Puce | Parasites Powa

Affamée. Épuisée. Engourdie.
La fatigue m’embrume la tête et me coupe les pattes. J’ai tellement envie de dormir. Le tapis de mousse que j’ai aperçu un peu plus tôt m’appelle encore. Fermer les yeux, juste un instant. Reposer mon esprit, mon corps et mon âme. Me plonger quelques temps dans les limbes du sommeil. Oublier. Mon ventre qui crie famine. Mes muscles qui grincent à chaque mouvement. Mon cœur aussi lacéré que le dessous de mes pattes.
Mais je ne peux pas me le permettre. Si je m’arrête même un court instant, je ne me relèverai jamais. Je le sais, je le sens. Mon instinct me dicte de poursuivre mon chemin. Alors je l’écoute. Maman me répète souvent que je suis maligne pour mon âge. Intelligente.

Pourtant ça ne l’a pas empêché de m’abandonner. Visiblement, l’intelligence n’est pas une qualité appréciable pour survivre. Pas quand ta croissance s’est brutalement arrêtée après 3 lunes.
Elle n’arrivera jamais à attraper une proie.
On devra chasser pour elle.
Elle n’arrivera jamais à suivre le rythme pendant les déplacements.
Elle n’apprendra jamais à se défendre.
Jamais assez forte. Jamais assez agile. Jamais assez grande.
Y’a-t-il une taille minimum pour prétendre à l’amour? Faut-il faire ses preuves avant d’être aimé?

J’ai toujours assez mal vécu mon handicap. J’étais la préférée de maman avant. Son reflet identique. Son rayon de soleil qu’elle disait. [/i] Des mensonges. Qui laisserait le soleil derrière lui?[/i]
Mais lorsque mon frère et ma sœur ont continué à grandir et que ma stature s’est figée, j’ai soudain arrêté de briller. Seth gagnait aux jeux de combat. Nephtys remportait les défis de vitesse et d’agilité. Et j’étais l’éternel perdante, la petite dernière qui traînait la patte en arrière. Peut-être avais-je brillé trop fort et m’étais brûlé les ailes? Quoiqu’il en soit, la chute fut douloureuse. Voir le regard de mes parents se teinter de déception à chacun de mes échecs. Subir les railleries de mes adelphes se pavanant suite à leur réussite.
Jouer devenant un calvaire de chaque instant, je restais prostrée sur ma litière, refusant de m’humilier davantage.
Un jour que nous avions trouvé refuge dans un vieux terrier de renard, ma fratrie était partie jouer dehors, mes parents à leur suite afin de profiter de la brise nocturne. J’étais resté seule, roulée en boule à meme le sol, les oreilles pointées vers l’entrée du terrier d’où me parvenait la voix de mon père et ma mère.

- On ne peut plus continuer ainsi Nout, elle nous ralentie, tu le sais. On devrait avoir quitté ses terres depuis longtemps. Les chats domestiques disent que des félins forment de petits groupes dans cette partie du territoire et sont particulièrement agressifs si on passe leurs frontières. S’ils nous trouvent on est fichu. Il faut qu’on quitte cet endroit au plus vite.
- Et qu’est-ce que tu suggères Geb? Qu’on la prenne sur notre dos? Qu’on l’abandonne ici au milieu de ces clans?

Un silence avait suivi les paroles de ma mère. Une larme solitaire roula sur ma joue.

- Tu n’es pas sérieux… On ne va pas laisser notre fille derrière nous. C’est notre enfant.
- C’est surtout un poids mort inutile, un estomac supplémentaire à nourrir.
- C’est non Geb.

Ils avaient fini par s’éloigner en se disputant à voix basse. Ce n’était pas la première fois que j’étais source de discorde entre eux. L’estomac noué, je fermai les yeux et me laissai emporter par le sommeil.
Ce fut là mon ultime erreur.
En me réveillant le lendemain, j’étais seule. L’odeur ténue de ma famille m’indiquait qu’ils n’étaient jamais venu se coucher à mes côtés.

- Maman…? avais-je miaulé, refusant de comprendre les nombreux indices qui s’offraient à moi.

Sortant en trombe du terrier, j’avais regardé les alentours d’un œil paniqué.

- Maman? Maman! Papa! Seth! Nepthys!

J’humais désespérément l’air à la recherche de leur trace, courant au hasard en espérant les croiser au détour d’un arbre. C’était un jeu, ce n’était qu’un jeu. Un test tout au plus. J’allais les retrouver, je remonterai un peu dans les estime suite à cette performance et la vie irait un peu mieux ensuite. Ma mère… ne m’aurait jamais abandonné.
Hélas, aucune odeur ne me parvint. Ils avaient visiblement pris soin d’effacer leur piste. Ils ne voulaient pas que je les retrouve. Ils m’avaient abandonnée. Laissée pour compte. Trop faible pour les suivre. Trop inutile pour les retenir. Trop rien et pas assez tout.
Lorsque la triste vérité m’apparut, dure et implacable, je voulus retourner au terrier et me rouler de nouveau sur moi-même, espérant encore que tout ça ne fut qu’un cauchemar, qu’en me réveillant le lendemain, je serai de nouveau entouré des railleries de mes adelphes et de la chaleur réconfortante de mes parents. Malheureusement, ayant filé à toute allure à travers la végétation, je fus bien incapable de retrouver mon chemin.