Retrouvailles : La lumière ombreuse du périple sanglant || Ft : Griffouille c:

Le sol défilait sous les pattes de la féline. Elle gardait une bonne allure pour finir la patrouille avant le coucher du soleil et passer le relais aux patrouilles nocturnes. Elle avait passé la matinée à longer la frontière du clan du Tonnerre pour remonter ensuite le long du ruisseau qui la guiderait vers le camp de l'Ombre. Cela lui permettait de se désaltérer après avoir déjà parcouru une bonne distance, et elle avait même surpris une petite souris qui avait eu la même idée et qui lui avait redonné des forces pour finir.
Dans d'autres circonstances, elle aurait gardé la proie pour le camp, pour le partage traditionnel, ou elle l'aurait elle-même apporté aux reines de la pouponnière. Mais avec le manque d'effectif et son rôle d'Escadron, elle passait ses journées à parcourir leur territoire et une souris ne faisait pas de mal. Elle prendrait une journée pour aller chasser et remplir son quota, plus moral que réellement imposé.

La guerrière ralentit, pas que les rochers noirs et tranchants ne lui fassent peur, elle avait pris l'habitude de poser les pattes au bon endroit, mais le vent ne l'arrangeait pas. Il venait de l'intérieur du territoire, direction l'extérieur. La mauvaise configuration pour repérer un envahisseur. Elle garda donc les oreilles à l’affût du moindre bruit, les muscles légèrement tendus, prêts à réagir au premier signe de danger.
Elle repéra un bosquet de fleurs odorantes qui formaient des grappes de couleurs et s'en rapprocha pour se frotter contre. Si elle ne pouvait pas sentir, elle ne serait pas sentie non plus. Quoiqu'assez dérangeante, l'odeur avait au moins le mérite de couvrir la sienne, mais il faudrait faire une bonne toilette en rentrant, personne ne pourrait dormir avec ce fumet dans la tanière.

Ebène retournait à la frontière quand elle entendit des pas précipités en provenance des Cinq Rocs. Elle se tapit au sol juste à temps pour voir passer en trombe un chat adulte, à l'odeur du Clan du Vent. Un intrus ! Quel culot ! Il gambadait sans aucune odeur de stress sur leur terre, sans même essayer d'être discret ! A croire qu'il se fichait d'être repéré sur des terres où il n'avait rien à faire !
Ebène s'élança à sa suite, le plus silencieusement possible, elle allait lui faire comprendre qu'il n'était pas le bienvenue. Autant les guérisseurs étaient acceptés, et les Herboristes même, le clan du Vent avait un grosse tendance à la médecine. Mais il n'avait pas l'air d'être de l'un d'eux, elle connaissait le guérisseur et son apprenti, et reconnaissait les Herboristes. Ces derniers tâchaient de venir en début de journée pour éviter tout malentendu, ou ne venaient pas du tout, laissant les terres des autres clans aux guérisseurs, bien plus respectés.

Elle ne tarda pas à rattraper le malotru qui... contemplait la vue ou quoi ? Il n'avait apparemment aucune méfiance quand au Clan dont il violait les terres, mais quel manque de respect !
C'en était trop, elle ne pouvait pas laisser passer une telle agression, et vu qu'il avait l'air d'être seul, elle devrait réussir à le maîtriser sans renfort. Il semblait jeune et inattentif, elle avait pour elle l'expérience et la surprise. Elle banda ses muscles, le poil hérissé de colère, sortit les griffes. Et bondit.

Dans un feulement aigu rempli de menaces, elle percuta le jeune matou et planta ses griffes dans ses épaules pour l'entraîner dans son élan. Se retrouvant sur le dos, elle le fit passer au dessus d'elle et le repoussa violemment vers les rochers tranchants. Elle se releva aussitôt et bondit à nouveau sur le guerrier avec un deuxième feulement de rage, cherchant à planter ses crocs dans son cou.
L'idée n'était pas de le tuer sur place, mais de l'immobiliser en l'amochant un peu... ou beaucoup, en fonction de comment il se débattrait. Mais surtout, de l'empêcher de continuer dans cette direction. La direction de leur camp.
Aucun chat n'approcherait leur camp et ne menacerait leurs petits ou qui que ce soit, elle donnerait sa vie pour s'en assurer ! Ou elle prendrait la sienne, si nécessaire.

