Au crépuscule de nos rivalités

Il y avait des moments ou Requiem du Silence avait besoin… de silence, justement. Bien qu’il soit habitué au bruit constant du camp, à la fourmilière de chats qui allaient et venaient constamment, les discussions ci et là, les chatons qui jouaient devant la pouponnière, les guerriers rentrant de patrouille ou de chasse, etc...
Et, malgré le fait qu’il avait connu ça depuis tout petit, parfois, ça donnait à Requiem mal à la tête, ça lui faisait trop de stimuli à gérer. Et dans ces cas-là, s’il n’avait pas ses obligations de guerrier à remplir, il en profitait pour aller s’isoler.  Parfois, c’était sur le territoire de son camp. Parfois, c’était un peu plus loin, c’était en fonction de ses envies, ainsi que des horaires. De manière générale, en plein milieu de journée, il y avait beaucoup trop de chats partout sur les territoires, et de toute façon il était souvent occupé dans ces moments-là. Il avait donc attendu le début de la soirée, alors que le soleil disparaissait derrière les collines et laissait sa place à l’astre nocturne, afin de sortir de la tanière des guerriers. Ses camarades ne lui posèrent aucune question, ayant l’habitude de ses petites sorties, et sachant que de toute manière il y avait peu de chance que le grand chat noir et blanc leur réponde.

Le camp était calme, mais pas suffisamment aux oreilles de Requiem. Il pouvait encore entendre d’ici des bruits dans la pouponnière, il voyait des guerriers et leurs apprentis rentrer d’entraînement, se régalant autour d’une proie tout en ayant des discussions animées. L’Escadron passa sans rien dire, certains lui jetèrent un regard, retournant bien vite à leurs occupations… ils le connaissait, depuis le temps.

Il réfléchi d’abord à partie en direction des marécages, mais se souvint qu’une patrouille se trouverait sûrement dans le coin, et il considérait avoir eu suffisamment d’interaction sociales aujourd’hui. Il pris donc la décision de sortir des territoires du clan. Plus loin, ce serait mieux. Les chats des clans respectifs devaient tous être affairés à patrouiller dans leur  propres territoires, il ne devrait pas être dérangé.

Il aimait la nuit, bien plus que le jour. La lune l’inspirait d’avantage que l’astre du jour, et il appréciait la douceur nocturne, le calme qui y régnait en maître. Il se surprenait parfois à écouter le bruit du vent dans les feuilles des arbres, ou le craquement du bois de ces derniers, ou encore, le bruit lointain de la mer. Il n’aimait pas l’eau, simplement le son qu’elle faisait. Il lui arrivait de rêvasser en l’écoutant, se perdre dans ses pensées… peut-être avait-il l’âme d’un poète ?

Ses pas le conduisirent en direction des cinq rocs. Il se souvenait de la première fois où il les avaient vus, fières roches se dressant vers le ciel, comme des pattes tendues vers le Clan des Étoiles. C’est en les voyant pour la première fois que le guerrier avait su qu’ils étaient finalement arrivés à destination, que leur ancêtres les avaient guidés comme ils l’avaient promis. Sa foi envers le Clan des Étoiles n’en avait été que plus assurée. Il avait toujours fait confiance en ses ancêtres, notamment depuis la bataille contre les Étoiles Noires, et sa foi n’avait pas faillit depuis. Bien qu’il savait qu’il ne fallait pas compter que sur le Clan des Étoiles pour assurer la survie du clan, il leur faisaient confiance, et était persuadé qu’ils n’étaient pas seuls.  

Tout est calme, ce soir se dit-il, alors qu’il s’approchait de l’endroit. C’était étrange de voir ce lieu vide. La dernière fois qu’il s’y était rendu, c’était pour une Assemblée, alors être le seul près de ces grands rocs, qui étaient impressionnants quand il n’y avait personne d’autre, c’était anormal.

Il n’osa pas s’approcher du dolmen. C’était la place des meneurs et meneuses, de se tenir ici, et bien qu’il se trouvait seul, il ne se permettrait jamais de commettre un tel affront. Il se plaça donc un peu en retrait, prêt d’un roc, et s’allongea là. C’était agréable d’être enfin au calme. Il ferma les yeux, voulant vider sa tête et son esprit, restant tout de même sur ses gardes : en tant que guerrier, il savait que le danger pouvait venir n’importe quand, et de n’importe où.

Il les rouvrit quand il senti une odeur venir en sa direction. Un chat approchait. Il se redressa, sur ses gardes, et huma l’air. Il ne lui fallut pas beaucoup de temps pour reconnaître l’odeur caractéristique des membres du Clan de la Rivière. Il soupira… allons bon, il ne pouvait pas être tranquille quelques minutes….

« J’ai reconnu ton odeur, chat de la Rivière » dit-il simplement avec calme, au cas où l’étranger aurait décidé de se cacher de lui.

