The abyss between us - ft. Silence des Cigales

The abyss between us.
Silence des Cigales & Récif de Corail
Lune 1210


Le vent agitait les flots du Bassin du Soleil avec violence. Récif de Corail était assis sur la plage, seul, à contempler l’immense étendue grise. Le soleil était invisible derrière les lourds nuages noirs qui avaient envahi le ciel. Le tonnerre grondait, l'orage serait bientôt là. Pour lors, il ne pleuvait pas mais l’atmosphère était électrique. Les bourrasques fouettaient le visage du mâle bicolore, lui apportaient les effluves chargées d’embruns. La lune tirait sur sa fin mais le temps semblait toujours suspendu pendant un orage ; ici, sur cette plage, ce n’était plus tout à fait l’hiver mais comment oser dire qu’il s’agissait du printemps ? Non, ce n’était ni l’un ni l’autre, juste la furie des éléments déchaînés, suspendant tout le reste. Les oiseaux ne chantaient plus, les proies se terraient et seules les Étoiles savaient ce qui arrivait aux poissons, ballotés en tout sens dans l'océan furieux.

La marée était basse. Les vagues s’écrasaient en rouleau sur le sable fin. Un éclair déchira le ciel, au large. Récif de Corail se leva et laissa ses pattes le porter jusqu’à la Grotte aux Murmures, ses yeux ambrés fixant l’horizon. Il voulait entendre les murmures devenir des cris sous la férocité du vent. Alors qu’il avait presque atteint l’entrée de la grotte, il remarqua qu’il n’était apparemment pas le seul à avoir eu l’idée de venir par ici. S’approchant, il se figea lorsqu’il découvrit qui se tenait là. Silence des Cigales.

Comment expliquer l’inexplicable ? Il était incapable de lui parler, il ne comprenait jamais ce qui lui arrivait lorsqu’il se trouvait en sa présence. Lui, le charmeur invétéré, toujours à trouver les bons mots, les meilleures blagues, le juste ton … En sa présence, tout son charisme semblait fondre comme neige au soleil. Enfin, ce n’était pas exactement ça le problème. Il arrivait à lui parler ; il arrivait à sortir tous ses beaux mots mais le problème, le vrai problème, c’est qu’avec elle, toutes ses approches semblaient tomber à plat. Comme sa réaction était rarement celle attendue, par la suite il perdait ses moyens et se mettait à bafouiller comme un chaton. Et mine de rien, cela avait tendance à l’énerver.

Pourquoi elle ? Pourquoi seulement elle ? Cela faisait plusieurs fois qu’il essayait de lui parler, pour rien, juste comme ça, et qu’il était incapable d’aligner deux mots cohérents. Peut-être était-il simplement un brin paranoïaque. Puisque que la jeune reine ne pouvait pas lui répondre, il était difficile pour lui de jauger à quel point ses propos étaient bien réceptionnés ou non. Il était perdu face à ses grands yeux qui semblaient exprimer tellement avec si peu. Et c’était comme ça depuis qu’ils étaient apprentis. Dans un groupe, il faisait le pitre, charmait à tout va, puis elle apparaissait, aussi silencieuse qu’un spectre et soudain, après avoir été transpercé de part en part par ce regard intense, il se retrouvait à bafouiller, oubliant presque comment se prononçait les mots. Puisqu’il ne trouvait pas de réponses sur le pourquoi du comment, et qu’il ne pouvait pas se permettre de passer pour un idiot, il avait appris depuis longtemps à l’éviter soigneusement. De toute façon, il n’appréciait pas spécialement sa compagnie, et il était assez clair, que depuis le temps, la jeune guerrière se montrait en tout point insensible à son charme. Aucun intérêt, donc.

Aussi, il décida de faire demi-tour discrètement, de revenir sur ses pas et pourquoi pas retourner au camp. Seulement, alors qu’il allait s’en retourner d’où il venait, la reine pivota et le remarqua. Corail se reconnaissait de nombreux défauts, mais l’impolitesse n’en faisait pas partie et il était hors de question de se défiler. Redressant fièrement les épaules, il s’approcha d’une démarche assurée, affichant son éternel sourire en coin.

« C’est le vent qui t'a porté jusqu’ici, trésor ? »

Il avait parlé d’une voix suave, l’air sûr de lui. Et, d’ordinaire, il aurait probablement enchaîné sur une blague en rapport avec l’orage à venir, et la conversation aurait été lancée. Mais là, tout de suite, réalisant - une fois n’est pas coutûme - qu’il n’obtiendrait pas la moindre réponse verbale, il fut déstabilisé, et perdit le fil de ce qu’il voulait dire. Son sourire en coin laissa vite place à un sourire gêné. Il aurait probablement mieux valu qu’il fasse demi-tour …