Ready as i'll ever be Ω w/ Desty

Début de journée. Pour certains, cela signifiait lever de soleil enchanteur et réveil en douceur. Cendres de Rosée, elle, vous dirait qu’il fallait organiser les patrouilles, écouter le rapport des sentinelles de la nuit, surveiller la réserve de gibiers, veiller au confort des anciens, sans parler des tâches dont toute guerrière doit s’acquitter et qui s’ajoutaient à sa charge. La lieutenante poussa un léger soupir en se levant ce matin-là, avant l’aube, seule manifestation de sa fatigue grandissante. Elle ne se plaignait jamais. Le clan comptait sur elle.

Assise au pied de l’arbre-camp, distribuant les ordres, elle était l’image même de la maîtrise, l’image même de sa mère, son modèle. On aurait pu les croire taillées dans le même roc, si ce n’était la couleur de leurs yeux : malgré tous ses efforts pour ressembler à Étoile de Nuit, sa fille restait irrémédiablement du côté du jour, ses iris bleus pâles comme un ciel d’été. Un ciel serein, qui pouvait si vite tourner à l’orage… Mais aujourd’hui, son visage était impassible, concentré, elle n’avait pas le droit à l’erreur.

Peut-être que si elle tenait autant à être dans l’action, c’était parce qu’elle voulait s’empêcher de penser ; à son apprentie, par exemple, qui grandissait de jour en jour et dont elle repoussait sans cesse l’apprentissage du combat, qui était pourtant sa spécialité. Elle avait tenu à lui enseigner la chasse d’abord, puis la nage et l’escalade, tout jusqu’à l’art de la traque et du pistage, occupant chaque journée par des tâches utiles au clan, la mettant au service de tous, du plus jeune chaton au plus fragile des anciens. Aux guerriers qui la questionnaient, elle répondait que Ballade des Nuages apprendrait ainsi l’humilité, l’altruisme, l’abnégation. À elle-même, elle osait avouer qu’elle tentait vainement de gagner du temps.

Mais qu’attendait-elle au juste ? Elle n’avait pas attendu, pour Fleur de Lys, à l’époque où celle-ci n’était qu’un nuage blanc à peine sorti de l’enfance qui portait si bien son nom, fragile et diaphane comme un pétale qu’on craignait de voir emporter par le vent. Elle n’avait pas attendu, pour lui faire mordre la poussière dès son premier jour d’entraînement et tous ceux qui suivirent, sans relâche, forgeant son corps comme on aiguise une lame. Et si son ancienne apprentie était devenue l’une des meilleures combattantes du clan, ce n’était pas sans remord pour Cendres de Rosée qui se demandait parfois si elle n’avait pas eu tort de sculpter son élève à son image. Elle s’était rassurée en pensant qu’elle l’avait fait pour Étoile Destinée.

Mais Ballade des Nuages n’était pas Fleur de Lys. Elle était ambitieuse, elle était fière, impulsive, déterminée tel un arc tendu vers son but. Et son but, sa mentor le savait très bien, était d’apprendre à se battre. Peut-être était-ce justement cette soif-là qui l’inquiétait tant, parce qu’elle reconnaissait dans les yeux de son apprentie la même volonté qui avait enflammé son propre cœur, jadis. Alors elle s’était persuadée que Ballade des Nuages n’était pas prête. Mais après quatre lunes de fuite, pouvait-elle continuer à ignorer ses véritables intentions ? Avait-elle seulement le droit de lui refuser cette part cruciale de son apprentissage ?

Ces questionnements continuaient à la troubler alors même qu’elle réunissait ses guerriers autour d’elle pour planifier les patrouilles de la journée. Ballade des Nuages apparut justement dans son champ de vision, s’approchant immédiatement d’elle, le pelage lustré sans un poil de travers. Elle l’interrompit par sa question alors que la lieutenante donnait ses dernières instructions. Celle-ci ne lui accorda qu’un regard, quelques secondes glaçantes, avant de tourner la tête pour reprendre le fil de sa conversation, imperturbable. Ce ne fut que lorsqu’elle eut fini de donner ses ordres qu’elle daigna accorder son attention à l’apprentie tricolore.

