There's a part of me that recognizes you | ft. Primerose des Nuages

There's a part of me that recognizes you

Lorsque Fragments d’Onyx pointa le museau hors de sa tanière, une pluie diluvienne s’abattait sur le Clan de la Rivière. La saison des feuilles mortes s’était finalement installée, après une saison des feuilles vertes particulièrement chaudes, apportant avec elle une brise fraîche remplie d’humidité. Un temps maussade, d’un gris déprimant, dénué de lumières et de siestes ensoleillées. Il était dorénavant tant de chasser, de faire des réserves avant que la saison des neiges arrive. La jeune lieutenante avait entendu un ancien pressenti un hiver rude, annoncé par la chaleur étouffante des lunes précédentes, balivernes ou non, le clan devait se préparer.

Sans broncher au contact de la pluie avec son pelage ébouriffé, elle traversa le camp jusqu’à la tanière de son apprentie, Primerose des Nuages, pour l’emmener s’entraîner. Les aléas météorologiques ne devaient pas être un frein à sa progression, au contraire, un guerrier aguerris se devait d’être au top de ses performances même sous les temps les plus exécrables. Son pelage ruisselant sur le sol étonnamment sec de l'abri de fortune, Fragments d’Onyx souffla le nom de sa cadette, l’invitant à la rejoindre sans tarder. Il était hors de question qu’elle patiente jusqu’à être trempée aux os le temps que celle-ci fasse sa toilette matinale. Un pelage blanc, d’une épaisseur étonnante, remua dans l’ombre et se fraya un chemin jusqu’à sa position. La féline calico l'accueillit avec un hochement de tête et murmura dans la pénombre avec son sérieux habituel :

“Il fait un temps de merde aujourd’hui, t’as sûrement pas envie de sortir sous ce temps, mais on n’a pas de temps à perdre. Chasser ne donnera trop rien, on va laisser ça à la patrouille que j’ai envoyée à cet effet ce matin. Ce sera donc ce que tu préfères : techniques de combat. “ Une rare lueur amusée fila devant les yeux jaunes perçant d’Onyx, rare été les fois où elle s’aventurait sur le terrain de l’humour. “Si le temps s'éclaircit - ce qui m’étonnerait fortement - je t’autoriserais peut-être à chasser, ça dépendra de ta motivation qui, je ne doute pas, sera à son comble”

Primerose des Nuages était son apprentie depuis bien des lunes dorénavant, et le jour de son baptême de guerrière ne saurait trop tarder. Elle aura été la première chatonne lui ayant confié, bien qu’aujourd’hui elle ne ressemblait plus du tout à la petite femelle qu’on lui avait confiée, mais bien plus à une jeune adulte au bord de recevoir son nom de guerrière. Un léger pincement au coeur l'agrippa, elle n’avait pas forcément eu des débuts faciles, mais la chatte blanche avait réussi à légèrement fendre la carapace de Fragments d’Onyx, comptant parmi les rares félins pour lesquels la lieutenante serait prête à tout risquer pour protéger. Cinq lunes à traîner cette boule de poils partout derrière elle, ça ne pouvait que rapprocher, et elle ne pouvait qu’avouer qu’elle se montrait attachiante, repoussant des barrières que la féline au pelage de jais s’était imposé il y a bien des lunes, lorsque tout son monde s’était effondré.

Lune 1217

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Petit Onyx - Nuage d'Onyx - Fragments d'Onyx - Étoile Fragmentée

THERE'S A PART OF ME THAT RECOGNIZES YOU
feat. Fragments d'Onyx

Open up the door, can you open up the door ?

Ces derniers temps, son visage portait les stigmates de nuits écourtées. À l'instar de nombre de ses camarades, quoique moitié moins habile que les plus âgés d'entre eux à cacher ses troubles, Primerose des Nuages tournait et s'agitait, renâclait et rabâchait. La brutale montée des eaux, quelques nuits auparavant, avait eu raison de ses songes d'ordinaires agréablement peuplés de pléiades éthérées et de plaines où ondoyaient de concert l'herbe et leur rivière bien-aimée, couleuvre verte et serpent d'argent s'enlaçant paresseusement sous les soleils de ciels purs. Bon gré malgré, l'apprentie au caractère qu'une vieille amie de sa mère - prophétesse à la voie manquée sans aucun doute - eut pourtant prévu docile, rechignait à accepter ce passage de relai de la saison des feuilles vertes à la saison des feuilles mortes.

Comme dédommagée par le Clan des Étoiles de l'effroyable déception qu'avait été la fuite de son rêve d'enfant - la tanière des guérisseurs a jamais condamnée à ne lui être connue que comme patiente -, son apprentissage entier ne s'était en effet jusque-là déroulé que sous la bienveillance des brises tièdes des feuilles nouvelles, puis l'harassante chaleur des feuilles vertes. L'unique orage qu'elle avait cru se voir profiler à l'horizon portait le nom de Fragments d'Onyx ; repenser aux réticences qui ont pu jadis l'animer, à la vue de ce mentor morose qui lui était présenté, lui arrachait aujourd'hui un sourire. Cet orage là n'avait enfin jamais véritablement éclaté, et l'enfant chérie du soleil s'était accommodée de ses violents zéphyrs avec sa douceur habituelle. Que n'avait-t-elle alors à envier à la souplesse des roseaux bordant les entrelacs de leur rivière ?

