Celebrate |NoraMax III|

Bon et bien, nous y voilà. Je reste debout devant un des murs de ma chambre à scruter mon calendrier. Aujourd’hui nous sommes le 24 octobre et ce jour est marqué d’un grand «N». Pourquoi ? Tout simplement parce que ce soir, je suis invité chez Nora pour fêter son anniversaire. La date réelle de sa naissance est le 26 mais ça tombait un lundi donc mon amie a préféré le fêter aujourd’hui. C’est toujours un plaisir de voir Nora mais… Je dois avouer que ces derniers jours je suis un peu déprimé. Depuis cette soirée qu’elle est venue passer chez moi en fait. Il est impossible pour moi de l’oublier ainsi que tous ses détails. J’ai essayé pourtant, j’ai essayé mais à chaque fois que j’ai revu mon amie depuis… Des tas d’images me sont revenues en tête. Ces rencontres sont devenues assez rares et l’ambiance entre nous n’est plus la même qu’avant. Je suis profondément affligé par cette situation et j’ai l’impression de perdre Nora, de perdre tout ce que nous avions construit… Tout avait évolué si vite, nous nous étions tellement rapproché, jusqu’à même… s’embrasser. Et c’est cette action, cet événement qui a tout changé. Notre relation, ma façon de la regarder et de lui parler, mes rêves, mes cauchemars… Cela avait été le moment le plus intense de ma vie et ça aurait pu être le plus heureux. Mais il est devenu mon souvenir le plus douloureux, me rappelant toujours la souffrance que j’ai infligé à Nora. Je m’en veux, toujours et encore et j’ai peur. J’ai si peur que tout cela ait compromit à jamais notre amitié et notre relation. Avec un peu de chance les choses s’arrangeront aujourd’hui. J’espère que nous pourrons parler, j’en ai besoin depuis le lendemain de cette soirée.

J'ai longtemps réfléchi au cadeau que je pourrais lui offrir. Même en connaissant les goûts de Nora, j'ai eu peur d'acheter quelque chose qui ne lui plairait pas. Finalement avant-hier, j'ai repensé à ce qu'elle m'avait dit quand on avait mangé japonais par rapport au fait qu'elle n'avait jamais apprit à jouer d'un instrument. Je me suis donc penché vers cette idée et plus précisément vers un ocarina. C'est petit, c'est pratique, le son est magnifique et je trouve que ça correspondrait parfaitement à mon amie. J'aimerais beaucoup que nous jouions tous les deux ensemble. Je suis allé au magasin de musique et j'ai eu de la chance qu'ils en aient, j'ai choisi un ocarina en céramique bleu que j'ai trouvé très joli et facile à prendre en main pour les débutants. J'ai rarement joué de cet instrument, peut-être une ou deux fois et j'espère que Nora appréciera leur son autant que moi. J'emballe la boite ainsi qu'un petit livre d'apprentissage dans du papier cadeau neutre et le pose sur ma table. Je pars me préparer, vérifier que tout est en ordre, que je peux partir l'esprit tranquille. Bon, il est 16h30, je suis prêt et il est temps de partir. Nora m'avait donné l'adresse des ses parents, c'est la première fois que je vais aller chez eux. J'avoue que je stresse un petit peu, je n'ai jamais rencontré la famille de mon amie. Je n'ai vu que sa mère une fois, furtivement, mais jamais son père. J'espère que je ne ferais pas mauvaise impression...  Je balaye ces questions de mon esprit et me dirige vers la porte de sortie. J'ai un bus à prendre pour me retrouver non loin de sa maison.

Le trajet se fait assez rapidement, mon regard perdu dans la vague. J'essaie de me vider l'esprit, d'éviter de me souvenir  de la soirée étrange que Nora et moi avions passé ensemble. Ce soir, j'ai envie que tout se passe bien même si je sais que faire comme si de rien n'était serait très dur, voir impossible. Si seulement tout n'était pas si compliqué... J'arrive au bon arrêt et descend du véhicule pour me retrouver dans un petit quartiers avec quelques habitations simples. Je suis les instructions de mon amie jusqu'à ce qu'une petite maison de deux étages avec un jardin se présente à moi. La rue est très calme, il n'y a aucun bruit. Je respire profondément avant de passer la clôture et de me diriger vers la porte d'entrée. Je vérifie encore une fois le numéro de la maison, histoire de ne pas me tromper et me décide enfin à toquer. Ma main est un peu tremblante et je frappe assez discrètement sur la porte. J'attends là qu'on vienne m'ouvrir, me dandinant sur moi-même. Je déglutis en espérant que c'est Nora qui viendra m’accueillir.

Les semaines se suivent, identiques. Identiques dans cette poussée d’amertume, de déception et de peine. Depuis cette fameuse soirée avec Maxence, j’ai le sentiment cuisant d’avoir tout gâché entre nous, d’avoir perdu mon meilleur ami au monde et ma source d’espoir et de bienveillance. Il me manque, il me manque tellement que j’en perds parfois le souffle. Chaque jour lui ai dédié, en pensée, en détresse, chaque larme ou soupir perdu dans l’oubli. Je passe parfois de longues heures à contempler le souvenir de cet instant, en laissant envahir cette sensation délicieuse ressentie au moment où ses lèvres se sont posées contre les miennes. Je revis l’extase, la chaleur de son corps, l’odeur enivrante s’échappant de sa gorge, les battements de son cœur sous mes doigts attentifs, et cette proximité intime que je ne vivrai plus jamais. Comment échanger avec un autre ce que nous avons vécu? Je ne peux m’imaginer aimer un autre que lui, lui qui depuis notre rencontre a semé le doute dans une existence où je me croyais protégée. Il est à la fois ma force et ma plus grande faiblesse, et si ces rares instants coupables où je revis la scène ayant tout changé entre nous me comblent de bonheur, ils me plongent aussi dans un océan de doutes douloureux. J’ai beau rêver de lui, je courre à ma perte. Mes sentiments ne sont pas partagés. J’aimerais seulement avoir la force de les combattre plutôt que d’espérer encore ses regards, son sourire, et ses lèvres. De les espérer inlassablement, tout comme ses appels, de plus en plus rares, à mesure que le malaise s’épaissit.

C’est dans cette optique que j’ai invité Max à mon anniversaire aujourd’hui (d’autant plus que ma mère a fortement insisté, si bien que je n’ai pas eu le courage de refuser). Je souhaite… rétablir les choses entre nous, et peut-être par un excès d’optimisme, je suis convaincue de le réussir. Je ne trouve aucune raison pour que nous restions éloignés l’un de l’autre plus longtemps, même si de le côtoyer me peine pour tellement de raisons que je tiens secrètes. J’ai envie de lui montrer que je sais encore rire et m’amuser avec lui, malgré ce qui s’est passé, que je ne l’abandonnerai pas même si je suis amoureuse de lui et que je devrai vivre dans la perspective de ne jamais voir notre relation évoluer au-delà des limites que je lui connais. De bien joyeuse humeur, je termine mes préparatifs. J’ai bouclé mes cheveux aujourd’hui, grâce à de nombreux produits qui ont accentué mes boucles naturelles, et ai revêtu une petite robe noire toute simple qui flotte jusqu’aux genoux. En me regardant dans le miroir, j’espère que Maxence me trouvera jolie, comme ce soir-là où il m’a embrassée… J’espère qu’il le fera à nouveau aussi. Peut-être qu’il pourrait s’agir de mon cadeau d’anniversaire? Oh, quelle humeur frivole. Mes anniversaires me mettent toujours dans un état joyeux, bien que nerveux. Chaque année, ma sœur nous visite et elle se force alors à m’adresser quelques mots distraitement et de m’offrir un cadeau que généralement, je n’ai pas la force d’ouvrir, dissimulant son présent dans un tiroir chez moi pour simplement garder une part d’elle. Aujourd’hui, elle est en bas, en train d’aider mon père avec le repas.

Mon père qui, de la cuisine, entend sans mal les quelques coups nerveux qu’on a frappé à la porte. En plaçant son tablier sur le comptoir, il s’avance en direction de l’entrée, sous l’œil curieux de Stella qui se demande bien qui donc se joindra à nous pour cette séance familiale. L’homme, néanmoins, connaît parfaitement l’identité de notre visiteur. Ma mère n’a pas manqué de lui parler en long et en large de ce «charmant jeune homme» dont elle espère faire son gendre sous peu. Une opinion non partagée par l’homme de la maison. Mon père et moi avons toujours eu cette relation particulière. Il est mon protecteur, et moi sa petite fille. Il n’a jamais eu de mal avec les copains de Stella, mais mon cas lui est différent, une source de jalousie qui alimente les représailles de ma sœur à mon endroit. Il n’est donc pas rassuré par cette visite et s’avance d’un pied ferme vers la porte avant de l’ouvrir, dominant aisément Maxence de son mètre quatre-vingt-dix, sa barbe parsemée de gris couvrant la moitié de son visage et sa carrure impressionnante. Le regard qu’il braque vers mon ami est à la fois sévère et amusé. Mais surtout sévère.

«Alors, c’est toi, Maxence? C’est toi le garçon qui tourne autour de ma fille.»

Dans le fond de la cuisine, on peut entendre ma mère protester, une voix qui attire mon attention à l’étage. Je n’ai pas entendu mon ami cogner, mais me voilà emplie du doute qu’il pourrait être présent. Aussitôt, je sens mes joues s’empourprer et je me dépêche à terminer mes préparatifs. Pendant ce temps, mon père invite le musicien à entrer d’un mouvement de la main.

«Fais comme chez toi… Mais pas trop. Je t’ai à l’œil.»

Trop tard, je n’ai pas pu saisir l’avertissement prince-sans-rire de mon père en dévalant l’escalier. Sitôt je vois Maxence que mon cœur se met à battre à la chamade, et je me précipite telle une enfant dans ses bras en le serrant de toutes mes forces.

«Maxence tu es lààààà! Enfin…»

Comme si je l’avais attendu pendant des siècles. Je soupire d’aise en poursuivant un peu trop longtemps mon câlin pour les conventions sans même m’en rendre compte, trop emballée par sa présence. Pendant ce temps, mon père adresse un geste à Maxence pour lui rappeler qu’il l’a à l’œil, en plaçant ses doigts devant ses yeux puis en pointant en sa direction. Bien sûr, trop absorbée par mon élan d’affection, je n’ai rien remarqué.

C'est marrant de voir à nouveau une petite maison comme celle-ci. J'ai l'impression que l'époque où je vivais encore chez mes parents remonte à des dizaines d'années alors que ce n'est pas si loin que ça. Je ne vis pas depuis très longtemps dans mon petit appartement mais je m'y suis vite habitué. C'est vrai que le changement d'ambiance est radical, personne pour faire du bruit, te parler ou venir ranger tes vêtements. Ah ah, ma mère avait toujours été ainsi, à vouloir ranger tout sur tout et ne rien laisser traîner. J'ai dû hériter un peu de ça, mon appartement est quasiment tout le temps propre et organisé. Je ne me suis jamais senti très seul dans mon logement mais pourtant, depuis que je parle moins à Nora, je me rends compte à quel point je le suis. Elle occupait mes soirées au téléphone, mes heures de pauses dans le parc, mes pensées le matin tout comme la nuit. J'ai tellement hâte de la revoir, de lui reparler. Tout cette histoire est si... Déroutante. Jamais je n'aurais cru que je tomberais amoureux de cette jeune femme, rencontré par hasard dans un parc quelconque. Elle me manque, terriblement.