« Aujourd’hui nous chassons pour nourrir nos anciens, nous patrouillons pour sécuriser nos frontières, nous veillons sur nos jeunes, nous honorons nos ancêtres, nous cueillons les plantes qui soignerons nos maux de demain... Nous vivons pour le clan, Ballade des Nuages. »

Son expression s’adoucit alors qu’elle observa le visage juvénile de la novice. Elle ne devait pas oublier que Ballade des Nuages était la fille de sa sœur, de son Odyssée des Fleurs. Sa nièce. Qu’elle traitait pourtant avec la même intransigeance que n’importe quel autre membre du clan, attendant même peut-être davantage de la part de celle qui partageait son sang. Était-elle trop dure avec elle, trop sévère ? La lieutenante courba l’échine pour se mettre à sa hauteur.

« La vraie question serait plutôt : que veux-tu faire pour le clan aujourd’hui ? »

La voilà qui jouait peut-être un jeu dangereux. Mais elle n’attendait de la part de l’apprentie qu’une réponse sincère.

Spoiler:

Durant ces quelques instants, Cendres de Rosée put lire sur le visage de son apprentie comme un livre ouvert. Elle y perçut son air vexé, presque de la colère, à avoir été ainsi ignorée, puis sa surprise lorsqu'elle lui demanda son avis. Désormais, la jeune féline affichait une expression qui ne laissait aucun doute quant à sa détermination. Sa mentor ne s'était pas trompée ; elle s'attendait à recevoir cette réponse, mais elle fut plus étonnée du ton bien plus mesuré et sage que la tricolore emprunta dans un second temps. Intéressée, elle enroula sa queue autour de son corps pour l'écouter attentivement.

Finalement, la lieutenante hocha la tête, satisfaite de la réponse de son apprentie. Elle avait encore beaucoup à apprendre, mais les enseignements de ces quatre dernières lunes commençaient à porter leurs fruits : Ballade des Nuages n'avait pas oublié les premiers devoirs d'une guerrière. Et elle était franche dans sa demande, consciente de ses lacunes et désireuse d'y remédier pour le bien du clan. Oui, peut-être ferait-elle une combattante dévouée à la protection des siens. Il était en tout cas du devoir de sa mentor de la guider sur le bon chemin, loin de la soif de violence et de la folie guerrière qui menaçaient les meilleurs d'entre eux.

« Très bien, dit-elle d'un ton appréciateur. Puisque tu désires défendre ton clan, je te propose un exercice... »

À ces mots, Cendres de Rosée se redressa de toute sa hauteur, projetant une ombre menaçante au-dessus de l'apprentie. Ses longues pattes se raidirent, tous ses muscles éveillés. Ses yeux brillèrent, un grognement naquit de sa gorge, comme un grondement de tonnerre dans le ciel matinal. Elle s'avança d'un pas vers sa cadette, toutes griffes sorties, puis un autre, et dévoila des crocs d'ivoire.

« Imagine que je suis une ennemie venue attaquer le camp. Je suis seule, je suis affamée, je n'ai pas grand-chose à perdre, ce qui me rend d'autant plus dangereuse. Et surtout... imprévisible. »

Aussitôt, la lieutenante de jais bondit sur le tronc de l'Arbre-camp, et en un instant elle fut sur la branche la plus basse, jetant un regard par-dessus son épaule vers son apprentie. Son mouvement soudain attira quelques regards de félins, qui levèrent la tête pour observer la scène. Comment Ballade des Nuages réagirait-elle pour son premier entraînement martial devant un public ? Cela ne lui faciliterait certainement pas la tâche, et sa mentor en était consciente. Elle testait ainsi sa concentration et sa réactivité en situation réelle.

