EVENT- Mission 8

Mission 8

Les missions se succèdent depuis bientôt plusieurs jours - allers et venues incessantes du camp, guerriers et apprentis porteurs à chaque retour d'effluves râpeuses, amères, irritantes au museau. La tanière des guerrier empeste d'odeurs qui n'y ont pas leur place. Corps et esprits sens dessus dessous, une frénésie qui palpite silencieusement au coeur de l'Ombre et se trahit dans les éclats de voix rudes qui s'échangent dans le camp. Nul ne l'avoue encore mais il devient évident, à chaque jour qui passe, que les recherches sont infructueuses : les dernières patrouilles partent à la journée, plus tôt le matin, plus tard le soir. Un à peine rentré, l'autre coulé hors de sa tanière.

C'est pourquoi je trésaille à peine de surprise lorsqu'on m'envoie, un matin de soleil froid, plus loin que je n'ai jamais été. Au delà les terres de l'Ombre, avait ordonné Coeur de Pluie, tu y retrouveras un guerrier du Vent et une apprentie du Tonnerre. Un guerrier du Vent — mes pas sont raides et ma gorge sèche lorsque j'approche du lieu indiqué, aux abords des terres du Tonnerre. Je marmonne sous ma barbe une litanie de prières qui, je le sais, suivront les bourrasques pour s'élever vers les étoiles. (Je l'espère). J'en ressasse tant les mots qu'ils en perdent leur sens et leurs syllabes se brouillent, mais au moins ai-je la tête quelque part, n'importe où plutôt que dans les sables dangereux sur lesquels je m'apprête à poser pied.

J'ai à peine le temps de m'apercevoir du glissement d'un terrain à un autre que mes pattes s'enfoncent dans le sable tiède. Je sens les grains se glisser entre mes coussinets, voleter dans ma fourrure. Ce n'est pas normal. Je serre les dents. Le dos droit et le visage impassible, j'attends. Je crois déjà apercevoir des silhouettes se noircir et surgir des lambeaux de brume dorée.  Leurs odeurs, tout du moins, les précèdent.

Je ne m'attendais pas à ce qu'une fois dans ma vie, la vue d'un félin du Vent fusse la cause de la vague de soulagement qui me dénoue les muscles. Et pourtant. Il faut croire que les étoiles ont à mon d'égard d'opaques plans. Je papillonne des yeux pâles vers le ciel, d'un bleu frais et nu : qu'avez-vous en tête ? Je ne sais si ces deux félins à mes côtés sur la plage sont des pavés ou des ronces sur mon chemin. Je connais la bonté des étoiles tout autant que leur ire. Prompte à détourner le regard — je ne peux soutenir cette immensité bleue très longtemps, jamais — je le reporte sur mes compagnons de la journée. Peut-être n'ai-je pour l'instant la moindre idée de la raison de leur présence ici - leur véritable -, mais je joue la lâche, j'ignore, j'enfouis mes questionnements sous le sable frais qui forme creux et monts autour de nous, et m'autorise une respiration. Mon allégement est tel que je pourrais presque couler un sourire à l'apprentie blanche et crème qui se tient devant moi. À défaut d'un air amical, les muscles de mon visage délaissent leur crispation initiale pour une expression neutre.

« Enchantée. » Ma voix chante elle aussi, douce et cristalline, d'élégantes politesses vides peut-être, mais qui ont du moins la tournure simple. Elles font le travail. Le fantôme d'un sourire manque de courber mes lèvres aux paroles de Chant du Lion — je ne peux m'empêcher de me figurer la tête que tirerais Ardeur de la Tigresse si l'ordre laconique, si habituel dans la bouche du grand félin du Vent qu'il en devenait distrait, une pensée seconde, lui avait été adressé. La mission serait probablement partie en étripage — verbal, s'entend. J'aurais volontiers donné ma part de gibier pour voir ça.