Non, véritablement, sa mentor était pour l'instant le seul orage au devant duquel l'apprentie au pelage de neige ne frémissait pas. D'autres grondements la privaient du sommeil tant convoité ; d'autres vents la couvraient de frissons. Double enterrement que celui qui s'annonçait ce matin là. Celui de la belle saison, encore, pouvait passer : quoique Primerose des Nuages ne réservât que des œillades douteuses à l’amoncellement de nuages toujours plus important chaque jour passant. L'autre événement était plus sérieux, et bien moins prévisible que l'inébranlable passage des saisons.

Encore peu rassurée des événements passés, éreintée d'avoir prêté mille aides à ses camarades plutôt que de s'entretenir elle-même, elle n'avait qu'entrevu les bouleversements de leur territoire que lui avaient annoncé les autres. Il fallait croire que Fragments d'Onyx, accaparée de son côté par les devoirs autrement plus sérieux que lui incombent sa qualité de lieutenante en ces heures instables, lui avait prêté quelque indulgence et laissé plus de repos que d'habitude.

L'odeur familière de sa mentor à l'orée de la tanière, ce matin gris, lui fit prendre conscience que cette parenthèse implicite venait de prendre une fin abrupte et pluvieuse. La voix de Fragments d'Onyx peina à pénétrer son esprit encore engourdi de sommeil ; plus que l'intention d'obéir à un murmure qu'elle ne déchiffra qu'à moitié, ce fut l'instinct qui lui fit se lever de sa couche et suivre sa mentor dans la grisaille. Comme son palais conservait encore la distante saveur du lait maternel, comme son pelage se rappelait encore de la friction de celui de sa soeur contre le sien, ses muscles conservaient en mémoire la voix de Fragments d'Onyx et y répondaient machinalement, avant qu'elle ne puisse en saisir tous les tenants et aboutissants. C'était un de ces réflexes étranges que la confiance forge, et que le temps seul peut défaire.

Ainsi extirpée du cocon de chaleur et de protection qu'offrait la tanière des apprentis, en proie aux assauts du vent rafraîchi qui balayaient le camp, Primerose mit quelques instants à s'éveiller tout à fait, les paupières encore lourdes et les muscles amorphes. Il ne lui fallut en revanche pas longtemps pour que les trombes d'eau qui dégouttaient du ciel ne commencent à assombrir son pelage et le plaquer en grosses touffes contre elle, l'oppressant comme un étrange étau - déjà elle en ressentait l'humidité sur sa peau. « Dormir, du temps perdu ? Il y a débat à avoir, je crois... » glissa-t-elle, plus pour la forme qu'en réelle protestation - elle connaissait trop sa mentor, après cinq lunes, pour penser l'argument utile. Alors que sa mentor poursuivait, ses oreilles se dressèrent et un éclat traversa son oeil, amusée. « Serait-ce de l'humour ? Attention à ce que les autres ne t'entendent pas - le Clan pourrait penser qu'il y a là un peu d'amour dans ton cœur de pierre, » soupira-t-elle. « Heureusement pour toi, je serai là pour leur rappeler combien tu ne manques pas de trainer ton apprentie s'entraîner à la barbarie du combat un matin de fin du monde - ta réputation sera sauve. »

Elle s'étira prestement, prenant à peine le temps de savourer les craquements qui lui assouplissaient le dos tant la tourmente cinglante semblait augmenter autour d'elles, puis se redressa, impatiente de déguerpir. « Si le temps s'éclaircit ? Moi qui croyait avoir réussi à te montrer ce qu'un peu de foi dans le monde peut apporter... ma lieutenante, ton pessimisme me désole, » miaula-t-elle, affectant d'un faux chagrin - l'illusion rompue par l'éclair de malice venant illuminer son regard, à présent tout à fait départi des brumes du sommeil. Il faisait gris ? Qu'à cela ne tienne, elle pouvait apprendre à aimer les ciels voilés. Il pleuvait ? Elle danserait sous ces trombes. Il lui fallait exécuter quelques mouvements barbares pour contenter Fragments d'Onyx ? Eh bien. Au fond d'elle, et quand bien même l'action la repoussait, il y avait quelques temps que Fragments d'Onyx ne lui avait administré un compliment... s'il fallait l'impressionner d'une parade ou deux avant d'essayer de l'amadouer pour se tourner vers des activités que Primerose jugeait autrement plus utiles - soit. « Ma motivation t'étonnerait - je regorge de surprises, tu sais. Enfin... allons, avant que je change d'avis et rejoigne Nuage de Frêne et les autres dans leurs litières, te décevant jusqu'à la fin de mes jours, » dit-elle, jetant un coup d'oeil malheureux vers la tanière des apprentis avant de se placer instinctivement derrière Fragments d'Onyx, prête à suivre sa mentor où celle-ci voulait bien la mener.

