Le premier jour [Feat Terre Brûlée]

Le ciel était voilé de nuages, rendant la journée particulièrement sombre. Le plafond gris avait pris place avant même que le soleil ne perce l’horizon, le recouvrant totalement, empêchant ses rayons de venir illuminer la forêt. Terre Brûlée s’était levé tôt, faisant partie de la patrouille frontalière du matin qu’il appréciait tellement. Il n’y avait rien de mieux que débuter la journée par une patrouille, pour réveiller chacun de ses muscles et être prêt pour la suite. Car aujourd’hui, c’était un grand jour, plus dans la vie de sa nouvelle apprentie que dans la sienne. Après tout, c’était la deuxième fois qu’il se voyait attribuer une apprentie, la joie de la première fois s’était estompait, contrairement à la fierté et à l’honneur que le chef de leur clan lui faisait qu’il avait de nouveau senti le transpercer lorsqu’il s’était avancé devant Lune Nuageuse. Bien que la petite n’était pas reliée au clan par le sang, le grand félin tigré ne lui en portait pas rigueur Après tout, n’ai-je pas moi-même du sang de domestique ? Il secoua la tête avec véhémence, chassant cette stupide information de son cerveau, la honte souillant son pelage.

Son regard se porta sur Explosion de Lumière, son ancienne apprentie devenue une guerrière à part entière du Clan de la Lune, occupée à l’autre bout du camp derrière le grand arbre où se nichait les tanières. Le tirant de ses souvenirs liés à ces 6 lunes d’apprentissages, une fourrure vint se frotter à la sienne, quelque chose de petit.


Il écarquilla les yeux en voyant la jeune femelle se frotter affectueusement contre lui n’avait-elle donc aucun respect pour ses aînés ? Le guerrier leva une de ses larges pattes dans une tentative de repousser la petite dans une grimace, mais avant même qu’il ne put la toucher, celle-ci avait commencé à sautiller avec excitation autour de lui.




N’attendant aucune réponse de sa part, elle commença à prendre la direction de la sortie du camp, ne pouvant contenir plus longtemps son envie irrépressible de découvrir le territoire entourant le camp. Terre Brûlée répondit par un grave grognement alors qu’il se leva, suivant l’appel de la petite, elle ne tardera pas à se calmer, à ce rythme elle se sera épuisée avant même d’avoir commencé le tour du territoire.

Le matou rattrapa la jeune apprentie en quelques sauts, lui barrant la route avant qu’elle ne puisse sortir à l'extérieur du camp. Il était hors de question que son premier jour d’apprentissage débute dans la précipitation et le non-respect des règles, elle devait écouter chacun de ses mots avec attention, faire exactement ce qu’il lui dirait de faire et ne surtout, surtout pas faire ce qu’il ne lui avait pas demandé. Les initiatives de sa part devaient être, pour l’instant, inexistantes.

« Je comprends que tu sois pressée de quitter ce camp dans lequel tu es enfermée depuis six longues lunes. Cependant, on va éclaircir un petit point avant de commencer ton apprentissage. » Terre Brûlée marqua une pause, juchant la petite de son immense taille, la plongeant dans son ombre. « Ici, c’est moi qui commande. Je suis ton mentor, le cas échéant, il est hors de question que tu sortes d’ici comme une stupide boule de poils et te jette sous le premier danger qui s’offrira à toi. La forêt regorge de prédateurs pour une petite chatte dans ton genre, et je suis le seul qui pourra t’en préserver aujourd’hui. » Il s’était efforcé de prendre un ton menaçant, Lune Nuageuse était tellement excitée qu’il ne voulait pas prendre le risque d’avoir à lui courir après toute la journée, la discipline serait le mot d’ordre, il savait qu’il allait devoir se montrer sévère avec elle, autant commencer tout de suite. « Tu vas donc me suivre à la trace, je veux que tu sois mon ombre, ne t’éloigne jamais de moi. Si tu le fais, ce sera à tes risques et périls. Et crois moi, tu n’as pas envie de me voir en colère. » Laissant son regard perçant flotter quelques secondes en sa direction, il prit ensuite la sortie du camp, n’attendant pas de réponse, mise à part le silence du respect de ses paroles.