Pourtant, pourtant je ne suis pas Ardeur de la Tigresse, ni Coeur de Pluie, ou Tâche de Faon pour ce que ça vaut. Je ne suis aucun de mes camarades de l'Ombre. C'est de moi que Chant du Lion et Nuage de l'Acacia écopent aujourd'hui. Alors que je me coule dans le sillage du matou aux yeux dorés, pour la première fois depuis que j'ai quitté le camp, une silencieuse et rampante détermination s'insinue à côté de l'apathie qui, depuis la disparition, m'engourdit les sens pour mieux me protéger. J'en oublie l'irritation profonde  du sable sous mes pattes, terrain étranger dont je ne connais pas assez les écueils pour y être confortable, et tourne un regard bleu, pâle et placide vers la jeune apprentie qui trottine à mes côtés. « Nuage de l'Acacia — c'est bien cela ? Tu serais, de nous, plus à même d'en savoir quelque chose. »

La jeune chatte rayée — dont l'appartenance au Tonnerre, s'il y avait jamais le moindre doute, se vérifie à l'instant où une bourrasque tiède porte à moi les effluves chaude, terreuses et profondément étranges de son pelage — est en effet, de nous trois, la plus susceptible d'être avisée sur le sujet. Les sombres et reculées ombres de la pinède et ma réticence de me rendre aux frontières m'ont gardée de rencontres imprévues ; les terres infestées Bipèdes s'étendant en bordure du Bassin du Soleil semblent elles à la portée des chats du Tonnerre (il me semblait me rappeler confusément avoir entendu un apprenti râler après un camping lors d'une assemblée). Je ne peux m'empêcher d'être curieuse de la réponse de l'apprentie. Des coutumes du Tonnerre, je ne connais rien. Leurs évocations à l'Ombre ces derniers temps n'ont pour sujet que leur récente bataille face à la Lune et dresser l'inventaire exhaustif des traditions de nos bruyants voisins n'est pas exactement le passe-temps préféré des anciens, quoiqu'ils en auraient pour l'élaboration tout le loisir. Emmènent-ils leurs apprentis près des solitaires et domestiques ? Est-ce un rite de passage, une épreuve à passer dans leurs examens ?  Connaissent-ils de noms certains de ces chats étrangers à la vie de Clan ? « N'importe quelle piste sera un début. » Mes paroles ne sont drapées d'aucun confort ni avenance. Ils dictent une vérité neutre, une information impassible que je lui transmets. Si la jeune chatte est ici, c'est qu'elle a, comme nous, ses cartes à jouer : je n'attends rien de moins qu'elle le fasse. Dans cette course contre le soleil que nous entreprenons et face à l'hermétique volonté des étoiles, une observation, un souvenir confus, une mention d'un domestique au détour d'une conversation, n'importe quoi pour nous permettre de prendre la première longueur d'avance.  (Et la retrouver elle.)

Ne l'ai-je pas vu lors d'une assemblée ? Cela fait des lunes que je n'ai pas posé patte aux Cinq Rocs mais, comme Chant du Lion se retourne vers nous, j'ai soudain dans l'esprit une pareille vision, quoique si trouble, si lointaine. Une époque où les Assemblées n'étaient que lieux trépidants et fourmillants de possibilités, un vaste carrefour, croisée des étoiles, des frontières et des esprits. Je l'ai vu, celui-là même dont les yeux de soleil brûlant se posent sur nous, au fond de la place. Difficile d'en manquer la stature — un aperçu au détour d'une fente dans la marée de pelages chatoyants, une pause dans ma conversation avec Périple des Cieux, Eh bien, celui-là, pas envie de l'y retrouver, à leur frontière, coup d'oeil taquin, sourire flottant. Ça l'avait fait rire, lui. C'était toujours facile de le faire rire.

Cela semble vieux de neuf vies. Révolu. Le gouffre qui sépare ce temps du nôtre me donne le vertige — je m'en éloigne promptement, assaillie de questions taraudantes. A-t-il quelqu'un à chercher, lui aussi ? Je ne me suis pas posé la question, j'en avais presque oublié que l'Ombre n'est pas seule à porter en son sein des parents esseulés. Que la forêt ne s'est pas mis en émoi toute entière pour les seuls vagissements de Lune Givrée. Est-il père, lui aussi ? A-t-il une compagne, l’œil brillant, le cœur creux, dont le pas ferme et les appels sourds percent l'air de nos terres à ce moment précis ? Ça me gifle, me laisse une brûlure cuisante sur la joue : je ne suis qu'une goutte dans la vaste marée de la chair appelant la chair. Le carrefour des étoiles devenu carrefour des orphelins parents.

