Le souvenir, c'est la présence invisible || Ft : Ardeur des Nuages

Des bouts de mousse s’envolent autour d’elle tandis qu’elle s’agite, se retournant une énième fois dans sa litière et soupirant avec frustration lorsqu’elle se retrouve coincée près d’un autre corps que le sien. Pourquoi cet imbécile d’apprenti avait-il besoin de se placer si près d’elle pour dormir ? Il faisait assez chaud comme ça. La sensation de leurs deux fourrures en contact à chacun de ses mouvements lui hérisse le poil. Elle n’a aucun problème avec les contacts physiques en temps normal, elle allait même les chercher parfois pendant la journée, lorsqu’elle s’en sent d’humeur. Cette sensation de se sentir appréciée voire plus était plaisante. Mais là, au milieu de cette nuit d’été, c’était juste saoulant. Elle n’avait rien demandé elle en plus. Il s’était juste permis de s’approprier son espace vital comme si de rien n’était. D’un coup de patte, elle tente de le repousser un peu plus loin, ignorant royalement le grognement endormi qu’il émet en roulant sur le côté. Une fois débarrassée de cette gêne, elle referma les yeux, se concentrant sur sa respiration pour tenter d’appeler le sommeil à elle. Elle était de corvée de mousse à l’aube, et savait qu’elle allait très fortement se faire tirer les oreilles si elle ne se levait pas à temps. Devoir passer plusieurs journées entières à s’occuper des tiques des anciens n’était pas vraiment une des perspectives les plus réjouissantes, mais c’est bien ce qui risquait de lui arriver si elle manquait à son devoir. Dormir…. Dormir… Il lui suffisait de dorm… Elle se redressa d’un seul coup. Est-ce que c’était une blague ? Des ronflements sourds venaient de s’élever de l’autre côté de la tanière. Dans ces conditions, dormir devenait un véritable défi pour Ardeur des Nuages, qui n’était déjà pas vraiment dans les meilleures prédispositions pour tomber dans le monde des rêves.

La petite apprentie multicolore s’étira soigneusement en arrivant au centre du camp. Bon, où allait-elle donc s’installer pour la nuit ? Aller près du ruisseau lui apporterait peut-être une fraîcheur bienvenue… Soudain, ses oreilles se font attentives. Un bruissement près de l’entrée vient de se faire entendre. Est-ce que quelqu’un d’autre est également debout ?

C’est tout d’abord la curiosité qui mène Ardeur des Nuages à se couler comme une ombre au dehors. Tous les sens aux aguets, elle ne met pas longtemps, en tendant l’oreille, à en effet percevoir le son de pas. Elle suit ces sons, c’est un mâle assurément qui la précède, elle le comprend à la lourdeur des pas. Puis, reconnaissant la silhouette à la lumière d’un rayon de lune, un sourire se dessine sur ses lèvres. La simple sortie nocturne se transforme maintenant en mission, et cette mission a un but très simple : que fait Dent de Sabre a une heure pareille de la nuit ? L’apprentie espiègle se prend très vite au jeu, se glissant dans la peau d’un membre de l’escadron aguerri. Ventre au ras du sol, la queue droite, chaque pas est pensé et silencieux Du moins c’est ce qu’elle se laisse croire. Mais le guerrier au pelage sombre ne cesse d’accélérer la cadence, et bientôt elle peine à le suivre. Il lui suffirait d’être un peu attentif pour se rendre compte de la présence qui le talonne.

Lorsque enfin le vétéran s’arrête, Ardeur des Nuages remercie le ciel et en profite pour souffler avant de regarder autour d’elle. Le champ de fougères ? Elle doit se tapir au sol pour s’assurer que l’autre ne puisse pas la voir tandis qu’il grimpe dans un chêne, et s’efforce de calmer sa respiration afin de ne pas se faire entendr…. Trop tard à priori. Dent de Sabre vient de la remarquer et ne paraît pas franchement ravi de sa présence d’ailleurs. Oups.

