Un peu de couleurs dans un monde gris [Petit Gris]

Du haut de ses trois lunes, Petit Gris restait encore et toujours lové auprès de sa mère, parce que sa chaleur était rassurante et qu'elle sentait bon. Généralement, il s'accordait pour se tenir dans le creux de son ventre malgré sa taille grandissante et la place qu'il prenait de trop dans la pouponnière. Mais à peine les premiers rayons percèrent la tanière, que la jeune génitrice se leva délicatement, de sorte à ne pas éveiller son fils, sans succès. L'enfant ouvrit les yeux presque immédiatement, son sommeil d'or lui ayant été arraché, laissant sa mère soupirer un bon coup de désespoir. Puis, sans un mot : elle s'en alla, vaquer à ses occupations. Elle lui disait souvent qu'elle partait travailler, et elle devait sûrement avoir raison puisqu'à chaque retour : elle sentait la forêt.

Alors, dormir n'étant plus désormais possible, il s'installa à l'entrée de la pouponnière, attendant tel un brave toutou. Il n'y avait pas grand chose à faire après tout. Pas un seul de ses camarades n'avait ouvert les yeux, donc pas une âme à embêter. Et ce fut peut-être pour le mieux, sentir le vent frais s'engouffrer dans ses poils lui fit un bien fou. Mais soudainement le vent semblait lourd, bien trop lourd. En fait, il se sentait tomber vers l'avant, piquant du nez comme un oiseau. Puis une voix lui brisa les tympans alors même qu'il étouffait sous ce poids monstre et qu'on le secouait en tout sens par la suite : « Petit Gris ! Petit Griiis ! Tu viens jouer avec moi ? ». C'était Petit Zéphyr. Généralement, s'en prendre à elle n'était pas signe d'attention des adultes : elle avait trop de répondant, ce qui était agaçant. Puisqu'elle était agaçante. « Hmpf- nan. Moi je joue pas avec les filles qui m'écrasent, parce qu'elle sont TROP LOURDES. » râla-t-il au naturel, toujours aussi mauvais. Elle n'était pas assez amusante (une façon de voir) pour lui, alors jouer avec elle : non merci. Et s'il lui disait non, c'est qu'elle l'avait bien cherché, pas vrai ?

Elle insista encore et toujours, le secouant comme une vulgaire poupée de chiffon d'une force, qui lui donnait un effet de balancement dont il n'avait aucun contrôle. La rouquine semblait si décidée à jouer avec lui, alors même qu'il n'avait pas la même définition du jeu qu'elle. « Arrête ! Tu m'embêtes ! » s'étonna-t-il à râler. D'habitude, c'était la phrase des autres, pas la sienne. Alors il se figea et observa l'énergumène sauter en tout sens, tandis qu'elle énumérait l'infinité de jeux qui les attendait et dont il avait le choix. « Ce que je veux ?! » s'écria-t-il tout enthousiasmé, ayant un amour profond pour ce rôle de maître du jeu. A y bien réfléchir, ça calmerait Petit Zéphyr et il pourrait avoir l'ascendant d'une manière ou d'une autre, une manière de se venger doucement de ses affronts quotidiens. « Bah ok ! Moi j'serai Etoile Grise ! Le plus meilleur fort des chefs ! » puis il entendit sa camarade contester ses paroles antérieures. A ses yeux, elle était lourde et pour cause : portrait craché de son père, puissante et grande. Quelque part il était jaloux, il semblait tout chétif à côté. Mais cela ne l'empêcha pas de répliquer presque aussitôt : « T'es tellement lourde, que tu pourrais t'appeler Etoile du Zéphyr trop Lourde ! », en venant ainsi à tirer la langue, moqueur.