Il n’avait pas de temps pour la discussion ni pour les affrontements, et espérait que le chat qui était ici passerait son chemin, ou resterait éloigné de lui. Après tout, c’était peut-être la guérisseuse, ou son apprenti. Requiem du Silence ne s’y connaissait pas assez en plantes pour savoir s’il y en avait quelques-unes à récupérer ici.

Le chat en question fini par faire son apparition, et le guerrier de l’Ombre pesta intérieurement : de tous les chats du Clan de la Rivière, il avait fallut que ce soit lui ; Espoir du Matin. Les deux mâles ne s’étaient jamais entendus. Dès la première fois où il s’étaient rencontrés, leur caractère n’avaient pas collé, et une rivalité était née entre eux qui ne s’était jamais calmée depuis. Même pendant le périple, ils n’avaient jamais réussi à s’accorder. Autant dire que Silence n’était pas bien ravi de le croiser durant sa méditation nocturne.

« Vous ici... » miaula-t-il, clairement ironique.

Il s’assit en se tenant bien droit devant son rival. Requiem du Silence se tenait toujours comme ça, de façon générale, mais c’était encore plus vrai quand il faisait face à son rival. Il ne dit rien de plus, contentant de poser son regard froid sur le guerrier de la Rivière, restant calme au possible. Il n’avait pas très envie d’avoir à parler avec lui, mais visiblement, c’était son soir de malchance.  

Il y avait peu de chances qu’Espoir du Matin l’attaque. Par réflexe, cependant, Requiem du Silence demeurait méfiant, suivant chacun des mouvement de son rival de ses yeux, prêt à réagir en cas de besoin. Il n’avait pas la moindre envie de se battre, et surtout pas avec celui-ci. Ce serait une trop grande perte de temps et d’énergie. Il se contenta donc de le détailler – comme s’il ne le connaissait pas assez… – ce chat gris argenté aux yeux jaune qui lui inspirait tout sauf de la sympathie et de la confiance.

Les deux matous se connaissaient depuis de nombreuses lunes. La première fois qu’ils s’étaient vus, ils s’étaient affrontés, et c’est ainsi que leur rivalité avait commencé. Elle ne s’était jamais apaisée, et ce même s’ils s’étaient vus à plusieurs reprises, à des Assemblées, ou encore pendant le périple jusqu’à Valeemar. Pour une raison ou une autre, leurs caractères ne matchaient pas, et c’était aussi dû en partie à leur rivalités claniques. Tous les deux fidèles à leur clan respectif, ça partait déjà d’une mauvaise base. Pourtant, il y avait quelque chose en plus de ça, mais le chat noir et blanc n’avait jamais réussi à déterminer quoi. Tout ce qu’il savait, c’était qu’il ne l’aimait pas. Et le rencontrer ainsi, alors qu’il avait prévu de passer une petite soirée méditative tranquille, l’exaspérait  grandement.

« Point du tout » répondit-il à son rival.

En réalité, il aurait espéré ne plus jamais le revoir, si cela était seulement possible. Ils s’étaient croisés à la dernière Assemblée mais avaient bien pris le soin de s’éviter mutuellement, n’ayant eu aucune interaction cette nuit-là. Pour Requiem, c’était bien simple : moins il voyait Espoir du Matin, mieux il se portait.
Il se lécha la patte avec désinvolture, exprimant le peu d’intérêt qu’il avait pour son rival. Il n’avait aucun doute que cela était réciproque, et s’il ne s’attendait pas forcément à offusquer le chat, il espérait que ce dernier passe son chemin rapidement, qu’il puisse enfin reprendre sa méditation crépusculaire.

Pourtant, après quelques secondes de toilette, il se rendit compte que l’adversaire restait dans les parages. Il ne savait pas si c’était pour l’agacer et le provoquer, ou si tout simplement le chat de la Rivière avait prévu de venir ici de toute manière, et qu’il avait trop de fierté pour s’abaisser à laisser la place à son rival. Quoi qu’il en soit, sa présence dérangeait le guerrier du Clan de l’Ombre, et ce dernier, malgré toute sa volonté de rester silencieux, compris qu’il n’avait pas vraiment le choix de parler s’il voulait avoir la moindre chance de passer une soirée paisible. Il releva donc la tête vers le vétéran, sur qui il avait gardé un œil même pendant sa toilette. Les deux chats restaient à bonne distance l’un de l’autre, leur méfiance probablement réciproque ne les ayant sûrement pas quittés.

« De tous les endroits sur ces terres, il a fallut que nos pas se croisent. As-tu l’intention de passer ton chemin ? »

Ce n’était pas une menace. Son ton était tout aussi apaisé que tout à l’heure, et il se demandait réellement si le matou qui lui faisait face avait pour but de repartir dans une autre direction – auquel cas il en serait bien heureux – ou s’il avait eu la malchance de tomber sur un soir où le chat qu’il appréciait le moins se retrouvait aussi au même lieu, au même moment.