C'est enfin que j'entends des pas derrière la porte, que quelqu'un se rapproche pour m'ouvrir. Je cesse de m'agiter et me tiens droit au moment où je regarde la poignée s'abaisser. J'ai le souffle coupé quand j'aperçois la personne qui se tient derrière la porte, m'obligeant à lever les yeux pour regarder son visage. J'ai l'impression de me ratatiner un peu sur moi-même en essayant de soutenir le regard de cet homme immense à la barbe bien garnie. Je... Je ne m'étais pas attendu à ça, c'est son père ? Au premier coup d’œil, je n'aurais jamais pensé qu'il l'était, ne retrouvant pas du tout mon amie en lui. Pourtant ils ont le même regard, bleu glacial. Enfin, même si celui de son père pour le coup me rassure beaucoup moins. Il m'adresse la parole d'une voix grave, me plongeant d'un un stress intense alors que je reconnais au loin la voix de Suzanne, la mère de Nora.

« Euh je... Euh... Bonsoir. »

Je ne trouve rien à répondre à part cela, je n'ai pas envie de dire de bêtise. Il n'a pas l'air commode, on dirait bien qu'il est plutôt... Protecteur. J'espère entendre la voix de Nora ou l'apercevoir derrière lui mais il n'en est rien. C'est alors que l'homme m'invite à rentrer, ce que je m'empresse de faire tout en déglutissant en passant devant lui. Son avertissement m’embarrasse encore plus, je crois que je vais me sentir surveillé ce soir... Soudainement, j'entends un bruit de cavalcade dans les escaliers, quelqu'un semble descendre très vite. Je tourne la tête vers la provenance du son et aperçois Nora qui se dirige vers moi à vive allure. J'ai le temps d'écarquiller les yeux de surprise une seconde avant qu'elle se jette dans mes bras pour me serrer plus fort que jamais. Je souffle enfin de soulagement, ayant l'impression d'être libéré d'un poids énorme maintenant qu'elle est à nouveau là, contre moi. Je place mes bras autour d'elle et la câline à mon tour, profitant de cet instant, de ce contact qui m'a tant manqué. Je souris et lui adresse la parole, d'une voix douce, pour la première fois de la soirée.

« Hey Nora... Joyeux anniversaire. »

Je prends le temps de respirer son odeur, de sentir ses cheveux plus bouclés que d'habitude contre ma joue... Je suis si heureux de la revoir, de pouvoir la prendre dans mes bras. Puis mes yeux se rouvrent et croisent le regard de son père, qui me fait bien comprendre à nouveau qu'il m'observe. Je déglutis une nouvelle fois et fuis son regard avant de desserrer un peu ma prise. Une fois que nos bras se délient l'un de l'autre, je plonge mes yeux dans les siens pour remplir un manque qui m'a saisi cette dernière semaine, ce manque de ne plus l'avoir vu. J'aimerais la retrouver autant qu'avant, comme lorsqu'on se voyait tous les jours le midi ou après le boulot. Je regorge tellement de bonheur et mon regard n'ayant pas quitté une seule seconde la jeune femme, j'ai presque oublié les autres personnes présentes. Je tourne un peu sur moi-même en me grattant la tête d'un air gêné. Je dépose d'abord mon regard sur Suzanne puis sur la femme qui devait être sa sœur... Stella je crois ?

« Oh désolé euh.. Bonsoir Suzanne. Et bonsoir Stella. »

Je reporte à nouveau mon attention sur Nora pour lui tendre mon petit paquet, un sourire timide aux lèvres.

« Euh tiens je... Je t'ai amené un cadeau. »

Je ne sais pas si elle veut l'ouvrir maintenant ou plus tard mais j'avais envie de lui donner en main propre. J'espère vraiment que ça lui plaira. Je me perds à nouveau dans le magnifique bleu de ses yeux et commence à oublier ce stress qui m'a prit en arrivant.

Enfin. Comme si je l’avais attendu des mois, des années, des décennies plutôt qu’une simple poignée de jours se comptant sur les doigts des deux mains. Une éternité pourtant il me semble, où j’ai attendu son retour dans ma vie, telle une lumière intemporelle qui me mènerait éventuellement à ma perte. Car j’ai conscience de l’attraction qu’il produit sur moi, de l’attirance incommensurable qu’il provoque sans même le chercher et encore moins le souhaiter. J’ai beau tenter d’affronter le pouvoir séducteur qui s’échappe de lui sans même en avoir conscience, il me semble être déjà condamnée à lui réserver chacun de mes soupirs et de mes rêves éveillés. Plus encore, nos conversations enjoués à divers sujets me manquent, et je constate presque avec regret qu’il n’a pas pensé emporter sa guitare. J’aurais adoré avoir la chance de jouer à nouveau en sa compagnie, mais j’imagine que maintenant nous n’en aurons plus vraiment l’occasion… La musique semble nous rapprocher d’une façon très intime, et nous partageons dans nos morceaux de véritables parts de nous-mêmes. Tant que… tant que nous en sommes venus à ce baiser. Ce soir, cet événement ne se serait jamais reproduit, surtout pas en présence de mes parents… Puis, Maxence a été bien clair au sujet de son ressenti ce soir-là. Il n’est pas intéressé. J’aimerais simplement arrêter de rêver qu’il change d’idée et se décide à m’accorder l’attention qui me manque tant. Car de réaliser sans cesse qu’il ne s’agit que d’un songe lunatique me heurte bien malgré moi. Si c’était si facile de se détacher de ce que je ressens.

Son contact m’est comme un nouveau souffle après de longs jours à chercher mon air. Je sens son sourire dans sa voix, même sans le voir, et j’ai enfin l’impression de retrouver le garçon que j’apprécie, sans ce malaise déroutant qui subsiste entre nous. Je n’ai pas envie que ce câlin se termine et le garderais jalousement contre ma poitrine sans la présence des autres membres de ma famille. Maman et Stella nous ont rejoints dans l’entrée, juste à temps pour surprendre cette accolade un peu trop affectueuse peut-être. À ce moment, Maxence se détache prudemment de moi et plonge son regard dans le mien, un geste tout simple qui suffit néanmoins à m’arracher un grand frisson et à affoler mon cœur. Cette façon de me regarder me réchauffe tout entière, et j’en oublie presque le reste de ma famille en venant effleurer sa main de mes doigts, prise d’une envie presque impossible à réfréner de la prendre. Or, je me contiens alors qu’il se retourne pour saluer les deux nouvelles venues et je me recule à une distance sécuritaire de lui en rougissant quelque peu. Alors que ma mère vient embrasser le jeune homme, je surprends un regard de Stella en ma direction, malheureusement indéchiffrable. Je me demande ce qu’elle pense de mon nouvel ami.

«Stella, papa, je vous présente Maxence, c’est mon ami. Maxence, mon père Richard et ma sœur Stella.»

Ma sœur s’approche de Maxence comme pour mieux l’observer, quand ce dernier me surprend d’un présent. Habituellement, nous déballons les cadeaux à la toute fin de la soirée, ainsi j’adresse un petit regard à ma mère qui discrètement, m’offre la permission d’ouvrir celui-ci. Ce que je m’empresse de faire avec un enthousiasme rougissant, pour découvrir à l’intérieur du paquet une sorte d’objet en céramique. Je mets un moment à l’identifier, avant de me souvenir en avoir vu de semblables à la boutique de musique. En fait, je suis retournée dans ce magasin quelques fois après notre première visite, simplement pour retrouver une part de l’univers de Maxence. Et voilà qu’il m’en offre une, juste pour moi.

«C’est un instrument de musique je crois? Un ocarina? Il est magnifique Maxence… Vraiment…»

Je l’observe avec un immense sourire, les yeux brillants. Je suis heureuse de posséder un si bel objet, même si j’ignore totalement comment en jouer.

«Allez donc au salon vous deux, nous nous allons terminer de préparer quelques trucs pour le repas…» fait soudainement ma mère,

«Mais Suzanne je n’ai pas besoin de…»

«Si si, nous allons t’aider, aller viens Stella.»

Puis ma sœur, après un dernier regard curieux vers Maxence, disparaît à son tour dans la cuisine tandis que j’oriente mon ami vers le salon.

«Merci beaucoup pour ton présent, Max. Tu vas me montrer comment y jouer? C’est fou il y a tellement de trous, je me demande où est-ce qu’il faut les mettre et… j’espère que c’est plus facile que la guitare parce que si toi tu joues super bien de la guitare, ça n’a pas l’air facile du tout et… oh mon dieu je parle vraiment trop vite, je m’excuse, Maxence je…»

Je m’interromps en m’asseyant sur le vieux canapé du salon de la demeure familiale.

«Tu… tu m’as manquée je crois.»

Je lui offre un doux sourire en passant une main nerveuse dans mes boucles blondes.

Quel soulagement de pouvoir enfin la sentir à nouveau près de moi, contre moi. De pouvoir frissonner encore lorsque son souffle effleure ma nuque et que ses cheveux viennent chatouiller ma peau. J'oublie tout, je me laisse dériver par ce contact dont j'ai rêvé, que j'ai espéré depuis qu'elle est partie ce soir là. Non décidément je ne peux pas. Je ne peux pas oublier mes émotions ni ce baiser. Je ne peux pas oublier ce bonheur intense qui a inondé mon corps et mon âme. Je ne peux pas faire comme si rien ne s'était passé et que nous nous retrouvions comme de simples amis. Ce soir je dois lui parler, j'ai peur mais il le faut. Je ne pourrais pas continuer à vivre en contenant tout ça en moi au risque que cela explose un jour. Mais pour l'instant j'essaye de ne pas y penser et je profite. J'aimerais rester là de longues minutes, des heures même en sachant que je ne pourrais jamais m'en lasser mais nous ne sommes pas seuls. De plus, je pense que son père n'apprécierait pas vraiment ça. Lorsque je me détache avec une once de regret pour saluer sa famille, sa mère s'approche et je lui fait la bise en souriant. Enfin j'apprends le prénom du père de Nora, Richard et je tends une main  un peu hésitante vers lui. Je suis rassuré lorsqu'il l'attrape pour la serrer, un peu fort d'ailleurs. Je ne proteste pas mais écarquille légèrement les yeux jusqu'à ce qu'il la relâche. Finalement j'adresse un petit signe de main timide à Stella qui n'a toujours pas ouvert la bouche de la soirée et qui ne semble pas vouloir s'approcher plus. Son regard me met un peu mal à l'aise mais je l'oublie rapidement lorsque je retourne la tête vers Nora pour lui donner mon cadeau.

La jeune femme semble hésiter une seconde mais elle attrape tout de même le paquet pour le déballer. Je joue un peu avec mes doigts en attendant qu'elle découvre ce qu'il se cache derrière le papier cadeau, en espérant de tout mon cœur que cela lui fera plaisir. Finalement l'objet est révélé au grand jour et je lève les yeux vers Nora pour scruter sa réaction. Elle observe l'instrument un instant avant de relever la tête vers moi et d'afficher un sourire qui me gorge de bonheur. Ses paroles viennent me réchauffer et me rassurer, je n'ai pas fait un mauvais choix apparemment. Nos regards restent plongés l'un dans l'autre quelques secondes jusqu'à ce que la voix de Suzanne vienne briser ce silence. Silence qui instaure peut être une ambiance gênante dans le reste de la famille mais que Nora et moi savons apprécier et connaissons parfaitement. Ces petits moments nous appartiennent. Richard semble vouloir protester suite à la proposition de sa femme mais finalement ils nous laissent seuls alors que je suis Nora jusqu'au salon. Je bois ses paroles qui se déversent comme une cascade au son mélodieux jusqu'à mes oreilles, sa voix animée d'une bonne humeur que je partage. Un large sourire se dessine sur mes lèvres et j'ai presque envie de rire tant elle parle, s'en rendant compte elle même au bout d'un moment. Cela ne me dérange pas le moins du monde, ça m'avait même beaucoup manqué. Je la fixe s'asseoir sur le canapé alors que sa voix se fait plus douce et plus hésitante, pour me faire entendre des paroles qui me réchauffent de la tête aux pieds. Je rougis alors que je viens m'asseoir non loin d'elle, un peu gêné. Son sourire... Mais quel bonheur de pouvoir le voir à nouveau.

