Lorsque le soleil brillera, il n’en sera que plus éclatant (pv. boule florissante)

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lorsque le soleil brillera,
il n'en sera que plus éclatant

lune 1212 - boule de mousse & boule florissante

Aujourd'hui, tout était froid. Le soleil, le ciel. Le camp. Lui-même. Son pelage, d'ordinaire efficace contre les courants invisibles qui chevauchaient l'air au-dessus de lui, était come truffé de trous. Ses poils tremblaient, agités par un frisson qui avait aussi gagné ses pattes noires. Le soleil, pourtant haut dans le ciel - ce qui indiquait un début d'après-midi - semblait incapable de l'atteindre. Ou bien... Comme quand quelqu'un lui parlait tout en étant dos à lui, il entendait les paroles mais ne voyait pas d'où elles venaient, il était peut-être de dos, lui aussi ? Il chauffait de l'autre côté, et même si Mousse pouvait le voir, il ne sentait pas la chaleur de ses rayons. Décidant qu'il devait s'agir de quelque chose comme ça, le chaton entreprit de s'enfoncer plus encore dans la litière qu'il occupait, gardant malgré tout un œil semi ouvert sur le trou qui perçait le mur de la pouponnière - et lui donnait tout le loisir d'observer à l'extérieur.

C'est comme ça qu'il remarqua la petite silhouette de Boule Florissante, sa fourrure colorée ne manquant pas d'attirer son regard. Ses petites oreilles s'agitèrent et un bâillement peu sonore lui échappa. Son père et sa mère n'étaient pas encore rentrés de leur patrouille et non loin, Empyrée dormait profondément, ce qui le laissait seul et... ayant froid. Il se serait bien lové contre son frère, mais il ne voulait pas le déranger. Peut-être que parler le réchaufferait ? Il n'avait jamais essayé, et puis il aimait bien Florissante. Se levant maladroitement, les pattes engourdies, il fit quelques pas avant de retrouver des sensations au bout de ses coussinets et d'entreprendre une petite foulée jusqu'à l'entrée de la pouponnière, devant laquelle il marqua un arrêt. Pris d'un accès soudain de timidité, il eut du mal à franchir la barrière protectrice faite de branches et d'épines. Aujourd'hui, il se sentait bizarre. Pas comme d'habitude. Plus... effacé. Ce qui lui arrivait souvent depuis que Loup et Mouton n'étaient plus là.

« Ah... Hm... » Il se râcla la gorge, essayant de faire du bruit qui attirerait l'attention de la petite chatonne. « B-Boule Flori-Florissante ? »

Boule Florissante ne mit pas longtemps à le repérer, tout incertain et timide qu'il était. Tandis qu'il se dandinait sur ses petites pattes aux chaussettes noires, la chatonne le rejoignit en quelques pas et lui répondit d'une voix fluette et joyeuse. Entendre son nom prononcé de cette manière lui fit tout bizarre, mais dans le bon sens. Ça n'avait rien à voir avec la voix douce de Pelage de Biche lorsqu'elle lui racontait des histoires, ou de celle de Ciel Ténébreux lorsqu'il lui expliquait ce qu'il avait fait entre le moment où le soleil apparaissait puis disparaissait derrière les montagnes. Non, la voix de Boule Florissante était pleine de sons chantants, et surtout, elle était toujours de bonne humeur. Pas comme lui aujourd'hui qui était... différent.

Voyant qu'elle attendait sa réponse, il baissa un instant le regard sur ses pattes avant de relever la tête et de la regarder, ses yeux brûlants d'une honnêteté simple et enfantine. « Je sais pas... J'ai froid aujourd'hui. Est-ce que ça veut dire qu'il fait beau ? Et puis c'est bizarre, le soleil est là mais il ne chauffe pas. » Quelques secondes passèrent avant qu'il n'ajoute, gêné : « Mais peut-être que c'est juste moi. » Oui, peut-être que c'était juste lui qui se sentait comme ça ? Peut-être que le soleil était trop occupé à poser ses rayons lumineux ailleurs, sur d'autres chats ? C'était peut-être pour ça que de si bon matin Boule Florissante était aussi... rayonnante. Voilà, c'était le mot. « Toi par contre on dirait que le soleil ne te boude pas ! » Il avait remarqué que souvent son amie se levait très tôt pour disparaître de la pouponnière et s'élancer dehors. Lui qui avait encore un peu de mal à quitter le giron de sa mère, il était admiratif. Il ne se sentait pas encore de faire ça. Quand il était avec Petit Loup, ça allait car son frère aîné débordait de confiance. Il aimait bien aussi sortir avec Petit Mouton, qu'il aimait beaucoup écouter. Mais ni l'un ni l'autre était là aujourd'hui.

