Wish me well [OS]

Wish me well


► Cœur de Chouette & Tempête des Éléments.
I did not need your help, now it's just me, myself, and I.
I know you wish me well and that's what makes me want to die.


« Tu as... pris tout ce que tu avais à prendre ? Quelques herbes pour survivre le voyage ? »

Le fantôme d'un sourire vient s'esquisser sur les lèvres de Tempête des Éléments. Bien évidemment, Cœur de Chouette ne pouvait pas s'empêcher de le materner, même après tout ce qu'il lui a fait subir, même alors qu'il est prêt à l'abandonner et à ne plus jamais se retourner. Il est submergé à cet instant précis par une vague d'affection pour la féline, un sentiment qu'il a longtemps réprimé et qu'il n'aurait jamais pensé ressentir. Pour son bien à elle, mais aussi peut-être pour le sien, il s'empêche de s'avancer vers la guerrière pour la gratifier d'une étreinte. Ce ne serait pas juste, et la dernière chose qu'il veut, c'est la faire souffrir une dernière fois. Mais il sait que le simple de fait de se trouver là, avec elle, de ne pas l'attaquer et de lui parler comme à une égale, constitue déjà une forme de victoire pour la féline. Il n'a pas besoin d'en faire plus. Il soupire avant de se contenter de hocher la tête.

« Oui, j'ai tout. J'ai de quoi tenir jusqu'à Cerfblanc sans problème. »

Le guerrier, bientôt solitaire, se sent frissonner à ces mots. Il regarde autour de lui, absorbe une dernière fois les paysages qui constituent Valeemar. Il ne s'est jamais senti à sa place dans cette vallée. Trop de vent, de terres ouvertes au monde entier. Et tous ces malheurs qui ont conduit les clans à leur perte au cours de ces dernières lunes : la Marée Noire, la famine, la guerre. Tempête des Éléments sait très bien ce qui est arrivé à leur ancienne forêt, a entendu suffisamment d'histoires pour se faire une idée de ce qui l'attend à l'issue de son périple : une terre dévastée par les Bipèdes, sans une once de vert pour se rappeler que les chats des clans ont vécu au même endroit des années durant. Pourtant, c'est de ce territoire dont il rêve toutes les nuits. Un appel ou le simple fruit de son esprit torturé qui ne cherche qu'à s'échapper, il n'en sait rien. Mais après plusieurs lunes de guerre éreintante, il sait qu'il doit partir, avant d'étouffer. Il cherche Cœur de Chouette du regard, celle qu'il aurait pu - et dû - appeler fièrement sa mère. Elle évite de trop le regarder, bien évidemment, son unique œil occupé à fixer un brin d'herbe devenu soudainement très intéressant. Tempête des Éléments ne peut pas s'empêcher de ressentir une pointe de fierté égoïste à la vue de son œil manquant. Il sait que la guerrière peine encore à retrouver ses repères et que ses capacités sont encore diminuées, mais cet œil symbolise pour lui ses retrouvailles avec celle qui l'a élevé. Une trêve dans cette guerre qui les opposait, même s'il était le seul à se battre. Les tensions entre les clans, après tout, ont permis au jeune guerrier d'apaiser le feu qui brûlait en lui.

Flashback, trois lunes auparavant, 1205, territoires du clan de l'Ombre.

Cœur de Chouette peine à croire la vision qui s'offre à elle : là, sur son territoire, des dizaines et des dizaines de chats de tous les clans se livrent à une bataille sans merci. Elle n'a pas participé à la précédente Assemblée, sait juste les événements qui se sont passé sans avoir cherché à en connaître tous les détails. Elle n'est pas innocente au point de ne pas comprendre que les tensions qui ont éclaté étaient susceptibles de fragiliser la paix entre les clans, mais elle ne pensait pas que les choses en arriveraient là. La féline a toujours abhorré la guerre, ne l'a pas ou peu connue durant son enfance, et a tout fait pour l'éviter en tant que lieutenante puis meneuse du clan de l'Ombre. Un tel bain de sang n'aurait pas eu lieu sous son couvert, mais c'est peut-être ce qui aurait continué à faire d'elle une mauvaise cheffe ; elle aurait préféré laisser la Rivière se nourrir sur son territoire, ou aurait au moins essayé de discuter avec Mélodie des Étoiles, plutôt que d'attaquer son clan. Mais des pourparlers n'auraient certainement pas suffi, et la guerre actuelle était-elle peut-être inévitable.

La jeune guerrière soupire, observe les félins se battre devant elle. Son regard parcourt l'assemblée et elle cherche aussitôt ses proches, terrifiée de les trouver en mauvaise posture. La guerre est, pour elle, l'expression même de la stupidité dont les clans peuvent faire preuve de temps à autres. Comme si aucune discussion ne pouvait régler leurs différends. Elle regarde de loin les clans du Tonnerre et du Vent affluer, chacun prenant un parti, apprentis et guerriers se mêlant à la bataille avec une force nouvelle. Si autant d'énergie était mise dans des mots... mais après tout, il n'y a rien d'étonnant à voir cette horde de félins s'affronter. N'est-ce pas pour cette raison que les chats des clans apprennent dès le plus jeune âge à se battre ? Elle-même a longtemps été conditionnée dans cet unique but. Cependant, quand ses talents ont dû être mis à contribution, c'était pour combattre des guerriers invisibles aux intentions mauvaises, et non pas ses propres camarades. Cœur de Chouette prie silencieusement le clan des Étoiles pour qu'il intervienne, mais en attendant, elle se doit d'aider son clan. Elle espère s'être suffisamment entraînée pour simplement blesser, et non pas tuer.