« Moi aussi Nora... Beaucoup. »

Enormément. Je rougis d'autant plus et baisse le regard après avoir dit ça. J'ai envie de la prendre dans mes bras, de me rendre compte qu'elle est vraiment là et que cette fois elle ne partira pas. Mais non je ne peux pas, qu'est-ce qu'elle va penser... Qu'est-ce que sa famille va penser s'ils nous surprennent. Néanmoins je ne peux pas m'empêcher de me rapprocher un peu plus, de réduire cette distance entre nous. Je la regarde une nouvelle fois dans les yeux tout en souriant timidement.

« C'est gentil de m'avoir invité ce soir. J'avais très envie de te revoir. »

Je... Je ne sais pas trop quoi ajouter. J'ai tellement de chose à lui dire mais j'ai l'impression qu'on aura pas le temps, que sa famille pourrait débarquer à n'importe quel moment. Peut-être qu'elle ne veut pas en parler aussi, après tout elle m'avait demandé d'oublier. Je ne sais pas quoi faire, quoi dire...

« E-Enfin, ça faisait longtemps qu'on ne s'était pas vu quoi... Ça fait du bien de pouvoir te parler à nouveau. »

Bon Max tu te répète là. Il vaut mieux que je me taise et que je la laisser parler, pour une fois j'ai l'impression que les rôles s'inversent. Je n'ai pas envie de dire une bêtise ou de gâcher la soirée alors autant la laisser choisir un sujet de discussion qui lui fera plaisir, qui ne la mettra pas mal à l'aise. Je continue de sourire tout en me dandinant légèrement. J'espère que la soirée va bien se passer... Je pense que oui, je le sens.

S’il m’a manqué? Une évidence. La première semaine après le fameux événement, je l’ai soigneusement évité, mettant volontairement une distance entre nous afin de prendre du temps pour y réfléchir, mais surtout pour m’en remettre. À l’époque, une seule pensée en sa direction suffisait à m’écorcher vive. Je réalise à présent que malgré une certaine douleur toujours présente, ma perspective a changée. Je me retrouve maintenant nerveuse et maladroite à ses côtés, mais aussi heureuse de le côtoyer à nouveau. Peut-être que de prendre nos distances s’est avéré nécessaire pour nous deux après ce premier baiser échangé, volé il peut nous sembler et ayant laissé à sa suite de nombreuses déceptions et amertumes. Mais à présent, il nous faudra en discuter véritablement, même si cette perspective me plonge dans une grande angoisse. J’ai peur de le perdre, plus que tout. Je préfère perdre une relation plus profonde plutôt que de déraciner notre amitié. Néanmoins, je dois aller jusqu’au bout de ce qui s’est produit, je dois savoir ce qui s’est vraiment passé, en espérant savoir faire face à son rejet à nouveau. Je sais qu’il prendra soin de moi si ça doit se produire, qu’il ne me causerait jamais de tort inutile. Et peut-être… Peut-être qu’un fil je découvrirai quelque chose que je n’ai jamais envisagé dans mes rêves les plus dérisoires, d’être aimée en retour. Une possibilité tout aussi déroutante que la première. Je me trouve entre deux alternatives, deux mondes, ou plutôt trois. Friends, lovers or nothing?

Car nous ne pouvons véritablement n’en être qu’un seul, mais ce doute qui plane ne peut subsister bien longtemps. Je devrai prendre mon courage à deux mains, m’exposer comme jamais encore et vaincre toutes mes terreurs les plus insidieuses pour lui faire face et lui demander de quoi il en retourne. Pour l’instant, je me perds dans l’émeraude de ses yeux en souriant à sa réponse, si sincère, si touchante, une réponse qui me redonne espoir, un espoir si changeant et capricieux. Il me semble un peu nerveux, mais aussi confortable dans cette maison qui m’a vue grandir, à l’aise à mes côtés et profondément heureux de me retrouver. Je me sens fondre à chacun de ses mots, me contentant d’hocher la tête quand il me remercie de l’avoir invité. J’ai envie de lui affirmer qu’il n’aurait pas pu en être autrement, que mon anniversaire sans lui n’aurait tout simplement pas été le même, mais les mots restent pris dans ma gorge et s’évanouissent sous l’effet de la lâcheté qui m’étreint. Je me contente donc de rougir d’un air gêné et ému, avant de prendre la parole à nouveau.

«C’est vrai… on s’est bien trop peu vus depuis quelques temps… Depuis en fait… Euh… Maxence je crois qu’on devrait en parler tous les deu…»

À cet instant mon père et Stella nous rejoignent dans le salon et je me redresse un peu contre le dossier, un air désemparé au visage. J’avais saisi ce moment comme une chance de discuter, mais voilà ma famille de retour à nos côtés. Ma mère nous rejoint rapidement, et est lancée une conversation banale au sujet d’une équipe de sport que mon père aime bien, puis des études de ma sœur qui lui prennent tout son temps. La jeune femme étudie en biologie et est pleine d’ambition. Elle raconte aussi quelques-unes de ses rencontres avec des jeunes hommes depuis sa rupture avec son dernier petit-ami. Comme d’habitude, Stella n’a aucun mal à plaire aux garçons et en fréquente plusieurs sans vraiment s’attacher. Après quelques instants, j’ai cessé de l’écouter. La seule présence de Maxence à mes côtés suffit à me distraire. Tel un aimant, je suis constamment portée vers lui, mes regards, mes gestes. Je réalise à un certain moment que j’ai posé ma main contre la sienne et entremêlé nos doigts. Je regarde un instant nos mains avant de détacher la mienne en rougissant, incapable de réfréner un sourire timide alors que je me détourne, embarrassée. Décidément, il me rend complètement dingue. Je retente un regard vers lui avec un petit sourire d’excuse, mais l’émeraude de son regard me fait fondre une fois de plus. Bordel qu’il est séduisant et…

«Ahem. Alors Maxence, que fais-tu dans la vie?»

Et mon père, pour interrompre ce moment silencieux en toute complicité. Je me recule un peu sur le sofa en boudant intérieurement. Je sens que la soirée va être longue, si longue.

Tu m'as manquée. Rien que ces paroles, ces simples mots qui sont sortis de sa bouche me consument de joie. J'ai l'impression de ne pas l'avoir vu, de ne pas avoir entendu sa voix ou croisé son regard depuis des mois. Tous les jours je pensais à elle, attendant et espérant inlassablement de pouvoir lui dire cela et peut-être l'entendre en retour. Au final c'est elle qui me l'a fait savoir en premier et cela me... C'est... Je me demande s'il ne serait pas possible que notre relation s'approfondisse comme j'en rêvais ce soir où tout a basculé. Je sais qu'elle avait dit non sans vraiment le prononcer, qu'elle n'avait pas voulu mais j'ai du mal à... A me dire que je pourrais vivre et la fréquenter autrement dorénavant. Mais non, non, elle ne partage pas le même avis que moi... Si ? Je n'en sais rien, j'aimerais tellement le savoir... En tout cas je lui ai répondu avec la plus grande sincérité, chaleureusement, comme si ces mots m'étaient restés coincé en travers de ma gorge tous ces jours où nous nous sommes appelés, un certain malaise s'établissant entre nous. Oui. C'est tout ce que je voulais lui dire durant ces moments là. Tu me manques, plus que tout au monde. Mais je redoutais que la seule réponse obtenue aurait été le "bip" d'un téléphone raccroché. C'est pourquoi je ne peux cacher ce bonheur immense d'être enfin en sa compagnie et de pouvoir plonger à nouveau mon regard dans le sien, comme avant.

Et c'est ce qui arrive alors qu'elle écoute mes paroles. Ces yeux bleu que je connais maintenant par cœur et qui me séduisent tout en me rendant mal à l'aise me fixent pendant que je parle. Je la considère à mon tour après avoir fini, profitant de son sourire magnifique dont je ne peux me lasser.
Je souris aussi, timide et un peu gêné alors que quelques secondes de pure silence s'écoulent entre nous. Elle vient finalement briser ce silence pour confirmer ce que je disais. Oui, on s'est bien trop peu vus en effet... C'est la suite de ses paroles qui viennent me faire rougir et accélérer mon rythme cardiaque.Je l'écoute me dire ce que je pense tout bas depuis quelques jours, depuis que je suis arrivé chez elle ce soir. Je stresse, je sais que cet instant pourrait être douloureux mais j'ai besoin qu'on parle aussi, qu'on s'explique. Mais avant même qu'elle puisse finir sa phrase, le reste de sa famille nous rejoint et interromps ce moment que nous partagions, ce moment qui aurait pu se transformer en grande discussion sentimentale. Je suis un peu déçu d'un côté mais je pense que l'on pourra en parler plus tard, on a toute la soirée après tout. Tout le monde s'installe tout en discutant et je me contente d'écouter et de sourire de temps en temps quand on me jette un regard.

Rien que ce petit échange avec Nora a suffit pour me déconnecter un peu du reste, me plonger dans mes pensées. Je suis peu attentif aux conversations jusqu'au moment où Stella parle de ses rencontres avec des hommes et j'avoue que je suis un peu surpris. Elle et sa sœur ne se ressemblent pas du tout... Suite à ces pensées, je tourne ma tête vers Nora et c'est à ce moment précis que je la sens m'attraper la main. Un frisson remonte le long de mon bras et se diffuse rapidement dans tout mon corps. Je me fige et lève les yeux vers elle alors que les siens sont toujours tournés vers nos mains. Finalement elle la retire vivement et me regarde à nouveau en souriant d'un air gêné, l'air désolée. Je souris aussi, je ne peux pas cacher que ça ne m'a pas dérangé... C'est quand même incroyable quand j'y réfléchis. Avec Nora, nous n'avons pas besoin de discuter ou autre chose. Rien que le fait de se regarder m'occupe et m’épanouit. J'ai l'impression que je ne m'en lasserai jamais, ces moments ne sont rien qu'à nous, ne profitent qu'à nous. Et je pense que Richard s'en rend compte car il vient interrompre nos œillades en me posant une simple question. Je me détache avec regret de ma contemplation pour sourire timidement à mon interlocuteur.

« Et bien je... Je suis web-designer dans une petite entreprise située au centre d'Oyonnax. Cela me permet de payer mon appartement qui n'est pas très loin des locaux et... »

Je raconte ces quelques informations comme je l'avais fait lors des retrouvailles avec Nora, répondant aux questions, indiquant mes passe-temps et ce genre de chose. Je n'aime pas trop penser comme ça et je me sens un peu malpoli de le faire mais je dois avouer que j'attends avec impatience le moment où je pourrais parler à nouveau avec Nora, bien que sa famille soit très agréable.

« … Voilà. Et ça fait maintenant depuis un petit bout de temps que je fréquente Nora. »

Je prononce son prénom avec une douceur infinie, en ayant tourné la tête vers elle et en la regardant droit dans les yeux, tout en souriant doucement. Quelle chance d'être allé dans ce parc ce jour là. Quelle chance de l'avoir rencontré là-bas et d'être allé dans ce café avec elle. Elle est la plus belle rencontre de ma vie et le sera sûrement pour toujours.

Longue que cette soirée. Car je n’ai véritablement qu’une seule envie, celle de me retrouver face à lui, à son sourire, à ses regards qui me tirent d’impossibles rougeurs. Lui que j’ai fui pendant si longtemps et dont je me délecte à présent du contact, si éphémère soit-il à l’instant où je viens cueillir ses doigts. Incapable de me retenir plus longtemps, et interrompue par ma propre timidité, par les lois qui régissent silencieusement cette pièce où mon père s’est fait le maître, dans cet univers réflectif qui est le sien. S’il se croit le roi, j’en suis l’héritière, bien décidée à détenir ce moment confrontant que nous attendons tous les deux autant l’un que l’autre à en juger par la réceptivité de mon invité avant l’entrée spontanée de ma famille dans la pièce. Nous devons l’avoir, cette fameuse conversation, même si j’ignore encore si je posséderai le courage nécessaire de lui souffler, même à mi-voix, la question qui me brûle les lèvres depuis qu’il les embrasé d’un baiser. Pourtant je le devrai, et apaiser l’éruption en moi, l’effervescence qui me domine à chaque instant de sa présence ensoleillée et dont j’ai à présent du mal à me détacher. L’instinct me pousse à ses côtés, plus près, à prendre son bras et peut-être même poser ma tête contre son épaule pour l’écouter respirer et vivre, simplement pour avoir la conviction qu’il est toujours là. Il doit me guérir de ce mal qui m’afflige, l’incertitude face à ce que nous sommes. Je crains le diagnostic. Amis, amoureux ou rien du tout? Cette question, une fois de plus, insiste sous mon crâne.