Il n'y avait que lui et Florissante. Son petit esprit fut soudainement infiniment reconnaissant de la présence de la chatonne, comprenant qu'il n'était pas si seul que ça, finalement. Un petit sourire fleurit timidement sous ses babines, en même temps qu'une nouvelle question, bêtement curieuse et vide de tout jugement. « Qu'est-ce que tu faisais dans le camp ? Je t'ai vu la truffe en l'air tout à l'heure. »

S'il y avait bien une chose en particulier qu'il aimait beaucoup avec Boule Florissante, c'est qu'elle ne le faisait jamais se sentir bête. Là où ses propres questions débordaient de sincérité, les réponses de la chatonne l'étaient tout autant - si ce n'est plus. Sa réponse concernant le soleil ne lui apporta pas toute la lumière, mais elle en fit suffisamment pour que cette sensation d'être seul amoindrisse son poids sur ses frêles épaules. Elle pensait qu'il ne le fuyait pas ! Il percevait également autre chose dans les mots de son amie, cependant son esprit, batifolant comme le ferait un papillon de fleur en fleur, ne parvint pas à s'y arrêter suffisamment longtemps pour qu'il en comprenne le sens.

Boule de Mousse ne fit aucune remarque lorsqu'il vit la chatonne lever son museau  lorsqu'un groupe de grands guerriers les dépassèrent d'un pas pressé. Il l'observa humer l'air avant de faire discrètement de même, mais à part des odeurs qu'il ne connaissait pas, il n'y avait rien d'autre dans le sillage des adultes. Il allait lui demander à nouveau ce qu'elle faisait, craignant qu'elle ne l'ait pas entendu, quand la voix chantante de Boule Florissante se flétrit aussi sûrement que des fleurs piétinées. Les mots qui sortirent de sa gueule étaient comme raccrochés à ses petits crocs, coupant leur prononciation et créant des hésitations. Sa question l'avait visiblement mise mal à l'aise, même s'il ne comprenait pas pourquoi. Il savait déjà que son amie voulait devenir apprentie guérisseuse et que, de ce qu'on lui avait expliqué, savoir reconnaître les plantes par leur odeur, pas que par leur aspect, est très important. « Tu ne devrais pas être gênée, je suis sûre que tu en connais déjà plus que moi ! » Sa petite voix fluette s'éleva quelque peu dans les aigus, preuve qu'il ne pensait pas à mal. En se rapprochant de Boule Florissante, le petit chaton bicolore tenta maladroitement de  la réconforter en portant son museau contre le pelage fourni de son amie. La fraîcheur matinale s'était comme déposée sur sa fourrure, la parsemant d'un parfum doux et vert. « Saule P... » Tout en se creusant les méninges pour se souvenir du nom du guérisseur, Mousse entreprit, dans un élan similaire à un discret éclat d'enthousiasme, de passer sa langue râpeuse sur les quelques poils emmêlés de Boule Florissante. « Saule Peureux sera content de t'avoir en apprentie, j'en suis sûr et certain. Tu vas y arriver petit à petit. » Lui-même n'était pas pressé de devenir apprenti. Au-delà du bonheur de vivre avec ses parents et ses frères - pour ce qu'il en restait... - il n'était pas encore prêt à dire au revoir à cette douce tranquillité, où il vivait chaque jour comme le premier. « J'aime de trop chaque jour qui passe pour avoir hâte d'être moi-aussi apprenti... » Boule de Mousse savait, grâce à son père, qu'il avait trois lunes. Il savait aussi qu'il lui faudrait encore attendre trois autres lunes avant de changer de nom. Comme ses frères. Une fois encore, son moral baissa rien qu'à cette pensée. Petit Mouton et Petit Loup lui manquait, terriblement.

Comme le soleil qui est soudainement caché par un nuage, l'humeur de Boule de Mousse s'assombrit avec rapidité. Un drôle de voile terne vint teinter la belle couleur des yeux de son amie, les rendant plus sombres. Il bougea la tête de droite à gauche, pour remarquer que c'était pareil pour tout le camp. Et puis il n'y avait pas que ses yeux qui lui jouait d'étranges tours. Il y avait sa tête aussi, ou plutôt son esprit. Comme tout à l'heure quand ses pattes étaient toutes engourdies par le froid qui régnait partout autour de lui, désormais, même son esprit lui semblait embrumé comme pendant les fraîches matinées de la saison des neiges. Mais avec son malaise grandissant et prenant de plus en de plus de place, il put petit à petit démêler ce qui le dérangeait plus que tout. Et y mettre une cause : l'absence de ses frères. Pourquoi il n'avait pas compris plus tôt, il l'ignorait. Cela faisait bien une semaine que Petit Loup, Petit Mouton et les autres chaton avaient disparus, mais c'était la première fois qu'il ressentait sa tristesse de cette façon. Et ça lui fit peur, un peu. Parce que... c'était étrange, différent de tout ce qu'il avait déjà expérimenté. C'était... méchant. Un vilain tour de son esprit qui avait pris des chemins détournés pour lui faire comprendre que quelque chose n'allait pas. Et il n'aimait pas ça ; il aimait quand les choses étaient simples.