« Ça pourrait presque être drôle… Si le Clan des Étoiles est impliqué là-dedans, il a un humour bien particulier » miaula-t-il, peu amusé malgré les propos tenus.

Requiem du Silence avait beau respecter ses ancêtres, cela ne l’empêchait pas d’ironiser parfois dessus. Si cette rencontre n’était pas le fruit du hasard – ce qu’il espérait – il se demandait bien quel messages les anciens guerriers essayaient de leur faire passer.

Au plus grand désespoir de Requiem du Silence, le chat gris argenté n’avait pas l’air de vouloir partir tout de suite. Que ce dernier avaiit déjà prévu de se trouver ici, ou qu’il ait décidé volontairement de déranger son rival ne changeait pas grand-chose au fait que la matou au poitrail blanc s’en retrouvait agacé. Et le Clan des Étoiles savait qu’il n’y avait pas grand-chose qu’il l’agaçait, Espoir du Matin était une exception notable.  Il tenta de cacher au mieux son irritation, et parvint à faire en sorte que ses poils ne se dressent pas sur son échine. Il ne voulait pas non plus montrer au chat de la Rivière l’effet qu’il provoquait chez lui. Il n’avait pas l’habitude que la simple présence d’un chat, même d’un clan adverse, l’énerve autant, et c’est aussi pour cela qu’il avait horreur de le croiser.

Le calme de la nuit avait laissé place aux miaulements d’Espoir du Matin, qui se fichait clairement du chat de l’Ombre. Mais pourquoi diable son ennemi désirait lui tenir compagnie. De façon très certaines, il avait pour but de l’agacer, car Requiem du Silence doutait fortement que son interlocuteur prenne plaisir à discuter avec lui. Il aurait même plutôt imaginer qu’il se ferait ignorer, ou que les deux chats reprendrait leur route chacun de leur côté. L’escadron ne pris même pas la peine de répondre à cette première pique, espérant silencieusement que le matou qui lui faisait face se lasserait de lui-même. Requiem hésita un instant à partir, simplement se lever et retourner vers son camp. Il l’avait déjà fait une fois, et il n’avait pas peur de recommencer. Il n’avait aucune crainte qu’Espoir du Matin l’attaque par derrière ; malgré le peu de respect et de considération qu’il avait pour lui, il savait qu’il ne se risquerait pas à provoquer un combat en ce lieu… même lui devait savoir que provoquer la colère du Clan des Étoiles de façon aussi inutile était stupide.

Requiem du Silence entreprit de se lécher le pelage, et s’arrêta net quand Espoir du Matin s’entreprit à parler de Cerfblanc. Ça, pour un sujet de discussion inattendu… Requiem du Silence releva le museau vers lui, se demandant ce que son rival tentait de faire. Le prendre par les sentiments ? Ou simplement tenter de le faire parler ? Réalisant qu’il ne se débarrasserait pas de lui aussi facilement, la matou noir et blanc pris tout de même le temps de s’étirer avant de répondre.

« Je n’ai pas laissé de proches à Cerfblanc. »

Mis à part les mort, se retint-il d’ajouter. Comme beaucoup, il s’était demander ce qu’il avait pu advenir des chats qui étaient restés là-bas. Peut-être avaient-ils pu reprendre leurs terres, ou bien avaient été chassés plus loin par les Bipèdes. Pire, ces derniers auraient pu les capturer. Requiem du Silence préférait ne pas y penser. De toute façon, il n’avait pas connu assez de monde pour s’y attacher. Oh, il y avait bien son frère, disparu depuis de nombreuses lunes, mais il n’avait jamais été revu, et Requiem du Silence avait préféré l’imaginer mort, plutôt que de le chercher indéfiniment.

« Ici ou à Cerfblanc, la seule chose qui m’importe, c’est que mon Clan soit en sécurité. Nos ancêtres ne nous auraient pas guidés sur si long périple si nous pouvions revenir aussi facilement dans la forêt. »

Malgré ses mots, il lui avait fallut du temps pour s’habituer à Valeemar. Et il n’était toujours pas sûr de préférer ses nouvelles terres aux anciennes. Pourtant, il savait que le voyage avait été nécessaire, et que la sécurité des siens allait au-dessus de tout.

« Si tu es venu pour me parler du passé tel un Ancien nostalgique, tu n’es peut-être pas venu au bon endroit. » se contenta-t-il d’ajouter, la voix toujours aussi calme.

Il décida de s’allonger afin de contrôler ses ressentiments. Il n’avait pas envie de parler, mais partir, à ce stade, aurait été avouer sa faiblesse face à Espoir du Matin. Du moins, c’est ainsi qu’il le ressentait.