L’apprentie guerrière se mordit les lèvres avant d’oser relever la tête. Elle avait autant le droit d’être là que lui d’abord. Bon d’accord, le suivre comme elle l’avait fait n’était sans doute pas la chose la plus honnête du monde, mais être aussi fâché pour quelque chose comme ça… Boudeuse, elle se releva en faisant la moue. Elle n’avait pas souvent l’occasion d’être seule ainsi avec le guerrier, est-ce qu’il devait vraiment l’accueillir comme ça ? Profitant du fait qu’il était tourné, elle le fusilla du regard. Elle lui en voulait à présent, mais n’eut pas le temps de le lui faire savoir avant qu’il ne lui lance le défi. Quoi, que voulait-il à présent ? Il était sérieux ?

« Eeeh pour qui tu me prends ? C’est beaucoup trop facile ton truc là- attends tu comptes vraiment ? Tu préviens même pas ! C’est pas du jeu ! »

Déjà presque 10 secondes s’étaient écoulées à présent. Le temps était précieux, et la femelle n’en avait plus à dépenser en hésitation. Elle se jeta presque sur le tronc qui faisait bien le double de sa taille, mais sa précipitation la fit rater son coup. Elle se rattrapa tant bien que mal du bout des griffes avant de finalement se propulser pour réussir à atterrir auprès de Dent de Sabre. Revigorée par cette victoire, elle avait à présent repris contenance.

« Pff, la nuit a un drôle d’effet sur toi… A moins que ce soit la vieillesse ? On dit que tous les chats deviennent aigris avec l’âge, il suffit de voir les anciens… Tu ne crois pas qu’il faudrait commencer à songer à les rejoindre ? »

Elle lève fièrement les yeux vers le matou, satisfaite qu’il ne puisse la renvoyer au camp. Il n’osera pas à présent. De toute façon, il n’en a pas le droit. Elle est apprentie et peut sortir comme elle le veut et surtout quand elle le veut. Ardeur des Nuages ignore bien sûr la lourde période qui aura précédé à la bataille finale dans le clan de l’ombre. Une grande partie des guerriers du clan n’ont pas pu jouir de la liberté dont elle profite à présent. Mais elle l’ignore, elle s’en fiche, elle est l’insouciance même. Elle ne veut pas entendre parler des autres. Pour le moment, ils sont seuls, Dent de Sabre et elle. Cela arrive peu souvent. Chaque fois qu’ils se croisent, il s’agit de quelques minutes à l’heure du partage au milieu de la clairière bondée, ou alors qu’Ombre Fantôme et le guerrier sombre sont dépêchés pour la même patrouille.

L’apprentie regrette de ne pas pouvoir partager plus d’instants avec le chat noir. Mais elle n’irait jamais chercher de l’attention trop explicitement, elle est bien trop fière pour cela. Alors maintenant qu’ils sont tous les deux perchés sur ce tronc, elle ne compte sûrement pas redescendre. Elle lâche un gloussement en entendant la réponse de Dent de Sabre. Pour être honnête, elle n’a absolument pas hâte qu’il rejoigne le tas d’anciens grinçants du clan de l’Ombre. Elle a l’impression que tout ce qu’ils savent faire, c’est ronchonner à longueur de journée. Soit, quelques-uns racontent parfois des histoires rigolotes… Mais tout ça, c’est pour les chatons. Si Dent de Sabre devenait un jour comme eux, cacher des ronces dans sa litière pour le forcer à bouger un peu n’était pas une mauvaise idée. Elle contient cette réponse qui lui brûle les lèvres et laisse le silence s’installer, observant pensivement son aîné qui semble totalement immergé dans la vision de la lune. L’entendra-t-il si elle parle à présent ? Elle allait ouvrir la bouche pour faire le test, poser une question comme « Dis, tu crois que le crapaud que j’ai mis dans la tanière des guerriers y a trois jours est encore vivant ? » ou quelque chose du style, mais il la devance. Cela lui vaut une moue de sa part, surtout que la conversation ne prend pas une tournure des plus amusantes. Baissant les yeux, elle râle tout en trifouillant de sa patte un pic de bois qui ressort des veines noueuses du vieux tronc. Elle soupire comme si elle portait le poids du monde sur ses épaules.