Mais maintenant que la lumière s'était faite dans sa tête et qu'il pouvait mettre des mots sur ce qu'il ressentait, ce fut comme si un poids, dont il n'avait pas conscience jusque-là, venait de quitter ses épaules. Le froid qui l'entourait n'avait certes pas disparut, mais la présence de Boule Florissante y avait fait quelque chose : elle avait apporté avec elle les rayons du soleil. Il allait spontanément lui dire merci quand, relevant la tête, il vit les yeux de la chatonne bordés de larmes prêtes à tomber. Soudain paniqué, il se demanda ce qu'il avait fait avant d'entendre ses paroles. Pris au dépourvu par la question de son amie, Mousse mit un peu de temps avant de lui répondre. Il ne voulait pas dire quelque chose qui la ferait encore plus pleurer, alors il préférait prendre plus de temps et essayer de... réfléchir, quand bien même ça n'était pas son fort, apparemment. Il ne mit pas longtemps avant de savoir quels mots lui dire : « Je ne vais pas mourir. » Plein d'assurance, ses premiers mots suffirent pour qu'un guerrier qui passait par-là ne leur jette un drôle de coup d'œil, duquel il ne se formalisa pas. « Enfin, je sais qu'on finit tous un jour par courir dans le ciel avec les chats plein d'étoiles, mais ma famille me manquerais. Et toi aussi, Florissante ! » Toute son attention était sur son amie, dont le visage froissé semblait déjà avoir mué vers une expression plus sérieuse. « Je veux bien faire une promesse avec toi, mais, tu sais, euh... » Se dandinant un peu sur place, ce fut à son tour de baisser les yeux. « Je crois que je suis déjà blessé parce que dès que je pense à Loup et Mouton, j'ai mal au cœur, » dit-il d'une voix faible, comme pour lui confier un secret, « juste entre mes deux pattes avant. » Boule de Mousse pointa du menton quelque part sous son poitrail. Il n'était pas sûr que son amie parlait de ça, mais il avait déjà remarqué qu'il lui arrivait de ressentir des piques de douleur à cet endroit lorsqu'il songeait à sa famille. « Mais tu sais quoi, tu m'as déjà un peu soigné ! » Comme à son habitude, son attention fluctua une fois de plus. « J'avais froid partout avant de te parler, et maintenant ça va mieux. Ça a pas complètement disparu mais promis, ça va mieux, tu vois ? Tu feras une guérisseuse incroyable ! »

S'il y avait bien une chose que Boule de Mousse souhaitait, en cet instant, c'était que son amie ne disparaisse jamais et ne change pas. Qu'elle continue de courir dans le camp la truffe en l'air et un doux sourire pour étirer ses jolies moustaches. Jusque-là, il ne s'était jamais vraiment soucié de... ces choses-là. Il n'avait pas réfléchi aux choses qui changent, ni aux choses compliquées. Pourtant, les saisons changeaient bien, non, elles aussi ? Il était né pendant la saison des neiges, puis avait découvert la saison des feuilles nouvelles. On lui avait parlé de la saison des feuilles vertes, celle où la lande se recouvrait entièrement de mauve, et il avait été excité de le voir. Alors pourquoi ne ressentait-il pas la même chose à l'égard de sa famille et de Florissante ? Il ne savait pas ; pas encore. Mais désormais, cette pensée ne l'inquiétait plus comme avant. Elle était là... Sans être là. Et elle allait changer, sans que ça soit pour autant quelque chose de mauvais.

Le chaton avait à peine finit sa phrase que Boule Florissante s'approcha de lui et lui offrit un gros câlin. Son pelage coloré et fourni se colla au sien, blanc et court, et il dut se concentrer pour entendre ses paroles murmurées contre son cou. Ses remerciements lui allèrent droit au cœur, repoussant encore un peu cette douleur qu'il ressentait depuis la disparition de Loup et Mouton. Vraiment, son amie était la meilleure des guérisseuses qu'il connaissait ! Quand elle darda son regard sur lui, Boule de Mousse ne put que la regarder, sentant une douce et agréable chaleur remonter le long de ses pattes pour se répandre petit à petit dans son corps. Oui, cela ne faisait aucun doute pour lui : Florissante était faite pour ce à quoi elle aspirait. Galvanisé par les paroles de son amie, Mousse lui lança le plus éclatant des sourires en lui répondant : « Tu pourras toujours compter sur moi, moi aussi je serai là pour t'aider ! » Puis le chaton jeta un coup d'œil autour d'eux et, simplement content de se sentir mieux, simplement naïf dans sa gaieté et aux côtés de Boule Florissante, lui proposa de jouer ensemble d'une voix de laquelle la timidité s'était envolée.