❀ Cueillette d'un soir d'été ; PV Rose Délicate.

Les journées sont chaudes et le soleil ne descend que tard à l’horizon. Les félins du Vent sortent majoritairement tôt le matin ou dans la soirée, puisque le milieu de journée est très chaud et que le territoire du clan n’offre que peu d’ombre naturelle. Les patrouilles habituelles s’adaptent en fonction de la chaleur et les chasseurs savent que de toute façon les proies aussi restent à l’abris du soleil en pleine journée. Asphodèle des Champs ayant un pelage plutôt épais, elle était la première à préférer la douceur des soirées plutôt que la chaleur sèche de la journée. Ce jour-là, elle s’était occupée de vérifier que toutes les reines et leurs petits allaient bien et ne souffraient pas trop de la chaleur, avait chassé dans la matinée et avait passé le reste de l’après-midi à se reposer et discuter avec quelques-uns de ses anciens compagnons d’apprentissage. Les amis qu’elle s’était fait à cette période étaient chers à son cœur et les anciens apprentis avaient tissés un lien tout particulier. S’entraîner ensemble créait des liens particuliers, ne ressemblant à aucune autre relation, et Asphodèle était fière de pouvoir encore partager des moments précieux avec ces amis-là. Alors que l’après-midi laissait doucement place à un petit air frais, la guerrière tricolore se réveilla de sa sieste et regarda autour d’elle. Les chatons jouaient ensemble sous l’œil protecteur de leurs mères, et les apprentis nettoyaient les mousses des anciens. Le camp fourmillait de chats qui s’activaient et qui ressentaient leur énergie remonter avec le petit vent agréable qui se faisait à présent ressentir dans le camp. Asphodèle se leva et traversa la petite esplanade avant de s’arrêter vers la pile de gibier. Elle n’était pas très remplie, mais la plupart des chasseurs ne tarderaient pas à partir à la chasse et la pile serait sûrement plus chargée d’ici une ou deux heures. Doucement et comme par habitude, la jeune guerrière tourna sa tête vers l’entrée de la tanière de la guérisseuse. Rose Délicate était allongée à l’entrée et semblait, elle aussi, veiller à ce que tout soit en ordre dans le camp. La marée noire avait rendu la guérisseuse inquiète, du moins c’est ce qu’avait ressenti Asphodèle en voyant sa mère être moins détendue qu’à son habitude. Bien sûr, cette situation affectait tous les chats, mais certains étaient bien moins préoccupés que d’autres et cela pouvait facilement se remarquer lorsque l’on observait les attitudes de chacun. Asphodèle s’avança alors en direction de la guérisseuse et s’approcha d’elle en souriant.

« Tu as besoin d’aide aujourd’hui ? Si ça te dit, on peut aller faire un tour et cueillir ce dont tu as besoin ensemble. J’ai chassé ce matin, alors je suis libre comme l’air ce soir ! »

Elle regardait Rose Délicate l’air apaisée et joyeuse. Elle n’avait pas toujours eu l’occasion de passer beaucoup de temps avec elle lorsqu’elle était apprentie, puisque son entraînement l’avait tenue bien occupée et qu’elle n’avait jamais pu avoir vraie une relation mère-fille qui aurait pu élever les soupçons. Asphodèle voulait profiter ce jour-là d’une soirée libre pour partager un moment avec sa mère seule à seule. Peut-être que Rose Délicate allait être occupée ou qu’elle avait mieux à faire en ces temps de stress pour les clans, mais elle espérait qu’elle accepte tout de même de se relaxer un moment pour passer du temps avec sa fille. Et puis après tout, elles iraient chercher des plantes, alors ce ne serait pas du temps perdu … Asphodèle regarda la féline noire et blanche, et lui fit un petit clin d’œil.

« S’il te plait ? »

Son ton était doux et elle voulait simplement faire comprendre à Rose qu’elle ne voulait pas simplement l’aider dans son devoir de guérisseuse, mais aussi passer du temps avec elle en dehors d’un endroit où elles devaient se cacher et se parler comme si elles n’étaient qu’amies.

