Rencontrer son idole

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Nuage d'Orage & Cœur de Pluie
Lune 1212


Les chatons de Cœur de Pluie avaient été enlevés. Il se tenait dans l’ombre du promontoire, abattu, écoutant l’eau de la petite source qui s’en échappait couler avec régularité. Ce bruit de fond était rassurant, quelque part, familier et constant. Le chasseur tigré surveillait d’un regard distrait la patrouille du soir qui revenait au camp, passant le flambeau à l’équipe suivante. La patrouille de nuit quitta les lieux. Étoile de Jais avait insisté pour que les patrouilles ne soient pas délaissées malgré les recherches. Elle avait raison, évidemment. Pluie l’admirait beaucoup. Elle aussi avait perdu ses petits, et pourtant, elle réussissait à garder le sang-froid nécessaire pour diriger le clan. Quelle prestance, et quel courage ! De son côté, le lieutenant n’avait plus les idées claires. De temps à autre, il jetait un coup d’œil anxieux à la pouponnière, espérant en voir émerger Petit Astre et Patte Nocturne à la suite de leur mère. Et à chaque fois, à chaque regard, cette immobilité, cette non-vie le déchirait de part en part. À chaque fois, il comprenait un peu plus que son cœur n’était pas brisé ; il n’y avait juste plus rien. On lui avait volé son cœur, et il ne savait pas combien de temps il serait capable de vivre sans.

N’y tenant plus, il quitta le camp. Il n’y avait qu’un seul endroit où il souhaitait aller. Le Champ de Fougères. Il s’y rendit lentement, chaque pas semblant plus difficile que le précédent, mais il finit tout de même par y arriver. L’air était doux, y flottait une brise légère et agréable. Presque trois saisons s’étaient déjà écoulées depuis qu’il avait passé une nuit en compagnie de Lune Givrée, ici-même, à contempler l’infinie beauté de la Toison Argentée. Qui l’eût-cru alors, qu’elle deviendrait la mère de ses petits ? Pas lui, pour sûr. Et il était probable que la guerrière perle n’y aurait pas cru non plus. Pluie s’en amusa, un court instant, avant de sombrer de nouveau dans le désespoir.

Il serait resté là longtemps si un éclat de voix ne lui était pas parvenu, interrompant le flot de ses pensées. Il s’approcha discrètement, et reconnut le pelage blanc de Nuage d’Orage, visiblement en pleine partie de chasse. Pluie voulut d’abord le réprimander ; que faisait-il là, seul, à la nuit tombée ? Avec les récents évènements, c’était vraiment irresponsable de sa part. Seulement, le guerrier se rappela juste à temps que le jeune Orage venait à peine d’être nommé apprenti. Le contexte actuel n’était en rien de sa faute. Et puis, il était visiblement en train de chasser, pas en train de briser le code du guerrier. Apprenti, il avait techniquement le droit de quitter le camp comme bon lui semblait, même s’il était toujours préférable qu’un adulte soit au courant, par sécurité. Aussi, il s'efforça d’adopter un ton qui se voulait encourageant.

« Hm, tu auras plus de chance la prochaine fois. » Se redressant, il s’approcha encore et vint s’asseoir à côté du novice.  « C’est une bonne initiative de chasser pour le clan par toi-même, Nuage d’Orage. Seulement, par les temps qui courent, j’aimerais que tu évites de quitter le camp seul, pour ta sécurité. » Pluie soupira doucement, puis sourit. « Alors, dis-moi, est-ce que ton entraînement avec Mirage des Océans se passe bien ? Et si tu me montrais ce que tu as déjà appris ? »

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Nuage d'Orage & Cœur de Pluie
Lune 1212


À en juger par l’expression atterrée de l’apprenti, Cœur de Pluie eut la confirmation de ce qu’il avait déjà deviné. Nuage d’Orage ne pensait pas à mal en venant chasser seul dans le Champ de Fougères. Le lieutenant lui adressa un sourire qui se voulait rassurant, pour lui montrer qu’il n’était pas fâché ni déçu, mais simplement inquiet pour sa sécurité.