J’écoute donc distraitement les mots de Maxence à l’endroit de mon père. Je ne fais que ressentir sa voix dans chaque pore de ma peau, deviner sa respiration régulière et les battements peut-être un peu rapides de son cœur devant l’effet intimidant que provoque nécessairement la présence de mon père. Je n’ai plus peur de lui, plus depuis longtemps. Cet homme a toujours su me protéger, m’écouter et me conseiller. Je sais que de voir un autre garçon que lui occuper cette place l’effraie. Et si Maxence devait devenir quelqu’un d’encore plus important dans ma vie? Le respecterait-il? L’accepterait-il? Comment ne pas apprécier le jeune homme de toute façon, surtout en voyant avec quelle sincérité il s’adresse à moi, avec toujours un énorme respect de ma différence… Mon père n’a aucune raison de s’inquiéter. J’aimerais être capable de mener mes propres batailles à l’avenir. Celle-ci n’en est pas une. Je suis amoureuse de lui, voilà tout. Une fois que mon ami a terminé avec son discours sur son boulot, je me lève brusquement, comme pressée de voir la soirée avancer. L’impatience me caractérise habituellement lors de mes anniversaires, ainsi les membres de ma famille ne se surprennent guère de mon embardée.

«C’est prêt bientôt? J’ai faim!»

Mon père hoche la tête, amusé par mon comportement. Nous nous levons tous pour préparer la table et bientôt, le repas est posé contre celle-ci. Toujours la même, une dinde farcie, avec diverses salades, de la purée de patates douces, de la sauce bien grasse, mais aussi des légumes grillés, ainsi que du pain bien sûr. J’adore la dinde, ainsi mon père prépare la sienne tous les ans, à mon anniversaire. Je m’assois à la gauche de Maxence pendant le repas. Mon père est au bout de la table, à ma gauche, ma mère en face de moi et ma sœur juste devant mon ami. Les plats circulent et mon père sert la dinde. Je tiens à peine sur ma chaise, surexcitée par un tel festin qui aurait pu aisément nourrir le double des personnes réunies, voire d’avantage. Je souris intérieurement en pensant à tous les restes que je pourrai rapporter chez moi. Lorsque tout le monde est servi et en train de manger, ma mère nous demande, à Maxence et moi, en toute innocence :

«Alors… comment vous vous êtes rencontrés au juste?»

«Oh! On s’est connus à l’école, il était dans la même classe que Cindy à l’époque. On s’est revus pendant l’été dans le parc près d’où je travaille, mais je ne l’ai pas reconnu tout de suite parce qu’à l’époque, il était gros.»

Aussitôt, je sens le regard désapprobateur de ma mère sur moi.

«Nora, ce n’est pas très gentil de dire des choses pareilles.»

«Mais… Maxence il est très séduisant! Je veux dire, il l’a toujours été.»

Et je le pense. Même avec ses supposés kilos en trop, il a toujours été physiquement très agréable à regarder. Il irradie de l’intérieur après tout. Je me retourne vers lui, un peu inquiète de l’avoir froissé du coup, en lui adressant un regard désolé et complètement dévolu à la fois, un regard tel j’ai l’impression qu’il me trahira, attisé par la force de mes sentiments pour lui.

Je me demande si mon impatience se fait ressentir dans ma voix ou si je parle trop vite. Je n'arrive pas à m'empêcher de penser au moment où je me retrouverai seul à seul avec Nora, pouvant enfin parcourir son visage de mon regard sans interruption, jusqu'à le plonger dans le sien. Je me demande ce qu'il se passera, si nous resterons ainsi dans un long silence comme nous les connaissons maintenant ou si nos mots parviendront à venir le briser. J'ai l'impression que c'est assez rare, je suis pour la plupart du temps sans voix devant elle, rendu muet par sa beauté et mes émotions. Toujours paralysé en scrutant son sourire ou en me perdant dans ses yeux, en écoutant son rire ou ses paroles. Pourtant je sais qu'il faudra que l'on parle de cette soirée, de ce baiser que nous avons échangé, de tout ce qui s'est passé. J'appréhende ce moment autant que je l'attends avec impatience. Je brûle d'envie de pouvoir étaler ce que j'ai ressenti ce soir là, et ce que je ressens encore et toujours aujourd'hui. La présence de sa famille nous en empêche et je m'en veux de penser cela. Après tout, c'est l'anniversaire de leur fille, de sa sœur en ce qui concerne Stella. Je ne suis qu'un invité et je ne suis pas venu ici pour la leur voler ou la séparer d'eux. Mais il y a bien un moment où nous aurons un peu d'intimité, non ? Où nous pourrons nous regarder en face et parler autant que nous voulons sans redouter que quelqu'un, quelque chose vienne nous interrompre ? Je l'espère.

Je parle d'une voix un peu hésitante et peut-être un peu rapidement, intimidé par le regard de la famille de Nora tourné vers moi, particulièrement par celui de mon interlocuteur. Je me demande s'il a fait exprès de me poser cette question pour mettre fin au contact invisible que j'échangeais avec mon amie. Je suis sûrement un peu trop paranoïaque, c'est normal après tout qu'il désire en savoir plus sur moi. Je suis un inconnu qui passe du temps avec sa fille depuis quelques mois. N'importe quel père protecteur aurait fait la même chose. Je finis mon petit monologue mon regard tourné vers Nora et avant même que sa famille ne me pose d'autres questions, elle se lève soudainement. Je la regarde surpris mais rigole doucement lorsqu'elle indique qu'elle a faim. Je me lève à mon tour en même temps que les autres avant de les suivre. J'essaie de me rendre utile et aide à préparer la table, venant déposer ce qu'on me tend dessus ou demandant quoi faire. Finalement nous allons nous asseoir et je me place à côté de Nora et en face de Stella. J'observe ce qu'ils ont préparé et commence à avoir faim moi aussi, l’appétit ouvert à la vue des plats. Une fois tout le monde servi, je commence à déguster silencieusement.

C'est alors que Suzanne vient poser une question simple mais qui vient me faire rougir un peu. Elle souhaite savoir comment on s'est rencontré. Cette journée inoubliable repasse devant mes yeux, du début à la fin et je suis surpris de me rappeler d'autant de détails. Je me demande si Nora va parler du fait qu'elle a failli m’asperger le visage de poivre... Non, bien sûr que non. Je rigole intérieurement, c'est marrant quand on y repense. Je laisse donc mon amie répondre, évoquant le fait qu'on s'était déjà aperçu il y a longtemps, au lycée. Je me racle légèrement la gorge lorsqu'elle indique qu'à l'époque, je... N'avais pas le même physique quoi. Je jette un coup d’œil un peu gêné vers les membres de sa famille. Ça ne me dérange pas qu'elle en parle mais euh... Enfin voilà ça fait toujours un peu bizarre. Et puis je sais qu'elle ne l'a pas dit méchamment, on dirait même que c'est sorti comme ça. Suzanne lui répond que ce n'est pas très gentil d'évoquer cela mais je lui souris timidement en secouant la tête afin d'indiquer que ça ne me dérangeait pas. C'est la réponse de Nora qui vient me faire rougir d'autant plus alors que mon regard se baisse vers mon assiette. Je souris toujours en jouant un peu avec ma fourchette, gêné mais flatté par son commentaire. Mon regard vient croiser le sien et je fonds devant son intensité. Je vois parfaitement qu'elle est désolée mais je ressens aussi une extrême sympathie. Impossible pour moi de lui en vouloir. Je rigole doucement, encore plus embarrassé avant de parler à mon tour pour la première fois depuis que nous sommes à table.

« Ah ah merci Nora, ne t'inquiète pas, c'est pas grave... Je peux en dire autant. »

J'affiche un large sourire en prononçant ces mots avant de me rendre compte que tous les regards sont tournés vers moi. Oh mince, j'avais totalement oublié les autres ! Je panique en essayant tant bien que mal de me rattraper, ayant l'impression de brûler et voulant disparaître.

« EN-ENFIN ce que je veux dire c'est que euh... Nora est très jolie et... Euh... Je... »

Je sens que je m'enfonce encore plus et je lance un regard limite implorant à Nora, faisant clairement comprendre que j'ai besoin d'aide. Un simple merci aurait suffit, pourquoi faut-il toujours que j'en rajoute ? Je pense bien sûr mes paroles mais je ne pensais pas les prononcer maintenant, ici, en plein milieu du dîner familial...

J’ai conscience de mes propres faiblesses seulement lorsqu’on me les souligne. Effectivement, jamais je n’aurais soupçonné pouvoir porter préjudice à Maxence de mes paroles en lui rappelant ce souvenir peut-être un peu pénible de son adolescence. Il s’agit d’une erreur de perspective ici. Dans mon monde, il n’existe personne ne fondamentalement laid, et certainement pas pour quelques kilos en trop comme il était le cas de mon ami à une certaine époque. Je n’ai pas cherché à lui nuire ou à me moquer de sa condition passée, bien au contraire, seulement d’expliquer les raisons de ma confusion lors de notre nouvelle rencontre. Un sentiment de culpabilité et de honte m’envahit, comme à chaque fois qu’on me reflète une action fautive chez moi. J’espère vivement que mon ami ne se trouvera pas froissé de mes mots, et me tortille sur place en guettant sa réaction. Seulement la vue de ses traits m’apaise, son visage est doux et bon, les lèvres dessinent un sourire vivifiant qui cause la naissance de milliers de petites étoiles dans l’émeraude de son regard. J’en frissonne toute entière absorbée dans ma contemplation silencieuse de qui il est, non seulement ce physique avantageux, mais aussi l’être de lumière et de sincérité qu’il représente désormais dans ma vie, ce petit passage heureux dans une existence houleuse. L’envie de me vient de lui saisir la main, de le sentir tout près de moi. La peur, insidieuse, de le perdre me rend si fragile, si bien qu’à l’instant mon envie irrépressible de lui confier la nature de mes sentiments s’envole, simplement pour conserver ce que je sais de si précieux. Lui et moi. Je ne peux pas nous briser. Ni me passer de lui, d’aucune façon imaginable.

Je sursaute en entendant sa voix, si fine et doucereuse, une voix qui me retourne un compliment qui n’attendait rien retour. Je salue son effort d’un sourire timide, alors que mon ventre s’agite d’une sensation indescriptible. Seuls au monde. J’ai tout oublié de la présence de ma famille autour de la table, ou même mon propre nom à vrai dire. Je me contente de l’observer avec une fascination grandissante, mon cœur affolée et l’envie folle de l’embrasser me reprenant, inappropriée dans les circonstances. Sans le réaliser, je me suis rapprochée de lui, sans défaire mon emprise visuelle sur lui, lui seul. Jusqu’à ce que lui-même se rende compte de sa sottise, ne s’agit soudain sur sa chaise en déversant une vague d’explications maladroite à l’endroit de nos spectateurs dont le malaise est palpable. Je me redresse et me pose contre mon dossier en scrutant mon assiette en rougissant, victime de ma propre faiblesse face à ce garçon qui a tout changé dans ma vie, celui qui parvient à me défaire de moi-même. Mon arracheur d’âmes. Je lui cède volontiers, tout comme mon cœur. J’ai une confiance aveugle en lui, une confiance qui pourrait se retourner contre moi à mes heures. Dans mon monde d’idéalisation, je ne réalise pas les dangers encourus, malgré la bonne foi des deux partis. En amour, nous finissons toujours par nous blesser.