« Allez Ballade des Nuages, montre-moi de quoi tu es capable ! »

Et elle bondit sur la branche suivante.

Spoiler:

HRP:

Il fallut quelques instants à Ballade des Nuages pour se remettre de sa surprise. La lieutenante en profita pour continuer son ascension le long de l’arbre-camp, sautant d’une branche à l’autre d’un bond souple et puissant. Au passage elle croisa Fleur de Lys qui observait la scène d’un air diverti ; les deux guerrières échangèrent un regard, puis son ex-apprentie sourit malicieusement et se laissa tomber de sa branche au moment où Cendres de Rosée lui donnait un léger coup de patte, à peine de quoi ébouriffer son pelage immaculé.

« Je suis blessée ! Je ne peux plus combattre ! se lamenta la jeune guerrière, désormais à terre, en regardant l’apprentie tricolore. À toi de défendre notre clan, Ballade des Nuages ! »

La lieutenante remua les moustaches, amusée, mais reprit bien vite tout son sérieux. Elle ne voulait pas que l’entraînement tourne à la plaisanterie : son apprentie devait être plongée en conditions réelles, pour apprendre à se comporter face à un danger imminent. Aussitôt, donc, elle reprit son attitude menaçante et darda son regard opalescent sur Ballade des Nuages. Celle-ci était toujours au pied de l’arbre ; oserait-elle l’escalader pour l’affronter sur les hauteurs périlleuses de la branche sur laquelle elle s’était postée ? Elle n’avait, en vérité, pas trop le choix.

Sa première décision avait en tout cas été la bonne aux yeux de la lieutenante : mettre à l’abri les plus vulnérables en faisant appel aux chats présents. La jeune féline réfléchissait vite, et bien. Elle avait compris que le principal atout d’un clan, c’était la solidarité entre ses membres, et les membres en question avaient suivi ses ordres car ils étaient justes. Mais face à un ennemi, sur le champ de bataille, cela ne suffisait pas toujours. Il fallait agir. Être aussi rapide que le vent, et surtout plus rapide que l’adversaire. Peut-être avait-elle besoin d’être encouragée pour passer à l’action ? Ou bien… comment réagirait-elle en cas de provocation ?

« Qu’est-ce que tu attends, petite apprentie ? Tu as peur ? » s’exclama Cendres de Rosée d’une voix rauque et moqueuse.

Je crois en toi.

Le pelage hérissé, les crocs sortis, Cendres de Rosée observait son apprentie du haut de sa branche. Elle devait bien avouer qu’elle s’amusait bien de ce rôle de dangereuse solitaire. C’était la première fois qu’elle expérimentait ce type d’exercice, et elle était plutôt satisfaite du résultat. Ballade des Nuages avait été très déstabilisée au début, mais elle prenait peu à peu confiance en elle, échafaudait des plans. Néanmoins, sa mentor ne comptait pas en rester là : il était temps de passer aux choses sérieuses.

Suivant la proposition de Ballade des Nuages, deux jeunes guerriers se prêtèrent au jeu et s’approchèrent de l’arbre-camp pour lui prêter main forte. La lieutenante attendit que son apprentie se soit hissée sur une branche basse pour bondir, profitant de l’effet de surprise : plutôt que de continuer son ascension, elle se laissa tomber pour atterrir juste derrière la novice, l’isolant ainsi de ses deux alliés. Elle prit le risque de leur tourner le dos pour s’avancer vers Ballade des Nuages d’un air menaçant et la forcer à reculer en équilibre sur la branche.

Puis, se redressant de toute sa hauteur, la vétérane de jais poussa un grondement guerrier et, de sa patte droite, se prépara à frapper. Pour son apprentie, il restait une fraction de seconde pour se décider : esquiver ou contre-attaquer ?