Le novice lui décrivit rapidement son entraînement sous la tutelle de Mirage des Océans. Étoile de Jais avait fait le bon choix en nommant la guerrière mentor du jeune chat ; Pluie trouvait que leurs caractères se complétaient bien. Le lieutenant pensa un instant à cette reine au pelage gris-bleu. Elle était un peu plus jeune que lui, de mémoire, une dizaine de lune environ, peut-être un peu moins. Elle faisait partie de la génération qui avait quitté Cerfblanc et entreprit le grand voyage jusqu'à Valeemar. Assez étrangement cela dit, le tigré ne lui avait jamais trop parlé en dehors de leur devoir de guerrier. Enfin, maintenant qu’il y réfléchissait, il n’y avait pas grand-monde à qui il parlait en dehors de ses devoirs claniques avant de devenir lieutenant. Depuis, il avait peu à peu pris goût à s’enquérir du bien-être de chacun, veillant à ce que chaque félin se sente à sa place. Enfin du moins, il faisait de son mieux. Et justement, peut-être qu’une petite visite à Mirage des Océans s’imposait pour voir si tout se passait bien pour elle en tant que mentor. Était-ce son premier apprenti ? Pluie n’était pas sûr .. En tout cas, à entendre le jeune Orage, les choses semblaient bien se dérouler.

« Euh... Mais... Tu as sûrement mieux à faire que de me superviser... » Cœur de Pluie sortit de sa bulle. Il jura intérieurement. Il ne fallait pas qu’il renoue avec cette maudite habitude de perdre le fil d’une conversation pour se perdre dans ses pensées. « Je... j'ai rien dit. Je me mets au travail ! » À la fois soulagé et surpris, le guerrier ne put réprimer un petit sourire en coin. Cet enthousiasme maladroit, cette volonté de bien faire sans réaliser les risques pris, voilà qui lui rappelait quelqu’un mais pour lors, impossible de mettre la patte dessus.

Amusé, le tigré suivit le petit mâle blanc à travers les fougères. Discret comme une ombre, il observa avec attention les mouvements du jeune chat. Oh, il avait repéré une proie ! Il se mit dans une position que Pluie jugea impeccable. Chacun de ses mouvements semblait contrôlé à la perfection, et le guerrier se demanda presque si Nuage d’Orage était vraiment apprenti depuis moins d’une lune seulement. Il l’observa alors contracter ses muscles alors qu’il se préparait à bondir. Comme à chaque fois qu’il observait une tentative d’un novice se dérouler sans accroc, Cœur de Pluie était fasciné. Orage sauta, attrapa sa proie et l’acheva. L’aîné se redressa, adressant un regard bienveillant au jeune, tandis que celui-ci se retournait, la proie en gueule et l’œil brillant.

« Félicitations, ta position était excellente, je n’ai rien à redire  ! » Le lieutenant fixa un instant son interlocuteur. D'un seul coup, un flash crème et roux dansa devant ses prunelles, avant de s'évaporer presque instantanément. Et il se souvint à qui lui faisait penser le novice. Hiver Ensoleillé, son frère. Lui aussi partageait cet énergie mêlée de maladresse, cette volonté débordante de bien faire, quitte à s'aventurer en pleine nuit hors du camp pour prouver son utilité au clan. Mais il ne serait plus jamais utile au clan, puisqu'il n'était plus là ... Le cœur du matou tigré se serra mais il se reprit, essayant de cacher son trouble du mieux qu'il put. « Bon et sinon, est-ce que tout va bien ? Je veux dire, avec tout ce qui se passe en ce moment, j’imagine que ce n’est pas la période la plus simple pour débuter son apprentissage. Je sais que tu viens de m’expliquer que tout se passait à merveille avec Mirage des Océans, et j’en suis ravi ; mais n'hésite jamais à venir me voir si un jour quelque chose ne va pas. Qu’il s’agisse d’un problème de loyauté, d’intégration ou que sais-je … Tu peux faire passer le mot aux autres apprentis. Je suis aussi là pour ça après tout. »

Cœur de Pluie s’assit. Il n’était pas sûr que cela fasse complètement partie de ses responsabilités, mais qu’importe. Il n’avait pas envie d’être une simple figure autoritaire dans les yeux des novices, il souhaitait réellement que l’on puisse s’adresser à lui en cas de problème.