Un silence lourd retombe sur la pièce avant que mon père ne se décide à combler le vide par une conversation au sujet de son boulot. Je me tiens silencieuse, encore un peu confuse parce que je viens de vivre. Le reste du repas se déroule dans la bonne humeur, ou du moins je crois. Distraite, je suis totalement absorbée par le dilemme qui me déchire. Lorsque j’aurai l’occasion de me retrouver seule avec Maxence, aurai-je l’audace de lui confier ce qui m’étreint? Dois-je risquer notre amitié pour vivre en paix avec mes sentiments déchaînés depuis ce premier baiser qui n’a vu aucune suite? À la fin du dîner, nous rangeons la table tous ensemble, en papotant doucement. Ma mère, bien sûr, se plaît à inviter Maxence à la prochaine fête, Noël, et en lui racontant tous les plats traditionnels qu’elle prépare pour l’occasion avec son mari. Je fais la vaisselle en compagnie de Stella quand celle-ci s’arrête soudainement pour me prendre la main et me tirer dans le couloir où les autres ne pourront pas nous entendre. Mon cœur se met à battre plus fort. Ma sœur ne m’a pas touchée depuis si longtemps, ni même regardé. Pourtant elle lève son regard farouche dans le mien et m’adresse la parole pour la première fois depuis des années sans y être forcée.

«Qu’est-ce qui se passe entre vous deux? Entre Maxence et toi.»

Ma sœur a bien vu mon hésitation devant sa question, et a préféré préciser. Je reste un moment silencieuse, à simplement encaisser la voix de mon aînée. Qui s’adresse à moi. À moi.

«C’est mon meilleur ami. Pourquoi?»

«Tu es amoureuse de lui?»

J’ignore pourquoi, mais elle sourit. Dans ses prunelles d’un bleu-gris très clair, j’y lis une émotion qui doit être de l’espoir. Mais je ne comprends pas. Je me sens tout à coup très émotive, je prends sa main, incapable de répondre, simplement heureuse d’avoir de nouveau une sœur. Stella mêle ses doigts aux miens sans se dégager. J’hoche lentement la tête, le regard embué, ravie d’enfin pouvoir le confier à quelqu’un, quelqu’un en mesure de me comprendre, quelqu’un qui m’aime malgré toutes nos différences.

«Il t’aime aussi.»

Elle sourit. Elle me semble plus heureuse que jamais, elle rayonne. J’en suis la cause. J’ignore pourquoi, j’ignore comment, mais Stella s’illumine de notre relation à Maxence et moi. Et ce qu’elle affirme… Je la crois. Ses mots s’ancrent en moi telle une vérité indéniable. Maxence m’aime.

«Je ne sais pas comment lui dire… comment faire… J’ai peur qu’il me dise non…»

«Il ne te dira pas non, Nora. Il n’y a qu’à voir la façon qu’il te regarde. Il est vraiment fou de toi. Tu n’as qu’à être honnête. Je sais que c’est un gros défi pour toi mais si tu as besoin de conseils… appelle-moi d’accord?»

N’y tenant plus, j’attire ma sœur à moi et la tient très fort. J’ignore toujours pourquoi cette aide, pourquoi maintenant, mais je me promets de toujours faire un effort pour conserver ce que nous avons et ce que nous avons perdu il y a plusieurs années. J’hoche donc à nouveau la tête avant d’être poussée gentiment dans la cuisine pour rejoindre les autres, où nous poursuivons rapidement notre vaisselle, avant que Stella ne propose à mes parents d’aller regarder la partie de soccer qui joue ce soir. Comme je n’aime pas beaucoup les sports, j’en profite pour proposer à Maxence de passer à mon ancienne chambre.

«Tu voudrais me montrer comment on joue de l’ocarina?»

Je souris timidement. Dois-je lui dire ici, maintenant? Je frissonne en prenant sa main, scrutant le sol. Il m’aime. Je dois me raccrocher à cette idée.

Je ne peux pas m'offusquer de sa remarque, ce n'est que la simple vérité. Et bien sûr que je remarque parfaitement qu'elle l'a dit sans aucune moquerie ou autre. Je ne devrais pas avoir honte de ce à quoi j'ai ressemblé auparavant. C'est du passé et même si c'était encore le cas aujourd'hui, où serait le problème ? C'est sûr que cette époque de ma vie n'est pas la plus agréable à se souvenir mais maintenant tout va mieux. J'ai fait des efforts pour changer et ça a porté ses fruits. Aujourd'hui je me sens bien dans ma peau et je n'ai plus de problème pour parler aux gens ou les approcher, loin de là. J'ai même rencontré une fille incroyable, parfaite dont je n'aurais même pas pu rêver. Après son compliment qui m'a réchauffé, je n'ai pas pu m'empêcher de lui en faire un à mon tour. Perdu dans son regard, j'ai totalement oublié le reste de sa famille et ce qu'ils pouvaient penser. Je n'ai même pas fait attention au fait qu'elle s'était rapprochée de moi, hypnotisé par son regard et son petit sourire. Je me suis contenté de la fixer, de l'observer et tout semblait avoir disparu autour d'elle. Jusqu'au moment où je me suis rendu compte que nous n'étions pas seuls. Évidemment, je suis embarrassé et un peu stressé, j'espère que son père n'en tiendra pas compte.

Ce que je redoutais arrive, un blanc s'installe autour de la table alors que ma gêne doit se sentir à des kilomètres à la ronde. Je jette un coup d’œil à ma gauche et je remarque que Nora se retrouve à peu près dans la même situation que moi. C'est une torture de devoir faire attention à tout ce que je dis et fais, si seulement nous pouvions agir naturellement ensemble... Mais ce n'est pas le moment d'offusquer sa famille et puis j'ai peur que... Mes sentiments prennent le dessus. Je ne sais pas comment je pourrais réagir. Lorsque je suis en compagnie Nora, rien n'est pareil que d'habitude. A chaque instant j'ai envie de la prendre dans mes bras, de lui dire tout ce que je ressens mais je sais que ce n'est pas le moment et c'est dur. Dur de contenir tout ça alors que je sais que je devrais tout exposer bientôt, sûrement ce soir. Il le faut. Je ne veux plus garder cela pour moi sinon jamais je n'arriverai à vivre normalement à nouveau et à être naturel avec mon amie. Je me demande même comment elle ne remarque pas à travers l'intensité de mon regard, les soulèvements rapides de ma poitrine que je suis fou d'elle. Car oui, je le suis plus que jamais. Et si tout ce que je lui dirais tout à l'heure gâchait notre relation, notre amitié ? Et si à nouveau elle n'acceptait pas mon rapprochement ? Je... Je ne sais pas ce ferais... Il ne vaut mieux pas y penser, de toute façon je dois lui dire.

Je suis pris d'un énorme soulagement lorsque Richard prend la parole pour nous libérer de ce malaise et la soirée semble reprendre un cours normal. Je participe de temps à autres, quand on m'y invite mais je reste surtout en spectateur. Nora à côté de moi ne dit pas un mot, j'espère que tout va bien. Finalement, nous nous levons tous pour débarrasser la table après ce superbe repas. J'aide à ramener des choses dans la cuisine en restant toujours un peu raide dans mes mouvements et gêné, pas encore habitué à la présence de la famille de mon amie. J'acquiesce avec un grand sourire aux lèvres lorsque Suzanne me propose de revenir pour Noël alors que la description des plats font naître dans mon esprit de belles images alléchantes. Je suis flatté par cette invitation et heureux d'être apprécié par la mère de Nora. Je remarque d'ailleurs en pensant à la jeune femme qu'elle n'est nulle part dans les environs. Je ne m'inquiète pas plus, elle doit être quelque part dans la maison après tout. Je fais un dernier aller-retour pour finir de débarrasser la table et quand je reviens je vois que Nora est de retour. Voilà, il n'y avait aucune raison de s'inquiéter. Stella propose d'aller regarder un match à la télé mais Nora me fait une autre proposition, qui m'intéresse bien plus et accélère mon rythme cardiaque.

« Euh si tu veux, je pourrais te montrer les bases que je connais... »

J'affiche un petit sourire timide, je ne connais pas très bien cet instrument non plus. Sa main vient attraper la mienne et je sens une douce chaleur très agréable m'envahir au contact de ses doigts. Je me laisse guider sans rien dire à travers les couloirs pour rejoindre une pièce qui semble être une chambre, sûrement la sienne. J'entre en retenant ma respiration, ayant l'impression de pénétrer un lieu sacré, le lieu où Nora a grandi. Je ne touche à rien et pars m'asseoir à côté d'elle sur le bout du lit après qu'elle ait un peu poussé la porte. Enfin. Enfin nous nous retrouvons seuls. Une fois son ocarina en main, je viens d'un mouvement tremblant attraper ses doigts en rougissant pour déplacer délicatement afin de bien les positionner sur l'instrument.

« Hum, alors euh il faut que tu mettes ce doigt... là et puis celui-là pas ici mais là... Ensuite euh tu... »

Je tourne mon regard vers son visage et reste figé ainsi une seconde avant de lâcher ses doigts pour venir replacer une de ses mèches bouclées qui était tombé devant son visage sur le côté. Mon cœur bat de plus en plus vite, de plus en plus fort. Nous... Nous sommes si proches l'un de l'autre je... Je me recule un peu et baisse la tête en rougissant pour ne plus la regarder dans les yeux. Un long frisson me parcourt alors que j'ai l'impression que la température augmente. J'essaie de faire sortir les mots de ma gorge, c'est le moment. Nous devons parler tant que nous le pouvons.

« Euh je... Nora je pense qu'on devrait parler de... Enfin il y a quelque chose qu'il... Qu'il faut que je te dise... »

Mon cœur bat dans un ballet frénétique, un rugissement indomptable dans ma poitrine qui se réverbère dans tout mon corps. Le contact de ses doigts, saisis dans un plaisir puéril, me grise, surtout en sachant ce qui nous attend là-haut tous les deux. Je le tire gentiment jusqu’aux escaliers, en accueillant sa maladresse d’un sourire amusé. Au final, la maîtrise de cet instrument m’importe assez peu, tout ce que je souhaite est de tester la théorie avancée par mon aînée, que je ne parviens plus à remettre en cause. Je considère ma sœur depuis toujours de la lunette teintée de l’admiration, chaque mot qui sort de sa bouche m’est précieux tout autant que destructeur. Si je suis manipulable et fragile entre ses mains, elle possède aussi le pouvoir de me soulever et de me venir, ce qu’elle a décidé de ne plus faire pendant nos longues années d’adolescence, l’hiver de ma vie. Un jour, elle parviendra à m’en expliquer les raisons, si seulement elle accepte de se livrer à de nouveaux échanges en ma présence. J’ai envie de me confier à Maxence pour cette raison aussi, pour avoir quelque chose à partager avec elle, un point commun peut-être ou un brin d’espérance. Une fois les premières marches de l’escalier franchies néanmoins, je ne pense plus à elle mais bien à nous, et m’installe sur le lit de ma chambre en fermant presque derrière nous, attentive aux instructions de mon professeur. Je frissonne à son contact, envahie d’un sentiment de chaleur à la constatation de notre proximité nouvelle, celle que j’ai désespérément recherchée ce soir.