Griffe d'Ebène s'acharnait à vouloir prendre sa gorge dans sa gueule mais l'intrus résistait, sûrement mû par un instinct de survie des plus naturels, mais elle parviendrait à ses fins. Pas d'agresseur sur leurs terres, inconscient ou stupide peu importe !

Soudain le matou la repoussa et capitula, comme si ce qu'il faisait n'était pas si dramatique. C'était un gamin ou bien ! C'était loin d'être un jeu, il avait transgressé les règles et s'était beaucoup trop approché de leur camp au goût de la guerrière mais elle s'arrêta, plantée devant lui, menaçante. Tant qu'il restait sur le dos, il avait une chance de s'expliquer, mais il se contentait de l'observer sans dire mot.
La féline prit donc le temps de l'analyser et constata qu'il était plus jeune que ce à quoi elle s'attendait, faisant basculer sa conclusion d'impudent à stupide. Il avait l'air d'avoir bloqué, immobile à la regarder. Qu'est-ce qu'il avait? Elle l'avait peut-être plus amoché que prévu, pourtant il n'avait pas de blessure significative, rien qui perturberait à ce point un guerrier. Cette façon de la regarder commença à la gêner, c'était... étrange.

Elle se calma, ne sachant pas comment réagir, elle l'apostropha.
"Tu crois que c'est un jeu les frontières?"
Il ne semblait même pas l'écouter, on aurait dit qu'il avait vu un fantôme, mais ce n'était pas le moment d'être muet ! Il devait s'expliquer et vite, avant qu'elle passe de l'agacement face à un chat aussi irresponsable, à la colère d'être ignorée en plus de ça. Sa queue fouettait l'air, en tension.

"Comment ça, moi ? On se connaît ?"

Ebène se calma un peu, reprit son souffle, essayant cette fois de vraiment comprendre ce qui se passait. Comment pourraient-ils se connaître? Jeune comme il était, il ne devait pas avoir vécu à Cerfblanc, et il n'était sûrement pas à la dernière assemblée. Il ne restait que le Voyage jusqu'à Valeemar pendant lequel il devait être petit, même pas un apprenti, sûrement un chaton. Un chaton tacheté, jaguar, cela lui rappelait quelque chose.
Elle était bien plus avenante avec les chatons, s'il l'avait connu jeune, il était légitime qu'il soit étonné de la voir agir si violemment. Elle n'avait jamais fait attention à ça, les chatons qu'elle côtoyait étaient surtout de son clan, elle les voyait mûrir et devenir guerriers, elle les laissait prendre leur envol et ne faisait plus attention à eux, ils étaient assez grands pour se gérer et pensaient à d'autres choses qu'à la féline qui veillait discrètement sur eux. Et puis, ils étaient de son clan, elle ne se retrouvait pas face à eux en combat.
Elle n'avait pris soin des chatons des autres clans qu'à de quelques rares occasions ou pendant le Voyage. Elle était toujours déchirée d'avoir dû les laisser, de peur qu'il leur arrive malheur, mais c'était la vie de clan, elle ne pouvait pas les suivre.

Mais le Voyage avait été long et tumultueux, et les liens très différents, les clans plus flous, elle avait gardé un œil sur tous les petits sans distinction pendant des semaines, la menace ne venait pas des clans, tout était bien plus simple. Elle s'assit et un peu de nostalgie passa dans son regard toujours braqué sur l'inconnu.
Il la fixait, de ces yeux verts, les yeux de celui qui la reconnaît alors qu'elle le menace, mais sans peur ni déception, de la reconnaissance? Un chaton qu'elle aurait aidé? Ou sauvé? Les renards, le petit qui avait failli se faire dévorer, et sa mère...
La lumière se fit, elle se rappela ce jour-là, enfin, ce moment-là, la journée avait été interminable, l'attaque violente. Les pertes, nombreuses.
L'expression de la féline passa d'agacé-incompréhension à souvenir-culpabilité-tristesse-compassion... Beaucoup trop d'un coup.

"Tu es le petit du Voyage, celui que j'ai sauvé d'un renard et..."