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Nuage d'Orage & Cœur de Pluie
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Cœur de Pluie observait Nuage d’Orage avec calme, attendant patiemment une réponse. Il détailla sa fourrure blanche, se demandant si cette couleur voyante ne deviendrait pas un handicap pour être discret. Enfin, avec un bon entraînement, la couleur du pelage finissait par ne plus faire de différence. Le novice avait les yeux jaunes, comme lui. Seulement, ceux du lieutenant avaient une teinte plus douce, auréolée d’ambre, alors que ceux du jeune chat luisaient d’un jaune plus vif, presque électrique. Son nom était bien choisi, c’était le moins qu’on puisse dire.

« Non, non tout va bien, ne t'inquiète pas pour moi ! Tu as d'autres soucis avec la mort de ton frère et la disparition des chatons et.... et .. » Le lieutenant se crispa légèrement à l’évocation de ces récentes tragédies. Il avait du mal à s’y faire, à réaliser qu’il s’agissait bien de la réalité et non d’un cauchemar fiévreux. Il secoua légèrement la tête puis planta de nouveau ses prunelles dans celles d’Orage. Il fut surpris du regard contrit du jeune chat, mais compris qu’il s’en voulait sûrement de lui avoir énoncé ses problèmes sans plus de tact. La suite de son discours le lui confirma. « Enfin, je voulais pas être rude, je voulais juste dire que c'était gentil de t'inquiéter pour nous mais que tu avais aussi le droit de te concentrer sur toi et ta famille de temps en temps. »

Pluie ne lui en voulait pas - comment aurait-il pu ? Il sourit au novice, qui débordait de bonne volonté, mais celui-ci s’empressa de poursuivre. Les mots du chat blanc s’ancrèrent un à un dans son esprit, comme arrivant au ralenti. Les pensées du tigré semblaient s’étirer à l’infini. C’était sûrement la fatigue - il manquait cruellement de sommeil - et il en avait des vertiges. Il fut flatté de savoir qu’au moins quelqu’un d’autre que sa compagne le considérait comme un bon lieutenant. Enfin, d’autres partageaient sûrement cette pensée mais comment en être sûr ? Ce n’est pas comme s’il se sentait capable de demander à chaque membre du clan ce qu’il pensait de sa façon de gérer son rôle. L’admiration qu’Orage lui portait le toucha sincèrement, et il ne put réprimer un petit sourire. Il aurait voulu lui dire qu’il était loin d’être aussi valeureux qu’il en avait l’air, et que chacune de ses actions pouvaient être considérées sous tellement de points de vue différents, qu’il n’était pas vraiment sûr de pouvoir définir avec certitude ce qu’était la valeur.

Mais ce n’était pas là l’attitude d’un modèle, ce n’était pas l’état d’esprit à adopter pour aider les chatons et les novices à grandir. Alors il ne dit rien, écouta simplement son cadet, heureux de savoir qu’il était tenu en haute estime.

Le lieutenant écarquilla les yeux de surprise lorsqu’il comprit que son cadet s’en voulait pour la disparition des chatons. Soufflé, il ne savait même pas quoi répondre.

« Désolé Cœur de Pluie. Je parle trop. Mirage des Océans dit toujours que je dois apprendre à me taire davantage. »

Celui qui n’était après tout encore qu’un chaton s’étendit sur le sol, la mine basse. Aussi, Pluie se leva, et vint mettre un petit coup de museau sur l’épaule du jeune chat, lui adressant un sourire espiègle.

« Moi, mon mentor me disait toujours que je ne parlais pas assez. » Il rit tout seul en y repensant, puis se mit à imiter la voix de Neige Éternelle. « Exprime-toi Nuage de Pluie ! N’hésite pas à donner ton avis, confie toi ! Sors de ta coquille Nuage de Pluie ! » Le lieutenant acheva de rire dans un petit soupir. Il avait parcouru bien du chemin depuis, et il avait vaincu cet aspect si taciturne de sa personnalité. Neige Éternelle lui manquait terriblement, mais c’était le dernier de ses soucis en ce moment. Il se demanda toutefois si son frère conversait parfois avec elle, là-haut. « Elle avait raison quelque part. J’aurai bien besoin de son soutien en ce moment ... Mais j’ai tout le reste du clan derrière moi pour ça. Et toi aussi, Nuage d’Orage. Tu n’es pas responsable de ce qui s’est passé. En réalité, ce n’est la faute de personne, si ce n’est celle des ravisseurs. Mais si tu tiens vraiment à t’attribuer un tort, sache qu’il s’agit du tort du clan dans son ensemble. C’est là notre plus grande force, nous sommes un tout. Blesser l’un d’entre nous, c’est s’en prendre à tout le clan. Nous retrouverons ces solitaires, je te le promets. Mais toi, tu dois te concentrer sur ton entraînement, c’est comme ça que tu serviras le clan au mieux. Et je suis sûr que tu feras un redoutable guerrier un jour, un atout de choix pour l’Ombre. »

