Seriously?! |NoraMax II|

Que ce serait-il passé si elle ne s'était pas reculée, si elle n'avait pas retiré sa main ? Je n'arrive même pas à croire que j'ai pu imaginer une chose pareille... J'allais le faire, j'allais le... l'em... Mon dieu mais qu'est-ce qu'il m'a prit... J'ai l'impression d'avoir perdu toute conscience à ce moment-là, que j'agissais sans m'en rendre compte. J'étais comme envoûté et... Séduis. Oui, ça fait bizarre de me dire une chose pareille. Les agissements de Nora ces dernières minutes, ses regards, sa voix, mais quelle voix... J'étais totalement charmé, ensorcelé. Mais si c'était arrivé, si j'étais venu dé... Déposer mes lèvres sur les siennes, que ce serait-il passé ? Rien que d'y penser, j'en frissonne. Non, jamais ça ne serait arrivé, elle m'en aurait empêché ou serait partie. Je... Je ne sais pas si je suis prêt de toute façon et elle ne l'est sûrement pas non plus. Je m'en veux terriblement, j'espère qu'elle n'a pas fait attention, qu'elle ne s'est pas rendu compte que je m'étais rapproché... Ça aurait peut-être brisé notre amitié, plus jamais elle ne m'aurait parlé. Qu'est-ce que je serais devenu ? Parce que oui, je me rend compte maintenant que Nora est devenue une personne très importante à mes yeux. Mais d'un côté, si j'ai failli agir de la sorte, n'est-ce pas parce que je... Parce qu'elle... Non non, reprends toi Max.

Nora m'aide à préparer le couvert et à sortir notre repas du sac alors que je sépare nos commandes pour les disposer d'un côté et de l'autre de la table. Durant tout cet instant, je ne jette pas un seul coup d’œil à mon amie, encore trop embarrassé et déboussolé pour dire quoique ce soit. Après l'avoir entendu chanter, je sais que je n'entendrais plus sa voix de la même façon. J'ai envie d'analyser chacune de ses intonations, chaque sons qui en émanent pour me rendre compte de leur harmonie. J'aimerais tant jouer de nouveau en sa compagnie, c'était si... Si... Si prenant ! Bien mieux que tous les morceaux que j'ai pu joué avec mes amis. Une fois la table prête, nous nous asseyons pour enfin commencer à manger. J'avais oublié que j'avais faim avec tout ce qui s'était passé, peut-être aussi parce que mon ventre était noué, je ne sais pas. J'attrape des baguettes et sursaute lorsque Nora vient briser le silence qui s'était établi entre nous deux depuis tout à l'heure. Je lève les yeux vers elle et affiche un petit sourire suite à sa question. Je récupère des couverts dans la cuisine et lui tend.

« Mais nooon tu n'es pas un boulet. Je ne mange que la salade et le riz avec des baguettes, sinon je fais comme toi. »

Je commence enfin à me détendre à nouveau même si j'ai du mal à chasser les images de nous deux tout à l'heure sur le canapé de ma tête. Ça fait du bien de manger, j'ai l'impression d'avoir de plus en plus faim après chaque bouchées. A nouveau le silence retombe alors que nous dévorons cette fabuleuse nourriture. Ça faisait longtemps que je n'avais pas mangé japonais, c'est toujours un plaisir. Ce n'est pas donné mais bon, ça vaut le coup et je ne suis pas vraiment radin en ce qui concerne l'alimentation. Et puis ça me fait plaisir d'offrir ce repas à Nora. Mon amie reprend la parole et je relève les yeux, toujours penché sur mon assiette, pour l'écouter. Je suis heureux qu'elle ne soit plus gênée et qu'elle me parle à nouveau, je bois ses paroles jusqu'à ce que son dernier exemple me fasse écarquiller les yeux de surprise. Soudain je me mets à tousser, m'étouffant avec un bout de saumon qui est venu se coincer dans ma gorge. Il a bien sûr fallu qu'elle parle de ça maintenant... Je me tape doucement sur le torse en reprenant ma respiration alors que je rougis en gardant les yeux braqués vers la table.

« Keuf, pardon... Euh je... Je pourrais t'apprendre si tu veux... E-ENFIN je veux dire à-à tenir des baguettes ou jouer de la guitare ! »

Je soupire de désespérance, l'ai désemparé. Mais quel idiot... La soirée ne peut pas juste se dérouler normalement ? Elle a commencé une conversation normale et voilà que je viens tout gâcher...

Ces trois ans passées loin de toute civilisation m’ont lourdement handicapée, je le réalise à présent. Trois ans de mon adolescence dont on m’a privée, au nom d’un bien-être qu’il ne me semble ne jamais avoir atteint. Je reconnaîtrai toujours le bien-fondé de la démarche qui a poussé mes parents ainsi que les services sociaux à me placer dans ce programme spécifique pour les jeunes filles atteintes de dépression sévère, et pourtant, je vis encore maintenant avec la sensation amère d’avoir manqué de nombreux événements ponctuant la vie adolescente. Mais en creusant un peu plus, je dois reconnaître que mon isolement à l’hôpital n’est pas la seule raison expliquant mon manque criant d’expérience dans de nombreux domaines. J’ai aussi refusé, pendant une bonne part de ma vie, de me laisser apprendre, de rencontrer, de découvrir… J’ai eu peur si longtemps, enchevêtrée dans une coquille protectrice qui est devenue ma prison et dont j’ai du mal à me départir même aujourd’hui. Les craintes m’étouffent et m’isolent d’elle-même de ce monde dont je semble parfois si prompte à me détacher. Ce qui fait de Maxence un acteur d’autant plus important dans mon existence. Il est ce pont, ce moteur de découvertes et de nouvelles expériences. En sa compagnie, je n’ai plus peur de m’ouvrir, car il est toujours prêt à me rattraper. Il me sécurise lors des moments où je crois que je vais m’écrouler, quand mes insécurités vont prendre le dessus, comme tout à l’heure dans la boutique. Il m’amuse même de constater qu’il ne s’en rend pas compte encore tout à fait, à quel point il est important, mais j’imagine qu’un tel témoignage de mon affection pour lui pourrait peut-être le décourager. Qui voudrait d’un pot de colle comme moi dans sa vie?

Je sursaute au moment où Maxence s’étouffe avec sa nourriture, à l’instant même où je prononce les mots «embrasser un garçon». Je devine aussitôt que mes paroles l’ont troublé, bien que jamais autant que moi-même. Je crains les représailles. Il pourrait s’imaginer que je souhaite le provoquer à le faire, ou ne sais-je ce qui peut passer dans la tête de ce stupide garçon! J’aimerais que les amis viennent avec un manuel d’instruction, vous voyez? Particulièrement les hommes, qui m’ont toujours été une énigme. Je n’ai jamais considéré Maxence tel un homme auparavant, ça me fait tout drôle de le penser ainsi plutôt que comme… Bah Max. Je ne saurais l’expliquer, mais j’ai l’impression étrange de le complexifier tout à coup, d’autant plus quand il répondre qu’il pourrait m’apprendre. Là, mon cœur rate un battement et je me demande s’il est sérieux, si je souhaite vraiment apprendre à embrasser un garçon, si je suis prête à le faire, s’il en a envie ou s’il fait juste la suggestion simplement par gentillesse… Or, il se rattrape aussi rapidement pour ajouter qu’il parlait bien du maniement des baguettes et de la guitare et non… d’autre chose. Je recommence donc à respirer, réalisant à quel point j’ai eu chaud lorsqu’il a prononcé ces quelques paroles.

«C’est dingue pendant un moment j’ai cru que tu parlais de…»

Oui non, laisse, Nora. Laisse et tais-toi. Ce que je fais aussitôt en plongeant toute mon attention sur mon assiette de nouilles, que je me mets à dévorer pour faire taire mon embarras. Je réalise néanmoins rapidement que ces nouilles sont légèrement plus épicées que prévu et elles se mettent à me brûler la langue et à augmenter encore plus la chaleur présente dans mon corps. Je me mets à me tortiller sur sa chaise en tentant de me montrer forte contre les épices délicieuses mais douloureuses, surtout que le goût me pousse à continuer. Je retire rapidement ma veste, n’y tenant plus, avant de déboutonner deux boutons de mon chemisier-débardeur que j’avais boutonné jusqu’au cou. Même ainsi, rien n’y fait, j’ai l’impression de brûler de l’intérieur. Je déplace donc mes cheveux d’un côté de mes épaules, dégageant ainsi ma nuque et mon cou. Je me sens bien mieux ainsi et soupire de soulagement, avant de m’attaquer au reste de mon repas.

«Ouf, c’est épicé ce truc!»

Néanmoins, je parviens à presque tout finir de mon assiette, laissant cependant quelques sushis à mon hôte quand mon estomac menace d’exploser. Je me laisse tomber sur mon dossier, observant dehors par la fenêtre, où le ciel est sombre déjà. Je vois aussi mon reflet, et je me semble jolie tout à coup. Je n’ai pas l’habitude de déboutonner ainsi mon débardeur, et je réalise que mon décolleté plonge légèrement plus que d’habitude. Gênée de mon apparence, je frissonne avant de m’éclaircir la gorge en espérant secrètement que Max n’aura rien remarqué.