Sa gorge se serra, perdue. C'était toujours lui, ce petit curieux qui observait les combats, qui était passé à deux griffes de la mort, visiblement toujours inconscient du danger... Le même? Mais adulte, sauf qu'il se rappelait d'elle, il était d'un autre clan mais pendant des semaines ils n'avaient été qu'un seul clan... Pourquoi elle agissait différemment maintenant qu'il était plus grand, c'était le même après tout...
Sauf qu'il était guerrier maintenant, jugé responsable de ses actes, et il venait d'enfreindre les règles des clans... Quel dilemme, elle comprenait mieux pourquoi les liens avec les chats des autres clans avaient toujours été prohibés.
Elle fit une moue réprobatrice et enroula sa queue autour de ses pattes, toujours partagée entre les différentes émotions qui la tiraillaient, mais plus agressive. D'un ton mi-léger mi-réprimande, elle brisa le silence qui avait paru durer une éternité.

"Qu'est-ce que tu fais ici?"

Ebène restait perdue dans ses émotions. Ennemis ou pas? Les liens créés pendant le Voyage avaient-ils moins d'importance que les règles des clans? Comment pourrait-on oublier ces moments où ils avaient fait front ensemble dans la souffrance, l'entraide naturelle qui était apparue dans les moments difficiles? Ils étaient capables de s'unir dans des moments cruciaux et étaient bien plus puissants ainsi, avaient-ils besoin de se déchirer le reste du temps? Comme pour combler un manque... La paix n'était pourtant pas si désagréable, ils avaient déjà tant souffert, pourquoi cet acharnement à créer des sources de discorde...

La réponse du matou la sortit de sa torpeur mais pas pour l'aider, elle aurait pu croire qu'il se moquait d'elle mais il avait l'air "sérieux" dans sa bêtise. Elle soupira devant tant d'insouciance. Tendue, elle ne savait toujours pas quoi faire de lui. Elle le sermonna, se sentant peu crédible à ses propres yeux, après tout, il était encore là à la fixer, la tête au bout de son cou...
"Ce n'est pas parce que tu as envie de voir quelque chose que tu dois te le permettre, la paix des clans est importante..."

Quand il reprit, ce n'était pas mieux. La revoir d'accord, mais ce n'était pas une excuse ! Ni le bon endroit. Un peu plus et elle le coupait en deux ! De nouveau partagée entre agacement et émotion, il avait vraiment l'air de l'avoir gravé dans sa mémoire alors qu'elle l'avait à peine reconnu.
Bon, ce n'était pas juste un air, il était carrément hyper reconnaissant. La féline s'agita un peu, gênée par les yeux pétillant du guerrier qu'elle aurait dû ramener par la peau des fesses à la frontière depuis longtemps. Mais non. Elle oublia cette idée. Elle en serait incapable maintenant. Elle revoyait le chaton qu'elle avait sauvé, en plus grand. Comment arrivait-il à l'adorer après qu'elle l'ait agressé. Il était pur, il avait grandi dans les clans regroupés, il n'avait aucune animosité...  

Il lui prouva cette pensée avec sa dernière question, elle était restée muette jusque là et il l'acheva. Elle fut soudain honteuse de voir quelques perles rouges sur ses épaules, elle n'y était pas allée de griffes mortes, et s'était probablement abîmé les dîtes griffes dans l'histoire.
Son partage entre son existence de chat de clan et son envie d'effacer les frontières pour vivre en paix revint à la charge. Un peu de nostalgie du Voyage passa dans ses yeux, ce serait une solution parfaite pour faire face à tous ces événements qui leur tombaient dessus sans cesse.

L'Ombreuse sortit enfin de son mutisme, bouleversée et attendrie par ce qu'elle devinait dans les yeux du mâle. Si avec d'autres elle ne devait pas tenir ce genre de propos, avec lui elle sentait qu'elle pouvait être libre. Elle se détendit et donna quelques coups de langue à son pelage en bataille.
"J'ai repris ma place dans l'Escadron, mais maintenant il s'agit seulement de surveiller nos frontières pour éviter les intrusions..."
Elle lui lança un regard plein de sens mais ne fit pas plus de commentaire.
"La paix actuelle est agréable et j'espère qu'elle durera, même si ce serait plus simple si on était restés aussi proches que pendant le Voyage."