Pour sûr, il n’était plus aussi taciturne, et il s’étonnait lui-même. Il s’étonnait surtout d’arriver à utiliser l’enlèvement de ses filles pour un discours motivationnel. En même temps, il n’avait dit que la vérité et Nuage d’Orage était trop jeune pour porter le poids d’une telle culpabilité. Il s’étendit à côté de lui cette fois-ci, pressant son flanc droit contre le sien, pour le rassurer, appuyer ses propos, et aussi parce qu’il en ressentait le besoin. La détresse dans la voix du novice l’avait touché. Il leva la tête vers la Toison Argentée. Il se demandait quel était le point de vue du chat blanc sur leurs ancêtres, mais il n’osa pas poser la question tout de suite. Il voulait profiter encore un peu de cet instant.

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Nuage d'Orage & Cœur de Pluie
Lune 1212


Allongé au milieu des fougères, contre le flanc du jeune Nuage d’Orage, Cœur de Pluie contemplait les étoiles. Il n’arrivait pas à détacher son regard de la Toison Argentée. Et alors que les souvenirs partagés avec son cher frère dansaient devant ses yeux, il sentit son cœur s’emballer. Il ne se sentait pas bien du tout, comme pris de vertiges soudains. Il sortit ses griffes pour les planter rageusement dans la terre, tentant de contrôler sa respiration. Il se concentra sur le fait d’inspirer puis d’expirer, doucement, une chose à la fois. Il ferma les yeux pour se focaliser sur la douceur du vent dans ses moustaches, sur les sons environnants de la nuit. La présence d’un membre de l’Ombre était rassurante. Petit à petit, le lieutenant finit par se calmer. Il refoula les larmes qui perlaient à ses paupières ; il aurait tout le temps de pleurer lorsqu’il aurait retrouvé ses filles. Pour l’instant, seule la force devait prévaloir. Le jeune Orage prit la parole.

« Je… Tu as raison, Coeur de Pluie. Je vais me donner deux fois plus à l’entraînement. Je veux être un guerrier sur lequel le clan peut compter. Sur lequel tu peux compter. Tu auras besoin de combattants féroces et loyaux et je veux être l’un d’entre eux. On va retrouver les chatons, Coeur de Pluie. On les retrouvera sains et saufs et on fera payer à leurs ravisseurs. Ils ont pas pu partir bien loin de toute façon, avec les chatons à transporter. Foi de Nuage d’Orage, ils ont qu’à bien se tenir! Je vais aiguiser mes griffes et on les entendra couiner jusqu’à l’autre bout des territoires! »

Le guerrier observa l’apprenti. Sa détermination était impressionnante pour son jeune âge. Ses mots lui mirent du baume au cœur, lui donnèrent de la force ; la force de croire que, oui, il y avait bel et bien un espoir de retrouver les chatons. Ses filles, Petit Éclair, les petits d’Étoile de Jais, Petite Némésie … Le clan de l’Ombre les récupérerait tous, sains et saufs, même si Pluie devait y laisser sa vie. Il planta ses prunelles jaunes dans celle du novice, et lui rendit un regard aussi déterminé que le sien. Nuage d’Orage était un apprenti prometteur, c’était le moins que l’on puisse dire. En quelques mots à peine, il avait balayé ses doutes. Bien sûr, il restait un sentiment de peur, enfoui tout au fond de son cœur, mais le courage de son cadet lui dictait de faire taire cette angoisse parasite qui paralysait ses pattes. Non, ses angoisses n’avaient jamais été un moteur et ne le seraient jamais.