« Ça se voit que tu ne dors pas dans la tanière des apprentis toi. Il fait trop chaud et les autres sont saoulant… Et ne me parle pas d’Ombre Fantôme ! Je dois me préparer à partir en entraînements à toute heure, même parfois en pleine nuit ! Je suis sûre que je travaille au moins trois fois plus que les autres apprentis. »

Bon, d’accord. Elle exagère sûrement un peu. Beaucoup, peut-être. Mais c’est vrai qu’elle travaille dur. Les entraînements de combat, qui ne consistaient auparavant qu’à prendre les coups et essayer de les porter sans succès se font de plus en plus équilibrés. Elle ramène de temps en temps des proies sur le tas, toute seule, sans avoir besoin des conseils de sa mentor. Sous son pelage fourni, on peut distinguer des muscles inexistants quelques lunes auparavant. Elle a grandi, ses traits enfantins se sont à présents estompés. Elle est la plus vieilles des apprentis, avec Nuage de Rose la talonnant de près. Mettez là dans un groupe de guerriers, et si elle ne parle pas trop elle passera inaperçu. Elle pense à son baptême à présent. Quand passera-t-elle guerrière ? Si ça se trouve, Ombre en a déjà parlé avec Étoile de Jais. Il faudra qu’elle pense à la harceler de questions. Elle sourit, dans l’attente de ce moment excitant. Elle va lui prouver, à Dent de Sabre, qu’elle travaille dur. Avec un petit sourire en coin qui pourrait permettre d’anticiper son action, elle se jette sur lui sans prévenir, griffes rentrées, tentant de le faire basculer sur le tronc, l'espace réduit ne lui proposant pas d'autres solutions que d'utiliser la force.

Elle se rappelle après ce petit jeu qu’elle n’a pas répondu à la deuxième remarque du matou. Elle s’est assez expliquée, mais lui ?

« Bon, et toi alors ? Tu avais un rendez-vous amoureux prévu avec ton amie la lune ici ce soir ? »

Elle bat des cils, le regard moqueur.

HORS RP:

Elle est plus que satisfaite que la surprise ait son effet et que le mâle imposant bascule sous son poids. Sa victoire est rapide, un instant avant que le guerrier ne reprenne ses esprits et la repousse en se redressant d’un bond vif. Elle n’en a que faire, un sourire bravache est déjà plaqué sur son visage, s’étendant jusqu’à ses oreilles. Elle a gagné et le lui fait bien comprendre. Le feulement de son adversaire n’a aucun autre effet que celui de la faire ricaner.

Cette victoire lui apporte aussi des souvenirs. Ceux d’un passé lointain pour elle, qui doivent paraître bien proche pour lui. Elle se revoit chaton, si petite et déjà reine du monde. Dent de Sabre dans la pouponnière, elle ne s’était pas demandé ce qu’il faisait là. Tous les autres chatons attendaient avec impatience le moment ou leurs pères revenaient d’une partie de chasse, leur ramenant une proie en gage d’amour. Ils se faisaient ensuite souvent de leurs paternels des camarades de jeu. Son camarade de jeu à elle, c’était Dent de Sabre. Elle se rappelle les instants où escalader son épaule était une épreuve, et lorsqu’elle arrivait à mordiller son oreille, cela signifiait qu’elle avait gagné le gros lot. Si lui n’a pas grandi, elle si. L’époque des jeux est-elle vraiment révolue ? Jusqu’à maintenant, elle s’est toujours précipitée aussi vite qu’elle le pouvait vers l’instant ou elle deviendrait enfin guerrière, une grande, qu’on respecte et admire. Elle croque la vie à pleine dents sans compter les lunes qui la sépare chacune un peu plus de son enfance. Elle a hâte de pouvoir épauler sa mère et la nourrir. Elle a hâte d’avoir un apprenti et de pouvoir à son tour transmettre ses qualités. Mais savoir que le temps ou elle pouvait se comporter comme une enfant avec le vétéran sombre est terminé apporte un trouble dans son cœur qu’elle s’efforce de cacher.