L'enthousiasme du jeune guerrier désarmait Griffe d'Ebène. Il était si candide, si naïf... La mention de l'Escadron l'impressionnait, mais si sa remarque sur les intrusions n'avait pas semblé être ignorée, il n'avait pas saisi l'allusion à l'ancien but des Escadrons, l'espionnage des autres clans mais surtout des chats de l'Ombre. C'était loin d'être très glorieux et elle était ravie du changement d'esprit de ce poste.
Il l'idéalisait beaucoup trop. Elle était loin d'être la meilleure guerrière de son clan, ni la plus aimée. Justement parce qu'elle n'avait pas toujours les mêmes principes que les autres, la même façon de pensée, ou cette foi inconditionnelle pour son clan. C'était d'ailleurs un miracle qu'elle n'ait jamais eu plus d'ennuis que ça...
S'il n'avait pas grandi pendant le Voyage, il n'aurait certainement pas la même vision épurée du monde, et c'était beau à voir. Un nouveau départ possible pour les chats des clans. Plus doux. Plus ouvert. Moins conflictuel. La guerrière se mit à espérer qu'ils soient plus nombreux dans son cas. L'insouciance en moins peut-être...

La réaction de Jaguar des Ombres provoqua un petit mouvement de recul à la guerrière, elle ne s'attendait pas à ce que ces quelques mots aient tant d'effets. Elle était peut-être allée sur un chemin glissant, le jeune chat pourrait avoir des soucis, et elle aussi à bavarder avec un étranger sur leurs terres. Les vieilles habitudes ont la vie dure. Elle voulut l'arrêter avant que ça n'aille trop loin, certaines choses ne peuvent être changées comme ça. Le voyage jusqu'à Valeemar avait planté quelques graines sur un sol peu fertile, et il faudrait des dizaines de lunes avant qu'elles ne germent et donnent naissance à des semblants de coopération.
Trop tard, il était lancé. Il parla de sa soeur et elle le laissa faire, comprenant que la situation puisse le toucher. Forcément, dans ces conditions, la paix entre les clans semblait être la solution à tous les problèmes.
Elle serait donc tendre avec lui, et le mettrait en garde de faire attention à ses propos et à ses actions, que les clans n'étaient pas encore près à tout ce changement, mais qu'il fallait garder espoir...
Le sujet de trop. Une portée?

Griffe d'Ebène resta interdite, fixant le Venteux avec un mélange de tristesse, de reproche et de compassion. Il ne pouvait pas savoir. C'était une douleur qu'elle portait en elle depuis des lunes, la seule chose qu'elle pourrait porter. Elle s'en était relevée, prenant en affection tous les jeunes chats qu'elle croisait, lui y compris. Lui y compris.
La guerrière se ressaisit et remit de l'ordre dans ses pensées. Elle avait commencé à s'ouvrir à Jaguar, autant continuer, elle n'appréciait facilement les chats adultes d'habitude.

D'une voix douce qu'elle n'avait de coutume qu'avec les chatons, elle entama.
"Excuse ma réaction. Je vais t'expliquer. Mais marchons si tu veux bien, vers ton territoire, de préférence. Je vais te raconter en chemin."

Elle l'invita d'un mouvement de queue à la suivre et commença à marcher tranquillement sur les roches coupantes, sentant effectivement que ses griffes avaient soufferts de sa ruée sur le matou.

"Reprenons du début tu veux bien? Les clans ont toujours existé, chacun a développé des compétences et des caractères en fonction de son environnement et de son histoire. Qui se ressemble s'assemble. Autant de chats sur de si grands territoires, ce serait compliqué à diriger. Tu vois, déjà dans les clans, quand il y a des désaccords, ce que ça peut donner...
Alors oui, il y a beaucoup de conflits, de désaccords, de tensions, attisés par la force des choses, les catastrophes, les famines... C'est pourquoi il y a des règles que tous les clans sont sensés respecter pour maintenir la paix."

Petit coup d’œil explicite.

"Mais nous ne sommes pas toujours des adversaires, quand il y a une chose qui nous menace tous, nous sommes capables de nous unir pour la surmonter, comme pendant le Voyage. C'est sûrement là que nous avons été le plus proche d'ailleurs."

Sourire bienveillant et mélancolique.