Il y avait, comme on l'a dit, des réflexes dont on se débarrassait bien difficilement.

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Le sable et l'eau du ciel

La pointe d’humour de Fragments d’Onyx avait bien entendu était relevée par Primerose, étonnée ? Pas vraiment. La jeune femelle ne laissait jamais rien passer, elle sautait toujours sur la moindre occasion pour taquiner son aîné. Un comportement qui aurait eu don de l’énerver, si cela ne venait pas d’elle. Elle agita les oreilles, amusée par les murmures complotistes de sa cadette, sachant pertinemment que lui rabâcher le sérieux ne servirait à rien. La lieutenante avait bien entendu essayé de lui imposer de la discipline, de la rendre féroce et de lui inculper de l’ambition. Ce que Primerose n’avait pas réellement apprécié, créant d’importants conflits entre elles et Onyx avait dû en venir à l’irréfutable conclusion : son apprentie était une cause perdue, mais sa cause perdue à elle, et c’était pas vraiment grave qu’elle ne soit pas à son image. Il avait fallu plusieurs lunes à la féline calico pour faire son deuil, pour accepter que la profonde douceur et gentillesse de son apprentie ne pourrait jamais se transformer en de la fougue et de l’agressivité, à moins de la briser, de la changer, fondamentalement. Chose qui rebutait Onyx. Elle avait réalisé qu’elle ne souhaitait pas la voir devenir comme elle : couturée de cicatrices, torturée jusqu’au tréfond de son âme, à donner des ordres à tout va. Non, parce que la réalité était tout autre, la réalité était que Primerose avait réussi à faire l’impensable : elle avait réussi à se frayer une place dans le coeur de sa mentor, en se montrant différente, en n’agissant pas comme les autres apprenties ou membres du clan à son égard, en ne se fiant pas au bruits de couloirs. Elle avait vu plus loin que la dureté de ses paroles, que la froideur de son regard ou de la violence de ses actes. Ce qui avait rendu Onyx incapable de la trainer dans la boue, de la pousser à l’épuisement, de la voir souffrir comme les faisait souffrir Gouffre du Soleil pendant leurs entraînements avec ses frères, elle n’avait pas réussi à répéter le schéma familial. Un pseudo-échec rapidement effacé par le lien étrange et invraisemblable qui s’était créé entre les deux femelles, surprenant tout le monde, car tous s’attendait à voir la jeune lieutenante se comporter avec son apprentie comme elle le faisait avec ses ennemis : dure et impitoyable. Ce qu’elle avait bien tenté durant les premières lunes, ce qui n’avait mené à rien, il fallait le reconnaître. Elle avait donc relâché son emprise malsaine, tenté de faire les choses autrement, s’était remise en question sous le flot de reproches qu’avait déversé sur elle Nuit des Météores. Après des longues discussions tumultueuses avec son frère, elle avait tout détruit pour tout reconstruire, tenté de changer sa façon de faire. Sauf qu’en faisant cela, elle avait inévitablement ouvert une brèche en elle, que Primerose s’était empressée de s’engouffrer à l’intérieur, se rendant moins insupportable aux yeux d’Onyx que le reste du monde.

La lieutenante se mit à trottiner en direction de la sortie du camp, son apprentie sur les talons. Bien qu’elle ne s’était pas montrée aussi difficile qu’attendu, elle avait quand même installée une notion de respect d’elle et de ses règles, et gard à Primerose si elle osait les transcender. Si l’apprentie avait découvert que son mentor avait bel et bien un cœur, mieux valait ne pas jouer avec celui-ci.
Elles traversèrent le territoire jusqu’à la Plage de Galets, dans le silence le plus total. Seuls les ricochets de la pluie sur les différents éléments qu’elles traversèrent résonnaient dans leurs oreilles. L’océan finit par apparaître devant les deux félines, bien calme pour un jour de pluie. Leur pelage déjà trempé par l’eau du ciel accueillit la brise salée, elles avancèrent sur les galets, glissant à moitié à chaque pas, jusqu’à parvenir à une plage de sable, idéal pour les cours de combat pour éviter de se faire mal. Ce n’était pas vraiment le temps propice pour le combat, le sable venait se coller à leur poil plein d’eau, une chute et la belle pelisse blanche de prime deviendrait marron de sable. Mais un guerrier devait pouvoir se battre même par les pires temps, hors de question de repousser. Fragments d’Onyx était déterminée, comme à son habitude, à ignorer les éléments météorologiques. Elle se tourna vers son apprentie et se mit en position d’attaque :

“Voyons où est-ce qu'en sont tes techniques de combat !”

Sans attendre un instant de plus, elle plongea en avant, regardant l’épaule gauche de Primerose des Nuages tout en visant son côté droit, le visage dégoulinant de flotte.