ASPHODÈLE DES CHAMPS

« Si tu as chassé, alors nous avons tout notre temps ! Je ne peux refuser de l'aide si je suis en plus aussi bien accompagnée. »

Asphodèle des Champs sourit. Elle savait que sa mère passait déjà beaucoup de temps à aller récolter plantes et fleurs, essayant de charger ses stocks autant que possible face à l’incertitude que certaines menaces laissaient planer au-dessus des clans. Mais il fallait bien trouver une excuse pour l’emmener en dehors du camp et passer du temps ensemble sans être au milieu d’autres chats. Rose se leva et envoya un clin d’œil à la jeune guerrière tricolore, avant de lui demander de la suivre. Asphodèle s’élança à la suite de la guérisseuse et toutes les deux sortirent du camp, guidées par Rose qui avait l’air d’avoir une idée d’où aller. Lorsque les deux femelles avaient pris assez de distance par rapport au camp, Rose Délicate ralentit et fini par s’arrêter, plantant ses yeux bleus dans ceux, identiques, de sa fille.

« Alors, des histoires palpitantes à me raconter ? » demanda Rose, d’un regard amusé.

Asphodèle esquissa un petit sourire, essayant de faire un rapide récapitulatif de sa vie actuelle. Rien d’incroyable ne s’était passé depuis son baptême de guerrière. Bien sûr, les clans étaient préoccupés par la marée noire et le nombre de malades augmentait chaque jour, contaminés par les eaux noires et toxiques qui provenaient de la mer. Les premiers clans touchés avaient été le Tonnerre et la Rivière, ce qui avait laissé un peu de temps au clan du Vent de se préparer à la menace. Mais à présent ils étaient tous touchés, à différentes échelles, mais la peur et la méfiance étaient partout les mêmes. Asphodèle avait peur elle aussi mais elle savait que céder à la peur n’aiderait pas. Il fallait être prêts pour soigner les malades et trouver de l’eau saine à d’autres endroits. Il fallait apprendre à reconnaître une proie malade pour éviter de les chasser et de ramener au clan des repas toxiques. Perdue dans ses pensées, quelques secondes passèrent avant qu’elle reprenne ses esprits et réponde à la question de Rose.

« Oh tu sais, rien de très palpitant en ce moment … Je mets à profit mon entraînement de guerrière et je n’arrête jamais d’avoir envie d’apprendre de nouvelles choses !  Il y a une chose qui me fait très envie : avoir un apprenti. J’ai tellement aimé apprendre que je suis sûre que j’adorerais enseigner aussi. »

La jeune guerrière esquissa un sourire en s’imaginant mentor. Mais rapidement, elle se souvient que ce n’était peut-être pas le meilleur sujet à aborder en présence de Rose … Son apprentie Nuage de Menthe était morte récemment et elle ne pouvait qu’imaginer la tristesse de Rose Délicate. Asphodèle se sentit un peu stupide d’avoir abordé le sujet, et son enthousiasme redescendit aussi vite qu’il était arrivé.

« Je suis désolée, cela doit te remémorer Nuage de Menthe … Je sais qu’aucun mot ne peut consoler la perte d’un être cher. En tout cas, je suis sûre qu’elle veille sur toi et sur le clan maintenant. »

Asphodèle s’approcha de sa mère et lui lécha l’oreille, signe d’affection. Elle était contente d’avoir pu extirper Rose du camp et de pouvoir passer un moment avec elle. Cela devenait de plus en plus rare et pourtant Asphodèle ne demandait que cela, passer plus de temps avec sa mère. Même si Rose avait toujours été présente dans sa vie, cela avait été difficile de construire une vraie relation mère/fille car elles avaient toujours dû prétendre que rien ne les reliait. Même si Asphodèle ne l’aurait jamais avoué, cela était parfois difficile. Elle n’avait jamais manqué d’amour et n’avais jamais été abandonnée, mais parfois elle avait l’impression que quelque chose manquait. Elle avait aussi tant de questions à propos de son père, mais elle n’osait pas beaucoup les poser à Rose. Bien qu’elle ait toujours été très transparente à propos de son histoire et de son père, Asphodèle n’ayant jamais posé beaucoup de questions, elle n’en savait que peu. Elle savait que c’était un solitaire des montagnes, et sans doute la raison pour laquelle la jeune féline était plus robuste que la plupart des chats du Vent. Peut-être qu’un jour le moment viendrai pour Asphodèle des Champs de poser ses quelques questions. En attendant, elle se frotta encore une fois contre Rose et lui dit, d’une voix douce :