Le territoire avait été énormément modifié suite aux séismes qui avait parcourus Valeemar, Terre Brûlée n'avait pas encore eu le temps d'entièrement l'explorer, mais il el connaissait suffisamment pour le présenter à Pluméria des Nuages. Un pincement au coeur le saisit à la pensée du séisme, de la mort de sa mère et des hurlements de son père. Il secoua la tête, chassant ces souvenirs douloureux de son esprit.

Esquivant les pierres tombées de la colline qui formaient un amas devant la sortie du camp, Terre Brûlée pénétra dans la Forêt de Bouleaux qui l’entourait. Son apprentie, Plumeria des Nuages s’était légèrement collé à lui, arrachant un grognement étouffé à son mentor, sans qu’il ne la chasse pour autant. La chatonne paraissait immature et sensible, il ne voulait pas provoquer des pleurs à peine une patte posée hors de la vue de sa mère d’adoption, Secret des Lucioles. Mieux valait attendre un peu, quitte à prendre sur soi-même. Bientôt, il aurait tout le loisir de lui forger un réel caractère, la poussant à devenir une meilleure version d'elle-même, une redoutable guerrière. Le grand matou baissa les yeux vers la petite femelle, elle était si petite, il était difficile de l’imaginer en une féroce guerrière de la Lune, mais avec du temps, le félin rayé y parviendrait.

Une atmosphère étrange régnait sur la Forêt, l’odeur y était différente, les sensations inhabituelles. Les yeux du guerrier parcouraient les arbres, sans vraiment reconnaître leur emplacement - la terre a-t-elle bougée au point de déplacer les arbres ? - des fissures jonchaient le sol ici et là, le matou prenait particulièrement garde à ce que sa protégée ne tombe pas dans une des fissures, la rabrouant lorsqu’elle s'éloignait trop de lui. Le territoire était devenu un lieu plein de danger, même pour les plus aguerris, car le paysage était méconnaissable.

Les deux chats parvinrent sans encombre jusqu’aux Pierres Levées, toujours en place comme avant le séisme. Terre Brûlée s’arrêta près de l’une d’entre elle, presque aussi haute que lui, impressionnante pour un chaton. Si elle se renversait, elle l’écraserait de toute sa taille.


Son regard se posa sur les étranges inscriptions qu’abordaient  la surface lisse et grise de la pierre, puis sur la chatonne.

La chatonne était emplis de curiosité, une bonne chose pour une nouvelle apprentie. Elle n’avait pas peur des nouvelles choses, l'écoutant plutôt bien, encore très immature, mais rien d'alarmant pour son âge. Terre Brûlée était satisfait de ce constat, il pourra probablement en faire une bonne guerrière, avec du temps, de l’énergie et de la persistance. Il fronça légèrement les sourcils à sa demande, ils n’avaient guère le temps de faire mu-muse à essayer de grimper les pierres.


Son ton fut calme, son visage fermé mais dépourvu de toute agressivité ou menace. Il savait que Plumeria des Nuages commençait à cerner son caractère, il n’aurait bientôt plus besoin de lever le ton pour se faire obéir. Il afficha un petit sourire satisfait avant de reprendre son chemin, prenant la direction de leur première ascension : le Mont de Minuit.

Ils mirent trois fois plus de temps à l’escalader que lorsque Terre Brûlée était seul, ralenti par les dérapages de son apprentie, aux appuies encore peu sûr. Il finit par la faire passer devant elle, la sécurisant de sa tête lorsqu’il y avait besoin, tout en l’encourageant à accélérer le pas. Ils arrivèrent plutôt rapidement en haut du Mont. L’endroit était balayé par les vents, plaquant ses oreilles sur son crâne, le grand matou trottina jusqu’à l’unique petit arbre trônant seul au milieu du petit plateau, priant Plumeria des Nuages de bien se coller à lui pour éviter que la petite ne se fasse soulever par le vent.

La poussant du museau contre le tronc de l’arbre pour qu’elle soit à l'abri, il parcourut l’endroit du regard, savoura quelques instants la vue qui s’offrait à eux. Une belle vue, mais incomparable à celle qu’offrait le Pic du Faucon, leur prochaine destination.