Nuage de l'Acacia m'oblige, et Chant du Lion reprend immédiatement. « Nous commencerons donc par le camping, nous n'en sommes plus très loin j'imagine. Je propose qu'on se sépare. Un long miaulement pour avertir les autres si on rencontre un chat. Rage de l'Amour, tu devrais faire équipe avec Nuage de l'Acacia, on ne sait jamais ce qui peut se passer. » J'incline la tête en signe d'assentiment et, sans plus d'autre cérémonie qu'une ondulation de la queue, j'oblique à droite.

Il nous faut une petite trotte avant d'apercevoir enfin le camping : tout du moins ce que je suppose en être, dans ce qui ne peut être qu'une construction de bipède. Longue (la proposition de Chant du Lion fait tout de suite plus de sens), d’arêtes raides, d'angles durs et impardonnables, même la pinède et son refus du soleil semble plus accueillante. Au moins y a-t-il quelques arbres, aux longs troncs sombres surmontés d'une couronne d'épines vertes, pour en jalonner les allées intérieures.

À son approche, je coule un oeil vers Nuage de l'Acacia, dans ma foulée. La jauge d'un regard prompt. «  Chant du Lion a juste de mentionner les troubles qui peuvent nous y attendre. On t'en a parlé, bien sûr. » Une question déguisée en accents plats. Je n'aime pas la présence d'apprentis et les chatons ; je me trouve face à eux bien plus incapable que face à mes pairs. Tous n'ont pas été élevés comme Némésie et leurs incessantes demandes, leurs perpétuels besoins qu'on s'y accommode me plongent dans l'embarras. Mais je préfère m'assurer qu'on a tenu Nuage de l'Acacia au fait des risques qu'elle court ici — sait-on jamais, avec le Tonnerre. « Si tu as des compétences particulières, maintenant serait le moment de me les dire. Te débrouilles-tu en combat ? Ton mentor t'a-t-il du moins appris quelques mouvements ? »

L'entrée dans le camping se fait sans aucune autre frontière que celle des odeurs. Nous nous glissons dans une allée, bordant plusieurs hauts bâtiments. L'endroit est balayé d'effluves bipèdes de toute évidence passées, ternies, mais profondément enracinées qu'elles me font plisser le museau de dégoût. Un bourdonnement me rempli les muscles et je nous oblige à longer les murs — hors de question de s'exposer dans les larges allées, il y a là l'absence des bipèdes, mais les mots de Nuage de l'Acacia dansent encore dans ma tête. Quelques uns vers le Camping. Tous mes sens s'hérissent et s'alertent. Bienvenue dans la tanière des fauves.

La terre sous mes pattes est spongieuse, ramollie des pluies de la saison des feuilles nouvelles. Comme nous longeons la longue palissade de bois qui ceinture le camp des Bipèdes, soudain, un miaulement retentit au-dessus de nous. Je bondis et pousse Nuage de l'Acacia sur le côté en découvrant mes crocs : mais sitôt l'adversaire avisée, ma fourrure retombe. « Clair Obscur ? » je lâche sans réfléchir. La guerrière Tonnerreuse descends souplement la barrière et atterrit devant nous avec un bruit mat. Son odeur familière m'entoure : je résiste l'envie qui me tiraille de ronronner et d'aller lui toucher le museau et me raidis, lisse les traits de mon visage. Ce temps là est révolu, peu importe à quel point sa présence ici en territoire si étranger, si peu avenant me conforte. « Rage de l'Amour ! Nuage de l'Acacia ! C'est que vous trottez à bonne allure, je vous piste depuis tout à l'heure !  Vous passez une bonne journée ? Bonne mission ? » Je n'ai pas le temps de répondre que déjà la féline enchaîne d'un ton énergique, presque bondissante sur place,   « J'ai pour ordre de ramener Nuage de l'Acacia à notre camp, » puis s'adressant joyeusement à ma jeune compagnonne, « tu es redirigée sur une mission qui nécessite tes talents de grimpeuse. On va bien s'amuser, t'en fais pas. » Lorsque Clair Obscur reporte ses yeux vairons sur moi, je fais semblant de ne pas en percevoir l'insistance. Elle attends de moi un mot, un cillement, le signe le plus ténu que nous n'avons pas passé ces Assemblées ensemble à lorgner les garçons en pouffant et à explorer des terres interdites pour rien. Qu'un lien intangible, vibrant et éternel nous attache encore — amitié.