«Je vais faire la vaisselle… Après tu voudras bien me jouer encore quelques morceaux?»

Je lui offre mon regard le plus adorable… il ne pourrait pas dire non n’est-ce pas?

Je me suis totalement grillé sur ce coup là. M'étouffer en même temps que Nora prononce ces quelques mots ne pouvait que trahir ma surprise et mon embarra. Mais pourquoi a-t-elle utilisé cet exemple précisément ? Et pile juste après que j'ai failli... L'embrasser ? Est-ce que ça veut dire qu'elle a remarqué ? Oh mon dieu si c'est le cas, comment pourrais-je un jour me sentir à nouveau à l'aise près d'elle... Je me demande même comment elle fait pour garder son calme et tenter de continuer une conversation ainsi. Avec un peu de chance je m'imagine trop de chose, si ça se trouve le mouvement d'approche que j'ai effectué n'était pas aussi prononcé que je l'ai pensé. Elle n'a peut-être rien remarqué... Mais comment en être sûr ? Je me suis quand même penché malgré le fait que nous étions déjà très proche l'un de l'autre. Je ne peux m'empêcher de penser que c'est parce que ça a failli arriver qu'elle y fait référence, qu'elle me test même peut-être ? Non ce n'est pas son genre, voilà que je deviens parano... Dans tous les cas m'apitoyer sur mon sort et me poser des tas de questions ne fera rien avancer, j'ai la fâcheuse habitude de le faire, bien trop souvent à mon goût. Si seulement tout pouvait être clair dans ma tête, j'aimerais tellement comprendre et savoir comment interpréter les paroles ou les actions d'autrui...

Je dois avoir l'air déconfit à l'heure actuelle même si je doute qu'elle puisse le voir sur mon visage qui est braqué vers le bas. J'aurais préféré trouver d'autres mots pour m'exprimer ou carrément autre chose à dire. Je sais que j'ai dû la rendre confuse avant de me rattraper, je l'ai pourtant fait le plus rapidement possible. Moi, lui apprendre à... à... embrasser ? Enfin surtout moi quoi, je n'ai jamais embrassé de fille et je... Enfin comment je pourrais... Raaah mais pourquoi faut-il que je pense à tout ça ? Je vois déjà des images, nous deux de retour dans le canapé et moi qui... qui lui indique comment po-positionner son visage et... et... Non non non je ne voudrais pas et de toute façon je ne suis pas prêt ! Je ne peux pas apprendre ce que je ne connais pas moi-même. Et même si ça devait arriver je... Je ne veux pas que ça se passe comme ça. Si je devais embrasser Nora, ça ne serait pas pour lui enseigner mais bien par... Et bien par amour. Je me mets à transpirer. Amour ? Je... Je n'ai jamais émis l'hypothèse que je pourrais être... Enfin pas que je sois amoureux d'elle mais rien que m'imaginer être amoureux c'est... C'est étrange.

Mon amie me répond en ne finissant pas sa phrase même si je l'imagine très bien. Oui je sais, je n'ai pas été très clair au début... Je n'en rajoute pas et me contente de continuer à manger alors que je vois que Nora fait de même. Je remarque même qu'elle le fait vite dis donc, est-ce que je lui ai précisé que ces nouilles étaient... Apparemment non, elle commence à trépigner sur sa chaise et à rougir de plus belle. Oui évidement, les épices devaient être plutôt forts, je me rappelle moi même avoir été surpris la première fois que j'ai mangé ce genre de plat. Je baisse les yeux vers mon assiette pour piquer avec ma fourchette une nouvelle bouchée et lorsque je relève la tête, je vois Nora déboutonner son chemiser après avoir enlever sa veste. Je rougis immédiatement à la vue de ses épaules nues et de sa poitrine légèrement plus dégagée que d'habitude. Mes yeux papillonnent légèrement alors que je reste immobile quelques secondes. Mais c'est le mouvement qu'elle effectue juste après qui me fait ressentir une bouffée de chaleur énorme. Je la scrute faire passer ses cheveux d'un côté de sa tête, dévoilant entièrement son cou et m'offrant ainsi une nouvelle vision d'elle. Sa chevelure est si magnifique, une cascade dorée vu de cet angle... Je ne bouge pas, les yeux limite écarquillés face à se spectacle.

Elle recommence à manger alors que je reste paralysé en la fixant avant de sursauter et de faire de même. J'espère qu'elle n'a pas remarqué l'insistance avec laquelle je la regardais... Mon corps est parcouru de frissons et je ressens des guilis dans mon ventre, voir Nora ainsi me frappe. J'ai toujours trouvé qu'elle était belle, gracieuse mais là je la trouve... Je ne sais pas, sublime, séduisante, ensorcelante, attrayante, envoûtante. Il y a trop d'adjectifs pour que je puisse tous les énumérer. Une fois son repas fini, elle se détend et regarde par la fenêtre, m'offrant un profil magnifique. Je me contente de terminer mon assiette en la dévorant du regard jusqu'à ce qu'elle me propose de faire la vaisselle et me fasse une requête. C'est à ce moment que je perds tout contrôle, que j'ai l'impression de n'être plus qu'un pantin, une marionnette. Je fonds face au regard qu'elle me lance et je peine à ouvrir la bouche pour lui répondre. Elle est si mignonne et me paraît si différente que d'habitude...

« Euh.. Je.. Geuh... Bveuh... »

Je me contente de hocher la tête, n'arrivant pas à m'exprimer correctement. Je me lève en tremblant légèrement, encore secoué par l'allure de Nora, et l'aide à débarrasser. Je n'ai pas non plus envie de la laisser faire tout le travail. De temps en temps je lui jette un coup d’œil, n'arrivant pas à ne plus la regarder quelques secondes puis je me dirige à nouveau vers le canapé. Je repense à ce que je m'étais imaginé tout à l'heure par rapport à «l'amour» et... Je commence à me poser sérieusement des questions sur mes ressentis face à Nora. Je... Je crois que je tombe amoureux. J'ai peur, vraiment peur à cette idée. Peur que cela change quelque chose entre nous, peur qu'elle le découvre, peur que je ne puisse plus agir comme avant. Et j'ai aussi peur de ces nouvelles sensations et de tout ce qui en découle. Il faut que j'agisse normalement, c'est peut-être juste passager... Je m'assois et positionne ma guitare sur ma jambe avant de m'adresser à Nora, hésitant.

« Hum... Nora ? Est-ce que tu... Est-ce que tu veux bien chanter pendant que je joue ? Enfin c'est comme tu veux hein mais si on connaît un morceau en commun et puis tu as une si jolie voix... »

Je ne me souviens pas avoir formulé un jour la pensée que je pourrais être jolie un jour, et encore moins l’avoir constaté par moi-même en m’observant dans la glace. À vrai dire, peu soucieuse de mon apparence, je n’y ai porté qu’une attention diffuse dans les dernières années. Je ne me considère dans le miroir que très rarement, lors des occasions spéciales… Or, chaque occasion passée en compagnie de Maxence m’apparaît spéciale, spécifique, unique, si bien qu’autrement j’ai envie non seulement de me considérer comme tel, mais aussi d’apparaître à ses yeux telle une beauté. Une envie bien vaniteuse que celle-ci, une qui ne me ressemble guère. Or j’ai l’habitude à présent de m’égarer loin des sentiers battus en sa compagnie. Très, très loin des sentiers battus. À présent que nous terminé de manger et que je m’active à faire la rare vaisselle que nous avons laissé à notre suite, je frissonne à l’idée de la suite de cette soirée, plongée dans un inconnu dans lequel je n’ai de repère que ma confiance envers mon partenaire ce soir. Partenaire de mes moindres faits et gestes. Je réalise avec quelle symbiose nous effectuons chacun de nos mouvements depuis le début de la soirée. Cette chanson en est l’exemple parfait, l’apogée même de notre complicité, celle qui m’a mené à… à le toucher. Je réalise avec une certaine culpabilité que j’ai… j’ai envie de recommencer. J’ai néanmoins retiré ma main trop vite… trop vite pour savoir si ce geste était accepté ou non.

Confusion totale. Je parviens enfin à reconnaître mon envie grandissante de me rapprocher de lui, probablement pour repousser les limites de notre amitié, de la tester. Probablement que j’ai envie de savoir à quel point j’arrive à lui faire confiance. Car je n’ai jamais eu même la fraction d’une envie d’échanger quelque contact physique avec autrui, quel qu’il soit, hormis probablement ma famille à laquelle je parviens assez à m’ouvrir pour offrir quelques câlins timides et hésitants. Maxence, tout est différent en sa compagnie, si bien je me sens brutalement nerveuse à l’idée de la suite de cette soirée tout à fait imprévisible. J’entends sa requête m’étant parvenue du salon, une requête qui me fait sourire. Je n’y réponds pas tout de suite, plus timide que tout à l’heure cette fois et quelque peu réticente à l’idée de lui faire entendre ma voix à nouveau. Néanmoins la perspective d’échanger une autre chanson avec lui me séduit. Une fois mon ouvrage terminé, je le rejoins donc dans l’autre pièce, hésitante, visiblement troublée et réservée, même si un léger sourire flotte contre mes lèvres. Je n’ose plus le regarder, plus depuis qu’il a reposé la guitare contre ses genoux. Je joue plutôt nerveusement avec une mèche blonde s’étant échappée de mon épaule pour rejoindre l’autre côté.

