Les murmures de la nuit chantent en nos âmes || Ft: Requiem du Silence

Requiem du Silence déposa sur le tas de gibier les proies qu’il venait d’attraper. Après sa patrouille, il avait pris la liberté de chasser un peu pour le clan. N’étant pas bien endurant, il était encore essoufflé et avait mal aux pattes de cette journée bien chargée, mais était ravi de sa chasse. Il prit un petit mulot – il n’avait pas très faim – et le mangea dans son coin. Le soleil se couchait déjà derrière les arbres, et il se surprit de ne pas avoir vu la journée passer. Pas qu’il regarda habituellement la progression du soleil au cours de la journée, mais il pensait qu’il était bien plus tôt que ça. Et à part quelques courbatures, il était à peine fatigué.
Il prit donc le temps de s’étirer de tous ses membres, puis en profita pour se lustrer le poil. Mine de rien, sans mettre une priorité sur l’apparence, il n’aimait pas de retrouver le poil emmêlé ou sali. Surtout que la moindre petite tâche de terre ou de poussière, sur son poitrail blanc, ça se voyait.
Ceci fait, il s’en alla dans la tanière des guerriers, a l’intérieur de laquelle ses camarades dormaient déjà. Il s’allongea dans un coin, non loin de son compatriote Dent de Sabre. Le guerrier vétéran, qui avait été son mentor, était un des seuls à qui Requiem pouvait réellement parler.
Le chat noir et blanc se roula en boule. Peut-être parviendrait-il à trouver le sommeil malgré tout. Il devait se lever tôt le lendemain, son apprentie avait besoin de lui, et il se refusait d’être en retard au moindre entraînement. Il ferma les yeux. Ses muscles se détendirent, soulagés de ne plus être réquisitionnés. Cependant, le guerrier tomba dans un état de semi-sommeil, ne parvenant pas totalement à s’endormir, rêvassant à moitié. Il revit, songeur, la forêt de Cerfblanc, celle qui l’avait vu naître. Bien qu’après de nombreuses lunes à parcourir leurs nouvelles terres, il s’y était habitué, et les appréciait, cela ne l’empêchait point de se remémorer avec nostalgie ses anciennes terres. Il savait qu’il n’était pas le seul dans ce cas – nombre de ses compagnons nés là-bas ressentaient la même chose que lui – mais il n’allait pas s’ouvrir aux autres pour autant.

Au bout d’un moment, Requiem du Silence rouvrit les yeux. Ce n’était pas la peine d’insister, il n’arriverait pas à se rendormir tout de suite. Il se leva, s’étira le dos, et ressortit de la tanière des guerriers en évitant soigneusement de marcher sur ses camarades. La plupart était présents, ne devait rester que la patrouille de nuit qui devait être de sortie. Peut-être allait-il les croiser, à l’occasion, puisqu’il avait prévu d’aller se promener. Ça ne le dérangeait pas, il se contenterait de les saluer, puis de faire son petit bonhomme de chemin. Ses promenades nocturnes n’étaient pas vraiment un secret, dans le clan.

Il regarda le ciel quelques instants, à travers les branches des arbres : aucun nuage ne couvrait le ciel, ce soir. Le temps était plutôt clément en ce moment, ce qui arrangeait bien les chats pour la chasse. Et puis, Requiem du Silence détestait la pluie. L’eau, c’était bon pour boire, pas pour se la recevoir sur la tête, ou pire, patauger dedans. En ce sens, il avait beaucoup de mal à comprendre les membres de la Rivère.
Il sorti finalement du camp. Seul le vent dans les feuilles des arbres faisait du bruit. Il huma l’odeur de la patrouille qui avait du partir un peu avant lui. Ses camarades étaient plus loin sur le territoire.

En parlant d’eau, le grand guerrier se décida de laper un peu celle du ruisseau avant de démarrer sa balade. C’est là, alors qu’il buvait la source fraîche, que ses oreilles lui indiquèrent une présence. C’était un mouvement léger, et il cru d’abord à un chat qui se cachait. Il huma l’air, se demandant quel chat serait assez fou pour pénétrer en territoire ennemi, si près du camp. Il ne ressentit cependant que l’odeur de son propre clan, et se détendit, alors qu’il aperçu finalement, en tournant le tête – et d’ailleurs aussi en la baissant – qu’il s’agissait là d’un chaton, exposé en pleine lumière lunaire, un peu inquiet et effrayé (il avait probablement entendu le guerrier).

« Tout va bien, petit, ce n’est que moi, Requiem du Silence » dit-il se sa voix calme.

Il avait toujours la crainte d’effrayer les petits. En réalité, c’était ce qu’il se passait, la plupart du temps, avec sa taille, son regard perçant et son calme à toute épreuve. Aussi, il s’avança à la vue du chaton, et se posa devant lui. L’aventurier d’une nuit ne devait pas avoir plus de deux ou trois lunes, à en juger par sa taille et sa tête.

