Rage de l’Amour Curieux.euse.
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| Sujet: Ce qu'emporte le Vent ׀׀ Corneilles Mer 13 Nov 2024 - 13:07 | |
| Nuit des Météores CE QU'EMPORTE LE VENT — Lune 1218
« D’où vous vient, disiez-vous, cette tristesse étrange, Montant comme la mer sur le roc noir et nu ? » Funambule. Les fils sur lesquels il s'équilibre sont trop nombreux, trop enchevêtrés, trop incertains pour qu'il prête à son exercice une foi qu'il n'a jamais su invoquer (jamais pu retrouver, noyée de carmin, un soir d'automne où le monde s'est arrêté).
Celui de l'eau est une rumeur. Les pattes enfoncées dans le sable humide, il admet que les vaguelettes viennent y mourir en écume crépitante avec récalcitrence. Un coin de sa tête lui rappelle qu'il est censé trouver quelque réconfort dans la caresse fraîche — ne les dit-on pas fils des eaux ? La pensée lui arrache une grimace amusée. Sans perdre un instant de plus, il tourne le dos à la ligne d'eau et oblique en direction de la plage. L'ombre crénelée des falaises s'étire sur le sable sec à perte de vue : à peine y a-t-il fait un pas que les rayons hésitants caressant le rivage lui manquent. Une bourrasque vient lui ébouriffer le pelage, et le couvre de chair de poule : soudain, les timides clapotis des vagues revêtent un nouvel attrait. Soupir résigné couplé d'un vague juron afin de se donner bonne contenance, le Météore poursuit sa route.
C'est que le fil des saisons s'effrange. Hier encore il aurait juré que les feuilles étaient vertes ; que le ciel était bleu et l'air étouffant. Hier encore, il revenait de ses escapades familiales en sueur, assoiffé, dans un camp où les coins d'ombre étaient pris d'assauts par des figures alanguies, l'oeil vitreux. Il faut croire que le grand guerrier a trop dormi. Passée, la vive clarté d'un été trop court et trop mal vécu. Les feuilles mortes dansent sur leur rivière et l'air se fait cristal dans ses poumons. Le monde en est à cet étrange carrefour des extrêmes où tout retient son souffle face à ce qui va venir : rien ne naît, tout dépérit et tout s'enterre. C'est peut-être pour ça qu'il s'autorise enfin à respirer.
Car celui du temps cavale. Alors que ses muscles endoloris ont à peine cessés de lui rappeler la montée des eaux, il lui semble que l'inondation de leur camp se soit déroulée il y a des lunes. C'est que depuis, d'autres soucis le taraudent. Moins fatiguants pour son corps peut-être, quoique tout aussi périlleux. Les voix de sa soeur, son frère, d'Étoile Polaire, d'Ombre du Passé et tous les autres forment un tout inextricable qu'il n'arrive à effiler. Abandonnant ces tracas là pour ses nuits, néanmoins, Nuit des Météores marche.
Aujourd'hui, c'est une autre voix qu'il chasse. Depuis un moment, à vrai dire. Deux semaines que le guerrier ajoute un détour à ses vagabondages lorsqu'il le peut ; deux semaines, et pourtant toujours aussi peu à l'aise à gravir ce satané chemin. Quelle idée merdique. Il n'y a bien que les venteux, pour emprunter un passage comme celui-ci, grince-t-il alors que, pas après pas, il se tire à flanc de falaise. Il lui semble que les oiseaux perchés dans leurs niches piaillent des railleries bien senties à son égard ; il leur renvoie des oeillades meurtrières. Un poisson hors de l'eau, voilà ce qu'il est, lorsqu'enfin il se hisse aux derniers degrés de la falaise. Un coup d'oeil en contrebas a tôt fait de le faire se plaquer contre la paroi rocheuse. Oh, bordel. Tout le pousse à parcourir ces quelques petits mètres restants qui le mettraient sur terre plate, en sécurité — il se fait violence.
L'incident d'il y a quelques jours aux rochers solaires est encore trop frais dans sa mémoire et son corps pour qu'il se permette un autre écart du genre. Le matou a beau se ficher des frontières comme de son dernier repas, la clémence d'Étoile Polaire n'est pas une chose qu'il se plait à éprouver. Pas tant pour lui — aucune des punitions dont elle pourrait l'infliger ne serait plus contraignante que celles dont son père se plaisait à l'accabler dans sa jeunesse — que pour sa famille. Leur but est tout près — il le sait, il le sent. Ils le savent tous. Comme un non-dit électrique qui les traverse chaque fois qu'ils en parlent. Attirer l'attention de la cheffe sur leurs manigances, maintenant, si près d'une vengeance accomplie — folie.
Alors, il demeure. Pathétique poupée de sang et de muscles bien loin de chez elle, jetant ses regards par dessus la ligne de crête de la falaise, humant l'air afin de percevoir si, se mêlant aux embruns, il ne peut attraper au vol l'odeur familière de qu'il chasse depuis deux semaines. Le Météore attend. Son attente n'est pas celle de quelques instants frissonnants et désagréables, mais celles d'une poignée de jours à revenir à ce point même. La patience n'a jamais été son fort, son frère pourrait en témoigner. C'est pourquoi, lorsque l'effluve qui pointe à son museau n'est pas celle qu'il espère, mais assez familière pour justifier d'une conversation, il bondit. Le prix de consolation suffira.
« Corneilles Nuageuse ! Nuage de Corneilles ! Corneilles ! » hèle-t-il, sans souci de garder sa voix discrète. Quelle utilité ? Ainsi perchés, le ciel nu sillonné de mouettes criardes au-dessus de leur tête et la mer en contre-bas, ils sont au bout du monde. Le vent hurle, la mer gronde en contre-bas. Ce qu'ils se diront, le vent l'emportera.
- Spoiler:
Pas très satisfaite de celui-là, mais j'espère que ça fera l'affaire.
_________________ UN GRAND MERCI À LULU (code), LYS, SIL, AIDO, WAKI, MYST ET RUNA (dessins). |
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