Il n'en fallut pas plus pour que la rouquine en soit toujours plus motivée, malgré la réponse cinglante de son camarade et le fait de s'être vanté de jouer le plus fort des chefs. Petit Gris en fut dépité un cours instant, devant ce peu de réaction. Il se demanda même si la chatonne n'était pas un peu bête. Mais de toute manière, il s'était engagé ainsi il tiendrait parole. Comme il était plus vieux, peut-être parviendrait-il à la battre et à lui faire fermer son clapet. Alors lorsqu'elle s'annonça cheffe du Clan Embrasé, il fut dérouté. Il pensait se dire meneur du Clan du Tonnerre, il n'avait jamais pensé à inventer, puisqu'il n'avait pas l'habitude de vraiment jouer. Il hésita donc quelques secondes, pensant rappeler qu'il était le plus fort et que sa tribu serait celle des Meilleurs mais il abandonna l'idée. « Euh bah moi... Le clan des Ronces ! » dit-il, en pensant à son papa de la même manière que sa camarade.

Puis sans avoir le temps de se remettre dans la peau de son personnage, Petit Zéphyr ou plutôt Etoile du Zéphyr l'accusa de fouler son territoire, le petit gris chercha alors ses mots puis s'éclaircit la voix l'instant d'après : « C'est toi prends garde !  Ton territoire est le mien ! » puis sans attendre il sauta sur la petiote rousse, les faisant rouler au sol et dans la poussière. Le jeu des chefs n'étant après tout qu'une manière de symboliser les guerres perpétuelles entre claniques.

Petit Zéphyr était toujours excitée, cela pouvait être agaçant de la voir sautiller ainsi sur place. Pour autant, l'être grisâtre se prenait au jeu, pour une fois. Cela était amusant de se laisser aller, même si son but ultime ne s'éloignait guère du personnage qu'il s'était créé : la battre coûte que coûte afin de jouir d'une certaine tranquillité. Il avait donc rapidement contre-attaqué sur le fait que son territoire, celui d'Etoile du Zéphyr (trop Lourde) serait le sien. Bien évidemment que sa provocation ne fut pas la bienvenue, la cheffe rousse restait attachée à ses terres. Dans un feulement qui ressemblait plutôt à un petit miaulement de chaton, les deux rivaux se ruèrent l'un sur l'autre et la mêlée en devenait terrible. La meneuse était plus forte et puissante malgré sa jeunesse, écrasant son adversaire terriblement petit qui parvint tout de même à en faire une force. Entre mordillements et coups de patte, il parvint à se faufiler et donc à s'extirper de son étreinte. Il la toisa du regard, elle aussi. « Et même que je prendrai aussi la tête de ton Clan ! Et... Et j'appellerai ça... Le Clan des Ronces Embrasées ! » lança-t-elle, toute fière d'une pareille déclaration de guerre. Etoile Grise retint un cri de stupeur mal dissimulé, totalement outré par cette décision future assez radicale. « Jamais ! » s'écria-t-il, puis ils roulèrent à nouveau ensemble dans un énième cri de guerre.

Puis le retour à la réalité fut déconcertant. Il n'était qu'un Petit Gris, pas une étoile. Il n'était que le fils de parents lambda qui ne s'entendaient pas tellement bien, alors que la rousse restait la fille du mastodonte qui leur servait de chef. De plus, ils venaient de bousculer une guerrière qui leur avait immédiatement pardonné face aux beaux yeux de Petit Zéphyr.

Se remettre dans le bain fut difficile, il se gratta l'oreille nerveusement avant de bondir à nouveau sur ses quatre pattes, le poil faussement gonflé. « Prépare-toi à subir mon attaque spéciale ! » puis il bondit sur la rouquine et ne la fit qu'à peine basculer, n'ayant pas la même force que celle-ci, assurément. Peut-être avait-elle même fait exprès de tomber pour son plaisir ? Peu importait, il croyait dur comme fer en sa force. « C'est moi qui prendrait ton clan ! Et ça restera le Clan des Ronces ! » cria-t-il dans l'ensemble du camp, persuadé d'être seuls au monde.