"Mais les chats des clans ne sont pas encore tous prêts à abandonner les vieilles traditions, les habitudes, leur identité pour s'unir au quotidien. Je pense aussi que ce serait une solution à beaucoup de problèmes, mais je sais que ça ne se fera pas facilement, et malheureusement, il y aura sûrement de gros conflits avant de pouvoir faire accepter une telle chose, si ça doit se produire un jour.
C'est toujours les mêmes problématiques. Qui dirige? Pourquoi accepter les ordres d'un ancien chat de l'Ombre? Pourquoi nourrir un chat du Vent? Les clans sont bien ancrés dans nos mœurs, et c'est pour l'instant dangereux d'envisager une réunification. Nous sommes encore fragiles et ça ne rendrait pas les choses faciles. C'est pourquoi je voudrais que tu reste prudent avec ce genre d'idées, ça pourrait être considéré comme de la trahison. Moi-même je n'en parle pas, mon clan tient assez bien sa réputation. Fiers d'être Ombreux, la fidélité est extrêmement importante chez nous, et même si ça s'est radoucis, la trahison peut être vue dans bien des actes, comme celui de raccompagner gentiment un étranger chez lui..."

Ebène rit doucement, elle savait qu'au moins, il allait se rappeler de sa visite sur le territoire de l'Ombre, et peut-être qu'avec le facteur affectif, il serait plus prudent la prochaine fois. Mais au final, elle ne lui en voulait pas, c'était un moment assez agréable finalement, une discussion légère sur des sujets interdits, en toute confiance. Bien sûr, elle ne lui dirait pas, sinon il reviendrait à coup sûr enfreindre les lois !

"Je suis désolée que tu sois séparé de ta soeur, mais c'est effectivement la seule solution pour l'instant, pour deux chats de clans différents, pour vivre ensemble librement. Mais ce n'est pas une si mauvaise chose, s'ils sont heureux ainsi. Et puis, ici à Valeemar, les chats solitaires sont bien mieux tolérés qu'avant."

Elle essayait de lui remonter le moral même s'il n'y avait pas grand chose à faire. Le dernier sujet commençait déjà à assombrir son esprit, mais elle lutta pour garder un visage ouvert et détendu. Elle n'avait pas l'habitude de raconter cette histoire, mais elle se sentait suffisamment en confiance pour la lui raconter. Il fallait seulement qu'elle tienne jusqu'au bout. Se persuader qu'elle s'adressait au chaton et pas au guerrier. Elle avait toujours plus de facilités, et elle se conditionnait pour ne pas les effrayer avec ses explications.

"Pour ta dernière question, non, je n'ai pas de compagnon."

Elle inspira à fond.

"Et pas d'enfants. Quand j'étais jeune guerrière, j'ai été blessé lors d'une altercation avec un autre clan, et je ne pourrais jamais avoir de petits."

Non, décidément, ça sonnait beaucoup trop dramatique. Lui qui était si joyeux allait être triste et elle ne voulait pas ça, elle voulait qu'il garde le sourire, et qu'il la contamine avec. Elle mit toute son énergie dans un élan de joie qu'elle n'aurait pas cru réussir à avoir en parlant de ce sujet.

"Mais ce n'est pas grave! J'ai pour enfants tous les chatons de la forêt, tous clans confondus et plus encore, et je suis heureuse comme ça! Veiller sur vous est ma mission, c'est ce qui me rend heureuse!"

Elle lui fit un grand sourire, réellement convaincue par ce qu'elle disait, même si c'était la première fois qu'elle le formulait. Et pour bien insister sur le fait qu'il restait un chaton à ses yeux, elle lui donna un coup de langue maternel sur le front, les yeux pétillants de joie.

Griffe d'Ebène rit intérieurement devant l'expressivité du matou. Elle fut ravie de voir qu'il était capable de s'inquiéter de son infraction, même s'il l'était plus pour elle que pour lui-même. Adorable et inconscient. Elle sourit, amusée et calqua son rythme sur le sien, habituée qu'elle était à s'adapter aux autres, surtout aux chatons.
Elle savait qu'ils ne craignaient rien, ou presque. Elle était la seule à patrouiller dans la zone ce soir-là, et heureusement pour lui. Quand à avoir des ennuis, elle avait l'habitude de déplaire aux plus territoriaux des siens, et acceptait les quelques punitions si c'était nécessaire. Mais puisqu'elle avait réintégré les Escadrons, elle considérait que ses décisions ne déplaisaient pas tant que ça.