« Tu sais, je serais toujours là pour toi. Je sais qu’en ce moment ce n’est pas toujours facile entre la marée noire et tous les autres aléas de la vie, mais je veux que l’on reste soudées toutes les deux, toujours ! Et qu’on puisse parler de tout ensemble. » Elle ronronna, et poursuivit, amusée : « Et toi alors, tu en as des histoires palpitantes et des ragots intéressants ? »

Asphodèle voulait passer un bon moment avec sa mère et laissait toujours sa joie prendre le dessus. Même si la situation était difficile ces derniers temps, elle était toujours plutôt positive et optimiste et voulait rendre sa mère heureuse aussi.

ASPHODÈLE DES CHAMPS

Tandis que la guerrière tricolore écoutait sa mère lui répondre avec tendresse, elle ne put retenir un petit sourire presque enfantin, celui d’un chaton rassuré par l’amour d’une mère bienveillante. Rose Délicate ronronnait et Asphodèle des Champs écoutait avec attention ce qu’elle disait. Bien sûr, il était encore très tôt pour qu’Asphodèle devienne mentor et elle le savait. Sa mère avait raison et il fallait laisser du temps pour que chaque chose arrive à point nommé. Rien ne servait de toujours être pressé que la prochaine étape de sa vie arrive. Patience et persévérance étaient une force. Cela rendrait la guerrière prête, un jour, à pouvoir enseigner à son tour. Rose Délicate fit un clin d’œil à sa fille en sous-entendant qu’elle avait autrefois commis des erreurs … La féline tachetée sourit en imaginant sa mère aussi jeune qu’elle. Lui ressemblait-elle ? Elle se posait toujours la question.

« Je sais, tu as raison. J’ai encore beaucoup à apprendre et je suis contente de cela. Je garde toujours mes yeux et mes oreilles grands ouverts, à l’affût de la moindre nouvelle connaissance.  Il y a tellement de choses encore que j’aimerais que l’on m’enseigne. »

Elle sourit, et laissa sa mère poursuivre. Rose Délicate mentionna Nuage d’Espoir, devenu Chant d’Espoir, et un souffle de fierté l’envahi. Elle avait toujours trouvé cela impressionnant que sa mère soit guérisseuse. Ces félins avaient un rôle important et tout particulier dans les clans, et leur relation entre eux et avec le clan des étoiles donnait une dimension très spéciale et intrigante au rôle de guérisseur. En y repensant, Asphodèle était sûre qu’elle aurait aimé être comme sa mère et elle était persuadée que renoncer aux combats ne l’aurait pas dérangé plus que cela. Mais elle était aussi heureuse d’être guerrière. A vrai dire, quel que soit le rôle qu’on aurait pu lui donner, Asphodèle aurait été heureuse dans tous les cas et aurait toujours donné le meilleur d’elle-même. En continuant, Rose Délicate mentionna quelque chose qui surpris un peu sa fille. Elle avait peur qu’Asphodèle se sente éloignée de ses origines et lui demandait de poser les questions qu’elle avait sur elle, sur son père, et sur son histoire…

