C'est mon mien ! [Nuage de l'Acacia]

Lune 1212.

La pouponnière était vide, trop au goût du petit gris. Si le jour où le reste des chatons avaient disparu, il avait rit en hurlant qu'il serait bien plus tranquille ainsi, hé bien aujourd'hui il s'en mordait les pattes. Tout semblait plus morne et triste, il n'y avait plus personne à railler ou à moquer, personne ne lui rentrait dans le lard et sa mère s'était tout à coup découverte une passion pour la surprotection de son petiot bientôt apprenti. Et dans un sens, tout devenait plus embêtant pour lui, s'approcher trop près de la sortie du camp devenait problématique : au point où l'on voyait sa mère crier son nom à l'autre bout.

Mais qu'importe, il ne laisserait pas le luxe à quiconque de comprendre qu'il s'ennuyait, encore moins que ses camarades lui manquaient. Alors, il prit les devants : prouver à tous que ça ne lui faisait ni chaud, ni froid. Qu'il était un grand désormais, et toujours aussi difficile à gérer. C'est donc d'un pas décidé qu'il s'était avancé vers la tanière des apprentis, alors que sa génitrice s'était assoupie - sûrement d'épuisement à force de le surveiller ainsi. Il s'engouffra dans l'antre, tout aussi bruyant qu'un blaireau, persuadé d'y trouver des nids vides. Mais aussitôt le stress lui monta à la truffe, à mesure qu'une forme crème se mit à bouger et à croiser son regard. Il était mal, mais pas question de se démonter aussi vite. « Bah quoi ?! » miaula-t-il en conséquence, la tête bien haute. « J'fais ce que je veux moi, d'abord ! » puis il s'amusa à replier un nid vide sous ses pattes, jugeant que sa taille était trop grande à son goût, et qu'il en ferait sien ainsi.

L'apprentie s'était assise, le toisant de loin comme intriguée par ce qu'il allait entreprendre. Elle fut cependant surprise de constater qu'il ne débordait pas de bonne humeur, il ne voulait pas l'assumer mais les coups qu'avaient dû encaisser le clan lui revenaient lui aussi dans la face. C'est donc tout naturellement qu'il avait entrepris de passer le temps, et quoi de mieux que de déranger la tanière pour la mettre plus à son goût. Il pensait attirer la fureur de Nuage de l'Acacia, mais elle se contenta de le saluer et de le guider autre part. Un nid libre, qu'elle tapotait afin de lui montrer la voie.

Ni une, ni deux, Petit Gris se stoppa dans son (dé)rangement et fixa tour à tour le nid sur lequel il était penché, et le nouveau qui s'offrait à lui. Il hésita quelques secondes puis se décida avec assurance, au point où il en leva la tête de dédain. « Hmpf ! Je le savais. » dit-il avant de se diriger vers l'autre coin de repos, le tapotant lui aussi de ses petites pattes. « Je le prends ! Pas parce que tu me l'as dit, mais parce qu'il est meilleur ! » le fait d'assumer un choix guidé par une tierce personne lui nouait la gorge, alors il préféra se vanter de fausses décisions : espérant lui faire comprendre qu'il était loin d'être bête et plutôt intelligent et indépendant au final. En bref, un futur apprenti accompli.

Ainsi, il s'installa délicatement dans son nid de mousse, non sans ramener sa queue devant ses pattes pour plus de confort. Voyant que la nuage aux yeux bleus n'avait pas bougé d'un poil, il se permit une remarque : « Bah. Tu t'entraînes pas toi ? » quelque part il espérait qu'elle lui dise non, puisque cela était appréciable d'être ainsi observé.

La novice s'était recouchée comme si de rien n'était. La présence du petiot n'était sûrement pas pour la déranger, au contraire. Mais cela n'avait pas empêché Petit Gris de l'interroger sur ce temps de repos qui lui semblait peut-être trop long. En effet, cela était tout à fait inhabituel : une apprentie qui roupillait dans la tanière lorsque le soleil restait haut dans le ciel. Il n'avait pas forcément conscience des enjeux qui se tramaient au camp, encore moins de toute la pression qui restaient sur les épaules des plus grands. Pour lui, ses camarades de pouponnière avaient disparus et il s'ennuyait, cela s'arrêtait là. Quelque part, quand il voyait l'inquiétude dans le regard de tous ces parents, cela lui serrait le cœur sans qu'il n'en sache vraiment la raison. Mais au plus profond de lui et sans s'en douter, il craignait un non-retour de ceux avec qui il avait grandi.

Alors la réponse de Nuage de l'Acacia eut l'effet de lui rappeler cette petite blessure à la poitrine, blessure qui venait sûrement de l'intérieur. Il fut étrangement calme tout à coup, comme s'il prenait conscience de la gravité de la situation et qu'il mettait de côté cet aspect sûr de lui, tel le véritable chaton qu'il devrait être. « Pardon... » dit-il un poil désolé, les oreille couchées, mais jamais n'admettrait-il qu'ils lui manquaient. Cependant, il se surprit tout de même à parler en terme de réconfort, sûrement souhait-il croire à ses propres paroles, puisqu'il miaula doucement : « Mais même si Petit Zéphyr est un peu bête, elle est forte, plus forte et plus grande que moi. Petite Brise aussi, elle a du caractère, elle est pas bête. Donc Petit Alizé a pas trop à s'en faire... » entouré de ses sœurs, ils trouveraient sûrement là le courage d'affronter ceux qui les avaient emmenés loin du camp.

L'apprentie était gentille au point où ses yeux ne transpiraient pas la pitié mais plutôt de l'empathie. Elle comprenait les émotions du petiot qui lui-même ne les saisissait pas. Tout ce qu'il ressentait était un vide, représenté par cette pouponnière où seules les mères y étaient présentes, pleurant et s'inquiétant du sort de leurs enfants. La mère à Petit Gris avait souhaité faire bonne figure, se prétendant le couver mais elle n'était pas ce genre de mère et cela était déroutant. Tout son petit monde avait changé et il n'y avait rien qu'il puisse faire. Peut-être simplement se rendre plus irrité, comme il le faisait dès à présent, mais la jolie novice crème semblait détendre ses tourments.

Petit Gris cligna alors des yeux quand elle expliqua les méthodes des Hordiens, sans qu'il n'en comprenne toute la dimension. Il associait cela à de la méchanceté pure et dure, n'y voyant pas l'intérêt d'embarquer toute une tripotée de chatons qui auraient mieux fait de rester ici. « Tu sais quand ils vont revenir ? » demanda-t-il, éclipsant peut-être le sujet de la guerre pour se concentrer sur les retrouvailles de ses camarades. Il avait une certaine hâte de retrouver Petit Zéphyr, peut-être Petite Brise... Mais pas vraiment Petit Feu. Bien que sa ténacité manquait à la pouponnière.