Divergent [PV Appel du Loup]

« - Que faisons-nous aujourd'hui Appel du Loup ? »

La voix vient de derrière lui. Nuage Idyllique ne semble jamais découragée par les airs désintéressés de son mentor, au contraire, c’est comme si elle redoublait à chaque fois d’efforts. Entre eux, une fracture encore plus grande que celle que Loup connaît déjà d’ordinaire semble s’ouvrir. Il ne sait comment répondre à ses attentes, à ses sourires, à ses regards. Beaucoup se seraient découragés depuis longtemps, et tout aurait paru plus simple. Mais elle continue à essayer, sans relâche. Il retient de justesse le soupire qui menaçait de s’échapper de sa bouche, avant de répondre en se retournant à peine, il ne veut pas perdre de temps. Il a déjà l’impression de courir une course contre la montre.

« Nous arrivons bientôt, patience. »

En vérité, Appel du Loup était concentré sur autre chose. La plage approchait, et il posa bientôt ses pattes là où les premiers grains de sables se mêlait au sol verdâtre et boueux de la forêt. Il se stoppa net, le temps d’un instant, barrant le passage de son apprentie d’un signe de queue autoritaire. Il profita de cette pause pour humer l’air et vérifier qu’aucun danger potentiel ne se trouvait en ces lieux. Cette partie de la plage appartenait bien au clan du Tonnerre, mais les riveux s’y aventuraient parfois pour récupérer les déchets de bipèdes venant souvent s’y échouer. Une rencontre n’était pas vraiment ce que le guerrier recherchait, pas avec Nuage Idyllique à ses côtés. Autrement peut-être qu’il aurait pu en profiter pour se défouler… Oui, si des Génies stupides se risquaient à poser leurs sales pattes ici, il se ferait un plaisir de leur apprendre une leçon.

Il donne le signe qu’ils peuvent s’avancer. Bientôt, les voilà entourés du sol sableux, leurs oreilles emplies du bruit des vagues et du vent marin. Pour la première fois depuis leur départ du camp, le guerrier se tourne vers l’apprentie, dardant sur elle un regard critique. Nuage Idyllique apprend et s’améliore vite, c’est indéniable. Mais lorsqu’il la regarde, il ne voit rien d’autre qu’une proie facile. Sa carrure, tout d’abord. Elle a encore à moitié un corps de chaton, va-t-elle grandir un jour ? Cette question commence parfois à l’inquiéter. Est-ce qu'il devrait surveiller ses repas pour s'assurer de son bon développement ? Et son pelage épais pourrait donner l’impression d’un corps un peu plus fort, mais l’on ne s’y trompe guère longtemps... Lui entend déjà les tambours de la guerre sonner à ses oreilles, et soudainement les voilà rattrapés par l’urgence de la situation, et la fragilité de ce corps devant lui semble décuplée par mille.

Il attaque sans prévenir, d’un coup de patte bien placé venant faucher Nuage Idyllique. Le sol instable sur lequel ils se trouvent ne doit pas l’aider à garder son équilibre, Appel du Loup sait qu’elle va se retrouver bientôt le dos par terre. Il l’observe, de haut, attendant qu’elle se relève en cherchant comment commencer cette leçon afin qu’elle en retienne le plus possible et puisse s’en servir par la suite.

« Le combat. Certains s’y jettent tête baissée, certains de pouvoir l’emporter à la seule force de leur courage et de leurs tripes. »

C’était son cas. Il n’avait jamais su rester calme face à des individus des autres clans, il sentait tout son corps se tendre et se focaliser sur ses défenses, ses attaques, ses feintes, et bien trop vite il savait que dans un combat collectif, la tornade de la violence l’emporterait et qu’il ne serait plus que crocs et griffes. Il tairait cependant cet aspect, car il espérait que quelque chose de bien plus essentiel que lui n’avait jamais su mettre en place s’ancrerait dans la tête de Nuage Idyllique.

« Souviens toi au contraire de toujours garder la tête froide. Ce que tu dois savoir faire rapidement, c’est analyser qui se tient en face de toi, et comment tu vas t’y prendre pour échapper à ses griffes, et si possible lui apprendre une bonne leçon. Prends-moi comme exemple. Entre toi et moi, quelle va être ta plus grande difficulté pour m’attaquer ? Je veux que tu réfléchisses à cela et que tu m’attaques comme ton ennemi, en m’empêchant moi de t’atteindre des manières qui me seront les plus simples. »

Il se tait, fixant toujours la plus jeune de ses yeux froids, cherchant à prédire ses prochains mouvements.

“I will be the wolf
And when you're starving, you'll need it too”
https://www.youtube.com/watch?v=VAI5GSyXMjA

Il se mure dans l’immobilité, les yeux toujours fixés sur son apprentie. Il se fait proie et prédateur tout à la fois. Il l’attend d’une patte ferme tout en se demandant comment elle s’y prendra pour l’attaquer. Pendant un instant, seul le rugissement des vagues dans leurs dos leur rappelle le temps qui continue à s’écouler tandis qu’ils se jaugent l’un et l’autre du regard.