Deux têtes de mules qui s'affrontaient, afin de savoir qui d'eux pourrait prétendre rallier le clan de l'autre à sa cause. Entre plusieurs vagues de coups, s'exprimait l'envie de chacun d'obtenir l'autre clan, et le renommer à sa sauce. Mais aussi la crainte de perdre le sien par la même occasion. Une crainte qu'Etoile du Zéphyr trop lourde s'empressa de contrer en sommant le gris de sa future possession : la forêt. Un gros, ou plutôt petit, " Mraouh " s'échappa de la gorge de l'aîné des deux tandis qu'ils relourèrent jusqu'aux pattes d'un autre. Leurs jeux n'étant nullement silencieux, ils furent à nouveau pris sur le fait, et Etoile Grise redevint ce pauvre Petit Gris.

Contrairement au premier vétéran bousculé, celui-ci était si peu aimable et les charmes de la rouquine ne fonctionnèrent aucunement sur lui. Il était fermé, peu encourageant sur les jeux, misant plutôt sur le terme violence. Le chaton tira une mauvaise mine, vexé dans cet arrêt soudain. Sa mère ne le stoppait jamais, alors de quel droit ce guerrier pouvait-il se permettre cela ? La réponse fut vite donnée lorsqu'il rappela le nom d'Etoile Embrasée, le père de Petit Zéphyr. Elle semblait penaude mais rapidement irritée au point d'en tirer la langue à celui qui partait vaquer à ses occupations. Le plus vieux des deux en revanche, sa grisâtre fourrure avait pris trois fois plus de volume. Il était quelque part blessé, voire même jaloux de sa camarade. Lui, on ne lui rappelait jamais qui était son père, ou qu'il ne devait lui faire honte en aucun cas. Il n'était que Petit Gris. « Cervelle de souris ! » cracha-t-il alors à l'énergumène déjà parti bien loin. Il était toujours autant frustré, et peut-être de cette manière le vieux Petit Gris - celui délaissé il y'a à peine quelques minutes - revint au galop. Sourire narquois, il releva la tête et gonfla son poitrail de fierté. « Ca n'empêche que le Clan des Ronces a gagné. Maintenant tu m'appelleras Etoile de l'Etoile Grise, parce que je suis double chef ! » ricana-t-il finalement alors même que leur petite bataille n'avait donné lieu à aucun vainqueur. Seulement, il souhaitait s'attribuer le mérite avant elle.

Bien sûr que Petit Gris profitait de la situation pour se nommer grand vainqueur de la (fausse) guerre avortée par un guerrier grognon. Guerrier qui était parti aussi rapidement qu'il était venu gronder la rouquine, qui elle-même ne semblait pas en accord avec l'issue de cette grande bataille. Pourquoi était-ce lui le gagnant hein ? Eh bien... « Parce que je suis le plus vieux. » et à l'instant même où cet argument fut donné, il fut contré par une autre complainte de la cadette. Elle jugeait son nom d'étoile de mauvais. il souffla de la truffe, « T'es jalouse ! » railla-t-il finalement, presque fier de sa double nomination de chef.

Ce qui calma le jeu, ce fut le regard intrigué de Petit Zéphyr en direction du promontoire. Le gris plissa les yeux, s'attendant à recevoir une ultime contestation de son titre (presque) légitime de chef. Mais elle n'en fit rien, juste une question innocente. Il réfléchit quelques secondes... Bien sûr qu'il voulait l'être. Tout le clan ne pourrait nier son existence, il serait vu par tous. Mais quoi faire... Cela était délicat. « Bien sûr ! Tu verras, même qu'un jour on me choisira comme lieutenant. » dit-il en gonflant le poitrail de fierté. « Et euh... Je ferai des trucs de chef. » conclut-il, incertain. Son regard fuyait, et le malaise le prenait peu à peu avant d'essayer de dériver sur autre chose, histoire de camoufler son ignorance. « Et toi ? ...'fin si t'as envie, tu seras cheffe seulement après moi. », un petit sourire sur ses babines. Beaucoup plus détendu avec sa camarade de pouponnière qu'à l'accoutumée.