Je le laisse guider mes mouvements, attentive à sa respiration qui effleure mon visage et mon cou plutôt qu’à ses explications. Je me sens fondre et rougir à son contact, avec l’envie prenante de lever le visage en sa direction. Il suffirait que je le fasse pour que nous nous retrouvions nez à nez, à un souffle d’un baiser que je guette depuis un moment déjà, depuis le premier échangé contre le sofa chez lui. Un nouveau frisson me parcoure, qui semble faire réaliser notre proximité à mon ami qui soudain se dérobe, à ma grande déception. Je lui souris, sans comprendre, alors qu’il se met à balbutier des mots qui ne font qu’à moitié sens et dont je comprends pourtant la signification. J’hoche la tête, en ressentant une onde de nervosité me traverser, mon courage d’effriter. Je cherche ses mains contre le lit, sans oser les prendre, quand soudain mon corps se soulève pour aller mettre dans la vieille radio de ma chambre l’album que j’ai acheté à la boutique lors de ce fameux soir, cette sortie tous les deux. La voix suave, sincère et habile d’Ella Fitzgerald crée une atmosphère détendue dans la pièce, romantique peut-être même. Je me retourne vers Maxence, le regard brillant, avec l’envie brûlante de me montrer plus courageuse que lui, de le désarmer, de prendre la tête de cette opération. Il est celui ayant franchi le premier pas de ce baiser, je veux être celle pour lui avouer tout ce que je ressens. Mais à l’instant où j’ouvre les lèvres, j’entends mon père dans l’escalier nous appeler pour le dessert dans quelques minutes. Mon visage s’éteint alors que je réponds sans ambition que nous serons là d’ici quelques minutes.

Ma déception est palpable alors que j’invite le brunet à redescendre. Je ne comprends pas exactement on nous appelés sitôt, peut-être mon père souhaitait-il simplement que nous assistions au match en sa compagnie plutôt que de nous isoler. À la dernière marche de l’escalier, j’entends la famille toujours réunie autour du téléviseur plutôt que dans la cuisine en train de préparer l’accueil du gâteau. Mon front se plisse, nous avons encore du temps. Encore du temps. Ma main se referme sur celle de Maxence posée contre la rampe et je me retourne lentement en sa direction, plongeant mon regard dans le sien, un regard que je sais différent, envoûtant et invitant, un regard qui comble mes mots. Avec lenteur, je franchis la dernière marche et tire le jeune homme à ma suite, sans me détacher de son regard, obnubilée par son visage qui lentement se déteint dans la pénombre de ce couloir. Sans réfléchir, j’ouvre la porte du placard à manteau, suffisamment grand pour nos deux corps électrisés. Sans un mot, je l’y entraîne, toujours avec la même lenteur presque solennelle. Je referme derrière nous, sans rompre le contact de nos mains. Le noir se referme sur nous. On entend plus que mon souffle emporté et les battements frénétiques de mon cœur. Je ne distingue plus rien dans l’obscurité, mais je ressens sa poitrine sous mes mains que j’ai tendues vers lui, qui effleurent son torse, puis son cou, qui viennent cueillir son visage. Son nom m’échappe dans un murmure.

«Maxence…»

Je le cherche dans l’obscurité, ma gorge se nouant d’une fébrilité palpable. J’ai peur. J’ai toujours eu peur. Mais dans le noir, la menace me paraît plus subtile, chaque sensation engourdissant ses pensées qui suffisent souvent à m’aliéner.

«Je t’aime.»

Et j’en pense chaque lettre. Ces mots n’ont été que murmurés, ici tapis dans le noir je ne peux pas voir son visage. Mais je peux sentir son cœur battre, sa respiration contre mon visage, sa proximité. L’électricité entre nous.

J'aurai aimé continuer ce petit cours comme si de rien n'était, dans cette ambiance chaleureuse et intime qu'offre sa chambre. L'entendre souffler pour la première fois dans l'instrument en espérant que le son me ferait oublier l'inévitable discussion que nous devons avoir. Mais non, il faut que je cesse d'essayer d’esquiver, de fuir. Mes sentiments sont en contradiction, j'ai envie de tout lui avouer, d'être soulagé de ce poids et de connaître ses ressentis à elle mais en même temps non... Et si je venais à nouveau gâcher la soirée ou ne serait-ce qu'instaurer un malaise constant entre nous ? Tant pis, je ne peux pas retenir cela plus longtemps et de toute façon, c'est trop tard. J'avoue que j'ai failli l'embrasser à nouveau, approcher mon visage pour goûter une nouvelle fois à cette délicieuse sensation. Je me rends compte à quel point c'est dur de résister, de me retenir de faire ce que mon cœur me dicte. Elle m'attire d'une façon irrésistible et c'est presque impossible pour moi de détourner le regard lorsqu'elle est proche de moi. Et là, elle l'est. Si proche... Pourtant j'ai dû le faire, je ne dois pas le regretter. Je ne dois pas penser à moi mais à elle, à nous. L'embrasser à nouveau, là, maintenant, n'aurait pas fait avancer les choses. Ou peut-être que si ? Je n'en sais rien, absolument rien...

D'un coup d’œil je la voix hocher la tête, elle comprend parfaitement de quoi je veux parler. Elle a essayé d'introduire le sujet tout à l'heure mais sa famille nous a interrompu. Cette fois nous avons sûrement le temps et je me doute que ça ne sera peut-être pas le meilleur moment de la soirée. Tout ce que je veux c'est ne pas gâcher notre amitié, notre relation. Nous ne sommes qu'au tout début du chemin, il nous reste beaucoup à découvrir ensemble et à apprendre l'un de l'autre. Je ne supporterai pas de devoir tout arrêter ici, de ne plus la voir. J'ai besoin d'elle, plus que tout au monde. Sans me répondre immédiatement, je la regarde se lever pour s'approcher d'un petit post radio. Elle y insère un disque et de loin je crois reconnaître la jaquette de l'album qu'on avait acheté ce fameux jour au magasin de musique. C'est vrai qu'on n'avait pas eu le temps de l'écouter ensemble. La première chanson commence à jouer et elle me rassure un peu. L'ambiance de ces morceaux n'est pas vraiment adaptée à ce que je ressens en ce moment et à ce que je veux dire à mon amie mais elle me permet de me détendre. Apparemment Nora veut prendre la parole en premier et je la fixe donc dans les yeux, paralysé en attendant d'entendre ce qu'elle va déclarer. Mais hélas juste au moment où sa bouche s'entrouvre, Richard nous appelle pour venir manger le dessert. Mes muscles se relâchent, déçu. Mais quand pourrons-nous enfin discuter...

Je me lève pour suivre Nora hors de la chambre en direction des escaliers. Après le dessert, on pourra retourner dans sa chambre et on aura le temps cette fois, non ? C'est de plus en plus frustrant d'aborder le sujet mais de ne jamais pouvoir échanger ce que l'on a à se dire. Mon esprit n'est plus tranquille, obsédé par le besoin de me retrouver seul avec elle ne serait-ce que quelques minutes. Nous sommes presque arrivés au pied de l'escalier lorsque Nora semble ralentir. Soudainement, sa main se pose sur la mienne et je scrute la jeune femme, intrigué, jusqu'à ce qu'elle se retourne. C'est alors que son regard plonge dans le mien, un regard que je n'avais jamais aperçu auparavant. Mes yeux s'écarquillent légèrement et ma respiration accélère, je... Je ne sais pas ce qu'il se passe. Je n'arrive plus à cligner des yeux, mon regard est entièrement concentré sur le visage de Nora et je ne vois plus rien autour. Elle recule lentement en m'attirant à sa suite et je me contente de suivre, incapable de parler ou de mon contrôler moi-même, comme hypnotisé. Elle ouvre une porte et continue de me tirer, comme pour m'y inviter. Quelle est cette pièce, une autre chambre, une... Un placard ? Elle referme la porte et ma tête tourne, je suis totalement dépassé par ce qui est en train d'arriver... Mais que fait-elle ? Je ne la vois plus, nous sommes dans l'obscurité totale mais je sens ses mains lâcher les miennes pour venir effleurer ma poitrine. Un frisson intense me parcourt et mon cœur bat la chamade, je suis sûr qu'elle peut le sentir. J'ai chaud, tellement chaud. Je ne dis aucun mot, comme si j'avais perdu l'usage de la parole alors que ses doigts glissent le long de mon cou jusqu'à toucher mon visage. Mon corps est prit de tremblements alors qu'elle souffle mon nom, un souffle qui vient effleurer ma peau et...

Je t'aime. Je suis prit d'un violent soubresaut, ayant l'impression d'avoir été foudroyé. A nouveau un frisson me parcourt alors que ma bouche s'entre-ouvre de surprise. Je n'en reviens pas, est-ce que j'ai bien entendu ? Elle... M'aime ? Vraiment ? Ma main tremblante vient passer en dessous de ses cheveux derrière sa nuque et je ressens la chaleur intense de son corps sous mes doigts. Je la rapproche de moi, ne pouvant toujours pas la voir mais ressentant sa présence plus que jamais auparavant. J'ai envie de rire et de pleurer, de m'écrouler mais aussi de m'envoler. Mon rythme cardiaque ne semble pas vouloir arrêter d’accélérer alors que mon souffle est coupé depuis l'entente de ses mots. Un sourire se dessine de lui même sur mon visage et ma seconde main passe derrière le dos de mon amie. Je rapproche ma tête de la sienne pour venir ressentir son souffle contre ma joue et ma gorge semble enfin se desserrer. Je n'ai jamais été aussi heureux, aussi soulagé de ma vie.

« Je t'aime aussi Nora. Depuis si longtemps et, et... Tu-tu m'as tellement manqué je... »

Les mots ne servent à rien. A rien du tout. Je me tais et viens réaliser ce que j'ai tant attendu, tant espéré. Mes lèvres viennent se déposer contre les siennes, pour la deuxième fois de ma vie. Le contact m’électrise et inconsciemment je la serre plus fort contre moi. J'ai besoin de ressentir qu'elle est là, que cette fois je ne la fais pas souffrir et qu'elle restera avec moi. Ce baiser n'est pas le même que le premier, cette fois j'ai choisi de le faire et il est impossible de décrire à quel point il prouve toute ma passion, mon amour pour Nora. Plus rien n'a d'importance autour de nous. Nous sommes dans un placard ? Je m'en fiche. Je ne voudrais être à aucun autre endroit au monde. Sa famille est dans les alentours ? Tant pis, je suis amoureux de Nora et c'est tout. Je ne sais pas combien de temps passe alors que nos lèvres restent liées les unes aux autres, mon corps est traversé d'une chaleur intense et indescriptible. Ce flot d'émotion qui coule en moi et cette proximité avec Nora... Je me sens parfaitement bien, soulagé, épanoui. Finalement le baiser s'arrête de lui-même et je viens poser mon front contre le sien. Je ne veux pas me détacher, m'éloigner d'elle dans cette obscurité qui nous entoure. Je tremble de bonheur mais aussi... De peur je crois. J'ai l'impression qu'il faut que je reste collé à elle sinon je la perdrai, pour une raison qui m'est inconnue.

« Je t'aime plus que tout... »                  

Enfin. Enfin j'ai pu lui dire et mon dieu, elle m'aime... Autant que je l'aime. Tout ce temps j'ai cru qu'elle avait refusé mais voilà que je vis le plus beau moment de ma vie. Oh Nora, je ne veux plus te quitter, plus jamais...

Si j’ai cessé de crainte ce sentiment ayant trouvé racine en moi? Non. Bien sûr que non. La peur m’accompagne, à chaque pas, aussi majestueux, aussi significatif puisse-t-il être pour moi. De tous les pas esquissés depuis ma sortie de l’hôpital, je n’en ai jamais fait d’aussi important dans ma propre réhabilitation. Tout un voyage en prononçant ces quelques paroles à mi-voix, d’une voix tremblante et pourtant pleine d’assurance qui ne provient que de sentiments véridiques tout autant que puissants. Je vibre encore du poids de mes aveux, tout autant que de l’appréhension de ses conséquences. Ces quelques mots prennent une signification toute spéciale à mes yeux, ces mots que je ne prononce qu’en absolue nécessité. Car de proclamer son amour à ses proches est difficile, surtout en comptant sur mes propres difficultés à reconnaître et assumer la moindre de mes émotions. De partager cette part de moi depuis le décès de mon amie m’est presque insupportable. Mais tout est différent avec Maxence. Il allège mes angoisses. J’aimerais plonger mon regard dans l’émeraude de son regard. Je ne devine dans l’obscurité que l’étoile qui brille dans ses yeux. Je sais qu’il est là. Qu’il ne me laissera pas tomber, peu importe l’issue de cette conversation soufflée dans les ténèbres de tous mes doutes. Une fois les mots détachés de cette conscience secrète, une fois exposés à son jugement, je me sens soulagée, bien qu’inquiète. Vulnérable malgré tout entre ses mains en lesquelles j’ai confiance. Je m’effrite dans un vertige qui raffermit ma prise contre son corps que je ne peux que deviner dans le noir.