Lune 1217

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Primerose des Nuages
THERE'S A PART OF ME THAT RECOGNIZES YOU — Lune 1217

C'est qu'il pleuvait, et elle n'aimait pas ça. N'était pas du genre coquette comme certaines de ses camarades - la pensée instinctivement tournée vers Aloe Vera -, l'état de sa fourrure lui importe peu. Mais on pouvait quand même avoir de meilleures lubies que de se traîner dehors au beau milieu d'une averse de tous les diables... balayant du regard la mer grise s'étalant devant elles, une idée lui point en tête. « Ça ne te dirais pas de — »

Elle se prit la masse sombre de plein fouet, et fut projetée sur le sable avec un bruit sourd. Se relevant en grimaçant, elle fit volte-face et jeta sur sa mentor un regard trahi. « Je viens à peine de me lever — donne moi quelques secondes avant d'essayer de me tuer, » marmonna-t-elle, les oreilles frémissantes. Pas après pas, elle se mit à tracer un cercle autour de sa lieutenante, les sens s'éveillant les uns après les autres — cherchant une ouverture. Au prochain... bientôt...

Maintenant ! L'apprentie au pelage maculé de sable trempé se jeta en avant, espérant percuter sa mentor assez fort pour l'envoyer au sol.

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Lune 1217 Ft. Primerose des Nuages

Fragments d’Onyx percuta Primerose des Nuages exactement là où elle avait visé. L’apprentie de la lieutenante avait lamentablement échoué, encore une fois. Le combat était loin d’être sa spécialité, contrairement à son mentor. La féline de suie et de feu se retourna dans un dérapage contrôlé, laissant s’échapper un grognement désapprobateur en entendant les râlements de Prime. Puis elle la suivit du regard alors qu’elle traçait un cercle, sa belle fourrure blanche macculée du sable noir, lavée par la pluie, elle était presque méconnaissable.
Un éclat transperça les yeux de l’apprentie alors qu’elle plongea en direction de la lieutenante, qui, ayant anticipé l’attaque l’évita au dernier moment.

« Arrête de râler et concentre-toi ! On dirait un chaton. Ne regarde pas là où tu vas frapper, ne me préviens pas des yeux quand tu t’élances, soit plus rapide ! »

Elle ne s’était pas encore retourné, laissant la frustration lui faire donner un coup de griffe dans le sol gorgé d’eau. Des lunes et des lunes qu’elle répétait en boucle les mêmes choses : concentre toi, soit plus rapide, plus forte, plus agressive. Aggresive, elle lui demandait d’être ce qu’elle n’était pas. Est-ce qu’elle voulait réellement la voir le devenir ?

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Les réprimandes tombent en couperet. Elle devrait y être habituée, depuis le temps — cinq lunes que la terrible litanie ne change pas de note. Pourtant l'épine plante la fleur en plein coeur — la mortifie, la froisse. Ce qu'elle se déteste de prendre la moindre réprimande en soufflet. Ne peut changer, néanmoins. Pas sans en couper la tige.

La blanche se relève d'un bond de la charge honteuse, refuse d'ouvrir les vannes au heurt qu'elle sent menacer de la submerger. « J'en ai onze, » se contente-t-elle de miauler, ravalant sa frustration. Fragments d'Onyx ne voit-elle vraiment aucune différence entre l'enfant qu'elle a reçue il y a cinq lunes de cela et la femelle qui lui fait face ? La pensée l'électrise.

Le dos tourné de sa mentor est tentant. Pourtant, elle ne saurait y céder. Son caractère la prévient de toute semblable traitrise — joue trop par les règles du jeu, Prim, quitte à s'y faire broyer. « Je ne t'attaquerai pas de dos, » murmure-t-elle. Attend que sa mentor passe sa frustration sur le sable dans des gestes qu'elle a trop de fois vus exécutés, puisés dans un orage perpétuel qui semble ne jamais cesser de tonner dans le coeur de sa mentor. L'énigme la frustre. Pourtant pas un instant ne naît dans son esprit un doute méfiant — sait que jamais Fragments d'Onyx ne lèverait ses coups rageurs sur sa carne. La conviction est finale. Sans en savoir trop l'origine autre que ses tripes.

Fait glisser son regard sur le poitrail de celle-ci — s'élance enfin vers son épaule, gerbes de sable humide retombant en bruit mat derrière elle.

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Lune 1217 Ft. Primerose des Nuages

Le rappel de son âge sonne encore plus comme une déception. Elle a onze lunes mais n’agit pas comme si elle en avait onze, à cet âge là, Onyx était prête à se lancer dans un combat corps et âme. Comment est-ce que la lieutenante pourrait-elle avoir la conscience tranquille si elle savait son apprentie au cœur d’un combat, sans pouvoir se défendre correctement ? Mais après tout, le serait-elle même si elle savait se défendre et attaquer dignement ? Elle secoua lentement la tête, chassant les gouttes de pluie lui tombant dans les yeux. La voix de Primerose des Nuages la fit se retourner, elle n’attaquera pas de dos ? Au moins, elle lui avait transmis l’honneur.