Sa stratégie n’est en réalité pas mauvaise lorsqu’elle fonce sur lui, tête baissée, comme un bélier en charge. Il aurait eu ainsi bien du mal à la repousser sans s’exposer si elle n’avait pas basculé la tête la première dans le sable au milieu de son mouvement. Il hésite un instant en la voyant ainsi se relever péniblement. Hésite à lui offrir une patte solidaire, à lui épousseter le pelage pour en faire tomber le sable qui la macule. Puis il souffle d’énervement devant cette pensée ridicule.

La vérité, c’est qu’il surprend parfois le temps d’un regard une sorte d’effroi dans les yeux de Nuage Idyllique. Cet effroi l’agite. Il ne sait qu’en faire, tout comme de ses sourires et de sa motivation. Peut-être porte-t-elle elle aussi un masque pour se protéger. Comme Épopée des Lucioles, bien que ce souvenir lui donne envie de se terrer dans un trou. Comme lui. Ils se cachent les uns les autres pour se préserver, rester intouchables du monde. Mais ironiquement, cette peur qu’il inspire lui apporte aujourd’hui autant de satisfaction que de dépit. Il aimerait gueuler, lui dire une fois pour toute qu’il n’a rien contre elle, mais que le temps presse, qu’il faut qu’elle sache que la vie ne sera pas douce, que la vie est cruelle et qu’elle n’est pas prête. Personne n’est jamais prêt. Il se contient de justesse et l’observe se relever, muré encore une fois dans ses états d’âmes sans les laisser transparaître à l’extérieur. Tant pis si elle le haït, lui et cet entraînement. Il fera d’elle une guerrière capable de se défendre dans le combat, et il la laissera recevoir son nouveau nom sans regret.

Il ne relève pas son air piteux et fautif et son immobilité lorsqu’elle s’excuse. Il n’a pas de temps à perdre à la rassurer, il ne saurait pas le faire de toute manière. Et puis, tant mieux si elle est consciente de ses erreurs, cela veut sûrement dire qu’elle est prête à les corriger.

« Peu importe, je ne te jugeais pas ici sur la réelle exécution de ton attaque, mais sur ta stratégie. Celle-ci n’était pas mauvaise, si tu as seulement l’attaque à l’esprit. Peu importe la carrure d’un guerrier, foncer ainsi aurait à coup sûr permis de le déstabiliser. Néanmoins… »

Il fait un pause un instant, jaugeant l’apprentie tricolore d’un regard critique. Comment lui expliquer ce qu’il veut lui dire ? Après tout, l’honnêteté permettrait sûrement de lui faire mieux comprendre, se dit-il. La vision d’un sale chat de la rivière ou du vent écrabouillant la petite le persuade de ne pas mâcher ses mots.

« Tu prends ici tout de même beaucoup de risque de te faire écrabouiller, en fonçant ainsi sans préparation préalable. Tu es et reste une proie facile, de par ton peu d’expérience et ton gabarit. L’adversaire aura tôt fait de s’en rendre compte et d’en tirer des avantages. Tu dois toi aussi tirer des avantages de tes atouts. Tu les as déjà identifiés il me semble, notamment ta vitesse. Prend en le plus parti possible. Feinte, fais croire à ton adversaire que tu vas viser ses yeux avant de plonger par exemple, occupe le là-haut afin qu’il ne te surprenne pas en bas. »

Il ne s’attend pas à ce qu’elle effectue ces gestes à la perfection pour le moment. Mais il lui fera répéter encore et encore jusqu’à ce qu’elle y arrive. Un autre problème se pose maintenant.

« Le sable est et sera toujours un terrain compliqué. En plein combat, tu n’auras guère le temps de vérifier tes appuis avant de te lancer, et tu devras t’attendre à quelques ratés. La prudence sera donc toujours de mise. Il la regarde fixement en appuyant sur ces mots afin de bien se faire comprendre. Mais ce genre de terrain peut aussi avoir des atouts. D’après toi, que peux tu faire avec du sable, afin de gagner du temps pour penser, attaquer, ou fuir au besoin ? »

La fuite. Maintenant qu’il en parle, il se dit que c’est quelque chose qu’il devrait lui enseigner aussi. Le temps, toujours le temps, il ne savait qu’en faire quelques lunes plus tôt encore, et voilà qu’à présent celui-ci semble lui glisser entre les pattes comme une brume légère et intangible. Grimper aux arbres, se camoufler… Et dans la lande, que faire dans la lande pour fuir des ennemis maîtres dans l’art de la course ? Lui-même ne sait pas. Il ferme les yeux un instant, accablé par la fatigue.

« Si tu n'as pas de question, nous allons refaire un essai, puis je t'emmènerais ailleurs pour un instant. »

Il se recule de quelque pas pour lui laisser le temps et la place de se préparer, et reprend lui même sa position de combat.