Il pointa de sa queue le pic qui les surplombait, si l’ascension avait été fatigante, la chatonne devra redoubler d’effort pour parvenir jusqu’à la pointe du pic. Terre Brûlée ne se réjouissait pas vraiment de devoir l’emmener là-haut, elle était encore si petite. Même si il n’en avait pas l’envie, si il voyait qu’elle avait trop de difficultés ou était trop fatiguée, elle la porterait jusqu’en haut. Il fallait qu’elle puisse redescendre et marcher encore jusqu’au pont brisé derrière.

Terre Brûlée leva un sourcil interrogateur à la mention des coussinets trop mous, d’où pouvait bien lui venir cette idée ? Ils n’étaient sûrement pas plus mous que les autres chats de son âge, ils se fortifiraient avec le temps, comme les autres. Se cherchait-elle des excuses ? Le matou poussa un grognement avant de la guider jusqu’au départ du chemin qui les emmènera jusqu’au sommet du Pic du Faucon. L’ascension n’était pas encore à sa moitié lorsque le guerrier de la Lune dû soulever Plumeria des Nuages par le cou pour la transporter, elle était trop petite pour pouvoir se débrouiller toute seule sur ce coup là. Terre Brûlée pouvait être dur et impitoyable, mais il avait tout de même conscience du danger. Quel échec ce serait de rentrer sans son apprentie, la honte le couvrirait jusqu’à la fin de ses jours. Sa nuque se fit rapidement douloureuse, mais il ne céda pas. Franchissant les pierres d’un puissant bond, ses larges pattes étaient un atout non négligeable, il était bâti pour la montagne.

Ils finirent enfin par parvenir au sommet du pic, mais Terre Brûlée ne reposa pas tout de suite la jeune chatte au sol, il la garda dans sa gueule jusqu’à arriver à flanc de falaise, puis il la déposa juste devant ses pattes, à l’abris du vent et des possibles rapaces qui ne feraient qu’une bouchée d’elle. Devant eux, s’ouvrait une vue imprenable sur toute la région de Valeemar. Ils étaient au point culminant, le plus haut de tous les territoires. Depuis là où ils étaient, il pouvait apercevoir sans mal les cinq territoires des cinq clans, et bien au-delà. Il laissa quelques instants s’écouler, laissant à la petite le temps d’observer cette magnifique vision.


Il enchaîna d’une voix monotone la description de chaque clans, montrant du museau ou de la patte les lieux que devait observer Plumeria des Nuages. Il commença avec la lande du Vent, puis le marécage de l’Ombre, suivis de la forêt du Tonnerre et de la plaine bordée d’eau de la rivière, avant de finir avec leur propre territoire, celui de la Lune. Terre Brûlée appréciait particulièrement cet endroit, comme si le monde entier était à ses pieds, comme si il était le plus fort des chats.

La question de Plumeria des Nuages surprit légèrement Terre Brûlée, nous prenait-elle pour le Clan de la Rivière ? Bien que la chatonne n’était pas née au coeur du Clan de la Lune - ce que le matou n’appréciait guère, mais l’avait bien gardé pour lui de peur qu’on lui rappelle publiquement ces abominables origines de chats domestiques - elle vivait parmis nous depuis suffisamment longtemps pour savoir que nous n’étions pas des spécialistes de l’eau, mais de la montagne et de ses sommets venteux. Il glissa une oeillade pleine de reproche à la petite, ne parvenant à cacher sa réticence :


Sa réponse fut distante, dénuée d’intérêt, rapide et concise. Les vents incessants balayant le Pic, porteur de la froideur de la Saison des Feuilles Mortes, commençait doucement à percer l’épaisse fourrure de Terre Brûlée. Il était dehors depuis l’aube, la fatigue s’insinuait petit à petit en lui au même rythme que sa chaleur corporelle s'abaissait. Il était temps de redescendre de la montagne, et d’emmener sa nouvelle apprentie à leur dernière destination. Il se leva, ordonnant à la petite de se coller à lui le temps qu’il rejoigne le sentier qui allait les emmener en plus basse altitude. Ils descendirent plusieurs longueurs de queue avant que le mâle tigré ne reprenne Plumeria des Nuages dans sa gueule, effrayé à l’idée qu’elle fasse une chute mortelle. Il était normal pour elle qu’elle soit épuisée, rendant sa tâche bien plus difficile, bien qu’il aurait pu la pousser à se débrouiller seul, il ne se sentait pas prêt à affronter une deuxième mort, après celle de sa propre mère quelques jours auparavant. Son père, Pluie Battante, ne lui avait toujours pas adressé la parole, il se contentait de l’ignorer et de balancer des répliques cinglantes à Muse des Forêts, lui faisait porter toute la responsabilité des événements.