Fragments d’Onyx commença à faire volte-face, puis avant qu’elle ne puisse réagir, elle se prit son apprentie en plein dans l’épaule et roula au sol dans un grognement. Recrachant du sable, une poussée d’adrénaline influa dans ses veines alors qu’elle se propulsa en avant et percuta à son tour Primerose, la plaquant sur le sol. Les dents à découverts, elle plongea son regard dans le sien, prête à attaquer.
Puis elle se figea, elle avait réussi. Elle avait réussi ! Un léger sourire satisfait s’installa dans la commissure de ses lèvres alors qu’elle relâcha son emprise sur sa cadette.

« Après tout, je me suis peut-être trompée sur ton cas… Tu es potentiellement plus prête que ce que je le pensais à devenir une guerrière. »

Le combat était l’une des dernières choses qui restait à Primerose de perfectionner, sachant qu’elle excellait dans la chasse - même un peu plus qu’Onyx elle-même, ce qu’elle n’avouerait jamais. Elle guetta la réaction de son apprenti du coin de l'œil, c’était une des premières fois qu’elle mentionnait son futur baptême.

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Primerose des Nuages
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Presque un choc, lorsque Fragments d'Onyx titube sous elle et mord le sable. L'apprentie aux yeux turquoise peut compter le nombre de fois où elle a envoyé valser sa mentor sur les griffes d'une patte — l'étonnement la saisit encore lorsque, mue par un réflexe aiguisé par les lunes, presque mystique tant il s'exécute en un battement de cils, sa mentor la projette à son tour sur le sable.

Ses poumons se vident sous le choc. L'affaire n'est pas améliorée par la masse qui vient lui comprimer les poumons : penchée sur elle, prédateur sur sa proie, l'espace d'un instant Fragments d'Onyx n'est plus. Sa mentor penche sur elle un visage métamorphosé, les crocs scintillants de salive — son coeur manque un battement. Elle s'admoneste la seconde d'après, frustrée de s'être prise dans cet écart. Elle connait ce visage étranger — l'a baptisé l'autre. L'autre n'existe que par fragments. Primerose ne l'aperçoit jamais qu'entre deux combats. L'autre la terrifie. Peut-être pour cela qu'elle déteste tant ces entraînements sans sens. Peut-être également pour ça que ses peurs fugaces, lorsque l'autre se pointe, ne se transforment jamais en terreur : elle sait qu'il n'existe jamais bien longtemps. Sait qu'elle n'a qu'à attendre.

Alors Primerose attend. Impuissante, haletant pour une goulée d'air. Elle n'a de toutes manières ni le poids, ni la stratégie pour se défaire de cette implacable emprise. À cet instant, le gouffre qui les sépare est évident, aveuglant de part la vérité qu'il apporte. Fragments d'Onyx est une guerrière. Primerose des Nuages est...

La question reste en suspens. N'a pas besoin d'y répondre, comme Fragments d'Onyx la lâche, et Primerose des Nuages s'assoit en grimaçant. L'apostrophe qui lui est adressée vient de sa mentor — n'a pas beosin de la regarder pour le savoir, a appris à connaitre les accents de sa voix. L'autre s'est rétracté dans les ombres. Cette bouffée d'air là est plus libératrice que tout autre. Se donnant un vigoureux coup de langue dans une vaine tentative de dompter sa fourrure — ne ressemble à rien, mélange de poil, de sable et d'eau —, la fin de la phrase lui fait relever le menton. « Pressée de m'avoir hors de tes pattes, c'est ça ? » miaule-t-elle, un éclat de malice au fond des prunelles. À vrai dire, la mention du baptême lui fait tout drôle. Cinq lunes qu'elle n'y a pas jeté une pensée. Ne sait pas quoi faire de ça — préfère, comme d'habitude, en revenir aux mots légers. Danse autour d'appréhensions trop grandes pour les nommer. C'est qu'elle n'a jamais trop aimé le changement et Fragments d'Onyx, avec ses éclats et ses écueils, est devenue son quotidien. « Mon ego t'en veut, » elle affecte d'un chagrin pâmé. « Enfin, je suppose que je devrais t'être reconnaissante. Les autres apprentis ne me donnaient pas une lune avec toi, tu sais, » dit-elle en se relevant. La grimace est immédiate. « Hypothétiquement parlant... si j'avais l'épaule déboîtée... ton infaillible sens du devoir te dicterai de me porter à la tanière d'Autour des Cimes, je me trompe ? » Battement de cils amusés fait passer que la plainte est exagérée — enfin. Elle dormira comme sur des pierres, ce soir, et les courbatures seront vilaines au lendemain. Cela, hors de question de le partager à Fragments d'Onyx.