Mais j'en ai oublié même la définition. Je n'en ai plus le goût, j'en ai perdu la saveur. Alors je n'en fais rien. De marbre, j'incline à peine la tête et dirige plutôt mon attention détachée sur Nuage de l'Acacia — je la salue, la remercie de son aide d'une voix fraîche, de convenances drapée. Pourtant un germe de sincérité se loge derrière mes mots. Serait-ce une pointe de déception qui me titille ? Certainement pas. J'ai déjà assez de mal avec les apprentis de mon Clan, alors me coltiner ceux des autres...

Je tourne le dos aux deux chattes avant que le naturel bavard et empressé de Clair Obscur ne lui fasse franchir la frontière que je m'échine à tracer. Laissant leurs voix claires s'emmêler derrière moi, je m'enfonce plus loin dans le camp Bipèdes. Lentement, le silence retombe. Je n'entends que le bruit de mes pas sur le sol et le vent occasionnel contre les palissades de bois qui s'entrechoquent. Je me fais à l'idée qu'il vaudrait mieux me mettre en recherche de Chant du Lion — au moins le mettre au courant que notre petite troupe s'est réduite à deux — quand un raclement sourd me fais lever la tête. Décidément c'est la journée des chats perchés. Mais au lieu des yeux pétillants de Clair Obscur, deux éclats de glace me fixent du haut d'une construction de bois étrange. Je me force à demeurer immobile malgré mon envie d'hérisser le poil, et m'assois roidement, clignant lentement des yeux face au félin décharné qui me louche dessus. « Bonjour. Je ne te souhaite aucun mal ni n'ai d'intentions belliqueuses. Je viens de la forêt — j'ai des questions à poser à ceux qui vivent ici. »

Spoiler:

« Des chats de la forêt ?! Ah non ! Allez-vous en ! J'ai déjà croisé des matous dans votre genre l'autre jour, ils étaient méchants et bêtes comme tout ! Comment être sûr que vos intentions ne sont pas mauvaises ? » En vérité, si Petite Némésie s'avisait de jamais laisser sa fourrure se laisser aller à la manière de l'énergumène qui me fait face, je l'enverrai prendre l'air jusqu'à ce qu'elle me revienne convenable. Mes muscles sont rigides alors que j'observe sans ciller le matou dodeliner de la tête, un éclat méfiant dans le regard. Ses jérémiades ne laissent présager aucune attaque sournoise de sa part, mais je n'arrive à me détendre pour autant, comme, au fil de ses lamentations, il devient douloureusement clair qu'un gouffre nous sépare. C'est presque avec soulagement que la silhouette massive de Chant du Lion remplit soudain ma vision périphérique.

« Si vous voulez me prouvez votre sincérité, vous allez devoir me rendre un service. Il y a un volatile qui se trouve dans le nid des Deux-Pattes. Prenez-en chacun une cuisse pour me la rapporter et je répondrai à toutes vos questions si vous en avez. » Sans le masque de marbre qui m'empreint les traits, j'aurais tordu les lèvres. La première fois de ma vie que j'entends un félin dans la vigueur de l'âge réclamer qu'on lui apporte de la nourriture ; aussi, lorsque la voix rugueuse de Chant du Lion crache des paroles aussi élégantes que la figure du matou qui nous fait face, je ne fais aucun mouvement pour arrondir les angles et lui emboîte le pas, la queue ondulante. Quelque part, et c'est ironique, je me rends compte partager plus de traits avec cette masse de muscles d'un Clan étranger que le tas de poil qui nous envoie faire ses emplettes.

