Apprends tout, et tu verra que rien n'est superflu - LIBRE

         Le vent faisait miroiter les rayons du soleil entre les feuilles de bouleaux. Ces dernières avaient pris une teinte d’un vert profond, celui qui contraste avec le ciel céruléen. Ce vert franc qui marque le milieu de la belle saison, loin de la pâleur des bourgeons qui éclosent et du feu qui embrase les cîmes à l’automne. Cette brise, en plus de jouer avec les halos de lumière, faisait danser les fumets de la forêt. On pouvait y reconnaître l’odeur de la terre sèche, qui attendait la prochaine pluie, mais aussi des effluves de gibiers - jeunes et dodus à cette époque de l’année. Dans les racines des arbres clairs, deux mulots se chamaillaient pour une boule de mousse. A quelques mètres de là était planté Nuage Lumineux, il respirait discrètement, son flanc se soulevait à peine. Se tenant prêt à intervenir à tout moment, il guettait le moment opportun. Cette chorégraphie de rongeurs le faisait sourire, dire que d’ici quelques minutes cela deviendrait une danse macabre où lui-même donnerait le rythme. Ils étaient tellement occupés par leur lutte, qu’ils ne sentirent même pas l’odeur féline qui inondait l’espace.

         Quelle chance pour le matou blanc ! De plus, sa robe pâle était peu discrète en dehors de la saison des neiges. Il subissait souvent les railleries de ses camarades à cause de cela. Que ce soit de nuit où de jour, à la saison des feuilles nouvelles où à la saison des feuilles mortes on le voyait comme la pleine lune dans un ciel clair. Au contraire, quand la neige tombait, il était le plus discret de Valeemar. Nuage Lumineux avait au moins pour lui sa taille, c’était un petit chat qui arrivait à se glisser discrètement dans les fourrés et les racines. Blanc peut-être, mais je suis bien plus furtif que ces gros chats bruns aux grosses pattes et à la petite tête ! pensait-il, le regard toujours fixé sur les deux petits animaux.

         Il appréciait les parties de chasse, il n’avait pas eu l’occasion d’en faire beaucoup pour le moment, mais à chaque fois il s’y sentait à sa place. Il venait tout juste de recevoir son nom d’apprenti, juste après que les chatons soient revenus aux camps. Les sorties étaient encore empreintes de vigilance, on sentait tout de même que la vie normale reprenait sa place. Le jeune félin blanc avait laissé les autres guerriers partir devant, il voyait leurs silhouettes au loin, se détacher au milieu des troncs bicolores des bouleaux. Il les rejoindraient avec deux mulots d’ici quelques minutes. Son mentor, Fruit du Dragon, lui avait déjà montré quelques techniques, notamment pour reconnaître les odeurs et pister les petits rongeurs.

         Un mouvement interrompit sa rêverie, la boule de mousse avait roulé jusqu'à lui. Il redressa la tête rapidement et croisa le regard des deux mulots surpris de sa présence.
Crotte de renard ! beugla t-il, avant de se jeter sur ses proies, sans aucune technique apparente ni réflexion. Une nuée de poussière s’éleva, lui piquant les yeux. Il n’y voyait plus rien, il donna des coups de pattes de façon hasardeuse. Un couinement lui indiqua qu’il avait touché sa cible, il la lança dans les airs, pendant que l’autre mulot prit la poudre d’escampette. Assommée, la petite bête essaya de se repérer entre les racines de l’arbre. Le chaton en profita pour lui asséner un autre coup de patte, qui atterrit sur un cailloux, le rongeur en profita pour s’éclipser. Mince, raté, ils sont plus rapides que je le pensais…  Il soupira et cracha la poussière qui s’était mêlée à sa salive. Nuage Lumineux surveilla la petite brèche au sol où s’était faufilé le mulot. Deux yeux apparurent dans la fissure. Avant qu’il n’ait eu le temps de faire quoi que ce soit, une ombre fila tel un épervier devant le matou blanc. Le rongeur fût embarqué dans un second vol, et avant de pouvoir toucher le sol, l’ombre - qui était un second félin, l’intercepta et lui brisa la nuque.

         Le petit corps gisait maintenant devant le chaton blanc, il n’osait même pas regarder le guerrier véloce qui l’avait devancé. Nuage Lumineux bouillonnait intérieurement, grommelant des choses inaudibles. Un mélange d’émotion le traversait : la honte, il avait raté un mulot qui était à trente centimètre de son museau, la contrariété, un autre chat avait tué sa propre proie et en plus, la maladresse dont il avait fait preuve le mettait en colère, n’importe qui pouvait attraper un rongeur pourquoi l’avait t-il raté ? D’habitude, il s’en sortait mieux que ça, ce n’était pas la première proie qu’il voyait. Je vaux mieux que ça, se disait-il, je suis un des apprentis les plus rapides ! Le chaton blanc se redressa, se lécha le poitrail activement et se secoua pour faire tomber la poussière de son pelage.

J’aurais pu l’avoir tu sais, fit-il d’un ton acerbe au guerrier qui se dressait devant lui, je n’avais pas besoin de ton aide pour attraper un mulot de cette taille.

         Nuage Lumineux continua de regarder le rongeur inerte, la déception était tellement grande qu’il n’avait plus envie de chasser. Il ravala la boule qu’il avait dans la gorge, il fallait passer à autre chose. Le félin creusa un trou pour y placer sa proie, afin de la récupérer au retour. Peut-être devrait-il laisser sa fierté de côté et prendre de l’expérience auprès de guerriers plus expérimentés. Qu’est ce qui lui avait manqué pour attraper le mulot ? Pourquoi l’autre chat avait réussi ? Il fallait absolument que le chaton sache, il fallait qu’il comprenne tout le mécanisme de la chasse, toutes les techniques. Il ne voulait plus qu’une souris lui file entre les pattes.

Excuse-moi, lança t-il, je ne devrais pas te parler de la sorte, on continue ? Il grattait le sol, un peu gêné par son propre comportement, Je te regarde faire.