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Non. Non… Étrangement, elle n’était pas pressée de ne plus l’avoir constamment dans ses pattes. De la voir devenir guerrière, oui, ça elle l’était. Elle était impatiente d’assister à son baptême, elle s’y voyait déjà, le torse bombé devant sa réussite, sa première apprentie devenue guerrière. Elle pensait qu’elle aurait hâte dans tous les sens du terme, pourtant, elle avait toujours cette saveur amer qui lui collait au palais, quelque chose dont elle n’avait pas l’habitude. Des lunes s’étaient écoulées avant que Primerose ne soit son apprentie, durant lesquelles elle avait vécu dans une triste solitude. Une solitude dans laquelle elle avait trouvé confort, aujourd’hui presque oubliée. Elle laissa son regard lasse couler dans les yeux bleus de sa cadette, elle ne lui donnait pas une lune non plus à ses côtés. Elle l’avait jugé petite, faible, fragile, désintéressée, déconcentrée. Finalement, elle s’était montrée joyeuse, perspicace, dévouée. Elle l’avait sentie peu à peu s’adapter, prendre forme, encaisser les mots acérés de la lieutenante, tomber et se relever, ne jamais céder. Elle l’avait impressionné, il fallait le dire. Cela faisait cinq lunes maintenant, bien plus qu’une lune, personne ne l’aurait cru si on leur avait dit que les deux femelles tisseraient un lien. Un lien qui s’était développé à son ainsi, sans qu’elle ne le voit venir, elle s’en était rendu compte un beau matin, quand elle s’était mise à ressentir. Comme si elle s’était réveillée, après des lunes dans le comas, pas le sommeil, le sommeil est trop doux. Ca lui avait fait étrange, incompréhensible, comment avait-elle pu s’attacher à quelqu’un d’autres que sa famille d’adoption ? Finalement, elle n’était peut-être pas si brisée, fragmentée qu’elle ne le pensait. Mais est-ce qu’elle le voulait ? Est-ce qu’elle voulait vraiment qu’elle devienne “amie” après la fin de son apprentissage ? C’était quoi la suite ? Y avait-il une suite ? Allait-elle avoir une amitié ? Qu’est-ce que c’était que l’amitié ? Est-ce qu’elle avait déjà eu une amie ? Et si tout s’arrêtait après le baptême ? Et si ce n’était pas mieux au final ? Elle se regarderait comme deux étrangères.
Deux parfaites étrangères. Qu’est-ce que ça pouvait lui faire, dans le fond ? Non, elle ne comprenait rien, elle ne comprenait même pas pourquoi elle cherchait à comprendre. N’était-elle pas morte ce jour-là ? Son cœur battait-il encore, tout au fond de son être ? Pouvait-elle ressentir de l’amitié ? Quel serait le terme de tout ça ? Serait-elle sur un fil éternel comme elle l’était avec Gouffre du Soleil ? Arriverait-elle à tenir sur un deuxième fil ?

Elle tenta de chasser l’orage, d’ignorer le chaos sourd qui résonnait comme un acouphène au fond de ses pensées.

« Ça dépend. Si j’veux garder ma réputation et terroriser tous les futurs apprentis, j’aurais plutôt intérêt à te faire rentrer à cloche patte jusqu’au camp et espérer que tout le monde voit que je n’t’ai apporté aucune aide. Ils vont croire que je me suis adoucie sinon, j’aurais l’air de quoi, moi ? »

Elle laissa un temps de flottement s’écouler.

«Évidemment, que je t’porterai, stupide boule de poils. Des mois d’entraînement gâchés pour une épaule déboitée ? Plutôt crever. »

Elle était maladroite, elle le savait. Elle parlait avec des nons-dits, elle n'était pas forcément douce dans ces mots, mais ils étaient dénués de toute violence.

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Primerose des Nuages
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Les futurs apprentis. D'eux au miens, il n'y a qu'un pas. Le mot l'arrête. La fait ciller. C'est qu'elle n'y a jamais vraiment pensé, n'y a accordé jusque là aucune réflexion. Trop prise dans l'engrenage débridé de ces dernières lunes. Pourtant voilà que Fragments d'Onyx donne corps à une idée qui jusque-là n'avait fait que planer, silencieuse, invisible, au-dessus d'elles. Une lune encore, et on la baptisera. Une lune, et elle grossira les rangs des guerriers. Partager une tanière avec sa mentor, la côtoyer autrement que dans les cadres définis que son apprentissage impose — la notion est aussi grossière qu'inévitable. Une lune, et Étoile Polaire aurait tôt fait d'assigner un autre nuage à l'orage de la lieutenante.