« T'as vu ce bipède ? Si ça se trouve, il donne à bouffer à l'autre, et il nous demande de lui ramener de la viande qu'il n'a même pas chassé. » Longeant la clôture, mon épaule frotte alors contre une planche branlante. Je me glisse sans peine dans l'interstice, m'attache à soulever la planche pour que Chant du Lion, moitié moins frêle que moi, puisse s'y glisser à son tour. « Les mœurs de ces chats-là semblent questionnables, » je dis d'un ton léger, le regard braqué sur l'immense nid de bipède qui occupe la petite pelouse. « Des matous dans notre genre... à moins qu'il ne veuille parler des guerriers du Tonnerre, nous pourrions tenir une piste. »

L'idée de rentrer dans un nid de Bipède est assez pour me faire frissonner de dégoût, mais le visage de Petite Némésie se profile un instant devant moi, et c'est assez pour me faire ravaler ma bile. Un reniflement m'informe qu'aucune effluve de chien ne colle au nid ; avec le Bipède de parti, c'est au moins ça. Avisant une fenêtre entrouverte, je saute sur son rebord d'un bond leste et glisse un coup d'oeil à l'intérieur. « Ce qui m'interroge est plutôt son choix de mot... un volatile — vivant, ou déjà chassé par un Bipède ? » Malgré moi, je ne peux m'empêcher d'attendre que Chant du Lion me rejoigne — des matous rugueux dans son genre ne m'inspirent pas grande appréciation, mais cette journée-ci semble placée sous l'augure des nouveautés. Sa force tranquille bouillonnante et l'expérience que lui confère les dizaines de lunes qu'il a sur moi ne sont soudain que rassurantes au milieu de cet environnement qui, de ses odeurs à ses habitants, nous est tout entier hostile.

C'est un assaut sur mes sens — pas un n'est épargné. Le sol brillant et glissant sous mes coussinets, contre lequel raclent mes griffes sorties par réflexe ; les couleurs mates, ternes, aux teintes juste assez différentes de celles qui tapissent le sol de la pinède ou balafrent le ciel qui nous couvre pour me plonger dans un profond malaise. Voyant Chant du Lion disparaître dans une ouverture dans la grande grotte qui s'ouvre derrière la corniche, je reste un temps sur mon perchoir, à m'habituer aux effluves qui s'enchevêtrent et se brouillent. S'il était aisé de ne pister aucune trace d'un de leurs molosses au-dehors, là où les quatre vents soufflent, tout est ici un labyrinthe d'odeurs qui se confondent — dont la moitié me sont inconnues. C'est presque assez pour me donner mal à la tête.

J'hérisse le poil lorsque des coups sourds résonnent au-dessus de ma tête, faisant vibrer le sol. Il aura bien sûr fallu qu'ils laissent un gardien veiller sur leur camp — peut-être pas aussi stupides que ce que leur réputation leur concède. Un moment, je me prend à imaginer ce que Chant du Lion pourrait bien faire s'il s'en trouvait d'autres au détour de leurs niches — le Vent produit certes de gros matous, mais un face à plusieurs... peut-être pourrait-il se laisser tomber sur eux. Tenter de les écraser. Après tout, que sais-je des ancestrales tactiques du Vent.

Réprimant un sourire, je laisse une poignée de secondes s'égrèner, du moins assez pour m'assurer qu'aucune ombre ne se profile dans la caverne. Je me coule en bas et longe le mur pâle et froid de la grotte, le museau relevé, tentant de démêler les odeurs qui m'assaillent. Rapidement, je me rends compte qu'il me demeure tout de même un avantage : tant sont étrangères, aussi les rares à me titiller la mémoire, que d'ordinaire je n'aurais pas pris la peine de remarquer tant elles me sont familières, me sautent au nez comme peinturlurées de rouges. L'odeur entêtante du thym est ténue sous les effluvs grossières, mais bien présente ; celle des jonquilles, de Chant du Lion, bien trop semblable à celle d'un autre... et, au détour d'un long tunnel, soudain surgit une autre, en bouffée qui descends directement dans l'estomac. Un gargouillement me fait prendre conscience que je n'ai rien avalé depuis la veille — mais plus que cela, je frémis. L'odeur provient de la niche tout au fond de ce long tunnel — mais avant de m'y aventurer, je miaule à voix basse.

« Chant du Lion ? Je crois avoir trouvé leur tas de gibier. »

Un nouveau coup sourd, au-dessus de moi, m'hérisse. En mon fort intérieur, je prie les Étoiles pour que le venteux ne se soit pas fourré dans un combat dont l'issue ne nous sera sans aucun doute, ici, que calamiteuse.