, je réalise courir, le cœur battant, en direction de ce Lac où nous avons autrefois eu des échanges enflammés. Je m’arrête, observant nerveusement à ma suite. Tu ne me feras pas l’affront de me faire faux-bon, hein Loup ?

Hors rp:

C’était facile d’imaginer son retour lorsque elle n’était pas là. Il ne l’attendait pas, ne l’attendait plus. Seul dans la nuit, il pouvait à tout loisir recréer le monde, leur monde. Sa colère et ses reproches devenaient légitimes ainsi. L’Épopée des Lucioles qui ne vivait que dans son esprit avait tous les torts, et s’il lui crachait sa haine au visage, c’était sa faute. Après tout, qui s’en souciait ? Épopée des Luciole, la vraie de chair et de sang était sûrement déjà loin d’ici, tournée vers d’autres aventures. Ils s’oublieraient bientôt. Elle l’avait peut-être déjà fait. Il l’espérait presque. Après tout, combien de souvenirs heureux partageaient-ils ? Leur enfance s’était éloignée comme un beau rêve, et leur adolescence ne lui avait laissé qu’un goût amer dans la bouche. Il avait cru un instant à un espoir, l’idée que peut-être, un jour, tout irait mieux entre eux. Qu’ils pouvaient reconstruire quelque chose, par-dessus les ruines. Il n’avait aucune idée de ce que ce quelque chose pouvait bien être, mais peu importe, ce serait toujours mieux que ce qu’ils avaient. Mais finalement, seules les ruines étaient restées, et lui seul restait perdu au milieu d’elles.

Mais voilà, Épopée des Lucioles était réapparue. Peut-être les lunes de séparation avaient-elles créées entre eux un gouffre plus profond que jamais. Peut-être était-ce de la peur, de l’incompréhension de chacun à l’égard de l’autre. Dans tous les cas, aucun d’entre eux n’avaient fait le premier pas. C’était une sensation étrange, que de s’endormir chaque soir avec l’idée qu’elle était là, dans la même tanière que lui, qu’ils s’endormaient ensemble et se réveilleraient ensemble, sans s’adresser une parole. Ils vivaient en parallèle. Deux lignes de vies qui, d’un tacite accord muet, devaient ne jamais se recroiser.

Loup parfois se surprenait à la suivre du regard, et baissait alors les yeux, se sermonnant lui-même comme un enfant désobéissant. Il croyait parfois apercevoir ou ressentir qu’elle aussi le regardait, mais se persuadait du contraire. Il ne tenait pas à alimenter un espoir vain et était presque certain qu’il ne s’agissait que de son esprit lui jouant des tours. Ainsi avait-il décidé d’ignorer son retour et de faire comme si elle n’était pas là, évitant au maximum sa compagnie, et si par malheur ils devaient patrouiller ensemble, alors il deviendrait subitement muet pour un temps, jusqu’à ce qu’il puisse à nouveau s’éloigner d’elle. Il s’était emmuré dans cette illusion.

Illusion qui vole en éclat à présent, et c’est seulement en en contemplant les débris qu’il se rend compte de combien elle était vaine et ridicule. Épopée des Lucioles se tient bel et bien face à lui à présent, et s’il jetait des regards effarés d’un côté ou un autre du camp, il ne verrait rien pour justifier cette approche soudaine. Il attendait qu’elle sorte du camp pour aller chercher une pièce de gibier, et avait choisit pour ne pas sembler désœuvré pendant ce temps de s’asseoir à l’entrée du buisson des guerriers et de lustrer quelque peu son pelage blanc & gris dont il s’occupe bien peu souvent. Il se relève brusquement sous le coup de la surprise, et ne peut s’empêcher d’esquisser un demi pas en arrière car elle est très proche, presque trop proche. Lui qui n’a fait que l’épier de loin depuis qu’elle est revenue, cette proximité soudaine lui est presque insupportable. Son odeur qu’il n’a pas sentie depuis… combien de temps ? Ses yeux bleus-gris qu’elle lève vers lui, il lui semble les revoir pour la première fois. Il ne sait comment répondre à ce regard, à cet appel qu’elle semble lui lancer.

Qu’aurait-il pu faire d’autre que de la suivre ? Il ne lui semble pas avoir le choix, car il n’a pas eu le temps de lui répondre que déjà elle s’éloigne, accélérant un peu plus à chaque pas. Toujours aussi décontenancé, toujours aussi hésitant il la suit pourtant. Moins rapidement cependant, car il a besoin de temps pour réfléchir, tenter de comprendre même s’il sait qu’il ne trouvera pas de réponse. Il a besoin de se préparer. Il n’a aucune idée de ce qu’elle compte lui dire, mais quelque soit le message qui l’attend, il ne veut pas y réagir comme il a réagit à tout jusqu’à présent.

Il arrive à la traîne, tente de son mieux de garder une expression neutre en s’approchant. Si on peut dire qu’il s’approche, car la distance qui les sépare lui semble presque solide, un mur d’air compact qui lui résisterait s’il tentait de le traverser. Il reste ainsi campé sur ses pattes, peut-être a-t-il ainsi l’impression qu’il pourrait s’enfuir à la première occasion. Leur ignorance mutuelle était presque devenue confortable, et il ne sait pas ce qui l’attend lorsque elle sera brisée. Et elle, que pense-t-elle venir chercher en ce lieu, en ce jour ?  C’est cette question qu’il se pose en arrêtant enfin de fuir son regard, en venant au contraire chercher le sien. Il aimerait qu’elle parle à présent, mais peut-être cela lui semblerait-il injuste que ce soit à elle de faire le premier pas, encore.

« Je… Je devrais probablement être en train de chasser, l’hiver approche. Tu avais quelque chose à me dire ? »

Voilà pourquoi il ne voulait pas prendre la parole le premier. Peut-être n’était-il pas capable de parler sans tout gâcher. Impliquer qu’il n’avait pas beaucoup de temps, qu’il ne voulait pas être là… Très bonne idée pour quelqu’un qui voulait tenter une approche non-agressive. Son ton ne semble ni naturel ni amical, plutôt sur la défensive, les paroles d’un enfant qui sait d’avance qu’il va se faire gronder et anticipe les reproches. Il aurait soupiré s’il n’avait craint que cela ne l’enfonce encore plus.