« Tu t'es certainement fait les griffes sur la pire combattante qui soit, » laisse-t-elle échapper avec un petit rire. « Les prochains seront une partie de plaisir. » Amusée, et pourtant comme un sale goût d'amertume accroché au fond de la gorge. Savoir qu'elle n'a jamais pu rencontrer les critères posés par sa mentor. Qu'il lui aurait fallu devenir chimère, pour jamais pouvoir les franchir. L'accent adouci lorsqu'elle reprend, le museau tourné vers le ciel, à recueillir les perles de pluie qui s'affinent, se raréfient. « Ta réputation, » répète-t-elle, songeuse. « Tu sais, ils t'apprécient. Les autres, je veux dire. Bien sûr, tu leur fais peur... mais ils t'admirent. Ils te respectent. Ils te respecteraient même si tu ne les intimidais pas. » C'est un de ces pétales qu'elle lance parfois dans l'eau — dardant un oeil attentif sur les ondes qu'il propage. Jauger du tempérament de Fragments d'Onyx est une science délicate dont elle commence à peine à maîtriser le dosage. « Ils te savent justifiée dans ta rigueur, je suppose. » Pause. Ingénue. « Et moi, je te sais bonne. » Bonté hideuse, maladroite, timide, murée de glace, précédée de grognements, armée de véhémence. Mais bonne. Bonne dans sa dévotion sans bornes à sa famille, dans ces indulgences qu'elle lui accorde parfois, sans prévenir, ces minutes de sommeil en plus, ces entraînements à la chasse qu'elle lui consent au lieu de trimer le combat. Oui, ces rares instants où ses défenses s'effritent — Primerose en entraperçoit l'éclat. N'a de cesse d'en rechercher la lumière.

Le moment pèse pourtant trop lourd : elle n'est que trop familière des ruades de sa mentor à l'approche d'une conversation trop vulnérable. Pousser le sujet renverrait la guerrière dans ses retranchements. Pour preuve le bouquet hérissé de ronces que lui jette Fragments d'Onyx : la fleur prend l'aveu silencieux avec un sourire gracieux. Ne reconnait pas l'avoir entendu — jamais, au risque de voir l'autre se dérober. Alors elle s'anime, feint de rouler l'épaule, d'en chercher les failles. « Oh, certainement, un grand gâchis... mais rassure-toi, je pense que... ça va aller. Il me faudrait peut-être... » Et, se tournant vers la mer, comme plongée dans une grande réflexion : « Oui, peut-être un bain. Afin d'en être certaine. Peut-être vaudrait-il mieux que tu m'accompagnes, au cas où je m'évanouisse ? Me perdre une lune avant le baptême... devoir tout recommencer avec un autre... terrible histoire, » énonce-t-elle gravement, le menton branlant — sans pouvoir, ni vouloir, effacer l'éclat de rire tout juste retenu au bout de la langue. La demande que lance son regard est autre. Elle sait combien le devoir pèse à la guerrière au regard d'ambre ; sait que ses moments d'indulgence sont rares. L'a-t-elle assez satisfaite aujourd'hui pour cela ? Sa malice fond, comme elle lance une oeillade par dessus son épaule. La plage de galet s'étend, vaste, grise. Déserte. « Personne pour briser ta tyrannique réputation, » énonce-t-elle doucement. Aucun témoin ; elles sont seules, battues par la pluie, le sable et le vent.

La demande est nue. Sincère. La fleur n'a jamais su s'hérisser d'épines.

Spoiler:

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UN GRAND MERCI À LULU (code), LYS, SIL, AIDO, WAKI, MYST ET RUNA (dessins).

There's a part of me that recognizes you

Lune 1217 Ft. Primerose des Nuages

« Tu t'es certainement fait les griffes sur la pire combattante qui soit, les prochains seront une partie de plaisir. »

Un léger sourire étira les babines de Fragments d’Onyx, accompagnant le rire de Primerose des Nuages. Elle avait raison, malgré tous ses efforts pour s’améliorer, elle restait à un niveau de combativité pas très élevé, tout le contraire de la lieutenante qui avait l’impression d’être née pour combattre. Elle avait rêvé d’un apprenti qui saurait la challenger, dont elle serait fière de voir écraser ses ennemis au combat, tout ce que n’était pas sa véritable apprentie finalement. Elle avait mis beaucoup de temps à l’accepter, à être moins dure avec elle, à arrêter de se faire des illusions : elle ne pourrait pas la changer, c’était impossible, son coeur était trop pur, ses intentions trop bonnes. Tout ce qu’elle n’était pas elle-même, finalement, des parfaits opposés. Un léger voile sombre obscurcit les yeux de la féline à cette pensée.
Dans un sens, elle avait envie d’avoir d’autres apprentis. Elle avait apprécié cette tâche, bien qu’elle s’était révélée bien différente de ce à quoi elle s’était attendu. Mais elle n’était pas sûre d’apprécier le fait que ce ne soit plus elle, ce ne soit plus Primerose des Nuages, que ce soit quelqu’un d’autre. Il faudrait tout refaire, tout recommencer, avec quelqu’un de différent. Tout serait différent, il fallait juste l’accepter, tout finit par se terminer. Elle allait devenir une guerrière et elles allaient passer à autre chose, Fragments d’Onyx aura un nouvel apprenti, et peut-être même Prime, dans quelque temps. Peut-être que son futur apprenti aura un attrait pour le combat ! C’est à ça qu’elle se raccrochait.