Dent de Sabre paraît également plus nostalgique d’un coup, pour un temps en tout cas. Des souvenirs de Cerfblanc ? Ardeur des Nuages connaît cet endroit de nom seulement. Sa mère a vécu tout sa vie au même endroit avant de rencontrer par miracle les clans après sa mise à bas compliquée. Elle a du mal à imaginer une vie de clan ailleurs qu’à Valeemar. Est-ce qu’un autre monde peut vraiment exister ? A quoi ressemblait-il ? Ces questions lui brûlent la langue à présent, mais elle les ravale devant l’enthousiasme qu’a son aîné pour la rembarrer. Elle fait la moue devant ses paroles et suit sa queue du regard, dirigeant ses yeux vers l’astre lunaire, l’amoureuse du guerrier. En y pensant, a-t-il une compagne ? C’est à cette question qu’elle songe à présent lorsqu’elle bascule tout à coup vers le sol, atterrissant sur le tapis de fougère sans la moindre douceur. Surprise, elle se relève d’un bond et s’ébroue pour faire tomber sans succès les brindilles qu’elle a maintenant entremêlées à son pelage rendu hirsute par son agitation. C’est à son tour de feuler, mais son sourire peut s’entendre dans ce feulement, car voilà les instants qu’elle pensait regretter avec le guerrier, peut-être seront-ils encore possibles après tout. Le nom d’Ardeur de la Chenille lui arracherait presque un gloussement également, mais la concentration prend le dessus et forte de l’élan qu’elle peut prendre depuis le sol, elle se jette sur le tronc et sans s’arrêter tente de faire basculer le guerrier au sol à son tour, se laissant entraîner avec lui. La féline se prépare en même temps à bondir en arrière le plus vite possible lorsqu’ils atterriront, car si elle n’y arrive pas le guerrier aura tôt fait de la coincer sous son poids…

Hors Rp:

HRP:

Spoiler:

Le monde tourne un instant alors qu’ils basculent, boule hirsute dans laquelle on ne saurait séparer l’apprentie colorée du grand guerrier sombre. Dans ces instants, la vision est brouillée, et les odeurs de fougères ne préviennent pas avant de l’assaillir lorsqu’ils roulent au sol. Mais elle est préparée, et elle sait avec précisions quels gestes elle doit effectuer à quel moment. Grâce à l’entraînement intensif d’Ombre Fantôme, elle est réglée à la seconde près. Lorsque le vétéran tente de prendre sa revanche, elle a déjà roulé plus loin, et se relève en faisant volte-face, prête à faire face au prochain assaut. C’est un jeu bien sûr, mais c’est aussi une histoire de fierté pour elle à cet instant. Elle n’est pas Ardeur de la Chenille, et elle veut qu’il le voie, le comprenne. Elle n’imagine même pas combien de batailles il a pu mener. Mais elle sait seulement qu’elle aussi veut pouvoir se battre à ses côtés. Elle aussi veut devenir une guerrière digne du Clan de l’Ombre, ce clan qui est sa maison malgré ce qu’elle peut en dire ou en penser. Mais elle y a grandi, et le clan fut présent à chaque instant de sa vie. Elle attend son baptême à présent. Elle sera ensuite une guerrière à part entière.

Elle s’assoit lorsqu’elle est bien sûre que le jeu est fini, et qu’elle voit cette lueur décontenancée mais fière dans les yeux du plus âgé. Elle a réussi son coup, et elle n’en est pas peu contente. C’est la tête haute qu’elle répond.