Asphodèle fit un petit mouvement en arrière, surprise, et pencha la tête sur le côté. Avait-elle des questions ? Évidemment, depuis toute petite elle avait eu beaucoup de temps pour s’imaginer qui était son père, qu’elle était son histoire, comment s’était déroulé la relation entre lui et sa mère … Mais elle n’avait jamais rien osé demander. Cela ne dérangeait pas Asphodèle des Champs d’en savoir peu sur son géniteur, simplement parce qu’elle n’était pas du genre à se poser des questions existentielles sur son identité et son origine. Malgré l’absence forcée de sa mère en tant que mère, elle était heureuse de l’avoir près d’elle et n’avait pas eu l’impression de manquer de quoi que ce soit. Bien-sûr, elle aurait aimé avoir un vrai cercle familial et sentir la vraie présence de ses parents biologiques. Mais elle savait aussi que Rose Délicate avait tout fait en son pouvoir pour offrir la meilleure vie à sa fille, et pour cette raison, cette dernière ne pourrait jamais rien lui reprocher quant à ses choix de vie. Le regard de Rose avait un peu changé, il était plus sérieux et presque un peu inquiet. En s’approchant de sa mère, Asphodèle lui répondit d’une voix douce.

« Je, euh … Je ne m’attendais pas à ça. J’ai toujours eu beaucoup de questions, mais je veux aussi que tu saches que je ne me suis jamais sentie éloignée de mes origines au point que cela me perturbe tous les jours. Tu as toujours été auprès de moi, d’une façon ou d’une autre, et c’est ça mes origines. »

Asphodèle marqua une pause, réfléchissant à comment formuler ses questions et surtout, par quoi commencer ? Quelques secondes défilèrent dans un silence doux avant qu’elle reprenne.

« Je me demandais … Comment est-ce que cela s’est passé exactement, votre rencontre ? Et comment passiez-vous du temps ensemble alors que tous les clans voyageaient ensemble ? »

Elle regarda sa mère avec amour, tenta de s’imaginer à quoi son père ressemblait, et essayait de mettre une image sur la relation de ses parents. Comment étaient-ils ensemble ? Quel était le son de sa voix ? Comment agissait-il avec Rose Délicate ? Et qu’est-ce qu’il l’avait fait craquer ? Tant de questions qu’elle garda silencieuses en attendant d’en savoir un peu plus.

ASPHODÈLE DES CHAMPS

Tandis que sa mère l’invita d’un mouvement de tête à s’approcher d’elle, Asphodèle des Champs laissa un petit sourire s’afficher sur son visage. Elle ne pouvait imaginer ce que sa mère ressentait. Allait-elle être heureuse de parler du père de sa fille ? Ou bien triste ? Les émotions auxquelles Rose Délicate devait faire face étaient sûrement difficiles. Elle savait combien de choses sa mère avait sacrifié suite à cette relation et à quel point elle avait été forte, toujours. En regardant sa mère, Asphodèle ne put s’empêcher d’être remplie de fierté. La femelle noire et blanche commença à parler et expliqua à sa fille comment elle et son père s’étaient rencontrés. La guerrière tricolore ne put s’empêcher d’essayer d’imaginer Rose Délicate encore jeune apprentie, et tenter d’imaginer ce à quoi son père pouvait bien ressembler. Les souvenirs de la guérisseuse étaient flous mais chaque petite information aidait Asphodèle à se faire une image plus précise dans sa tête. Même si elle n’avait jamais manqué de quoi que ce soit et que le fait de ne pas avoir de père ne l’avait pas empêchée d’être heureuse, cela faisait naître tout de même beaucoup de questions qu’elle gardait pour elle. Mais c’était normal, après tout, de vouloir connaître ses origines, pas vrai ? Tous les membres du clan du Vent avaient passé de nombreuses lunes à spéculer au sujet de l’origine de la petite chatonne qui avait été trouvée dans la forêt, et puis cela s’était calmé avec le temps. Plus personne n’y prêtait vraiment attention et elle était considérée comme originaire du Vent, puisque c’est la seule chose qu’elle avait connu. Mais dans le cœur de la petite bien-sûr, rien ne s’effaçait et ses origines lui tenaient à cœur. Même si elle ne pouvait les partager avec personne d’autre.

« Merci de me raconter cette histoire. Ça a dû être si dur pour toi … Ça me paraît si injuste, toutes ces règles que les guérisseurs ont ! Je ne vois pas pourquoi avoir une famille t’empêcherait de t’occuper du clan … J’aimerais tant que le clan des Étoiles comprenne cela … »

Asphodèle ressentit un petit pincement au cœur. Pourquoi le clan des Etoiles était-il si strict avec les guérisseurs ? Ils devaient bien avoir leurs raisons, mais pour une jeune guerrière qui ne pouvait partager son secret avec personne, cela semblait injuste.  Chassant ces idées de sa tête, elle se tourna à nouveau vers sa mère.

