FRÈRES ׀׀ Prince

Les mondes se taisent et se recroquevillent
Dans leurs coquilles vides brunes et mordorées
Les vents froidissent, les feuilles tournent et vrillent
Nappant d’un tapis abricot les fleurs fanées.

On le voit sortir de l’antre des guérisseurs,
Et comme il s’étire, noir chamarré de feu,
On le croirait vêtu pour l’Automne avec rigueur,
Que non ! Ses vents ses feuilles ses fleurs lui sont affreux.

Le guerrier retient une grimace en marchant,
Chaque plaie cinabre qui saille sur sa chair
Se fait rappel âpre que tout excès violent
Sème toujours sur les coupables son fruit pervers.  

Se sent-il pomme pourrie ? Son cœur le ronge,
L’implore d’accorder un regard à ses troubles,
Une colombe, une perle, une chouette en songe,
La Faucheuse moissonne et laisse seule l’étouble.  

Mais il ne peut s’y appesantir, car le deuil,
Pour être porté, réclame un soin sensible,
Qu’il ne sait revêtir, toujours coincé au seuil,
De ses émois et affects les plus terribles.

Se dérobant ainsi à se soigner lui-même,
(N’est-ce pas l’éternel dû des fils aînés ?)
Il se soucie ces jours-ci des seconds-nés, car
Les affaires de chacun ont formé un œdème.

D’abord celles de Fragments d’Onyx, encore hier
Lieutenante au fiel si prompt mais du moins dévouée,
Restée, face au grand péril d’Étoile Polaire,
Taillée de pierre et de froid silence emmurée.

Il devra lui parler.

Ensuite, celles du prince aux yeux bigarrés,
Plus subtiles, et par là plus fourbes encore,
Aux révoltes tues et aux pas égarés, il
Paraît dériver, rester lui coûte en efforts.

Il commencera par lui. Nuit des Météores
Balaye le camp du regard, étouffe un feint
bâillement. Là — l’objet de sa fouille est encore
À vaquer à ses occupations, seul, non loin.

C’est nonchalant qu’il vient le trouver, l’habitude
Lui fait apostropher son cadet d’une voix rauque,
Mais où son cœur affamé trouve les mots, fait mouche,
(Mon sang partage donc les soucis qui t’accablent)
Sa langue gauche, comme à l’usure, botte en touche.

« P’tit prince, » surnom gamin qu’il garde tenace,
« Frag patrouille, Père devise entre vétérans,
Tu m’sembles peu pris en ce moment, »
Sourcil arqué, humour au coin de la bouche,
« S’il plaît à sa majesté, qu’elle lève sa carcasse.
On part en chasse. »

Franchir le Gouffre entre eux est une vieille guerre,
Qu’ils ont menée cent fois, perdue au moins autant,
Enlisés dans la fange, de capituler toujours refusant,
Car faits d’un amour maladroit, car fous — car frères.

Prêtant sourde oreille aux jaseries, il s’en va,
Le pas sûr, mener la cohorte des non-dits
Hors du camp, s’en allant tous deux seuls guerroyer,
Le prince poëte et le soldat maudit.