Elle se jette dans la mêlée. Esquive un coup de griffes d'un côté, en inflige un de l'autre. Cela fait si longtemps qu'elle n'est pas sortie du camp de l'Ombre qu'elle ne reconnaît même pas la plupart des félins qui se battent à ses côtés, avec elle ou contre elle. Tant mieux. Elle peut faire abstraction de sa culpabilité le temps de la bataille et ne sera pas obligée de croiser des têtes familières. Un guerrier de la Rivière semble fixé sur elle, si bien que rapidement elle se retrouve à se battre contre cet unique félin. Il est grand, imposant et nettement plus rapide qu'elle. La guerrière parvient à lui rendre ses premiers coups mais bien vite le matou prend l'ascension sur elle. Cœur de Chouette se retrouve plaquée contre le sol, le souffle court. Il lui lacère le visage et une douleur lancinante vient envelopper son œil droit. Le sang se met à couler sur sa fourrure et, à cet instant, elle est certaine que la mort va venir la trouver. Encore. Sauf que cette fois-ci, elle ne possède pas les neuf vies conférées par le clan des Étoiles. Elle n'en a plus qu'une, petite mortelle insignifiante. Des souvenirs sombres de ces heures passées dans le noir à attendre son retour à la vie viennent la hanter, et elle ne peut qu'espérer que sa mort définitive se fasse plus douce que les précédentes.

A sa plus grande surprise, la mort ne vient pas. Le poids de son agresseur se fait moins insistant et bientôt Cœur de Chouette peut reprendre son souffle. Sa vision, cependant, l'empêche de se relever. Le sang coule de plus en plus et elle ne distingue autour d'elle que des silhouettes intelligibles. La douleur la paralyse, et elle n'a pas besoin de voir un guérisseur pour savoir que la perte de son œil est certainement irréversible. Elle se préoccupera de faire son deuil plus tard, pour le moment, elle doit s'extirper de la bataille avant de réellement perdre la vie. Le guerrier de la Rivière titube devant elle et elle reconnaît sans difficulté le guerrier qui vient de la sauver : c'est son fils, Tempête des Éléments, qui la regarde sans montrer ses émotions. Pourtant, elle est sûre qu'en y prêtant attention, elle perçoit une marque invisible d'inquiétude sur son visage, mais sa vision est trop floue pour qu'elle puisse confirmer quoi que ce soit. Il lui tend une patte, l'aide à se relever et l'entraîne à l'abris du combat, quelques lieues plus loin.

« M-Merci, parvient-elle à murmurer malgré ses difficultés à se concentrer, tu viens de me sauver la vie. »
« Tu as bien sauvé la mienne il y a plusieurs lunes de cela. »

Son ton est dur, et Cœur de Chouette est trop choquée pour pouvoir répondre. Elle a attendu cette phrase toute sa vie et elle est sûre que c'est son esprit endolori qui lui joue des tours. Tempête des Éléments ne vient pas de la remercier, c'est impossible. Elle a dû se cogner la tête plus fort que ce qu'elle pensait. Pourtant, lorsqu'il reprend la parole, sa voix se fait plus douce.

« Je vais chercher un guérisseur, d'accord, Cœur de Chouette ? Ne bouge pas, ça va aller. »

Fin du flashback, retour au présent, lune 1208.

Qu'est-ce qui lui est passé par la tête, à ce moment-là, pour se montrer aussi vulnérable envers celle qu'il pensait détester ? Aujourd'hui encore, il n'est pas sûr de pouvoir répondre à cette question. Il se souvient juste avoir vu l'ancienne meneuse du clan prise au piège, un guerrier l'écrasant sur le sol et lui griffant le visage sans s'arrêter. La violence qui s'est allumée en lui à ce moment-là, il ne peut pas l'expliquer. L'instinct refoulé d'un enfant qui voit sa mère se faire mutiler, peut-être. S'il a toujours détesté la féline - du moins, s'il le pensait -, il n'a jamais voulu lui faire le moindre mal, physiquement en tout cas. Et ses mots durs avaient toujours pour objectif de la repousser de peur qu'elle réussisse à apaiser son cœur meurtri. Tempête des Éléments a toujours été effrayé de la laisser s'occuper de lui, car qui était-il sans cette carapace qu'il s'était forgé au fil des lunes ?