«J’imagine qu’on pourrait oui… J’ai-aime bien chanter quand c’est pour toi.»

Je rougis un peu avant de le rejoindre contre ce fameux canapé, pleine d’appréhensions, de questionnements laissés sans réponses aussi. Je réfléchis à une chanson que je connais assez pour en entamer toutes les paroles, et trouve bientôt la chanson parfaite.

«Oh, on pourrait jouer une autre chanson des Beatles, comme je les connais à peu près toutes par cœur? Que penses-tu de I want to hold your hand?»

Une fois la chanson décidée, je me place à nouveau tout près de lui, bien qu’un peu plus en recul par rapport à tout à l’heure. Je fais un effort pour me souvenir des mots, puis me sentant prête, je lui adresse à mon tour une requête.

«Pourrais-tu la jouer avec un tempo plus lent? J’ai toujours trouvé la version originale trop rapide… après tout il s’agit d’une chanson d’amour, pourquoi se presser?»

Oui, jouons une autre chanson, ça sera bien comme ça. A nouveau j'ai envie de m'échapper, d'oublier un peu ce qu'il se passe autour de moi. Mais pourtant j'hésite. Pourquoi ne pas tenter de s'aventurer sur ce chemin ? Pourquoi ne pas essayer de découvrir où nous mènera cette soirée ? Tout se déroule très vite et j'ai du mal à me décider, à savoir quoi faire. Je ne sais pas quoi faire de toute façon. Toutes ces situations sont nouvelles pour moi, c'est la première fois que j'y suis confronté. Alors je me contente de découvrir, de continuer à parler et d'agir instinctivement en observant ce qu'il se passe. C'est juste que j'ai l'impression de voir Nora autrement que d'habitude ce soir. Elle agit de façon différente et même au niveau... Physique je la redécouvre. Je sais qu'il faudrait que j'arrête de la fixer, de scruter ses moindres faits et gestes mais comment m'en empêcher ? Toutes ces émotions se bousculent dans ma tête et c'est pourquoi j'ai préféré fuir vers le canapé, fuir derrière ma guitare en acceptant docilement sa proposition. Comment aurais-je pu refuser avec ce regard après tout... Mais je ne me cache pas totalement, je lui demande de me rejoindre. Ce moment lorsqu'on a joué Blackbird était si intense, si inhabituel, j'ai envie de le revivre. J'ai besoin de l'entendre à nouveau chanter, de me retrouver à nouveau en harmonie avec elle... proche d'elle. Jamais le contact n'avait été aussi fort entre nous et je n'ai pas envie que cela s'arrête maintenant. Nous avons toute la soirée pour savoir où tout cela nous mènera.

J'attends patiemment sur le canapé, en regardant mes pieds et en jouant un peu avec mes mains alors que je guette sa réponse. Je ne sais pas si j'arriverai encore à jouer un morceau seul après tout ce qu'il s'est passé avant qu'on mange et après aussi d'ailleurs. J'ai encore l'image de son visage à la fin du repas gravé dans mon esprit. Ce visage si doux et pâle, d'où ses yeux bleu glacés pourtant si chaleureux avaient plongé dans les miens. Je me rends compte à quel point j'ai dû avoir l'air stupide à ce moment là, à bafouiller et à la fixer sans rien répondre... J'ai été si absorbé par son regard et par la beauté qu'elle réfléchissait, impossible pour moi de me concentrer pour parler. C'est bien la première fois que je la contemple ainsi et que je me rends compte d'à quel point c'est une belle femme. Enfin bref... Je relève les yeux lorsque je la vois se diriger vers moi, un petit sourire aux lèvres et une main tripotant une mèche de cheveux. Elle accepte ma demande et la fin de sa phrase me fait rougir. Quand c'est pour moi... Cette impression d'être privilégié, d'être un des seuls à pouvoir entendre la mélodie de sa voix, me rempli de bonheur. Je la suis discrètement du regard alors qu'elle revient s'asseoir sur la canapé, l'air pensive. J'espère que je connaîtrais la musique qu'elle me proposera, je ne veux pas la décevoir en refusant.

Je souris de soulagement en la regardant à nouveau dans les yeux alors qu'elle me propose un autre morceau des Beatles. Je les connais presque tous aussi, quelle chance qu'elle les apprécie autant. J’acquiesce et commence à essayer de me rappeler des accords de la musique choisie et je sursaute doucement lorsque je remarque que Nora s'est rapprochée de moi. Je suis toujours aussi muet et me contente de la fixer alors qu'elle me demande de jouer la chanson différemment. Je trouve l'idée de ralentir le tempo très bonne et je pense que je pourrais même jouer de façon plus douce pour m'adapter à sa voix. Je hoche la tête et tourne mon regard vers le manche de ma guitare pour commencer à entonner les premières notes. Ça sera donc une version acoustique et plus paisible, accompagnée d'une voix d'ange. Je fais attention à jouer le plus précautionneusement possible pour mettre à l'aise la jeune femme et lui permettre de me rejoindre facilement. Je souris et lève mon regard vers le sien alors que j'attends avec impatience de l'entendre chanter pour la seconde fois ce soir.

Je n’ai aucune réticence particulière envers la version originale de la chanson I want to hold your hand, bien au contraire. Je l’ai toujours bien appréciée pour sa simplicité chaleureuse, ses paroles adorables et justement ce tempo accrocheur et léger. Néanmoins, je me suis récemment entichée d’une version plus calme, plus personnelle et douce qui correspond d’avantage à ma voix et ma personnalité. J’ai envie de la faire découvrir à mon musicien favori, pour peu qu’il accepte de modifier ce vieux classique. La perspective de personnaliser ce morceau et le rendre parfaitement unique à nous deux me comblerait totalement, mais je comprendrais aussi qu’il refuse. Au final, peu m’importe la chanson, peu m’importe les paroles ou le tempo utilisé. J’ai envie de recréer une part de la magie nous ayant habité avant d’être brusquement interrompus par l’arrivée du livreur. Je me demande si seulement c’est possible, jusqu’où les événements spontanés de cette relation flottante nous mèneront. J’ai envie de me laisser planer jusqu’à lui de nouveau, me perdre dans le flot des sensations grisantes m’ayant saisie tout à l’heure, et tout comme lui je pense que la musique est le moteur ayant engendré chez nous cette chimie doucereuse nous ayant jeté dans l’inconnu. Je me sens quelque peu me détendre en me rapprochant de lui, observant ce visage sur lequel je devine un trouble que je sais m’appartenir, dont je sais être l’auteur. Je me demande jusqu’à quel point je pourrai nous déstabiliser avant que nous ne s’effondre entre mes doigts. Au contact émeraude de son regard, je me sens entourée de l’ambiance intime qui nous pris tout à l’heure.

Derrière sa guitare, il me semble tellement inaccessible. Et plus séduisant que jamais. Sitôt il entame que ma gorge se serre, m’offrant la crainte que je ne parviendrai plus même à chanter devant la beauté des notes qu’il échappe de son instrument. J’en viens presque à jalouser ce simple fragment de bois prenant vie sous ses doigts, cette musique qu’il a décrite comme son seul amour. Pendant un instant me vient l’envie de lui retirer la guitare des mains, lui réclamer toute mon attention, et pourtant je m’abstiens, prise par une force plus grande ensemble, celle qui me porte moi aussi à la musique. Je me mets à chanter, tout en douceur, ces paroles qui ont bercé de nombreux instants heureux de mon enfance, ces instants naïfs où je me demandais si je tomberais amoureuse un jour.

«Oh yeah I'll tell you something
I think you'll understand
When I say that something
I wanna hold your hand»

Et ainsi mes lèvres articulent ces paroles qui vibrent ils me semblent sur ma langue comme un bonbon sucré. J’en perds toute notion du temps ou de l’espace, il ne subsiste plus que ma voix chantant avec une passion que je ne me connaissais pas, une voix langoureuse et éprise, comme une adolescente amoureuse, une qui se permet encore de rêver à ce prince charmant qu’elle a probablement simplement sous les yeux. Mes paupières se sont closes d’elles-mêmes. J’entame le refrain, qui prend tout son sens à mes yeux. J’ouvre les miens pour le regarder, comme pour lui adresser ces quelques mots.