« Ta réputation, tu sais, ils t'apprécient. Les autres, je veux dire. Bien sûr, tu leur fais peur... mais ils t'admirent. Ils te respectent. Ils te respecteraient même si tu ne les intimidais pas. »

La lieutenante l’observa lever son museau vers le ciel et l’eau ruisseler le long de son visage, elle ne savait pas vraiment comment réagir. Elle avait du mal à croire que qui que ce soit pouvait l’apprécier, du moment qu’elle n’appréciait réellement personne, en dehors de sa famille, et de Primerose. La peur lui allait bien, le respect aussi, elle n’attendait rien d'autre, elle préférait rester dans sa solitude. Ce qu’elle se demandait réellement, c’est qu’est-ce qu’elle en pensait elle, son apprentie. Elle se souvenait encore de son regard, quand les anciens avaient parlé sur son dos après sa nomination en qualité de nouvelle lieutenante par Etoile Polaire, elle avait vu ses yeux ternir, la fleur légèrement fanée. Elle avait vu que l’avis des autres comptait pour elle, là où Onyx n’en avait rien à faire.

« Ils te savent justifiée dans ta rigueur, je suppose. Et moi, je te sais bonne. »

Ses oreilles s’agitèrent, légèrement mal à l’aise. Primerose avait toujours vu en elle quelque chose que les autres ne voyaient pas, elle la regardait avec différence, comme si elle voyait plus loin que sa mauvaise humeur et ses accès de colère, de ses ordres et son ambition. Elle se demandait souvent pourquoi, comment. C’était assez étrange, elle aurait pu la détester, tout aurait pu mal se passer. Mais non, la fleur était restée indemne, fièrement dressée, à relever tous les défis, à affronter tous ses orages, sans broncher une seule fois. Elle avait réussi à susciter son admiration, et seul le Clan des Etoiles savait à quel point elle était dénuée d’admiration pour quiconque à part son frère en ce monde. Pourtant, elle l’admiré en débit de son affreux manque de combativité sur le terrain, de sa non agressivité, de sa passivité, de sa gentillesse, d’absolument tout ce qu’elle n’était pas elle-même. Lorsqu’elle la voyait, elle n’avait pas l’impression de regarder dans un miroir, non, elle voyait son parfait opposé. Elle était tout ce qu’elle n’était pas, ce qu’elle aurait peut-être pu être, dans un autre monde, un autre univers, une autre vie. Si tout, absolument tout avait été différent.

« Oh, certainement, un grand gâchis... mais rassure-toi, je pense que... ça va aller. Il me faudrait peut-être... Oui, peut-être un bain. Afin d'en être certaine. Peut-être vaudrait-il mieux que tu m'accompagnes, au cas où je m'évanouisse ? Me perdre une lune avant le baptême... devoir tout recommencer avec un autre... terrible histoire. Personne pour briser ta tyrannique réputation. »

Fragments d’Onyx leva un sourcil inquisiteur devant la demande, devant l’air malicieux de son apprentie qu’elle ne connaissait que trop bien. Avait-elle perdu la tête ? Le temps était froid, la mer agitée, leur pelage d'ors et déjà trempée. La lieutenante resta quelques instants bouche bée, à observer sa cadette avec incrédulité, qu’est-ce qui pouvait bien lui passer par la tête ? Elle s’apprêtait à contester, à lui dire de recommencer à prendre une position de défense, qu’elles allaient encore s'entraîner. Mais elle rencontra encore une fois son regard, et elle ne put s’empêcher de considérer l’offre, laissant une étrange excitation fourmiller dans ses membres. Elle la regarda un long moment, tiraillée par ses pensées, ses réflexions. Si elle restait fidèle à elle-même, elle l’engueulerait, lui hurlerait de se remettre au travail. Mais elle resta de marbre, incapable de suivre ses propres instructions. Plutôt, elle laissa son envie prendre le dessus. Elle abandonna sa carapace sur la plage, elle déposa les armes, rentra ses griffes. Elle ignora le tumulte de son esprit, et laissa son cœur la guider dans l’eau salé, frôlant la fourrure immaculée de son apprentie.

« « Terrible histoire, effectivement. Mieux vaut que je t’accompagne, histoire d’être sûre que cette vision d’horreur n’se réalise jamais ! » »

Et les vagues épousèrent la forme de leurs corps,
battu par les flots elle se laissa tenter,
par un fragment de vie.

« « J’t’interdis de t’noyer, fais moi honneur et montre moi comment j’t’ai si bien appris à nager » »

Elle ne pouvait pas s’en empêcher, trouver une excuse à leur action. Un justificatif à cet instant décalé du temps, irréellement doux, irréellement vrai, irréellement différent de tout ce qu’elle s’était juré d’être, promis de ne plus être.
Sa pensée chavira jusqu’à Nuée des Colombes, était-ce un péché que de ne profiter de la vie quand la sienne avait été si durement arrachée ? Elle ferma un instant les yeux, tentant coupablement de chasser cette image. Pour la première fois, elle ne voulait pas y penser, plus tard, peut-être, quand la mer sera calme.

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