Les jours, les lunes qui ont suivi le rétablissement de la guerrière ont été longs et inquiétants. Plus toute jeune malgré tout, marquée physiquement par de nombreuses épreuves, Cœur de Chouette, bien que très entourée, ne guérissait pas aussi vite que souhaité. A la surprise de tous, et notamment de ses frères et sœurs, Tempête des Éléments a à peine quitté son chevet. C'est lui qui lui apportait à manger lorsqu'Éclair Ambré se retrouvait occupé, et c'est lui qui se portait volontaire pour changer sa litière. La guerrière ne se souvient que très peu de ces jours passés à dormir, à récupérer, et chaque présence de son fils lui apparaissait comme un rêve, si bien qu'elle a longtemps pensé qu'il n'était jamais venu, jusqu'à ce que son frère le lui affirme. Elle n'a pourtant pas profité de la situation pour se rapprocher de son enfant. Meurtrie par des lunes d'indifférence et de mépris, Tempête des Éléments l'effrayait malgré elle.

Jusqu'à qu'il vienne la trouver un matin, elle en rémission complète et lui avec l'esprit apaisé. Il lui a proposé une balade, histoire d'habituer son cerveau à ne voir avec qu'un seul œil. Elle se souvient avoir été si lente, frustrée d'être diminuée, mais il ne l'a pas jugée une seule fois. Et c'est à ce moment que Cœur de Chouette a réalisé ce que son fils avait compris bien longtemps avant : en se jetant dans la bataille, en défendant son clan et en ressortant avec une blessure de guerre, la féline avait retrouvé sa légitimité en tant que guerrière du clan de l'Ombre. Elle, qui avait abandonné son rôle de cheffe et qui restait cloîtrée au camp depuis des lunes, incapable de participer réellement aux activités du clan, venait d'aider le clan à repousser une offensive ennemie. Elle se sentait fière, et son fils partageait la même fierté.

Il lui a annoncé ce jour-là avoir envie d'explorer de nouvelles contrées. Qu'il ne sentait à sa place ni sur ces terres, ni dans le clan, et que son esprit n'aspirait qu'à découvrir de nouveaux horizons. Il avait longtemps pensé qu'une guerre était tout ce qu'il recherchait, qu'elle seule suffirait à apaiser sa colère, mais en se battant, il a réalisé que ce n'était pas du tout ce qu'il voulait. Tempête des Éléments était fatigué, et il ne voulait plus jouer au petit soldat pour les clans, il voulait être libre, et il allait partir.

Voilà la raison qui réunissait les deux félins aujourd'hui, mère et fils, prêts à se quitter à jamais. Cœur de Chouette en a longuement réfléchi, a beaucoup pleuré, aussi. Elle allait perdre son deuxième fils, mais ne l'avait-elle pas perdu il y a longtemps déjà, et n'était-ce pas l'occasion rêvée d'enterrer la hache de guerre ?

Alors lorsqu'elle le regarde, prêt à partir, elle se promet de ne plus verser de larmes. Elle se promet de toujours penser à lui avec bonté, de l'imaginer vivre les plus belles aventures. Elle espère si fort que cette âme brisée trouvera dans son voyage les éléments pour la réparer. Et lui, lorsqu'il la regarde, cette guerrière au cœur si doux qu'elle le lui a offert sans jamais hésiter, il se promet de ne jamais oublier son sourire, et de chanter le soir au clair de lune les berceuses qu'elle lui murmurait lorsqu'il n'était qu'un chaton.

« Eh bien... il est l'heure pour moi de partir, si je veux arriver à la frontière des territoires avant la tombée de la nuit... »

Il ne fait pourtant aucun geste pour indiquer qu'il doit s'en aller. Il est sûr de sa décision, mais il hésite pourtant un instant, ne souhaitant pas briser ce moment. Ce sera son dernier souvenir de Valeemar, et il veut pouvoir s'en remémorer chaque seconde. Le vent qui souffle sur son visage, les vibrations d'une faible souris qui passe non loin, le parfum de Cœur de Chouette qu'il espère ne jamais oublier. En fin de compte, tout n'aura pas été mauvais, ici. Peut-être qu'avec du temps et des efforts, il aurait pu apprendre à être heureux. Mais Tempête des Éléments ne veut plus donner d'espoir à sa famille.

« Au revoir, Cœur de Chouette. »

Et puis, plus doucement, mais de manière suffisamment audible pour que la guerrière entende ses derniers mots, portés par le vent :

« Au revoir, maman. »

Il se retourne, lâche jusqu'au bout, incapable d'observer la réaction de sa mère lorsqu'il prononce ces paroles. Il résiste à l'envie de se ruer vers elle, de lui offrir ce câlin dont elle rêve tant, dont il rêve tant, et se met à courir vers l'horizon, traversant les paysages qui l'ont vu naître pour la dernière fois.

Elle, se tient encore assise, fixant cette silhouette qui s'éloigne de plus en plus, une perle salée s'échappant de son unique œil.

« Au revoir, mon fils. »

La guerrière reste là un moment, à regarder une ombre qui n'est plus. Et pour la première fois depuis longtemps, malgré la douleur d'avoir fait ses adieux à son fils, la Chouette se sent apaisée.