«Now let me hold your hand
I wanna hold your hand

And when I touch you I feel happy inside
It's such a feeling that my love
I can't hide, I can't hide, I can't hide»

Je n’ai plus envie de me cacher non plus. Je souris doucement en scrutant ses traits, légère comme la brise, prise d’une tornade d’émotions contradictoires, douloureusement délicieuses. Je me sens comme jamais auparavant. Lorsque la chanson se tait, je ne cesse plus ma contemplation minutieuse de son visage, où je semble être scotchée. Je ne réalise pas vraiment ce que je fais, mais d’elles-mêmes, mes mains agrippent sa guitare et la lui retirent, délicatement, avant de la poser derrière moi sur le sofa. Je ne sais plus quoi dire maintenant, ou quoi faire, mais je me penche vers lui pour venir poser mon front contre son épaule. Mon cœur bat si fort que je suis certaine qu’il parvient à en saisir les battements affolés. Au contact de mon visage contre sa peau, je me sens fondre encore plus, incapable d’expliquer mon comportement. J’ai simplement envie d’être tout près, tout près de lui. Je n’ai pas envie de ses questions. Lentement, je viens entourer son torse de mon bras pour me blottir un peu plus contre lui avant de soupirer d’aise. Et en priant pour ne pas être repoussée.

Les Beatles est bien un des groupes qui m'a profondément marqué dans ma jeunesse. Ce sont leurs morceaux qui passaient en boucle chez moi, entrecoupés d'autres chansons de Michael Jackson, de ZZ Top ou bien de J.J Cale. Mes parents ne jouent pas de musique mais ils en ont toujours écouté énormément, ce qui installait cette ambiance particulière chez moi par le passé, festive et joyeuse. Cela m'a permis d'élargir ma culture musicale, de découvrir des tas de groupe qui, quand je les entends maintenant, me rappellent des souvenirs. Qu'ils soient bons ou mauvais. Je ne peux m'empêcher d'éprouver des émotions particulières lorsque j'entends ces morceaux aujourd'hui, de la joie mais de la nostalgie aussi... Je me demande si Nora ressent la même chose avec ses groupes préférés, avec les Beatles par exemple. Je sais maintenant qu'elle les aime beaucoup et ça me fait plaisir. Elle m'a aussi parlé de Jazz, j'en déduis donc que nous avons à peu près les mêmes goûts musicaux. C'est autour de tout ça qu'il se passe quelque chose ce soir. Sans la musique, qu'aurait-on fait ? C'est grâce à elle que je découvre Nora autrement, que je peux entendre sa voix d'une nouvelle façon. Encore une fois je me demande ce qu'il va se passer par la suite. Est-ce que nous allons revivre la même chose que tout à l'heure lorsque nous avons interprété Blackbird ? Peut-être que oui... Mais je sais que ça sera différent. Cette fois nous n'attendons personne, rien ne pourra venir interrompre ce moment. Alors que va-t-il se passer ? Je n'en sais rien. J'ai un peu peur mais d'un côté j'ai envie de le découvrir.

C'est en abandonnant toutes ces pensées, en les rangeant dans un coin de mon esprit que je joue le début de ce nouveau morceau, de cette nouvelle aventure. J'ai l'impression d'avoir la partition devant les yeux, mes doigts bougent machinalement le long du manche de ma guitare. Je dois parfois me concentrer pour prévoir à l'avance quelle modification effectuer pour rendre unique notre version du morceau. Nora vient ajouter sa touche personnelle en commençant à chanter une nouvelle fois, laissant sa voix doucereuse atteindre mes oreilles. Je profite de chaque sons qui en émanent, chaque variations, chaque intonation. Pour la deuxième fois je me laisse bercer par le chant de mon amie qui me transporte, me met en transe. Ces sons qui après tout ne sont que de simples vibrations ont un impact puissant sur moi. Je sens mon cœur battre plus fort et j'ai l'impression que les notes émanent d'elles-même de ma guitare, que je ne joue plus. Mon sourire ne s'efface plus et je fais défiler mon regard de mon instrument au visage de Nora dont les yeux sont clos. Je les aperçoit enfin à partir du refrain alors que sa voix semble prendre une nouvelle intonation. Avec la façon dont elle me regarde, dont elle chante, j'ai l'impression qu'elle me parle, qu'elle m'adresse ces paroles. Sûrement mon imagination, j'essaye de ne pas trop y faire attention. Nos regards ne se quittent plus alors que la chanson se termine comme elle a commencé, dans le plus grand calme.

Une fois encore, le silence retombe mais pour une fois, aucune gêne, aucun malaise. Je me sens parfaitement bien, même mieux que jamais. Mes mains tombent du manche de ma guitare pour venir se poser sur mes jambes alors que je n'ose pas bouger ni détourner le regard, par peur de briser cet instant. Je ne sais pas ce qu'il se passe mais pour une fois, je ne me demande pas ce que je dois faire. Je laisse les choses se dérouler par elles-mêmes, profitant de l'instant présent sans me remplir le crâne de questions toutes plus inutiles les unes que les autres. Je ne fais qu'observer le visage de Nora, me laissant me noyer dans son regard. C'est alors qu'elle effectue un mouvement, que ses bras se tendent en ma direction pour venir attraper ma guitare. Je lui jette un regard perplexe alors que je la laisse faire, mon rythme cardiaque s’accélérant.

« Euh, qu'est-ce que tu... »

Les derniers mots de ma phrase s'éteignent dans ma gorge et je garde la bouche entrouverte en l'observant m'enlever la guitare et la déposer doucement à l'autre extrémité du canapé. J'ai l'impression de me retrouver nu, sans défense. Je ressens un courant d'air frais là où l'instrument se situait juste avant et je ne sais plus où mettre mes bras. J'étais comme caché, protégé par un bouclier derrière la caisse de l'instrument et je me sens maintenant vulnérable. Et c'est de cette vulnérabilité que profite Nora alors qu'à ma plus grande surprise elle se rapproche de plus en plus jusqu'à se blottir contre moi. J'ai soudainement très chaud et mon cœur rate un battement alors que je ne réalise pas tout à fait ce qu'il se passe. Mes yeux écarquillés fixe la jeune femme qui n'a jamais été aussi près de moi. Je frissonne lorsque je sens la chaleur de son visage contre moi et la douceur de ses cheveux sur mon cou. Mon cœur bat la chamade et mon corps est tendu, je ne sais pas comment réagir. Elle... Elle est si proche et je... Je m'attendais à tout sauf à ça. Pourtant j'ai l'impression de me détendre, je crois que c'est ce que j'attendais depuis tout à l'heure. Je ressentais ce besoin d'effacer cette distance entre nous, d'être toujours plus proche d'elle et maintenant elle est là, contre moi. Le souffle chaud de son soupir vient effleurer mon cou et m'arrache un nouveau frisson alors que son bras vient m'enlacer. Je suis prisonnier, incapable d'effectuer le moindre mouvement. Je n'en ai pas envie. Inconsciemment mes bras viennent enfin se déposer d'un côté sur son épaule et de l'autre contre le sien qui se situe sur mon torse. Je fais taire cette panique qui m'a prit et laisse ma tête se poser délicatement au dessus de la sienne. Des vagues de bonheurs me traversent et j'oublie tout ce qui se passe autour de nous, profitant un maximum de ce contact, de cet événement tout particulier. Jamais je ne me suis senti aussi bien. Mes yeux se ferment alors que je hume son parfum si enivrant, m'abandonnant totalement à ce moment unique, qui restera gravé à jamais dans ma mémoire.

Une chaleur innommable. Me baignant d’une paix fébrile qui rend chaque mouvement capricieux, précipité et nerveux, mais aussi empreint de douceur d’une tendresse qu’on ne m’avait jamais témoignée. Je ne cherche plus les raisons expliquant ce brusque élan qui m’a poussé vers lui, je… J’ai simplement obéi à un instinct me dictant cette voie, celle que nous tentions de rattraper depuis tout à l’heure j’ai l’impression. Ainsi blottie contre lui, mon bras entourant son torse, je vis avec délice la sensation qu’il m’appartient, ne serait-ce que pour un instant, que rien ne pourra me l’arracher. Je soupire au creux de son cou, goûtant avec délice aux diverses sensations qui émanent de tous mes sens. De ma vue toute privilégiée d’abord, cette vision rapprochée de lui et sous un angle jamais exploré. Ce que je vois? Son cou et sa poitrine, sa pomme d’Adam qui se relève et se détend à chaque fois qu’il déglutit, nerveux sans l’ombre d’un doute. Je peux voir une veine palpiter à son cou, quelques poils naissants à son menton. De mon ouïe, je peux entendre sa respiration qui s’est accélérée. De mon odorat, son haleine japonaise, ainsi qu’une odeur plus entêtante encore. Je n’aurais jamais cru que l’odeur corporelle d’une autre personne pourrait autant me plaire, je n’aurais jamais cru qu’elle aurait pu être agréable. Mais lui il sent… il le sent les feuilles en automne, la brise qui caresse le visage, il sent l’amour et la tendresse. Mais le sens le plus sollicité ici est celui du toucher, ces délicieux frissons qui parcourent ma peau à son contact exploratoire.