« On m’appellera Griffe d’Orage car elles frapperont plus vite que le Tonnerre. Euh… que l’éclair? Que la foudre? Euh… je sais plus… »

Cœur de Pluie ne put s’empêcher de rire gentiment face à l’enthousiasme débordant de son cadet. Tous les novices tremblaient d’impatience à l’idée de connaître leur nom de guerrier. C’était assez drôle, quoique rien de plus normal. Lui-même et son frère passaient leur temps à imaginer ce que seraient les leurs. Pluie des Cieux, Pluie d’Or, Esprit de la Pluie … Et pourtant, après toute ces lunes à être nommé Cœur de Pluie, il était si attaché à ce nom que tout ce qu’il avait pu imaginer dans sa jeunesse lui paraissait particulièrement idiot ou fade. Le tigré donna un petit coup d’épaule complice au novice.

« Griffe d’Orage, hein ? On dirait un nom de guerrier étoilé, un héros de jadis … Terrible au corps-à-corps et loyal envers et contre-tout. Un nom taillé pour un lieutenant, qu’en penses-tu ?  »

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Nuage d’Orage bomba le torse avec fierté à la suite des propos de Cœur de Pluie, dont les yeux brillaient d’amusement face au comportement du novice.

« J’hésite aussi avec Tempête d’Orage, Éclat d’Orage ou … Peut-être Pluie d’Orage ? »

Le lieutenant sourit, le cœur léger. Il n’avait aucune idée d’où pouvait bien sortir cette admiration sans borne que semblait lui porter son cadet, mais une chose était sûre, cela le touchait au plus haut point. C’était là une belle panoplie de choix de noms, et il se demandait lequel Étoile de Jais finirait par choisir.

« Peu importe mon nom. Ce sera un honneur de compter parmi tes guerriers. Ou d’être ton lieutenant. »

Le guerrier fut surpris de la tournure de ces paroles. Orage lui parlait comme si Pluie était le chef de l’Ombre, ou comme s’il était sur le point de le devenir. Cela dit, peut-être qu’il était logique du point de vue d’un novice de considérer que la suite évidente au rôle de lieutenant, était le poste de chef. Oui, mais dans ce cas, peut-être aurait-il mieux valu pour le clan que Dent de Sabre ne prenne pas sa retraite. Le vétéran aurait été bien plus à même de remplacer leur meneuse actuelle. Et pourtant, Pluie savait bien que si son vieil ami pouvait entendre ses pensées, il lui dirait de ne pas douter de lui, de ne pas remettre en question les décisions de Jais, de ne pas chercher à questionner le chemin que les Étoiles avaient tracé pour lui.

De toute sa vie, même après avoir été nommé second du clan, le guerrier gris n’avait jamais songé à la possibilité de devenir chef. Il redoutait les responsabilités inhérentes à cette position prestigieuse. Mais après tout, il redoutait les responsabilités du poste de lieutenant, non ? Finalement, il ne s’en sortait pas si mal.

Sous les étoiles, toujours blotti contre Nuage d’Orage, le chasseur tigré observa la Toison Argentée avec ferveur et se fit une promesse. S’il devait un jour accéder à ce rang, si les Étoiles en décidaient ainsi, il ne fuirait pas. Hors de question. Il espérait de tout cœur que Jais resterait leur meneuse pour encore de nombreuses lunes, il espérait que celui ou celle qui finirait par hériter de la tête de l’Ombre serait hautement plus compétent que lui ; mais s’il fallait que ce soit lui, alors il relèverait bien haut la tête et accepterait son destin.

« Cœur de Pluie, ça claque aussi comme nom de lieutenant ! Un lieutenant sage et réfléchi. Un peu comme toi, tiens ! Quelle coïncidence ! »

Le matou rit avec malice, rendant son sourire complice au jeune. Il ne savait pas s'il était sage, mais il est vrai que Neige Éternelle l’avait toujours qualifié de réfléchi. En même temps, à l'époque, elle le comparait surtout à son frère qui était tout l’opposé. Et voilà. Il ne pouvait pas s’écouler deux secondes sans qu’il finisse par penser aux morts. Les yeux toujours rivés vers les cieux, il se demanda, une énième fois, s’ils étaient bien là-haut.