« Je ne suis pas… non, je ne suis plus une chenille. Les chenilles finissent toujours par se transformer en papillon, tu sais ? Je pensais quand même qu'à ton âge, on devait connaître ce genre de choses... »

Elle blague, mais à moitié seulement. Elle espère mériter mieux qu’une chenille. Elle a la tête emplie de rêves de grandeurs, oh pas d’ambition d’un meilleur rang non, avoir la responsabilité d’autrui elle sait que ce n’est pas pour elle. Mais elle rêve d’admiration, de reconnaissance. D’un monde parfait dans lequel elle ne craindrait plus rien ni personne, dans lequel elle n’aurait besoin ni de la protection d’une mère, ni de celle d’un clan. Des rêves de jeunes, dira-t-on. De liberté, d’amours, et de tant d’autres choses abstraites qui se dérobent encore à la compréhension de son esprit. Elle se refuse à être seulement une chenille, elle veut s’envoler.

Elle sourit à son tour à la mention de Nuala. Oui, sa vieille mère a sa place attitrée dans la tanière des anciens, et même si elle ne résiste parfois pas à une sortie à l’air frais, elle passe le plus clair de son temps dans le camp. Elle qui avait toujours vécu une vie de solitaire, elle semblait se réanimer en échangeant des potins et autres discussions avec les ombreux. Elle est une fleur fanée, rouverte comme par miracle avec une nouvelle année. Elle profite d’une nouvelle vie. La vieille féline suit de loin les progrès de sa fille, mais elle a bien du mal à accepter que sa toute petite soit presque guerrière. Si jeune et si grande déjà… Ardeur des Nuages a bien du mal à supporter les attentions trop protectrices de sa mère.

« Fière… J’aimerais bien qu’elle le soit un peu plus. Mais tout ce qu’elle sait faire, c’est me répéter que je ne suis qu’une enfant et qu’il faut faire attention à ci et ça. Comme si je n’étais pas capable de me débrouiller toute seule, de savoir ce qui est bien pour moi. »

Elle triture une brindille de sa patte en bougonnant. Mais cette discussion un peu différente de ce à quoi elle est habituée l’amène à se poser à son tour des questions sur Dent de Sabre. Lui s’est toujours montré attentif à elle, et d’aussi loin qu’elle s’en souvienne, il avait été depuis le début l’un des guerriers qu’elle savait pouvoir embêter sans s’attirer de problèmes. Et elle l’appréciait vraiment, franchement, comme elle aurait apprécié naturellement quelqu’un de sa famille. Il fait partie de son paysage, et son absence laisserait un trou dans sa vie. Mais lui ? Il a eu une vie avant qu’elle ne soit là. Elle se demande d’un coup pourquoi il se lie aussi facilement avec les chatons, en a-t-il déjà eu ? Elle hésite un instant encore, délaissant la brindille pour de la mousse rêche poussant sur le bois mort, et prenant un air désintéressé avant de se lancer.

« Tu parlais tout à l’heure de souvenirs de Cerfblanc. Tu penses à quelque chose de particulier ce soir ? »

Elle n’a jamais su faire dans la dentelle, elle est plutôt du genre à mettre les deux pattes dans le plat, et se rendre compte ensuite que c’était une grosse bêtise.

Hors rp:

Son baptême… Elle n’en peut justement plus de l’attendre ce baptême qui ne vient pas. L’énergie qui bouillonnait en elle depuis le début de son apprentissage s’est transformée en autre chose, quelque chose de plus acéré, de tranchant, dangereux. Elle se sent guerrière au plus profond d’elle, elle se sent Ombreuse. C’est la première fois qu’elle se fait cette réflexion, et elle lui apporte une certaine surprise au plus profond d’elle-même. Mais c’est une réalité. Le clan de l’Ombre l’a forgé, lui a offert un savoir et une culture qui resteront les sien à jamais, et si un jour elle devait s’éloigner et repartir sur les chemins d’une vie plus solitaire et sauvage à laquelle elle devait être destinée, elle sait qu’une part de son passé la reliera toujours à cette forêt, ces paysages, ces camarades qui ont fait d’elle ce qu’elle est aujourd’hui. Elle reste silencieuse un instant en écoutant Dent de Sabre et en considérant tous cela, mais finit par perdre son sérieux à l’allusion de chatons. Elle, le ventre rond, couché à longueur de journée dans la pouponnière… Cette seule idée la fait éclater de rire. Décidément, qu’est ce qu’il ne fallait pas entendre. Si cela devait arriver un jour, il était certain qu’elle se ferait mettre dehors par les autres reines avant même de mettre bas, tellement qu’elle leur taperait sur les nerfs avec ses blagues à deux balles. C’est susceptible les reines, encore plus au sujet de leur progéniture, elle l’avait déjà compris au cours de quelques-unes de ses mésaventures.