Une bribe de sensations qui explosent à l’instant où je le sens bouger contre mon corps tendu contre le sien, ses bras se refermant sur ma frêle silhouette. Aussitôt, je me mets à trembler, prise d’un vertige déroutant. Sa tête se pose contre le mienne, m’emprisonnant dans sa prise que je j’ai pourtant recherchée. Pendant quelques instants pénibles, je vis progressivement un coup de panique de me savoir si vulnérable dans les bras d’un autre, si accessible, toute offerte à lui. Pendant un instant je redoute l’avenir, pendant un instant les questions m’assaillent et me secouent d’un doute qui n’a aucun lieu d’être. Mais de lui faire confiance n’a jamais été aussi aisé, malgré son naturel chaleureux, coopératif et compréhensif, malgré toutes ses innombrables qualités. Et je crains de me tromper et cherchant ce contact physique, en franchissant de nouvelles limites. J’ai peur de ce qui va suivre, mais encore plus du moment présent. Puis dans l’agitation interne qui me secoue, un effleurement me rappelle à l’ordre, celui qui caresse la peau de ce bras que j’ai refermé sur sa poitrine. Celui d’un cœur qui bat comme un forcené. Celui de Maxence. Est-ce possible qu’il soit aussi effrayé que je puisse l’être à l’instant? Comment le pourrait-il? Lui que je considère inébranlable, le voilà tout aussi décontenancé devant mon geste et le sien. Et soudain, un léger rire m’échappe, comme si une pression venait de se relâcher. J’ai compris enfin que nous sommes sots. Que rien de ce que nous avons fait auparavant de m’a paru aussi naturel. Que nous n’avons aucune raison de nous inquiéter. Un sourire malicieux aux lèvres, le regard teinté de timidité, je lui adresse ces quelques mots à mi-voix, comme par peur de briser l’état de quiétude qui s’est emparé de moi.

«Tu… tu donnes de très bons câlins, Maxence.»

À la mention de son nom, un sursaut vient prendre mes lèvres. Je peux sentir son souffle contre mon visage à l’instant, si près. Mais je n’ose pas. Je suis terrorisée. Alors je me contente de profiter de ce rapprochement pour détailler les traits de son visage et me perdre dans l’émeraude de ses yeux. Ce bras que j’ai placé autour de lui se relâche alors que je pose ma main contre sa poitrine pour mieux saisir les battements frénétiques qui l’animent.

«Ton cœur bat si vite…»

Mais jamais autant que le mien.

La situation m'échappe totalement et mon esprit se retrouve comme troublé par une douce brume venue se placer devant toutes mes questions, toutes les images qui pourraient apparaître devant mes yeux. Mon attention est focalisé par ce que je ressens alors que je goûte à des myriades de nouvelles sensations. Je prends le temps d'apprécier le contact de cette douce chevelure contre ma joue, d'essayer de sentir chaque mouvement de Nora. A chacune de mes inspirations, je savoure l'odeur agréable et enivrante des produits qu'elle a dû appliquer sur ses cheveux. Ils sentent les fruits, la propreté et viennent me réchauffer de l'intérieur alors que ma tête me tourne. Mes poils ne semblent pas vouloir retomber en place, chaque expiration de mon amie vient se frotter à mon cou et la chaleur de se souffle me fait trembler de bonheur. Je ressens aussi la douceur de sa peau pâle sous mes doigts, elle me semble parfaite... Tout le reste de mon corps est immobilisé, paralysé car je suis incapable d'effectuer le moindre mouvement. Je ne veux pas mettre fin à ce moment incroyable, à cette impression de bien-être qui inonde chacun de mes membres. Nous sommes comme... En symbiose. Jamais je n'avais éprouvé de telles sensations et c'est Nora qui a déclenché tout ça. Je me rends compte que depuis notre rencontre, je suis comme passé à un nouveau stade de ma vie. Je découvre tant de chose en sa compagnie...

Je profite de chaque seconde qui passe, n'ayant plus la notion du temps. Je ne sais pas depuis combien de temps nous sommes là, l'un contre l'autre, mais si c'était possible, je voudrais rester ainsi à l'infini. Cependant un soubresaut vient me sortir de cet état d'hypnose et j'ai l'impression de retrouver l'ouï lorsque j'entends un petit rire s'échapper de sa gorge et venir se buter contre mon cou. Je redresse doucement la tête pour plonger mon regard dans le sien et observer le magnifique sourire qui illumine son visage. Elle ouvre la bouche pour prononcer quelques mots qui viennent me réchauffer le cœur et m'amuser. Je souris à mon tour alors que mon cœur commence à battre à nouveau à toute vitesse. C'est bête mais rien que le fait d'entendre sa voix me transporte. C'est peut-être parce que nous sommes proches, très proches l'un de l'autre. Je sursaute lorsque je sens une pression sur mon torse et mon regard s'abaisse vers la main de Nora qui s'est échappé de sa position initiale pour venir se déposer contre ma poitrine. Ce contact me tend à nouveau et mon rythme cardiaque semble accélérer, encore et encore.  Oui, mon cœur bat vite, très vite. J'ai l'impression qu'il va lâcher, que c'est impossible qu'il batte aussi rapidement. Je panique alors que je relève mes yeux vers les siens, deux cristaux qui me fixent, qui me tétanisent. Je crois que je transpire, que je tremble, ma respiration s'est accélérée elle aussi et j'ouvre la bouche pour tenter de répondre.

« Je... Je... »

Mais aucun mot ne sort, aucun son. J'ai l'impression qu'on me pousse vers l'avant, je résiste mais la pression est trop grande. C'est alors que l'impossible se produit. Ce que j'avais imaginé auparavant, ces images qui revenaient sans cesse, se réalise. Mes yeux se sont clos alors que mes lèvres, elles, sont venues se déposer délicatement sur les siennes. Je ne ressens plus rien autour de moi, ni le canapé, ni le sol... J'ai l'impression de flotter dans le vide, que le temps s'est arrêté, que je suis en plein rêve. Ma tête me tourne, tellement que j'ai l'impression d'être à l'envers, que je vais m'évanouir. Ma main qui se trouvait précédemment sur son épaule a glissé tout doucement vers l'arrière de sa nuque, sous la cascade que forme ses cheveux. Mon autre bras n'a pas bougé, et effleure la longueur du sien. Mon cœur qui battait si frénétiquement quelques secondes avant s'est arrêté. Je suis en train d'embrasser Nora, tendrement et dans la plus grande quiétude. Je retiens mon souffle alors que mes lèvres semblent électrifiées, goûtant à cette toute nouvelle expérience.  C'est irréelle, improbable et... C'est enfin que ma bouche se détache de la sienne, que j'ouvre à nouveau les yeux en me reculant doucement, la fixant avec une expression indéchiffrable. Je ne sais pas si cela a duré une seconde ou cinq, je me demande même si je ne l'ai pas imaginé.

Mais c'est alors que je me rends compte de mon acte et que, prit d'un choc énorme, je me recule soudainement. J'ôte vivement mes mains de sa peau et je ne détache pas mes yeux des siens, l'ai horrifié et absolument confus. Mon ventre se serre alors que l'ambiance chaleureuse et paisible qui régnait auparavant me quitte. J'ai tout gâché mais qu'est-ce que j'ai fait ?

« Oh mon dieu Nora je... ! J-Je suis terriblement désolé ! »

Je recule encore, me sentant bien trop près et extrêmement coupable. Je veux lui donner de l'espace, si ce que j'ai fait est mal accueilli elle ne voudra jamais se trouver encore près de moi. Et évidemment que ça sera le cas, mais qu'est-ce qu'il m'a prit... J'ai... J'ai été comme attiré, impossible pour moi de me contrôler.

« Je... Jamais je n'aurais dû c'est... Mon dieu, Nora, pardonne-moi... »

Nous nous trouvons à la croisée des chemins, plus encore que tout à l’heure. Je sens la rumeur planer entre nos deux corps chargés d’émotions vives, dont la preuve palpite sous mes doigts. J’ai presque la crainte qu’il ne cède, ce cœur que je retiens dans sa poitrine de ma main exploratrice. Je suis terrifiée même, des limites que je franchis doucement, sans parvenir à en voir la fin. Je me demande inlassablement ce qui se trame sous son front, si ce cœur s’affole de par angoisse ou s’il se gonfle d’envies indéfinies, jusqu’où s’arrête cette épopée dans laquelle je nous ai lancé sans même le vouloir, en obéissant seule aux instincts me dictant le moindre de mes faits et geste. Et il aurait été plus facile de poursuivre sur ma lancée, d’entamer le geste qui serait venu me consumer toute entière et briser ce mystère qui plane entre nous depuis mon entrée dans cet appartement. Plus facile que de trancher plutôt que de rester dans l’inconnu, dans un puis d’incertitudes, à attendre peut-être qu’il ne vienne assouvir l’impatience qui m’a prise. Absorbée par ma contemplation de ses traits les plus subtils, les plus doux, je devine son trouble. Dans son regard, dans toutes les rides qui viennent obscurcir son visage de doute, jusqu’à ce que je le sente se détendre. Alors je sais, je sens, je vis. Qu’il apprécie cet instant. Qu’il me désire aussi.