« Quand tu regardes les étoiles qui brillent au-dessus de nos têtes, dis-moi … Qu’est-ce que tu vois ? »

Le guerrier n’attendait pas de réponse particulière. Il s’était presque posé la question à lui-même à vrai dire. La vérité, c’est qu’il était bien ici, aux côtés du novice. Il n’avait aucune envie de retourner au camp. Il ne supportait plus l’immobilité de la pouponnière. Il ne supportait plus le silence. Il ne supportait plus la peine insoutenable qu’il lisait dans les yeux de Lune Givrée.

Égoïstement, il voulait prolonger encore un peu ce moment de douceur. Rien qu’un instant. Fuir, encore rien qu’un peu. Et après il y retournerait, puisqu’il le fallait. Mais après. Après.

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Nuage d'Orage & Cœur de Pluie
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Cœur de Pluie sentit son cadet se raidir légèrement, mais il n’aurait pas sû dire si cela avait un quelconque rapport avec sa question.

« De la sérénité. Chaque fois que je lève les yeux vers le ciel, je me sens plus apaisé. Je sais que quelques soient les événements de la journée, je les retrouverai le soir, immuable. C’est … réconfortant. »

Le lieutenant médita un instant sur la réponse du novice. Il y avait effectivement quelque chose de réconfortant dans cette constance, mais Pluie ne se rappelait que trop bien des lunes qui avaient suivi la mort de Neige Éternelle. En fait, cette fameuse immuabilité n’avait fait que renforcer sa peine. Au cœur de sa déprime, l’immobilité des astres avait à maintes reprises failli lui coûter sa foi.

« Et toi Cœur de Pluie? Qu’est-ce que tu vois dans le ciel, la nuit ? »

Le guerrier resta muet un instant, les yeux toujours fixés sur les étoiles. Il savait ce qu’il voulait y voir et il avait peur de ce qui s’y trouvait réellement. Aussi loin qu’il se souvienne, il avait toujours cru en l’existence du Clan des Étoiles. Pour lui, il ne s’agissait pas de fables, mais bien de quelque chose de concret. Cela ne l’avait jamais empêché de les haïr parfois, de leur hurler ô combien il aurait préféré que ce soit sa vie qui soit prise plutôt que celle de sa chère mentore.

Mais les lunes passant, il avait fini par comprendre - bien trop tard à son goût - que les guerriers de jadis n'étaient pas ceux qui guidaient la main du destin. Bouton de Lys, sa mère, était tout simplement trop fragile pour survivre au voyage. Neige Éternelle était tombée gravement malade. Hiver Ensoleillé avait été terrassé par plus fort que lui. Qu’y pouvaient leurs ancêtres ? Rien, tout simplement. Tout comme ce n’était pas de leur faute si Patte Nocturne et Petit Astre avaient disparu. Non, c’est de la mienne … Il ne se cacherait pas derrière l’excuse du destin pour diminuer le poids de ses erreurs. Cœur de Pluie avait toujours cru au Clan des Étoiles, et il y croyait encore, mais cela n’avait jamais été une source de réconfort. Il inspira profondément, cherchant ses mots.

« Longtemps, j’y ai désespérément cherché des signes de Neige Éternelle. Toujours en vain, mais cela ne signifie pas qu’elle n’y est pas. Pour moi, les Étoiles sont aussi réelles que l’herbe sous nos pattes, mais nous sommes tout de même seuls maîtres de nos destins. » Le tigré marqua une pause. « Quand je regarde le ciel nocturne, j’y vois une ligne de conduite. Un code moral à suivre. Qu’importe que cela soit réel ou non, cela fait de moi un meilleur chat, et c’est tout ce qui compte. »

Le chasseur soupira, avant de finalement détacher ses yeux de la Toison Argentée. Il se leva et s’étira, avant de poser un regard empli de bienveillance sur le jeune apprenti. Il était grand temps qu'ils retournent au camp.