« Que fais-tu ici, en dehors du camp ? Ce n’est pas l’heure ni même le lieu pour sortir, pour un chaton comme toi. »

Il ne voulait pas sonner menaçant, il s’étonnait simplement, et à juste titre, de voir un si jeune chat ici. Les chatons n’avait pas le droit de sortir du camp, ou de s’éloigner trop de la pouponnière. Et il y avait peu de chance que celui-ci ait l’autorisation de sa mère.

Le fait que Requiem du Silence ne passe jamais à la pouponnière faisait qu’il avait parfois du mal à reconnaître les chatons du premier coup d’œil. Il connaissait bien sûr leurs noms et les aperçevait de temps à autre, mais il lui fallut tout de même plusieurs secondes d’observation pour reconnaître l’un des petits d’Ardeur des Braises.
Il ne savait pas comment se comporter face aux chatons, il avait toujours la craint de leur faire peur, voire même de leur faire du mal, avec ses grandes pattes. Ayant lui-même été très solitaire depuis sa tendre enfance, il n’avait jamais éprouvé l’envie de passer du temps avec des chats de son âge… et encore moins des plus âgés.

Le chaton sembla soudain mal à l’aise suite à la réflexion du guerrier. Ce qui confirmait bien qu’il n’avait pas d’autorisation d’être ici. De toute façon, sa mère ne l’aurait jamais laissé sortir tout seul, en plein milieu de la nuit, hors du camp où rôdaient toutes sortes de danger pour un animal de cette taille. Requiem du Silence espéra cependant ne pas avoir été trop autoritaire, Petite Ronce ne se rendait sûrement pas compte des périls qu’il pouvait rencontrer.

L’Escadron agita les vibrisses quand le chaton lui décrit pourquoi il était arrivé ici. Visiblement, il l’avait tout bonnement suivi. Avait-il guetté à l’ombre de la pouponnière de voir un guerrier sortir pour le pister ? Ce n’était pas forcément un jeu surprenant pour un chaton, mais peu osaient s’aventurer en dehors du camp en dépit des mises en garde des reines. Celui-là était tout particulièrement curieux.
Il se souvint alors avoir déjà entendu des guerriers parler de Petite Ronce, qui les abordaient souvent au retour des patrouilles pour leur en demander le déroulé… une curiosité qui se voyait exprimée actuellement ici. Le chaton sembla réellement fasciné par ce qu’il voyait, et de toute évidence à l’entendre parler, il semblait être d’une maturité supérieure à la moyenne des petits. Il contemplait ses alentours avec une lueur dans les yeux qui semblait familière à Requiem du Silence. Lui-même avait souvent, plus jeune, attendu la tombée de la nuit pour sortir, discret comme il l’était, devant la pouponnière, les yeux rivés sur le ciel étoilé, contemplant la myriade d’étoiles qu’on lui avait dit être les guerriers d’antan. Il avait aimé, très petit, observer le calme du camp, voir sous un œil nouveaux ses alentours. Lui, en revanche, n’avait jamais osé s’aventurer hors de son camp. Pas par peur de l’inconnu, mais des remontrances de son père, qui lui avait très tôt inculqué le respect sans faille du code du guerrier. Pourtant, Requiem du Silence n’était pas aussi sévère que son aîné, et pris la décision qu’il n’allait pas intimer tout de suite au petit de retourner se coucher.

« C’est bien le Ruisseau Rocheux oui. Bravo. »

Ce fut au tour de Petite Ronce de demander au plus âgé ce qu’il faisait ici. Le guerrier cligna des yeux, un peu surpris de la question. Il n’avait pourtant pas à se mettre sur la défensive face à un chaton qui était simplement plein de questions, et dont le regard exprimait très clairement l’intérêt.
Le matou noir au poitrail blanc prit le temps de s’allonger face au plus jeune. Ainsi, on voyait beaucoup moins sa cicatrice, et il était plus bas. On lui avait dit que ça pourrait rassurer les chatons quand il leur parlait, et puis, de plus, cela lui permit de se détendre… ce n’est pas comme s’il partait à la chasse après tout.

« C’est moi que tu as dû suivre, tout à l’heure. J’étais simplement parti me balader, n’arrivant point à dormir. »

Le chat réalisa que, si c’était un guerrier ou même un apprenti qui lui avait posé la même question, il se serait contenté d’un « ce n’est pas tes affaires ». Il s’abstint face au petit, dont l’innocence l’empêchait de lui répondre de manière sèche comme il en avait l’habitude. Requiem n’admettrait jamais qu’il s’adoucissait face à un chaton, mais c’était pourtant bien vrai.

« Ton envie d’explorer les territoires est compréhensible, mais tu sais que tu verras tout ça quand tu sera apprenti, n’est-ce pas ? »

Il détailla son interlocuteur. De toute évidence, celui-ci ne commencerait pas son initiation avant plusieurs lunes, et pourtant, il avait déjà commencé l’exploration. Nul doute qu’il serait un apprenti intéressé, ce qui était une qualité, d’un côté.