Puis il amorce cette lente descente vers mon visage. Je me retiens, je m’abandonne, je m’agrippe à lui pour le fuir. Inévitable, ce baiser que j’ai sournoisement espéré, sans même le réaliser. Ce baiser qu’il vient poser contre mes lèvres humides, hésitantes, tremblantes sous les siennes. Un tremblement repris dans chaque instance de chair de mon corps, comme un frisson irréversible, entamant un changement qui ne pourra être renversé. Une sensation enivrante me déchire l’estomac. Son contact est doux, chaud, tendre, humide et maladroit, comme chacune de ses caresses. Il m’a saisie, m’a prise pour lui, baignée dans ses bras. Là où je sais pouvoir m’abandonner toute entière. Lentement mes muscles desserrent leur prise prudente, se laissent tomber, tomber, tomber. Il est trop tard pour moi à présent, je le sais à présent. Mon cœur encore adolescent s’est épris de lui, ce baiser venant sceller ce que j’ai toujours refusé de constater. Maxence… J’ai envie de souffler son nom, je le formule sous ce crâne vidé de la moindre pensée. Il n’existe plus que lui, ce contact étrange et plaisant qui, à mesure que les secondes s’écoulent dans une immobilité solennelle, me baigne de sensations délicieuses.

Brutalement, elles me sont retirées, alors que Maxence, plutôt que de poursuivre ses investigations intimes, me repousse avec une violence qui me heurte, qui me brise, qui me recule dans mes retranchements les plus vulnérables. L’horreur que je devine dans ses yeux achève de m’arracher tous les espoirs que j’avais placé en lui sans même le réaliser, cet espoir que… Je l’ignore encore. Peu importe. Ces songes avortés doivent en rester ainsi, au stade de présomptions et d’un premier baiser volé, le seul d’une longue vie de solitude il me semble. Je me redresse, quitte ce sofa qui vient de nous voir échanger cet instant, incapable de retenir le flot de larmes qui envahit mon regard suite à ce rejet aussi violent. Ainsi je reste, devant le résultat de ce que j’ai toujours su inévitable. Ce cœur que je lui ai si longtemps gardé l’accès, il vient d’en forcer l’entrée. De le déchirer. Si seulement j’avais… été plus forte. Plus froide. Si seulement j’avais écouté cette voix qui hurlait de me méfier.

«C’est moi qui suis désolée… Je n’aurais pas du t’importuner avec…»

Je ne termine pas ma phrase. Le bordel que je suis. Cette fille qui ne sera jamais assez bien pour lui, pour quiconque. Je sens venir la panique dans ma poitrine, ma respiration s’accélérer alors que je cherche mon air. Je refuse de craquer devant lui. Je veux disparaître. Sans prendre la peine de récupérer mon sac, je me dirige en courant vers la porte. En espérant qu’il ne m’aille pas vu pleurer.

J'ai du mal à me rendre compte de ce qui vient de se passer. Les choses prennent des proportions énormes et m'étourdissent, ce que je viens de faire me semble irréel. Même dans mes pensées j'ai du mal à formuler cette simple phrase : j'ai embrassé Nora. Durant toute ma vie je n'ai eu presque aucun contact avec la gente féminine et ce soir c'est moi qui ait cédé, qui n'ai pas pu résister à cet appel. Impossible de réprimer ce besoin de m'approcher encore plus, d'avoir un contact toujours plus fort. Le simple touché de sa main contre ma poitrine a suffit à me lancer, à me débloquer et à me faire me rendre compte de ce que je ressens pour elle. Je me demande si je vais pouvoir supporter cet assaut d'émotions, toutes ces choses qui normalement prennent du temps et qui viennent de me frapper en quelques minutes seulement. Cependant jamais je n'aurais dû l'embrasser. Bien sûr que j'en avait envie, plus que tout... Mais je... Ce n'était sûrement pas ce qu'elle voulait. Je m'en veux tellement, je me demande même si elle me pardonnera un jour. Tout se passait pour le mieux, nous étions bien installés et je vivais un des plus beaux moments de ma vie. Mais ce regard qu'elle m'a lancé, ce sourire, ce contact, je... Je me suis senti attiré et j'ai agi instinctivement, inconsciemment. Mais à quel prix ?

Une fois écarté, alors que je fixe Nora droit dans les yeux, je suis étonné par ce que je vois. Elle ne me semble ni énervée, ni dégoûtée mais... Triste ? J'avoue ne plus rien comprendre. Je pensais que mon acte était déplacé et que jamais elle ne l'aurait accepté mais pourtant elle ne m'a pas repoussé... Qu'est-ce que j'ai déclenché en faisant une chose pareille ? Je reste planté là alors qu'elle se lève soudainement et que ses yeux s'embrument. Je commence à paniquer, ne saisissant pas ce qu'il se passe, ce qu'il lui arrive. Pourquoi ? Pourquoi des larmes ? Pourquoi faut-il que ce soit moi qui les provoque ? Je fais tout pour l'aider, pour ne pas qu'elle souffre et pour la deuxième fois je me plante totalement, provoquant la chose que je déteste voir. Ce sentiment d'impuissance, de culpabilité me reprend et je ne sais plus quoi faire. Les choses ont dérapé au moment où nous ne nous étions jamais sentis aussi proche, au meilleur moment de la soirée. J'ai eu peur de ce contact mais il est vite devenu celui que je recherche le plus dorénavant. Ce premier pas qu'elle a fait vers moi a tout changer... Mais c'est fini maintenant. Elle s'excuse à son tour alors que je balbutie, mon expression d'horreur devenue une expression d'incompréhension. Sa respiration semble s’accélérer, elle ne va pas bien. D'un coup, sans prévenir, elle se précipite vers la sortie de mon appartement. C'est ce mouvement qui me sort de ma stupeur et qui m'injecte une dose d'adrénaline.

« Non Nora, attends ! »

Je me lève précipitamment et me lance à sa poursuite, la rattrapant juste avant qu'elle n'ouvre la porte. Elle allait partir. Elle n'avait même pas pris le temps de récupérer ses affaires, elle avait juste voulu le fuir. Je m'en veux infiniment, jamais je n'aurait pensé que je pourrais provoquer une telle réaction chez une personne. Une personne que j'apprécie... Que j'aime. Je pose ma main sur son épaule pour la retenir sans toutefois l'obliger à rester, espérant que ce contact mettrait fin à sa course.

« S'il te plaît ne t'en va pas, ce n'est pas ta faute, je... Je ne m'étais jamais senti aussi bien que près de toi et-et cette soirée me rend dingue tu... Tu ne te rends pas compte à quel point je... Tu... »

A quel point tu m'attires, à quel point tu fais naître en moi un déluge d'émotions et de nouvelles sensations... J'ai tant à dire mais je n'ose pas. Tout ce que je veux c'est qu'elle reste, je n'ai besoin que d'elle. Sans finir ma phrase, je secoue la tête vers le bas avant de relever un regard implorant en sa direction et de poser ma deuxième main sur son autre épaule.

« C'est moi qui ai été trop loin et je suis désolé... Mais je t'en prie, ne pars pas... »

Trop. Je me retrouve devant l’inconnu frigide, celui menaçant de me happer à tout instant. Comment réagir à un nouveau rejet, surtout de cette nature, je l’ignore. Je ne cherche plus de solutions, aucune ne saurait me libérer de ce poids qui me fend la poitrine. Une seule issue à la terreur, à l’horreur, à la souffrance qui m’ont baignée sournoisement à l’instant où j’ai jeté les armes contre lui, à l’instant où je l’ai laissé, enfin, saisir un pan de ce cœur malmené. Et voilà qu’il a saisi cette chance pour me meurtrir encore d’avantage, en ne laissant à sa suite qu’un goût amer et un rêve avorté. Je sens ses grandes portes derrière lesquelles je me suis réfugiée depuis ma sortie de l’hôpital, ces mêmes portes qu’il a réussi à ouvrir à la volée, se refermer avec fracas, avec une brutalité telle qu’elle m’ébranle toute entière. Cette issue qui se dessine, par défaut, n’est autre que cette porte, encore inaccessible, vers laquelle je me dirige. J’ai beau me presser, le temps s’écoule dans un ralenti vulgaire m’obligeant à réfléchir, inlassablement, à cet instant que nous venons de vivre, à l’expression horrifiée sur ses traits et ses mots comme combien de couteaux dans ma poitrine… et encore pire, la perspective de m’y être attachée de façon irréversible me terrifie, surtout à cet instant où je devine avoir perdu toute chance de vivre… de vivre quoi? Je l’ignore. Je ne veux plus savoir. Je ne veux plus ressentir. Je ne veux plus ces questions me déchirent. Je veux la paix.