« Je me demande ce que mon père est devenu depuis que les clans ont poursuivi leur périple. Il ne sait peut-être même pas que j’existe … Parfois j’espère qu’au fond de lui il sait que quelque part, deux personnes pensent à lui. Et tu sais, je te serais toujours reconnaissante pour la vie que tu m’as offerte. Malgré les difficultés, tu m’as donné une vie que j’aime et je sais la chance que j’ai de pouvoir t’avoir à mes côtés, même de loin. Je te promets que je ferais toujours de mon mieux pour te rendre fière. »

Asphodèle des Champs marqua une pause, hésitante, puis se décida finalement à poser la question qui lui brûlait les lèvres.

« Dis, tu crois que tu aimerais le revoir, si c’était possible ? »

Pensive, elle essaya comme toujours de former une image de ce père mystérieux, vague silhouette floue dans son esprit.

Je souris à la remarque d'Asphodèle des Champs. Il est vrai que les Etoiles ne sont pas réputées pour leur indulgence, ou leur clarté. Et il est vrai que j'ai douté, moi même, de leur présence dans la Toison Argentée. Dans les plus sombres moments de mon existence, il m'arrive de lever les yeux vers le ciel et maudire ceux qui prétendent y vivre. Mais pourtant je sens leur présence à mes côtés, et j'ai l'intuition qu'ils comprennent Qu'ils comprennent mes doutes, mes espoirs, mes attentes et mes tristesses. Ils ont compris mes mots et mes prières, ce jour tant redouté où j'ai posé ma truffe sur les Cristaux de Lune. Au fond de moi, c'est comme si dans chacun de mes pas, ils m'avaient guidés. Hodvaken n'est pas arrivé par hasard, lors de l'escale tant attendue de notre long voyage.  Mon cœur ne s'est pas emballé par hasard, lorsque mes yeux se sont posés sur le visage fermé du solitaire. Si je dis aux divers apprentis guérisseurs que j'ai pu fréquenter dans ma vie que le Clan des Etoiles n'acceptera pas l'amour, au fond de moi je sais que s'ils m'ont laissé ouverte la voie de la guérison alors que je portais en moi le fruit de cet amour, c'est qu'ils se tiennent droits, présents, derrière chacun d'entre nous. Vivre dans la solitude et la tristesse, tel était le destin de Nuage de Rose, celle qui ne croyait pas en la vie. Donner naissance, aimer et aider, tel est le destin de Rose Délicate, celle qui croit en l'amour et aux Etoiles. Celle qui lève les yeux vers le ciel, et qui comprends.

"Ne sois pas si dure avec tes ancêtres, Asphodèle. Les Etoiles le comprennent, seulement… Seulement il faut qu'au plus profond de toi même tu le saches, et alors tu seras libre de faire ce que tu veux. Ne t'empêche pas d'être heureuse, car quoi qu'il arrive, ceux qui t'aiment seront derrière toi."

J'écoutes les paroles de ma fille, et je sens mon cœur se serrer. Parfois, en regardant de plus près la vie que nous vivons, j'aimerais l'appeler. Lui. Lui crier que nous avons besoin de lui, que quelque part près de l'étendue bleue l'attends une vie meilleure. Que, comme dis ma tendre enfant, deux personnes pensent à lui, quelque part. Mais alors vient la question d'Asphodèle, qui rebondit dans mon cœur. Et la réponse me tord la gorge. Après tout, peut-être que j'espère son retour, ou peut-être pas. Le revoir déclencherait en moi une tornade de sentiments que je ne saurais retenir, des sentiments compliqués et impossibles à comprendre. Mais je sais bien que notre amour est impossible, quoi qu'il arrive, la paix n'atteindra jamais nos cœurs et le manque animera notre âme. Car lui, le solitaire, symbole de la liberté, ne pourra jamais se plier à mes règles, celles de la guérisseuses, retenue par ses liens et ses attaches. Et pour rien au monde je n'abandonnerais les miens, mon Clan, ma fille. Alors je souris.