« Tu as apparemment déjà entendu parler de cet endroit… tu sais jusqu’où s’étend notre territoire ? »

Curieux de l’étendu des connaissances du petit, il posa un regard vers lui, plus doux qu’à son habitude, bien que voilé derrière ses grands yeux verts si souvent inexpressifs.

Requiem du Silence se dit qu’il devrait sûrement réprimander le chaton et le raccompagner à la pouponnière. Après tout, en tant que guerrier, il devait aussi s’assurer que les plus jeunes apprennent et respectent les règles et le code du guerrier. D’autant plus que si la mère du petit se réveillait en pleine nuit, elle s’inquiéterait tout de suite de la disparition de son fils, et reprocherait probablement à l’Escadron de perdre son temps à discuter.
Cependant, il jugea qu’il avait le temps. Ils n’étaient pas loin du camp, ce n’était pas bien dangereux ici, et il garderait un œil sur le chaton en permanence, histoire que celui-ci n’aille pas s’aventurer plus loin. Petite Ronce n’ayant pas l’air trop turbulent, il devrait pouvoir le gérer.

Le guerrier vit bien que le chaton était peiné qu’on lui reproche sa sortie nocturne, mais il ne pouvait tout bonnement pas le féliciter. En quelque sorte, il comprenait l’envie d’exploration du petit, bien que lui-même n’avait jamais été comme ça à son âge. Cependant, il savait aussi que les chatons devaient apprendre à respecter les règles et le code du guerrier, et cela commençait par ne pas sortir du camp, surtout seul, en plein milieu de la nuit. Mais l’heure n’était pas aux rabrouements et entamer une petite conversation ne faisait pas de mal.

« Je vois, tu en connais déjà beaucoup. »

Mine de rien, le chaton avait glané pas mal d’informations sur les territoires que le Clan de l’Ombre possédait. Il avait dû en épier, des conversations de guerrier, ou avait posé beaucoup de questions aux apprentis qu’il croisait. Pas étonnant, avec un petit aussi curieux, qu’il décide tout bonnement de s’éclipser du camp en pleine nuit pour aller découvrir de lui-même ces lieux dont il entend tant parler.

« C’est compliqué de visualiser la taille de notre territoire et la façon dont il est organisé, quand on ne l’a pas vu. »

Il devait admettre que lui-même, quand il était chaton, il n’avait pas tout de suite compris comment était le territoire de l’Ombre à Cerfblanc. Ça lui avait paru immense, à l’époque, et il avait été étonné la première fois que son mentor l’avait mené au travers des territoires. En arrivant ici même, il avait dû en découvrir de nouveaux, se refaire une carte mentale de chaque lieu, de leur emplacement et de leur taille. Il comprenait aisément que son interlocuteur pouvait être perdu dans toutes ces descriptions qu’il avait entendu, et puis, les noms tout seul n’étaient pas forcément toujours de bons indicateurs.

« Tu auras l’occasion de tout découvrir aux côtés de ton mentor, quand tu sera apprenti. On te fera un tour de nos territoires, tous ces noms auront bientôt du sens. »

Pour l’instant, Petite Ronce était encore trop jeune pour faire ce trajet, mais sa curiosité restait un bon signe. Un chaton curieux faisait bien souvent un apprenti passionné. Et c’était le rêve de tout mentor d’avoir un apprenti intéressé et avide de nouveaux savoirs. Le guerrier espérait que ce soit le cas du jeune chat.

La question suivante déconcerta quelque peu Requiem du Silence, et l’obligea à se replonger dans ses souvenirs de chatons. Il ne pensait jamais vraiment à son enfance, beaucoup trop de souvenirs douloureux y étaient liés. D’ailleurs, même les souvenirs heureux avaient parfois un goût amère. Mais, après quelques secondes de réflexion, il reposa toutefois son attention sur son interlocuteur, avant de lui répondre.

« En réalité… pas vraiment. Tout comme toi, j’étais curieux d’en savoir plus sur nos territoires… à mon époque, c’était ceux de Cerfblanc. Mais je n’osais pas m’aventurer sans autorisation, je ne suis pas sorti du Camp de l’Ombre avant d’être apprenti. »

Requiem du Silence avait été un chaton obéissant. Très obéissant. Trop, peut-être. Son père avait toujours été très sévère avec lui et ne laissait passer aucune erreur et surtout aucune désobéissance. Il avait inculqué très rapidement à ses enfants le respect du Code du Guerrier, et pour le coup, le chaton, à l’époque Petit Silence, n’avait jamais osé le contredire. Et puis, il avait toujours été d’une nature plutôt sage, ne voulant pas faire de vague, attendant patiemment sa nomination pour découvrir la forêt. Il n’en avait que ressenti plus d’excitation quand il avait enfin pu voir les territoires pour la première fois.

« Tu en as déjà entendu parler, de la forêt de Cerfblanc ? »