Sauf qu’on me la refuse. Maxence a bondit à ma suite en me bloquant l’accès à la porte, tout en retenant mon bras, un contact que je refuse aussitôt en me retirant vivement, comme brûlée. Après ces caresses, ce baiser… Ce baiser dont je remets même en doute l’existence, probablement par lâcheté… Je ne supporte plus ses regards, ses mots, je ne supporte plus l’odeur enivrante de sa peau, ce sourire qui illumine mes jours, mes songes, je n’en peux plus. Je vais craquer, bordel je craque. Les larmes coulent contre mes joues alors que je recule farouchement en direction de la sortie. Et le pire, c’est que je le sens sincère, un autre de ses trucs pour me faire d’avantage de mal je suppose ou un talent inné d’acteur peut-être. Au final peut-être que tout ce qu’il souhaitait depuis notre première rencontre en venait à cet instant, celui où il aurait l’occasion de m’humilier, de me voler ce premier baiser que j’aurais voulu réserver au bon garçon. Mais encore une fois, je me suis attachée à une illusion et j’en subis les conséquences. Je ne veux plus lui faire confiance, ni à lui, ni à aucun autre. J’ai envie d’hurler. Je gémis plutôt en me prenant la tête, tentant d’assimiler ses paroles bien malgré moi. Cette soirée qui le rend fou, lui fait perdre la tête au point de perdre tout contrôle de ses actes. Voici ce qu’il avance. Je ne suis qu’une erreur parmi tant d’autres, et cette perspective me fait tellement, tellement de mal. J’aurais voulu qu’il… qu’il le veuille.

Je me retrouve donc à la croisée des chemins, en sachant quelque part sous des monticules d’insécurités infondées qu’il souhaite éviter de me faire du mal. Et pourtant, nous en arrivons au même résultat, inévitable avec tout contact humain. Je tente de me raisonner, tant bien que mal, mais je me sens salie, trahie, et ô combien idiote d’avoir placée un espoir vain en cette relation. Pourtant je n’ai plus le choix à présent. S’il me fait mal de devoir laisser filer cette perspective d’une relation plus poussée encore pour conserver cette amitié, alors soit. Je m’en remettrai, je m’en remets toujours. N’est-ce pas?

«C’est moi qui suis désolée. Je t’ai pris tellement de ton temps, et maintenant ceci. Je ne sais même pas ce qui te fait me retenir, j’ai encore une fois tout gâché.»

Ma voix, froide, distante, une façade de souffrance. Parfois, j’ai envie de lui faire du mal. Parfois je n’ai plus la droiture d’esprit pour réfléchir convenablement, ma raison altérée par des émotions violentes et douloureuses. Ainsi j’agis avec mes parents, très souvent, rejetant contre leurs épaules patientes la lourdeur de mes tracas. Sauf qu’avec lui c’est trop difficile. De le blesser engage nécessairement des souffrances encore plus grandes chez moi. Et ainsi, vulnérable et tremblante, couverte de honte et de ressentiments encore frais, je me glisse dans ses bras en murmurant ces quelques mots :

«Est-ce qu’on peut juste… oublier ce qui vient de se passer et faire comme si tout était comme avant?»

Je... Je la retiens mais je ne sais pas si j'aurai le courage de rester près d'elle ce soir. Instinctivement je me suis lancé à sa poursuite pour la retenir car la voir partir m'aurait apporté bien des souffrances. Et pourtant elles sont déjà là. J'aurais tellement aimé que cette aventure continue, que nous nous laissions emporter par ce flot d'émotions et d'événements, que ce baiser dure plus longtemps... Mais toutes ces espérances ont pris fin et je me sens mal, terriblement mal. J'ai envie de sortir ou de m'enfermer quelque part et de crier toute cette rage que j'ai contre moi-même. J'ai été trop vite, beaucoup trop vite et tout ça l'a fait fuir. Oh Nora... Tu ne comprends probablement pas pourquoi j'ai fait ça, ne sais sûrement pas à quel point ce contact entre nous m'a remué... Si je suis venu déposer mes lèvres sur les tiennes, c'est parce qu'il s'est passé quelque chose ce soir. J'aimerais lui avouer tout ça. J'aimerais lui dire qu'elle illumine mes pensées, qu'elle les occupe à chaque instant de mes journées et que j'aimerais être toujours auprès d'elle. Mais maintenant c'est trop tard et je sais. Je sais que ce n'est pas ce qu'elle veut. Pour la première fois depuis bien longtemps, je ressens une grande douleur en pleine poitrine. Pour la première fois depuis une éternité, je n'ai pas envie de sourire ou de positiver. Quelque chose vient de se briser en moi. J'ai du mal à le supporter, surtout après avoir vécu le plus grand bonheur de ma vie. Si seulement je pouvais rattraper ça, si tout ce qui s'était passé ces dernières minutes pouvait ne pas avoir eu lieu...

Ma gorge me fait souffrir, se serrant tellement que j'ai l'impression que je vais étouffer. Le mouvement de recul de Nora après que j'ai posé ma main sur son épaule me coupe le souffle, me frappe en plein ventre. Et ces larmes, ces larmes... Je ne les supporte pas, je ne veux pas les voir ! Pourquoi faut-il qu'elle pleure ? C'est encore une fois de ma faute, je ne veux plus, je ne veux plus la faire souffrir... L'image de son visage illuminé par sa beauté, par son sourire et son regard languissant se détruit pour être remplacée par celle de sa peine. Je la retiens, mais pourquoi ? Je lui fais du mal... Elle est la personne qui compte le plus à mes yeux et je la blesse, une nouvelle fois encore. Notre baiser, notre premier baiser à chacun... Il est gâché, gaspillé. Je lui ai volé l'occasion de le vivre pleinement, avec la personne qu'elle aimera. Je lui ai arraché car je ne savais pas retenir mes émotions.... Mais merde, quel con je suis ! Ma frustration ne fait qu’accroître alors que mes yeux s'embrument, je regarde Nora se tenir la tête en gémissant. Elle me répond enfin et je retiens ma respiration, écoutant chacune de ses paroles. Ce qui me fait la retenir ? C'est plus fort que moi. Je ne veux pas qu'elle parte maintenant, que toute cette histoire ait un terme aujourd'hui. Il n'y a qu'une seule raison pour laquelle je fais ça. Et pourtant jamais je n'aurais l'occasion de lui dire après ce qu'il s'est passé. Je l'aime.

Mon cœur se serre en entendant sa voix, devenue si triste, ayant perdu toute la mélodie qui l'animait ce soir. Et pourtant elle se rapproche enfin, vient se détacher de la porte. Cette porte qui aurait pu claquer en emportant derrière elle tous mes espoirs, mes sentiments. Je referme mes bras autour d'elle en soupirant de soulagement alors qu'elle me demande quelque chose. Je... Je n'ai pas envie d'oublier. C'est ce moment précis que je veux graver dans ma mémoire. J'ai peur que chaque frisson, chaque battement de cœur, chaque contact avec sa peau et son corps s'effacent de mon esprit. Je n'oublierai pas non. Mais... Même si c'est dur, je veux aussi faire comme si tout était comme avant. Ma gorge se serre alors que je vois le chemin menant à une toute nouvelle relation avec mon amie s'affaisser. Tant pis, je le ferais pour elle. Pour qu'elle se sente mieux.

« D'a... D'accord... Mais sache que ce n'est pas de ta faute Nora. Je ne veux pas que tu te sentes coupable de tout ça. »

Je la serre plus fort, peut-être plus que je ne le devrais mais maintenant que je la tiens, je ne veux plus la lâcher. J'ai eu si peur qu'elle s'en aille, qu'elle rentre chez elle après avoir souffert. Pendant un moment j'ai cru que c'était fini, que je ne la reverrai jamais. Mais elle est toujours là, dans mes bras et je suis à ses côtés pour la réconforter, pour lui demander pardon. Ma respiration se calme et je commence à me remettre de mes émotions. Je me recule enfin, un léger sourire un peu pitoyable aux lèvres. Il faut passer à autre chose maintenant. C'est dur, très dur mais c'est comme ça.

« Et... Et si on regardait un film ? »

Je pose cette question en tentant de me donner un ton un peu plus joyeux bien que ça n'est pas très crédible. Je ne sais pas ce qu'elle veut faire mais si elle ne souhaite pas discuter avec moi ce soir, ce que je comprendrais, autant regarder un film. Un film qu'elle aime, qui lui fera plaisir. Oh, si seulement nous n'avions pas bougé, j'aimerais tellement me retrouver à nouveau entre ses bras dans le canapé à cet instant... Je sais pourtant que c'est impossible. Je garde l'espoir qu'un autre jour peut-être, nous pourrions tenter à nouveau l'expérience. Laisser nos émotions s'exprimer sans que je vienne y mettre un terme. Un beau jour oui, peut-être.