"Quoi que tu fasses, je serais toujours fière de toi, Asphodèle." Je me tus, laissant passer un ange. "Je ne sais si j'aimerais le revoir. Je sais seulement que notre amour est impossible."

Je détournais la tête en sentant monter une larme, puis repris ma marche. Parler d'Hodvaken était toujours difficile, mais en ce jour, j'avais senti qu'Asphodèle en avait besoin. Pourtant à présent mon cœur est trop serré et je ne veux surtout pas qu'elle voit mes yeux couler.

"Alors, les élections approchent ! Penses-tu te présenter ?"

ASPHODÈLE DES CHAMPS

Rose Délicate était douce et bienveillante. En écoutant ses paroles, Asphodèle des Champs se dit que sa mère avait raison. Le Clan des Étoiles s’était monté compréhensif malgré les règles ancestrales et même si ces dernières paraissaient parfois dures et injustes, il fallait qu’Asphodèle comprenne et continue malgré tout de ne jamais douter d’eux. En écoutant les mots doux de sa mère, la jolie guerrière tricolore baissa un peu la tête, émue. Tout ce qui comptait le plus au monde pour elle c’était Rose Délicate. Rien n’aurait pu expliquer à quel point elle était reconnaissante des sacrifices de sa mère et de la vie qu’elle lui offrait, malgré le lourd secret qui les séparait. Elle déposa un regard rempli d’amour sur sa mère, et l’écouta encore sans dire un mot. Lorsqu’elle mentionna le père de sa fille, Rose Délicate eu la voix qui se brisait un peu et la guerrière du Vent ne sut quoi dire.  Cela devait être si difficile d’avoir ressenti des sentiments si intenses pour quelqu’un tout en sachant dès le début que cela n’aurait pu être qu’éphémère.  Asphodèle des Champs sourit, désolée. Elle donna une caresse affective sur l’épaule de sa mère tandis qu’elles continuaient de marcher sans s’arrêter. Rose changea alors complètement de sujet et quand elle mentionna les élections, les oreilles d’Asphodèle pointèrent vers l’avant. Elle n’y avait jamais vraiment pensé … C’est vrai ça, allait-elle se présenter ?

« Oh, euh … C’est une bonne question. J’avoue que je n’y avais pas vraiment pensé. Tu crois que … Tu crois que je devrais ? »

Songeuse, Asphodèle des Champs se perdit dans ses pensées. Son clan lui était précieux, elle était une guerrière valeureuse et contribuer à l’avenir du Vent lui tenait à cœur. Elle était douce mais saurait sûrement se montrer ferme si ses responsabilités exigeaient d’elle qu’elle le soit. La féline fronça les sourcils. Faire partie du Conseil serait une chance immense et un rôle qu’elle prendrait tout particulièrement à cœur. Mais quand bien même elle se présenterait, aurait-elle rien qu’une petite chance d’être élue ? Plutôt discrète – ou tout du moins sachant rester à sa place –, elle ne se faisait jamais remarquer. Elle ignorait si d’autres guerriers lui accorderaient quelque chose d’aussi importante qu’un vote. Asphodèle fut tout à coup prise d’une angoisse. Et si elle était trop invisible pour que qui que ce soit la pense digne de faire partie du conseil ? Mille questions lui traversèrent l’esprit, alors même qu’elle n’avait jamais songé à se présenter aux élections jusqu'alors.

« Je ne sais même pas si d’autres penseraient que je sois capable d’endosser un tel rôle … »

Tout en prononçant ces paroles, la jeune guerrière balaya l’air de sa queue. Et si elle osait ? Si elle osait se présenter ? Elle pourrait essayer de prouver à tous qu’elle serait capable d’endosser un rôle important au sein du clan et que l’on pouvait compter sur elle. Asphodèle aimait les challenges, se fixer des objectifs et rêver un peu. Et si devenir maîtresse de la parole devenait son prochain rêve ?

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