Après une descente vertigineuse, ils finirent par regagner un chemin dénué de danger. Terre Brûlée reposa sa protégée sur le sol, la nuque très douloureuse.


Le félin typé toyger se remit en marche, la queue haute, il se sentait bien plus léger maintenant qu’il ne portait plus Plumeria. Son corps s’était réchauffé dès lors qu’ils avaient atteint la face de la montagne protégé du vent, lui soufflant dans le sens opposé. Ils avaient retrouvé le calme de la Forêt de Bouleaux, porteur de multitudes odeurs de gibiers qui venaient chatouiller les narines de Terre Brûlée, titiller son instinct de prédateur. Mais il n’était pas là pour la chasse, là n’était pas son rôle de la journée.

Terre Brûlée guida son apprentie jusqu’au Pont Brisé, leur ultime destination avant de retourner au camp. Le soleil commençait à dangereusement s’approcher du crépuscule alors qu’ils atteignirent le lieu de prédilection. Le grand matou ne pensait qu’à une seule chose à présent : le festin dont il allait se régaler en rentrant. Il fallait l’avouer, il avait accéléré le pas dans son désir de rentrer rapidement, son ventre criant famine de plus en plus fort. Il présenta brièvement le lieu, lui indiquant qu’elle n’était pas encore en âge de pouvoir franchir le passage, mais qu’un jour, elle pourra le traverser sans aucune difficulté. Il lui apprit à reconnaître l’odeur du Clan du Vent, dont le territoire se trouvait juste de l’autre côté de la rivière et l’avertit de se méfier de cet endroit. En cas d’invasion de leurs ennemis, c’est par ici qu’ils passeraient car c’était l’endroit le plus adéquat pour ne pas risquer de se mouiller les pattes.

Enfin, ils reprennèrent le chemin du retour. Terre Brûlée avait les pattes douloureuses dorénavant, la journée avait été bien longue pour lui. Après une grande patrouille, il avait escaladé la montagne en portant Plumeria des Nuages, tout ça avec un corps encore fatigué par les récents événements qui avaient sévi dans Valeemar. Son esprit s’obscurcit au rappel douloureux du corps de sa mère, ensevelis sous les décombres, des hurlements de son père et des pleurs de sa sœur. Sa famille s’était brisée ce jour-là, à un point de non retour inéluctable. Il ne savait plus réellement comment se comporter, ses parents avaient toujours été un repère pour lui, il s’était toujours donné mission de les rendre fière, d’être le plus parfait à leurs yeux, d’être le meilleur. Mais aujourd’hui, sa mère était morte et son père refusait de lui adresser la parole. Il ne restait plus que lui et sa sœur, Muse des Forêts, avec qui il avait été mis en compétition toute sa vie, qu’il avait rabaissé toute sa vie. Dire qu’il éprouvait du remord serait mentir, mais il se rendait compte aujourd’hui que sans sa sœur, il se retrouverait seul, sans famille, sans amis, sans personne. Il y avait bien Croissant de Lune maintenant avec qui il avait sympathisé, mais son existence était dernière bien seule. Il jeta un coup d'œil vers son apprentie qui trainait la patte derrière lui, au moins, il avait une occupation pour les six lunes à venir.

Les deux félins finirent par atteindre le camp de la Lune peu avant le coucher du soleil et Terre Brûlée invita Plumeria des Nuages à se choisirent une pièce d’exception sur le tas de gibiers après leur périple de la journée ainsi qu’à se coucher tôt. Demain, elle n’aurait pas le droit de dormir plus longtemps, c’était un autre jour et ils iraient s’entraîner à l’aube, il fallait la former à être la meilleure des guerrières, et ça voudrait dire de laisser derrière soi la fatigue.