Ses propres mains viennent m’emprisonner, me rapprocher de sa silhouette sur laquelle je viens m’abandonner, mon souffle envahissant sa joue, sa chaleur me tirant des frissons insoupçonnés. Sa main glisse contre mon dos, un contact qui m’envahit de confort et d’assurance. Un sourire éclaire mon visage, un sourire inconscient et parfaitement heureux. Je devine ses mots avant même qu’il ne les prononce, venant confirmer les hypothèses de ma sœur, celles que je devais avoir moi aussi à mes heures d’espérance. Il tente d’y mettre des mots, d’élaborer, mais je n’y tiens pas. J’aimerais simplement qu’il se taise, pour mieux ressentir les battements frénétiques de son cœur contre le mien. Il s’interrompt, son visage se tend vers le mien. Je cherche ses lèvres dans l’obscurité du placard, me guidant à son souffle qui envahit mes traits tel un appel. Mon estomac se tord d’impatience jusqu’à sa bouche ne rejoigne la mienne dans un baiser d’une sincérité telle que je me sens transportée, libérée d’un poids énorme ayant pesé sur moi depuis… depuis toujours il me semble. Je l’ai trouvé, lui. Il me semble l’avoir attendu toute ma vie. Nos lèvres se détachent et je frissonne d’avantage, tout en souriant de plaisir et de bien-être.

«Max…»

Je ne trouve rien de plus à dire. Je me laisse détendre dans ses bras rassurants, ces bras tendres et sincères qui me couvrent d’affection. Je soupire contre son cou où j’ai enfoncé mon nez, ce nez que je viens frotter à son épiderme simplement pour le sentir plus près. J’ai noué mes bras autour de ce même cou, mon corps pressé contre le sien dans l’obscurité. Maxence m’aime. La sensation est grisante, fait naître une once d’espoir depuis longtemps disparue dans ma poitrine, comme une lueur qu’on aurait rallumé. J’entends des voix à l’extérieur du placard, celles de mes parents s’avançant dans la cuisine pour y préparer le gâteau. Pas maintenant, pas si tôt. Je veux encore profiter de cette proximité toute nouvelle, m’éprenant de sensations neuves et enivrantes.

«Maxence? Tu… tu veux bien être… mon amoureux?»

La question me paraît si naïve. Maladroite. Un témoignage de mon inexpérience. J’ignore comment m’en assurer, de savoir que ne sommes plus que deux individus à la dérive et aux cœurs pleins d’émotions, mais bien un couple uni, fort, au même battement régulier. Je me sens rougir contre son torse. Tout me paraît si nouveau. J’ai l’impression de le redécouvrir, la nervosité m’envahit. Maxence ne sera plus jamais le même à mes yeux, bien tout restera identique. Mon meilleur ami à jamais, mais bien plus encore cette fois. Je relève la tête vers lui pour scruter son visage, une ombre dans la pénombre.

Tout va si vite je... Je n'arrive toujours pas à me rendre compte de ce qu'il vient de se passer. Ma tête tourne tant je suis ivre de joie et de soulagement. Nora m'aime. Je ne cesse de me le répéter alors que cela m’étourdis à chaque fois un peu plus. Plus rien autour n'a d'importance, je ne pense qu'à elle, qu'à nous. Il y a quelques jours nous nous étions quittés en croyant avoir gâché notre amitié, après que je l'ai embrassé ne pouvant plus m'en empêcher. Durant tout ce temps nous avons presque cessé de nous parler et de nous voir alors qu'au final... Nous nous étions trompés sur toute la ligne. Nous étions amoureux l'un de l'autre, j'avais juste mal interprété sa réaction, probablement autant qu'elle l'avait fait. Mais désormais tout cela est fini, ma vie va changer à tout jamais. C'est le début d'une nouvelle relation, du premier chapitre de notre histoire. Cet instant dans ce placard restera gravé à tout jamais dans ma mémoire, comme ce baiser que nous venons d'échanger. Il m'est impossible de décrire ma joie, mon engouement, la puissance de mes émotions en ce moment. Je ressens encore des frissons suite au contact de ses lèvres sur les miennes et sa voix n'arrête pas de résonner dans ma tête. Je suis amoureux, fou amoureux d'elle et désormais je n'ai plus besoin de le cacher. Enfin je vais pouvoir lui présenter la puissance de mes sentiments, me tenir plus proche d'elle que je ne l'ai jamais été.

Alors que nos lèvres se détachent, je la serre contre moi de façon chaleureuse et tendre. Je suis tout remué de cet échange et de ce baiser et j'ai l'impression que mes muscles vont lâcher à tout moment. Une chaleur intense mais agréable nous entoure, la chaleur même qui émane de nos deux corps. Son visage descend en dessous du mien et je sens son nez frotter contre mon cou. Ce contact et son souffle chaud contre ma peau me fait frémir de bonheur et mon corps est parcouru d'un énorme frisson. Ses bras viennent m'enlacer alors que je m'enivre de l'odeur de ses cheveux, totalement paralysé et irrigué d'un bien-être nouveau. Je ne veux plus bouger, si je pouvais rester ainsi toute la soirée, je le ferai. Rien que le fait d'être pressé contre elle et de pouvoir ressentir ses expirations me... C'est indescriptible. Je n'ai jamais vécu quelque chose d'aussi agréable. Pourtant désormais cela me semble si naturel... J'ai l'impression qu'à présent il n'y aura plus aucune gêne entre nous, que nous pourrons agir naturellement et se rapprocher sans être embarrassé. Je pourrai enfin profiter de sa présence et me tenir juste à ses côtés. J'entends un peu de bruit et d'agitation dans la maison et me rappelle que nous ne sommes pas seuls. Je reviens à la réalité en me souvenant que nous sommes dans un placard, en plein milieu de la soirée et qu'on nous attend pour le gâteau. Mais je n'ai pas envie de partir, je ne veux pas la lâcher... Si c'était possible je ferai en sorte d'être encore plus proche, de la sentir toujours plus contre moi alors que nous sommes déjà collés l'un à l'autre.

Et c'est alors que la voix de Nora vient interrompre le silence entre nous afin de me poser une question. Une question qui m'arrache un petit rire amusé et attendri alors que je recule un peu ma tête, comme si je la considérai alors que nous sommes dans le noir. Je n'entrevois que sa silhouette dans cette obscurité. Ma main vient délicatement parcourir ses cheveux du front jusqu'à la nuque où je la repose. Voilà, le pas est sur le point d'être franchi. Ma réponse viendra mettre fin à notre relation actuelle pour en commencer une toute nouvelle. Une amitié qui se transforme en amour. Je crois que c'est ce que j'ai toujours souhaité depuis cette journée au magasin de musique. Un sourire se dessine sur mon visage, le plus sincère et heureux que je n'ai jamais affiché. Elle ne peut pas le voir mais elle peut le deviner à travers ma voix.

« Oui je le veux Nora, absolument. »

Ne pouvant pas tenir plus longtemps, je la ramène contre moi et vient poser mon menton sur son épaule, plongeant mon visage dans sa chevelure bouclée afin de la câliner affectueusement. Et voilà, je ne peux même plus me tenir à plus d'une dizaine de centimètre d'elle plus de cinq secondes ! Elle est irrésistible, même sans la voir. D'ailleurs, je veux la regarder, retrouver son visage si doux, si adorable. Je veux voir son magnifique regard briller autant que le mien. Je veux la considérer d'une nouvelle façon, avec amour. Avant de lui proposer, je reste ainsi quelques instants pour profiter jusqu'au bout de cette proximité si agréable, prenante et étourdissante.

« On devrait peut-être sortir de là, non ? Si ta famille nous voit dans ce placard... »

Je rigole doucement sans finir ma phrase et garde un de mes bras autour de sa taille tout en tendant l'autre vers la poignée de la porte. Je vérifie qu'il y n'y a personne dans les alentours et l'ouvre enfin. La lumière se déversé à l'intérieur du placard et je tourne ma tête pour pouvoir enfin regarder Nora. Ah, ses yeux... Je laisse mon regard plonger dans le sien quelques secondes tout en avançant pour refermer derrière nous. Je suis totalement séduis par cette jeune femme. Cependant je me demande ce que nous allons faire maintenant... Comment allons nous agir devant sa famille ? Est-ce que nous devons faire comme si nous n'étions pas amoureux ou agir naturellement ? Il vaut mieux que je demande à Nora directement.

« Hum, maintenant que nous sommes euh... Ensembles, comment on va... Enfin on doit le dire à ta famille ? Pas qu'on était dans le placard bien sûr mais... Enfin, tu me comprends ? »

Je ne sais pas si mes balbutiements font un quelconque sens mais je ne sais pas trop comment aborder le sujet. Je lui souris de façon sincère mais légèrement embarrassé, j'avais totalement oublié la présence de tout ce monde dans la maison...

Les mots prennent le sens que nous leur accordons. Un amoureux pourrait signifier pour un autre un compagnon de vie, un père de famille, un partenaire d’existence. Pour d’autres, un amoureux ne pourrait être qu’un baiser charnel, quelques gouttes de plaisir pour faire oublier les tracas quotidiens, un amant de la nuit. À mes yeux il s’agit à la fois d’un meilleur ami, d’un soutien immuable, d’une personne tout à fait unique dans ma vie. Quelqu’un en qui je pourrais avoir confiance, qui m’appartiendrait d’une façon, qui prendrait soin de moi. C’est ce que je souhaite voir Maxence devenir, ce pilier tranquille. Ce mot viendra changer ma vie pour peu qu’il accepte de le porter, il viendra changer ma définition même. Je ne serai plus cette jeune fille à la dérive qu’on ne parvient plus à réchapper. Je serai celle qui aura trouvé, dans le tumulte des jours et des nuits immobiles, le fruit de l’amour. C’est bel et bien ce que je ressens pour Maxence, une affection toute simple mais puissance, une attraction qui me pousse à lui tel un aimant. Il est mon nouveau centre de gravité, une perspective qui devrait m’effrayer mais… mais j’ai confiance. En lui, en moi. Les choses ne doivent pas être comme dans le passé, je crois qu’avec lui j’aurai le pouvoir de grandir, d’apprendre et de m’épanouir. Je réalise à présent à quel point j’ai changé à son contact. Est-ce donc ce qui a poussé ma sœur à revenir à moi? La pensée que je pourrais finalement m’en sortir, grâce à ce jeune homme que je tiens contre ma poitrine agitée de battements frénétiques?