« Allez viens Nuage d’Orage, rentrons. Il nous reste toute la vie pour pleurer les morts, mais ce sont les vivants qui ont besoin de nous. »

HRP:

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ft Coeur de Pluie

Lune 1212

Un silence méditatif suivit sa question. Nuage d’Orage ne quitta pas son lieutenant des yeux, ce dernier observant toujours le ciel nocturne. Se posait-il lui même cette question qui le travaillait depuis quelques temps? Avait-il lui aussi des doutes sur l’existence du clan des Étoiles? Est-ce que cela faisait de lui un mauvais membre du clan? Après tout, l’ensemble du fonctionnement du clan reposait sur cette croyance: les neufs vies des chefs, les liens spéciaux des guérisseurs, le code du guerrier. Comment expliquer tout cela si ce n’était par l’intervention de leurs ancêtres si sages et si lucides? Le novice voyait le code du guerrier comme du simple bon sens pour la plupart: un code moral afin d’assurer la survie et la prospérité du clan. Pour les rêves et prédictions des guérisseurs, il ne s’y connaissait pas assez pour avoir une idée précise du pourquoi du comment mais il voyait plutôt cela comme une connexion précieuse avec la nature et leur environnement que comme un don de félins morts jadis. Les guérisseurs possédaient juste une meilleure capacité à voir et interpréter les signes que les guerriers. Peut-être même consommaient-ils quelques feuilles ou plantes afin de faciliter leurs rêves? Il nota dans un coin de sa tête qu’il devrait poser la question à Esprit des Marais la prochaine fois qu’il partirait en patrouille.

Coeur de Pluie reprit la parole, mettant fin à ses interrogations intérieures:

- Longtemps, j’y ai désespérément cherché des signes de Neige Éternelle. Toujours en vain, mais cela ne signifie pas qu’elle n’y est pas. Pour moi, les Étoiles sont aussi réelles que l’herbe sous nos pattes, mais nous sommes tout de même seuls maîtres de nos destins. Quand je regarde le ciel nocturne, j’y vois une ligne de conduite. Un code moral à suivre. Qu’importe que cela soit réel ou non, cela fait de moi un meilleur chat, et c’est tout ce qui compte.

Nuage d’Orage leva à son tour ses prunelles électriques sur les astres de la nuit et réfléchit aux paroles de son aîné. Qu’importe que cela soit réel ou non, cela fait de moi un meilleur chat, et c’est tout ce qui compte. Cela lui allait. Le matou tigré avait raison. Se torturer la tête sur des questions auxquelles il n’aurait probablement pas de réponses avant que l’heure soit venu pour lui de rejoindre les Étoiles - ou de s’éteindre à jamais - n’était qu’une perte de temps futile. Peu importait qu’il croit ou non au clan de leurs ancêtres. Cela ne l’empêcherait pas d’être un bon élément, poussé par sa propre volonté et son propre code d’honneur.

Le lieutenant se redressa alors et commença à s’étirer, marquant ainsi la fin de leur moment privilégié:

- Allez viens Nuage d’Orage, rentrons. Il nous reste toute la vie pour pleurer les morts, mais ce sont les vivants qui ont besoin de nous.

Le novice hocha la tête et se releva à son tour. Le trajet jusqu’au camp se fit en silence. Pas le genre de silence pesant et gêné. Un silence complice et songeur. Ce qui devait être dit avait été prononcé. Pour une fois, Nuage d’Orage n’éprouvait pas le besoin de parler à tord et à travers. Il se sentait presque… apaisé. Certes, ses problèmes n’avaient pas été résolus et l’attendaient patiemment. Mais il sentait une énergie nouvelle le parcourir, une motivation supplémentaire le poussant à donner toujours un peu plus le meilleur de lui-même.
Lorsqu’ils arrivèrent à l’entrée du camp, le jeune félin se tourna vers son aîné et inclina légèrement la tête:

- Merci pour ce moment Coeur de Pluie. Vivement notre prochaine rencontre sous les étoiles!

Il remua les moustaches, ses prunelles pétillants une dernière fois de malice puis regagna la tanière des apprentis. Il observa un instant son frère et sa sœur, pelotonnés sur leurs litières, profondément endormis. Voilà en quoi il croyait. En la force de la famille et de son clan. C’était cela qui le rendait plus fort. Se roulant en boule sur sa propre litière, bercé par les respirations régulières de ses adelphes, Nuage d’Orage trouva rapidement le sommeil.

- FIN DU RP -

Codage par Libella sur Graphiorum

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