La guerrière laissa échappé un rire à la réaction joyeuse du matou. Elle avait craint de ne pas être assez convaincue et convaincante mais il acheva de la rassurer et de lui rendre le sourire. Sa joie de vivre était rafraîchissante pour la guerrière qui était plutôt solitaire et sérieuse au quotidien. Une mère soucieuse sans l'être.
"Plein, plein, calme-toi, et ils sont tout de même Ombreux pour la plupart !"

Ebène fut surprise de l'émoi qu'une simple léchouille provoqua sur le Venteux. Elle n'était pas coutumière d'autant d'affection, surtout de la part d'un mâle adulte, mais il était redevenu le chaton de ses souvenirs alors l'étonnement laissa la place à l'attendrissement.
"D'habitude, en grandissant, les chatons prennent leur envol et la plupart n'ont peut-être pas eu conscience que je veillais sur eux à distance, je ne veux pas voler le travail à leur mère !"
Elle rit doucement, réellement étonnée par sa capacité à aborder tout ce sujet lourd d'émotion, avec tant de légèrement. Le jeune mâle avait une bonne influence sur elle, comme elle espérait en avoir sur lui. L'admiration qu'elle lisait dans ses yeux la touchait, quoiqu'elle n'était pas sûre d'en mériter autant.
"Je suis flattée que tu me prennes pour modèle, tu es un guerrier prometteur, un défenseur, pas un bagarreur. Je suis sûre que tu contribueras à la paix des clans, et qui sait un jour, leur réunification. Alors ne suis pas mes pas, marche devant moi, fais ta trace, et guide les autres."

Cette fois, c'était ses yeux qui étaient remplis d'admiration. Et de tristesse à l'approche de la frontière. Elle n'aurait pas cru ressentir tout ça, le lien fugace qui s'était créé pendant le voyage était beaucoup plus fort qu'elle n'aurait pu le croire. Elle restait attachée au chaton alors même qu'il était un adulte et d'un autre clan en pleine transgression ! On aurait tout vu. Au fond, c'était sûrement parce qu'elle voyait en lui ce petit quelque chose qu'ont les enfants et qu'elle adore voir envie. L'innocence.
Perdue dans sa contemplation, digne de la fierté d'une mère, elle sursauta presque en entendant son nom. Il s'en rappelait. Et elle eut beau chercher, elle n'arriva pas à retrouver le sien. Honteuse, elle se dandina sur ses pattes, les oreilles frémissantes.
"Tu es adorable et moi je n'arrive pas à me rappeler.. de ton nom..."
Elle se doutait qu'il ne s'offenserait pas, ses yeux étaient restés emplis de reconnaissance malgré les griffures qu'elle lui avait fait et les quelques rappels aux règles, mais elle aurait aimé être à la hauteur.

Quand à se revoir, cela semblait inévitable à l'Ombreuse. Quoiqu'elle préférerait en d'autres circonstances. L'imaginer tomber sur un autre guerrier qu'elle, moins clément, qui n'aurait pas la gentillesse de s'arrêter écouter ses explications... Elle frissonna en imaginant ce qui aurait pu se passer de bien plus grave. Retour à la mère protectrice. S'il jouait les chatons, ce n'était pas étonnant !
Cette pensée l'effraya, hors de question qu'il s'expose à nouveau à un tel danger pour des envies déraisonnables de curiosité ! Elle prit une mine sévère, les oreilles bien dressées et la queue agitée.
"Oh que oui on se verra, et il est hors de question que ce soit en cadavre ramené à l'intérieur de mon camp !"
La guerrière inspira à fond et se détendit, elle ne devait pas non plus le traiter comme un vrai chaton...
"Je ne veux pas que tu te mettes en danger pour me voir. Mais je patrouille souvent, alors à l'occasion, on pourra se croiser en terre neutre, et puis maintenant tu participeras aux Assemblées des Clans !"

Elle retrouva sa petite étincelle de fierté, en espérant qu'il l'écouterait et ne ferait pas de folies. Elle allait sûrement angoisser quelques temps en imaginant le matou faire une incursion et se faire sauter dessus par un Ombreux... Si elle avait été mère, ses enfants seraient restés coincés au Camp jusqu'à la fin de leurs jours... En sécurité.