Sa voix se fait entendre, apportant la réponse à ma question fébrile. Je m’y attendais, je n’aurais pas vu notre histoire changer de cap aussi rapidement. Nous le devions, de toute façon, peut-être était-ce écrit dans le ciel sitôt nos retrouvailles dans le parc. Je souris tout comme lui. Il doit le deviner dans la pénombre, on pourrait presque entendre mes joues craquer tant l’exercice m’est peu habituel mais sincère. Je me sens rougir alors qu’il me blottit contre lui, son nez enfoncé dans mes boucles dorées, son souffle se calquant au mien dans une symbiose majestueuse et silencieuse. Je soupire d’aise en venant dégoter sa main que je m’approprie en mêlant nos doigts. Le temps semble s’être figé, si bien qu’au retour de sa voix je sursaute. Si nous devrions sortir? Je n’en ai pas envie. J’ai envie de conserver ce secret, cet élan tendre que nous échangeons. Il fait chaud désormais dans ce placard, une chaleur rassurante et bonne. Néanmoins, je reconnais tout comme lui que notre absence attirera nécessairement les soupçons. Je soupire cette fois de déception en aventurant une main hésitante contre la porte. Maxence se décide à l’ouvrir et nous jaillissons dans le couloir où la lumière, pourtant tamisée, m’aveugle quelques instants. Je me recroqueville contre moi-même, les bras venant entourer ma poitrine. Ma déception est palpable mais effectivement, nous ne pouvions rester enfermés bien plus longtemps. Lorsque mon amoureux m’interroge au sujet de ce que nous devrions dire à ma famille, j’hausse les épaules, indécise.

«Il est peut-être encore un peu tôt… Je leur en parlerai bientôt. Mais pour l’instant j’aimerais que ce soit… notre secret.»

Je souris à ce dernier mot avant de presser rapidement ses doigts. Je n’ai guère le temps d’ajouter quoi que ce soit que mon père jaillit dans le couloir, visiblement mécontent. Il n’a rien vu de mon geste tendre envers lui, au moins. Je me sens toute excitée de cacher quelque chose à ceux qui m’ont mis au monde, comme s’il s’agissait d’un jeu. J’ai simplement envie, ne serait-ce que quelques instants, de conserver pour moi cette information.

«Hé bien, vous venez vous deux ou quoi?»

J’hoche la tête et suis mon père dans la cuisine. Là-bas nous attendent ma mère et ma sœur. Elles encadrent, de chaque côté de la table, un immense gâteau au chocolat et au caramel, où luisent une dizaine de chandelles colorées. Je m’en approche de petits pas délicats avant de souffler. Je n’ai qu’un vœu cette année, et il s’est déjà réalisé. Nous servons les parts et je goûte avec délice au gâteau préparé par ma mère. Un véritable délice.

«J’aimerais bien apprendre à cuisiner. Tu sais cuisiner, toi, Maxence?»

Ces dernières années, j’ai surtout concocté des plats congelés. Vous savez, les mettre au micro-ondes, tout ça. Très compliqué. J’observe le jeune homme, un sourire enfantin aux lèvres. Dans mon esprit, il sait tout faire, de la cuisine… jusqu’à réparer les cœurs les plus meurtris.

Ça me fait tellement bizarre ce changement soudain dans mon existence. Je n'arrive pas à croire qu'il m'arrive ce que j'ai pu voir dans des films, lire dans des livres ou entendre de mes amis. Je suis comblé, on ne peut plus heureux mais un peu stressé. C'est la première fois et je... Je ne sais pas trop comment m'y prendre, si je ferai tout bien. Enfin après tout, c'est notre histoire, nous n'avons pas à suivre de règles et je n'ai qu'à agir naturellement en lui montrant tout mon amour. Car c'est tout ce que je souhaite et c'est impossible pour moi de décrire à quelle point je suis heureux de savoir que... Ça y est. Je vais pouvoir le faire. J'aurais voulu rester plus longtemps dans ce placard près de Nora, là où nous étions plus proche que jamais, emprisonnés dans l'aura de nos émotions. J'avais senti son cœur battre la chamade contre moi, senti son souffle contre ma peau et le toucher de sa main contre la mienne. Cette intimité, ces ressentis, tout avait été si puissant et... Si naturel. Mes poils sont toujours hérissés sur mon corps alors qu'il est parcouru d'un flux d'énergie, de bien-être et de bonheur qui m'épanouit. J'ai envie de la serrer à nouveau dans mes bras, de l'embrasser plus longtemps encore, de profiter de cet instant incroyable rien qu'entre nous. Mais sa famille est là, elle nous attend et... Nous n'étions pas dans la cachette la plus discrète du monde. Nous aurons sans aucun doute à nouveau l'occasion, cette histoire ne vient que de commencer.

Je ressens la déception de Nora alors que nous sortons du placard et je la comprends. Moi aussi je suis un peu déçu, nous étions si bien à l'intérieur. J’ai l'impression qu'à chaque fois que je verrais ce placard dorénavant, il me semblera spécial, unique. Le monde extérieur avait semblé disparaître une fois à l'intérieur, plus aucun son, plus aucune lumière. Juste nos voix, nos souffles et les battements de nos cœurs. Je relâche sa taille alors qu'elle croise les bras. Tant que je ne sais pas ce qu'elle a décidé par rapport à ses parents, il ne vaut mieux pas prendre le risque qu'on nous voit ainsi. J'ai du mal à imaginer la réaction de son père et pourtant cela m'effraie un peu. Je la regarde alors qu'elle hausse les épaules avant de répondre à ma question. Tout en parlant, elle attrape ma main et la serre doucement ce qui m'arrache un sourire complètement attendri. Je ne peux m'empêcher d'être un peu enthousiaste face à cette complicité, l'idée de cacher quelque chose à ses parents m'amuse autant qu'elle me stresse. Je hoche la tête, je comprends sa décision. De toute façon je ne pense pas que j'aurais été capable de leur avouer là maintenant. C'est la première fois que je vois sa sœur et son père déjà et... Enfin ce n'est pas que je redoute la réaction de son père mais... Quand même quoi. Alors que étrangement, je ne redoute pas vraiment celle de sa mère. Je sursaute légèrement lorsque Richard apparaît justement dans le couloir pour venir nous chercher, juste au moment où je pensais à tout ça. Il se retourne et mon amie et moi le suivons alors que j'oriente ma tête vers elle pour lui afficher un sourire amusé et complice. Il faut juste que nous soyons discrets, ça ne sera pas bien compliqué.

Nous débarquons dans la cuisine où un magnifique gâteau très appétissant nous attend, parsemé de bougies n'attendant plus que le souffle de Nora. Je me place sur le côté, non loin d'elle et la regarde s'approcher avec amusement du dessert pour souffler les bougies avec délicatesse. Nous nous asseyons autour d'une petite table pour goûter cette superbe pâtisserie. Un super gâteau pour une soirée géniale. Nora déclare qu'elle aimerait bien apprendre à cuisiner avant de me demander si moi, je savais le faire. Je finis ma bouchée avant de m'éclaircir la gorge pour lui répondre.

« Mmh, et bien... Je connais quelques recettes assez simples que ma mère m'a apprise mais c'est tout je pense... Je ne suis pas un chef comme tes parents ! »

Je les regarde tout souriant en disant ça, ils avaient préparés des plats délicieux ce soir. Nora a vraiment une jolie famille, je m'y sens plutôt à l'aise malgré le secret que nous leur cachons. Je tourne ensuite le regard vers Nora assise à côté de moi pour lui parler d'une voix douce.

« Je pourrais t'en apprendre quelques-unes si tu veux. »

Un sourire bienveillant se dessine sur mes lèvres avant que je ne reporte mon attention sur le gâteau pour le finir. Tout le monde se mobilisa ensuite pour débarrasser une nouvelle fois la table, plus rapidement cette fois vu qu'il y avait moins de chose. Alors que sa famille part dans la cuisine pour rapporter les derniers couverts et assiettes, j'attrape doucement la main de Nora pour la retenir quelques secondes afin de lui parler en tête à tête.

« Eh Nora... Ça te dirait une petite balade dehors ? »

Mon regard brille de bonheur et de satisfaction alors que je la laisse aller prévenir ses parents. Pour ma part, je me dirige vers la porte de sortie et enfile ma veste en l'attendant. Une fois qu'elle m'eut rejoins, nous sortons dans la fraîcheur du soir et commençons à nous diriger vers la petite barrière délimitant son jardin. Au bout de quelques pas, j'attrape de façon un peu hésitante sa main tout en rougissant et en souriant tendrement. Je ne sais pas quoi dire, je suis juste si heureux d'être ici avec elle et que tout ait prit cette tournure. Je l'aime tellement, je ferai n'importe quoi pour elle.

« Je ne connais pas très bien ce quartier. C'est vraiment joli et c'est très agréable de se balader ici... Avec toi. »

J'ajoute ses derniers mots en lui lançant un regard passionné et affectueux. Oh oui, je voudrais me trouver nulle part ailleurs à cet instant.

Changer, j’ai envie de tout changer. Car celui qui vient de se produire dans le placard, cette redéfinition de toute mon existence… ce changement ne peut qu’en entraîner d’autres dans sa course effrénée n’est-ce pas? Course que je ressens encore dans chacune des fibres de mon corps qui vibre encore, mon cœur comme perdu dans une poitrine trop grande pour ses élans frénétiques. L’écho court dans mes veines, un spasme d’une telle vivacité, j’ai l’impression qu’on respire à l’intérieur de moi, que chacune des pulsations qui m’a saisie n’appartient pas à ce corps que j’ai cru connaître et qui pourtant renaît dès que je pense que lui et moi, moi et lui nous sommes… Amoureux. Ensemble. Un mot qui encore me paraît étranger, lointain et imprévisible, un véritable mystère qu’il me faudra décortiquer. Quelque part, j’ai la certitude que cet événement vient d’en entraîner énormément d’autres, que ce couple que nous formons désormais n’est qu’un moteur d’autres découvertes encore plus sublimes et pures. Cuisiner tous les deux? Je parviens à m’imaginer la scène, nos rires, nos sourires et le soleil pour nous étreindre. Je devine ses mouvements que je connais par cœur, le dessin de ses mains alors qu’il mélange les ingrédients sous mon front. Il répond mais je n’en écoute pas un mot. Je n’ai pas à porter attention aux détails de toute façon car j’ai saisi l’essentiel, l’essentiel. Il m’aime. Le monde peut cesser de tourner, le reste n’est que futilité et distraction de la seule vérité qui m’importe désormais.

Aussi naturelle puisse être cette relation naissante, chaque interaction me paraît si brusque, provoquant en moi quelques élans nerveux et maladroits. Je mettrai du temps à m’habituer à… ceci. Peu importe ce que nous avons et qui nous définit désormais. Maxence est toujours le jeune homme au sourire ravageur et au cœur immense, néanmoins il me paraît… étonnamment plus grand que nature. Sa présence m’hypnotise désormais, si bien qu’elle en devient presque déplacée. J’ai l’impression que chacun de mes regards en sa direction me trahissent. Ma famille ne fait rien remarquer alors que les conversations reprennent candidement et que nous nous dispersons finalement. Je sursaute, réalisant une absente, lorsqu’une main s’empare doucement de la mienne. Une vague de chaleur me coupe le souffle et je titube quelque peu alors que son propre bonheur me transperce, prenant écho en le mien. Désorientée, je ne peux qu’acquiescer à sa demande, celle de sortir dans la nuit tombée pour vivre un peu de notre romance. Avec un sourire gêné, je fuis en direction de l’autre pièce pour en avertir mes parents. Je suis tellement absorbée par la perspective de cette balade avec lui que j’en oublie de remarquer le regard inquiet et désapprobateur de mon père. J’ai déjà glissé de son emprise. Libre.

Je rejoins Maxence à la sortie de la maison. L’air est gorgé d’humidité et une fraîche brise automnale me secoue, me tirant un frisson qui s’accentue à la vue du châtain. Je cours en sa direction, comme ayant oublié comment marcher. Je saisis sa main en sentant ma peau s’humidifier au contact de la sienne. Ma nervosité est palpable et je rougis en scrutant le bitume qui défile sous nos pieds innocents. Je m’accroche à son bras avec hésitation, une hésitation passagère qui n’est due, au final, qu’à la nouveauté qui se présente à moi. Je lui présente ce quartier dans lequel j’ai grandi, ces villas et maisonnées de familles inconnues aux sourires pressants. Parfois, une anecdote vient m’embraser, mais jamais autant que son regard, ses yeux émeraude qui du premier jour m’auront envoûté. Il a su, là où tant d’autres ont échoué. Il fut celui qui m’a apprivoisé.