Son contact me consume, agite cette blessure toute juste formée et encore sanglante dans une poitrine où la douleur se réverbère dans une panoplie d’échos incertains. Incertitude, confusion, je dois me combattre encore pour réprimer l’envie de fuir, de lui échapper pour me lancer dans la nuit noire et me perdre dans les rues de la ville. La ville qui, de son indifférence placide, s’est fait complice de notre rencontre, de nos éclats de rire, de nos conversations à mi-mots, mi-sourire, elle s’est faite complice de l’appréciation qui est née dans ma poitrine. Je la hais, je déteste tout autant ce sentiment que, même sans l’avoir connu par le passé, je reconnais sans le moindre mal comme étant celui décrit dans les récits romanesques ayant bercé mon enfance. Celui qu’on aura tenté de me convaincre de rechercher, à mes heures solitaires, jusqu’à ce qu’il me trouve de lui-même dans mes errances. J’aurais souhaité qu’il ne fut quiconque sauf lui, lui qui m’est si cher, si précieux, lui comme mon oxygène depuis un moment déjà. Désemparée, je dois faire le deuil de ce qui aurait pu, de cet instant partagé et de l’avenir que j’ai bien voulu dessiner pour nous dans mes rêves naïfs et insignifiants. Un deuil bien lourd à porter, compensé uniquement par la perspective de conserver cette amitié plutôt que de risquer de tout perdre à chasser nuages et illusions. Ce besoin, celui de lui, a pris une ampleur telle qu’il me devient impossible d’y tourner le dos. Toujours, j’aurai besoin qu’il comble ce vide.

Je me sens si faible, si vulnérable à lui maintenant que je me sais enchaînée de par cette émotion qui me tourmente. De savoir qu’à présent je devrai en plus composer avec son rejet, avec la peine insoutenable de ne pas être à sa hauteur, me torture. De savoir qu’il m’est indispensable m’afflige. Indispensable. Ma vie n’aurait pu la même saveur sans lui, ce qui signifie que le risque de le perdre ne s’en trouve que plus angoissant, voire même terrorisant. Si nos chemins devaient abruptement se séparer, je ne m’en relèverais pas, je ne m’en relèverais plus. Et pourtant à l’instant j’ai si mal que je parviens à peine à respirer son odeur, ou même ouvrir les yeux sur ses épaules et son cou, pour l’instant je me détache de lui en entourant ma poitrine de mes propres bras bienfaiteurs dans l’espoir de me protéger de son véhément rejet. Je me contente de voguer constamment entre ces deux idées, celles que sans lui, je ne parviendrai pas à retrouver le nord, et celle que sa présence m’est à présent tout autant synonyme de souffrance. Combien de temps il faut pour guérir d’un cœur brisé? Surtout quand celui-ci est déjà si lourdement handicapé? Je me demande même si une telle guérison est possible. Ou si, encore une fois, je me berce d’illusions.

Puis ce pacte est scellé, celui d’oublier l’inoubliable. Une solution à court terme, je le réalise, une qui ne repoussera que momentanément la conversation véritable que nous allons devoir avoir en d’autres circonstances, lorsque nous aurons tous les deux léché nos blessures et relativisé sur la situation, si telle chose est possible. Je me contente d’hocher la tête en fuyant son regard de façon si évidente qu’elle frôle l’impolitesse, me reculant à nouveau dans un mutisme qui alourdit l’atmosphère. Il a beau l’affirmer, je l’ai recherché. Ce baiser, je l’ai attendu, je l’ai espéré, je l’ai provoqué. Il a simplement obéit au charme que j’ai déversé sur lui sans même le réaliser. Et le voilà hanté de remords qui prennent écho en moi telle une gifle renversante. Je ne referai plus jamais cette erreur.

«Un film? Okay.»

J’en choisi un au hasard parmi ceux proposés par mon hôte, avant de retourner m’asseoir prudemment contre le sofa coupable, à l’extrémité la plus éloignée de lui. À mesure que les images défilent, je ne parviens plus à suivre l’action, mon regard se perdant dans le vide à me remémorer amèrement ce qui vient de se produire. Plus tard, je me glisserai sous mes couvertures, m’offrirai ce moment salvateur des larmes cuisantes, celle qui m’apporteront peut-être un semblant de paix. Pour l’instant, simplement de me trouver dans la même pièce m’étourdit, provoque chez moi de profonds élans de doute, d’animosité mais surtout de peine, une peine incommensurable alors que cette pensée me traverse l’esprit, formulée comme un couteau qu’on passe sous la gorge. Je suis amoureuse de lui. Un sentiment que considère encore comme irréversible, une attraction difficile à affronter à l’instant où son rejet ne peut être que plus évident. Je me recroqueville donc contre le dossier du fauteuil, les jambes ramenées contre ma poitrine, dans le but inconscient de me soustraire à son regard. Quelques larmes m’échappent aux instants où la douleur se fait trop intense, et j’en chasse les larmes d’un revers de la manche épuisé. Avant la fin du film, j’ai trouvé sommeil dans cette position, l’esprit encore agité, tremblant dans mes songes.

J’ai beau essayer, je n’arrive pas à retrouver le sourire. Notre relation durant cette journée a changé brutalement et j’ai du mal à m’en remettre. Je l’ai retrouvé en début de soirée en tant qu’ami, tout s’est superbement bien passé. Nous sommes ensuite arrivés chez moi et là les choses ont commencé à se transformer, en débutant par ces étranges sensations lors de l’interprétation des deux morceaux de musique. C’est après lors du repas que Nora m’est apparue différemment, que je me suis rendu compte à quel point elle était belle, attirante et que je succombais à son charme… J’ai encore du mal à me le faire penser. Puis ce moment dans le canapé… Si tout n’avait pas dérapé, si je n’avais pas agi de façon idiote… Maintenant je sais que tout ne sera plus comme avant. Il va nous falloir du temps pour nous en remettre, je me demande même si je pourrais un jour regarder à nouveau Nora sans ressentir une terrible peine, sans me souvenir de ce visage dévasté par le chagrin. J’aurais tellement aimé que tout se passe différemment, que je puisse lui avouer mes sentiments… J’ai juste mal interprété ses mouvements, ses paroles, j’ai cru comme un idiot qu’elle ressentait la même chose que moi... Je ne sais pas si les choses pourront s'arranger un jour.

Après qu'elle ait accepté, je lui propose quelques films que j'ai en stock. J'insère celui qu'elle a choisi dans le lecteur et m'installe dans le canapé dans le plus grand des silences. Elle part s'asseoir à l'autre bout, ne voulant sûrement pas se retrouver à proximité de moi après tous les événements. Je soupire silencieusement en reportant mon attention sur la télé, n'ayant plus le courage de la regarder. J'ai du mal à m'intéresser au film, mes pensées étant trop chargées . Des tas d'images défilent dans ma tête, je revis toute la soirée jusqu'à la dernière minute. Je sens que je me crispe, que j'ai du mal à supporter tout ça. J'aimerais juste oublier, avoir l'esprit vide... Mais ce n'est pas possible. Et ça ne le sera sûrement jamais. Au bout d'un moment je risque un coup d’œil vers Nora et je vois les siens fermés. Je me penche un peu pour mieux la regarder, je me rends compte qu'elle s'est endormie. Et maintenant quoi ? Je ne vais pas la réveiller tout de même, elle sera trop fatiguée pour rentrer tout de suite jusqu'à chez elle. Et puis, je n'ai pas envie de la savoir seule dans les rues après tout ce qu'il s'est passé.

En même temps, si je ne la réveille pas, elle va peut-être m'en vouloir ? Et si elle se réveille en pleine nuit et qu'elle se rend compte que je ne l'ai pas prévenu ? Tant pis, je prends le risque. Je me lève pour éteindre la télé et part vers ma chambre en soupirant de fatigue. La soirée avait vraiment été éprouvante... J'attrape un coussin et une couverture dans un placard et revient dans le salon où mon amie s'est assoupie. Je la borde tout doucement pour éviter de la réveiller et viens caler le coussin sous sa nuque. J'ai peur de la toucher maintenant, mes mouvements sont saccadés et hésitant. Finalement, une fois que je la pense bien installé, je reste un instant debout à la regarder, l'air dépité. Je suis désolé Nora... J'ai tout gâché ce soir. Si seulement tu savais... Je soupire tristement avant de risquer malgré moi une très légère caresse du dos de mes doigts sur sa joue. J'aurais tellement aimé que cela continue sur cette voie. Je m'enfuie ensuite vers ma chambre où je pourrais enfin me reposer, j'en ai le plus grand besoin...

Contrairement à ce que je pensais, Nora ne part pas directement après son réveil ce matin, elle n'a pas l'air non plus de m'en vouloir. Je la salue doucement et nous nous installons autour de la table pour petit-déjeuner. Pas la peine de décrire le malaise plus que palpable qui s'installe, je n'ouvre même pas la bouche une seule fois pour parler. C'est à peine si j'ose la regarder. J'ai tellement l'impression d'avoir baissé dans son estime, d'être passé pour un coureur de jupons qui n'attendait que ce moment... Mon dieu, je m'en veux tellement... J'espère que j'aurais l'occasion un jour de lui parler, de lui expliquer toutes mes actions, de pouvoir m'excuser. Finalement nous nous disons au revoir et je la laisse repartir vers son appartement. Je referme la porte le regard triste et part m'asseoir quelques instants dans mon canapé. Ma tête plonge dans mes mains alors que je ne peux réprimer une larme de dégoût, de déception, de tristesse... Je... Je n'étais pas prêt. Putain, mais qu'est-ce que j'ai fait ?! Je ne veux plus refaire la même erreur, plus jamais.