Elle ne pensait pas en posant sa question s’avancer sur un terrain aussi glissant qu’elle le fait, mais elle commence à connaître Dent de Sabre et n’a pas besoin de beaucoup de temps pour comprendre qu’à cause d’elle-même, leur conversation prend une tournure inédite qu’aucun de leurs échanges n’avait encore pris. Ardeur des Nuages aime bien les histoires drôles, mais écouter les autres parler de leurs soucis c’est moins son truc. Pas par méchanceté, mais elle a en général un peu de mal à rester concentrée sur cela trop longtemps, comme si son esprit cherchait par tous les moyens à éviter quoi que ce soit qui puisse un peu miner son humeur. Aussi doit-elle s’appliquer pour rester immobile et ne pas laisser son esprit s’évader pendant que Dent de Sabre lui parle. A présent qu’il a commencé, elle est curieuse. Elle se demande ce qu’aurait pu être une vie avec des frères et sœurs, puis de les voir disparaître, les oublier. Elle n’arrive pas tellement à s’en rendre compte. Après tout pour elle, elle est enfant unique et c’est tout, l’idée ou l’envie d’avoir des frères ou sœurs de l’a jamais effleuré. Elle ne se doute pas qu’elle n’est pas née seule, qu’elle est survivante tandis qu’une autre est morte, gisant toujours sous des pommiers, sans nom ni histoire. Elle ne sait pas comment réagir, tente seulement une maladroite parole d’opposition à la tristesse apparente du plus vieux.

« Baaah, ne t’en fais pas, tu as toujours tout le clan de l’Ombre ! Et puis oui en plus je suis sûre qu’il y aura bientôt tout un nouveau stock de chatons avec lesquels tu pourras t’amuser. », fait-elle avec un grand sourire timide, consciente que son argumentaire ne pèse pas grand chose malheureusement, grand sourire qui se change immédiatement en cri surpris alors qu’elle bascule -encore une fois, décidément elle allait devoir faire une toilette très poussée- sur le sol. Et cette fois ci Dent de Sabre ne rigole pas et ne perd pas de temps, à peine a-t-elle atterri sur le sol et tente de se relever d’un bond qu’il est sur elle, et la voilà immobilisée… Si seulement elle avait dit son dernier mot. Mais ce n’est pas le cas, et en cas de combat Ardeur des Nuages ne compte pas s’avouer vaincue dès qu’un adversaire un peu plus lourd arrive à l’attraper. Il a immobilisé ses pattes arrière ? Eh bien soit, elle se tortille et dégage tant bien que mal ses pattes avant, les dirigeants immédiatement vers le museau du guerrier sombre. Lors d’un vrai combat, un guerrier un peu sensé se dépêcherait de s’ôter de là avant de se retrouver avec un œil en moins, car il n’est pas encore né le premier qui arriverait à la calmer après un tel affront ! Bon, là c’est Dent de Sabre, elle range donc ses griffes et se contente d’abattre ses pattes telle une furie sur sa mâchoire en évitant ses yeux, mais ne se gêne pas pour lui feuler dessus, il ne faut pas abuser quand même.

« Ôtes toi de là oui ?! T’es trop lourd, je peux même plus respirer avec ta grosse carcasse. »

HRP: