Sujet: Cette terre qui se fait nôtre ׀׀ Nocturne Dim 20 Oct 2024 - 10:45
Rage de l'Amour CETTE TERRE QUI SE FAIT NÔTRE — Lune 1217
Six nuits.
Six nuits que la troupe grelottante et découragée que j'avais guidée jusqu'à la Grotte de Vie, mon Clan, était rentrée chez elle. Six nuits que le Clan de l'Ombre avait réinvesti son territoire sous l'égide de Pluie d'Étoiles. Oh, rien de grandiose à la tâche, aucune vaillance à souligner. La patte indécise, le regard fauve, le poil hérissé, de grands guerriers prêts à décamper sitôt le premier bruit entendu. Pourtant il nous l'avait fallu. Que faire d'autre ? Nous ne pouvions rester éternellement à la Grotte de Vie... à mon grand regret. Sans compter qu'il était de vérité admise qu'un territoire laissé à l'abandon, à Valeemar, ne restait pas longtemps sans maître. Quel Clan le premier aurait planté ses crocs sur nos terres, pour ne la lâcher qu'au prix du sang versé ?
Nous nous devions de rentrer chez nous, peu importe la fatigue qui nous harassait, peu importe les rancœurs tangibles, les méfiances tenaces, qui infectaient les nôtres. Comment ne pas nourrir ces défiances, à l'égard de cette terre sur laquelle nous avions sué, pour laquelle nous avions saigné ? Quel autre témoignage de sa gratitude nous avait-elle rendu que ce soulèvement tout entier contre nous ? Je ne savais que trop bien combien de corps reposaient engloutis en son ventre. Repue pour longtemps, je l'espérais, de nos camarades. Il y avait quelques lunes, dans une autre vie, je n'en serais pas revenue. L'évidence s'imposait à moi dans toute sa clarté incisive, sa logique rigoureuse. Ces visions d'horreur m'auraient chassées nuit et jour. Nuage de l'Amour avait toujours été encline aux accès sentimentaux.
Rage de l'Amour s'était assagie. Je savais, à présent. Savais que de blâmer ce ciel, qui avait cette nuit-là été noir encre, était futile. Que de tenir cette terre en horreur était vain. Ce renouveau que nous offraient nos Ancêtres... il nous le fallait saisir. Chaque guerrier, chaque apprenti, chaque reine et chaton abîmés dans ces marécages avaient été sacrifices nécessaires. Eux nous montraient la voie ; eux nous avaient conduits jusqu'ici ; eux se faisaient gardiens de nos terres, murés dans leurs tombes aux sombres remous. Sur leurs noms, nous rebâtissions nos ouvrages à l'ombre plus immense qu'elle ne l'avait jamais été. Telle était la volonté des étoiles — oui, je le savais, à présent.
Et ce matin, cela faisait six nuits.
Assise au seuil du camp, je me léchais le pelage de quelques vigoureux coups de langues. Ces gestes machinaux trahissaient-ils la nervosité qui m'habitait ? Je n'aurais su dire si, pour la première fois depuis des jours, j'étais soulagée d'avoir autre chose en tête que la montée des marécages. Non, l'objet de mon anxiété était tout autre - bien plus petit, et plus discret... Je jetais une œillade au ciel. L'aube était vieille, le soleil noyait déjà la coupole d'une nappe dorée. Je n'avais pas voulu la faire se réveiller trop tôt. Pas par indulgence, non, cela ne se pouvait... simplement, trouver sommeil dans de nouvelles tanières, nues de toute odeur familière, était tâche ardue. Recevoir ma première apprentie les yeux bouffis et le bâillement aux lèvres aurait été aussi stupide qu'inutile. Et puis, le plus tard me rejoignait-elle, le plus de temps aurais-je pour apprivoiser la fébrilité qui me faisait pétrir le sol de mes griffes...
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Aloe Vera Habitué.e.
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Sujet: Re: Cette terre qui se fait nôtre ׀׀ Nocturne Dim 20 Oct 2024 - 22:40
home it will be again
FT. rage de l'amour
Une course à s'en faire exploser les poumons. Une fuite sans fin et sans destination, comme on pouvait l'attendre d'une âme perdue qui courait sur place. À bout de souffle. À bout d'espoir. Le corps malmené par la douleur de membres échauffés qui n'avaient plus connu de répit depuis des jours, des lunes, des années peut-être. Quand ce cauchemar prendrait-il fin ? Sûrement jamais, c'était la réponse qui s'imposait à chaque fois, là, au cœur des limbes floues et froides. Puis Nuage Nocturne se réveillait.
Six nuits qu'elle était rentrée chez elle, dans cette même tanière qu'elle avait dû fuir si peu de temps auparavant. Chaque matin, la toute nouvelle apprentie se réveillait en sursaut, tremblante, perdue. Elle sentait encore la matière visqueuse l'emprisonner des pattes jusqu'au torse, et chaque matin son souffle mettait un peu plus de temps à se stabiliser, comme si l'oxygène lui-même ne voulait plus d'elle. L'horreur était passée et pourtant elle était encore là, devant elle, chaque minute de chaque heure. Peu aurait suffit pour l'arracher de ce monde cette nuit-là, et elle avait failli emmener son père avec elle. La Horde l'avait dérobée de chez elle une fois, et la Nature était venue avec le même objectif quelques lunes plus tard. Deux fois avait-elle failli y laisser sa vie, et deux fois avait-elle dû attendre que l'on vienne la secourir, incapable de se protéger seule.
Les yeux grands ouverts mais le regard livide, Nuage Nocturne fixait la transparence de l'air, celui qui s'était dérobé si vite quand elle avait été submergée dans les eaux sales de la catastrophe. Elle n'arrivait plus vraiment à réfléchir, ses idées constamment troublées par les souvenirs qui ne cessaient de s'immiscer dans son esprit sans jamais y être invités. L'entraînement de la noiraude avait été retardé, et elle aurait aimé pouvoir se persuader que c'était le cas pour tout le monde. Mais elle savait pertinemment que sa sœur, en même temps que tous les apprentis plus courageux qu'elle, avaient débuté leurs premières leçons. Ces responsabilités, Nuage Nocturne ne pouvait les assimiler toutes entières. Comment en être capable, quand tant de démons s'accrochaient à elle et tentaient de la traîner jusque là où il faisait bon et chaud, dans la tanière familiale, quand son nom ne s'était pas teinté du Nuage qui emmenait avec lui la pluie du devoir ?
Bientôt le zénith. Nuage Nocturne n'avait aucune idée que son entraînement devait commencer aujourd'hui. Sûrement son père essayait-il de la protéger ; mais il ne pourrait pas combattre la noirceur de son esprit, plus sombre encore que la robe qui formait son pelage. Après s'être tournée et retournée dans sa tanière, seule tandis que tous les autres étaient partis assumer leurs responsabilités comme de bons apprentis, Nuage Nocturne se fit à l'idée que le sommeil ne reviendrait pas. Elle se leva donc d'un pas peu décidé, la tête tournante, effrayée de poser la patte sur le sol extérieur de la tanière dont elle ne pouvait plus voir la couleur le jour du désastre. C'était comme si l'eau l'attendait, là, dehors, prête à l'engloutir pour de bon, cette fois-ci.
L'apprentie s'approcha du centre du camp. Aujourd'hui le tas de proies trônait en son milieu, hier les remous en faisaient leur terrain de jeu. Le sol n'était plus humide d'un poil et pourtant c'était comme s'il se dérobait sous chacun de ses pas. Nuage Nocturne jeta un œil distrait aux quelques lapins qui dépassaient du lot, et elle se rappela qu'il était de son devoir d'en rajouter quelques uns, sans quoi elle ne pourrait pas manger ; elle n'avait pas faim, de toute façon.
Alors qu'elle s'apprêtait à faire demi-tour, à aller voir Nuage des Astres, ou son père, ou sa mère — n'importe qui pourrait lui faire ressentir une once de la sécurité que ses jeunes années avaient favorisée — elle remarqua Rage de l'Amour. Elle avait été nommée sa mentore juste avant la catastrophe, et la jeune noiraude ne se rappelait même plus avoir entamé de conversation avec la lieutenante. Intimidée et en cruel manque de sommeil, elle s'approcha doucement, la tête basse en signe de respect. Elle chuchota alors qu'elle arrivait à sa hauteur : « Bonjour, Rage de l'Amour. » Une simple interaction, et pourtant une des seules qu'elle s'était permis depuis leur retour au camp.
Sujet: Re: Cette terre qui se fait nôtre ׀׀ Nocturne Jeu 24 Oct 2024 - 12:52
Rage de l'Amour CETTE TERRE QUI SE FAIT NÔTRE — Lune 1217
Je la considérais un moment. Ni trop grande, ni trop basse sur pattes, un pelage sombre moucheté. Ses yeux me fuyaient ; la nuque ainsi baissée, elle semblait une ombre traînée de force dans la lumière. L’avais-je déjà vue quelque part ? Tapie dans un recoin de la pouponnière ? Acculée contre sa mère ? La grimace déformée de chagrin de Lune Givrée flotta devant mes yeux un bref instant. Je n'avais oublié de sa mère ni ses babines retroussées, ni les vagissements endeuillés… ni les accusations jetées à ma face. Pourtant, aussi ancrées dans ma mémoire qu’elles étaient, et pas plus que je ne vouait à la guerrière aucune empathie, je n’en retenais aucune contre elle. L’épisode semblait si loin, désormais – je ne l’entrapercevais qu’au travers le rideau de sang que nous avions versé face à la Horde, je ne me le rappelais que brouillé de flots noirs marécageux. Cela faisait… bien cinq lunes, probablement.
Nuage de Némésies en avait alors trois. Sans laisser y paraître, je les avais toutes comptées. Quant à Nuage Nocturne… À une lune, de quoi se rappelle-t-on vraiment ? À quel point ce que l’on entend, ce que l’on sent, ce que l’on vit nous affecte-t-on ? Je scrutais le visage fuyant de la jeune chatte. La réponse se cachait quelque part sous ce chuchotement gauche.
J’essayais de me creuser la tête, de rappeler à mes souvenirs le moindre détail sur elle – sa personnalité, ses peurs. La logique voulait que nous nous fûmes côtoyées dans la pouponnière ; pourtant, ma mémoire me trahissait. Le visage de Nuage Nocturne ne me revenait pas. Je n’y pouvais superposer que ceux de ses parents — confus, enchevêtrés, chimères de mes nuits pour des raisons bien distinctes. J’étais aussi indifférente à Lune Givrée que vouée à Pluie d’Étoiles. Fautive décriée pour l’une, voilà que l’autre m’avait donné sa fille entre les pattes.
Alors, c’était ainsi que ma première apprentie, mon premier pas vers la rédemption, mon premier défi de guerrière, ma première légitimation de lieutenante – c’était ainsi qu’elle se présentait à moi. Cadenassée d’incertitudes, ombragée d’un vécu déjà trop pesant – pour lequel j’étais à moitié responsable. Le dû qu’avaient réclamées les étoiles en crevant la carcasse de notre terre – j’en étais lavée de toute culpabilité. Mais l’autre…
« Bonjour, Nuage Nocturne. » Une seconde, deux secondes. « Il est d'usage de regarder son interlocuteur dans les yeux lorsqu’on s’adresse à lui – son mentor encore d’avantage. » Aucune agressivité, aucun reproche ne teintait ma voix. Elle demeurait aussi claire et impersonnelle que l’eau de la rivière. Il en allait de même, à vrai dire, pour toute ma personne. La jeune chatte ne trouverait ni la chaleur de sa mère, ni l’expressivité de son père dans ce regard que je lui demandais de croiser… pour la seconde fois.
Nous avions dû échanger quelques paroles, lors de son baptême. Si tel était le cas, je ne m’en rappelais pas. La nervosité m’avait pris tout le jour durant, si bien que le moment venu, j’étais un tel noeud de nerfs que je m’étais distancée de moi-même. Reculée à l’arrière de mon esprit, j’avais vu avec un étrange détachement mon corps se rapprocher de celui de Nuage Nocturne, mon museau effleurer le sien et nos voix échanger nos vœux. Les yeux qui l’avaient alors regardée avaient été ceux d’une étrangère. Aujourd’hui, ils étaient miens. Je la contemplais pour la première fois.
« Je suis Rage de l’Amour, » je dis. « Ta mentor. » L'ajout était inutile et je me fustigeais ; bien sûr qu'elle sait que tu es sa mentor, par nos Ancêtres... celle l'ayant laissé mourir de vieillesse avant de prendre en patte son apprentissage... Mais quoi d’autre dire ? J’étais aussi nouvelle à l’exercice qu’elle. J’essayais vaguement de me rappeler ce que m’avait dit Mirage des Océans, cette fouineuse revêche, lors de mon premier jour… mais les circonstances étaient si différentes. En un clin d’œil, j’étais passée nouvelle mentor à lieutenante surchargée. L’évacuation puis la réintégration du camp m’avaient occupées nuit et jour ; seconder Pluie d’Étoiles avait pris le pas sur toute autre affaire. Je suspectais également notre meneur d’avoir secrètement été soulagé de pouvoir faire preuve de plus d’indulgence envers son enfant – lui laisser ces quelques jours de répits de plus que les autres.
La part de moi la plus sensible – la plus vieille et la plus reculée — espérait que la jeune chatte en avait assez profité. Cela s’arrêtait aujourd’hui. Aujourd’hui, elle revêtait le rôle qui accompagnait son nom. « Les circonstances ayant été… ce qu’elles ont été, nous avons pris un peu de retard sur ton entraînement. Cela importe peu, » je continuais sans ciller, d’un ton fluide. « Pendant les six prochaines lunes, nous serons mentor et apprenties. Nous partagerons plus d’heures ensemble qu’avec tout autre de nos camarades. Il est de mon devoir de t’enseigner tout ce que Mirage des Océans m’a appris — et ce que son mentor lui a appris avant elle. Notre Code, nos voies du combat et de la chasse, notre façon de nous mouvoir et de nous comporter, les valeurs que nous défendons, le sens et le respect de notre hiérarchie, et notre devoir envers le Clan des Étoiles. Ce sont les enseignements de tout un Clan que tu recevras pendant ces six lunes ; ceux d’une longue et ancienne tradition qui fait ce qu’est le Clan de l’Ombre. »
Mon regard ne quittait son visage. Il fallait savoir intercepter les grands cris silencieux qui passaient fugacement sur les visages des plus réservés — de minute en minute, je réalisais l’ampleur de l’énigme qu’on m’avait confiée. En entendrais-je jamais la réponse ? Une œillade vers la tanière du chef me conforta dans ma décision. Je relevais la tête, droite et superbe. « Ce programme est bien assez chargé – mais nous ne nous attaquerons à aucun de ces points aujourd’hui. Aujourd’hui, je veux te montrer une des composantes les plus essentielles du Clan de l’Ombre… ce qui rythme nos patrouilles, nos chasses, notre sommeil, nos mouvements. Sais-tu ce dont il s’agit ? »
Oui, aujourd’hui ne serait pas le jour pour les techniques de combat ou une leçon du Code. La curiosité me poussait à mettre Nuage Nocturne face à ce nouveau territoire que les Étoiles nous avaient rendu. Transformé, crevassé. Était-elle jamais sortie du camp, autre que lors de cette funeste évacuation ? N'avait-elle vu ce nouveau territoire qu'au travers de cauchemars ? Ne le tissait-elle que de spectres et de gisants engloutis ?
Je laissais flotter entre nous un silence ne demandant qu’à être comblé.
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Aloe Vera Habitué.e.
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Sujet: Re: Cette terre qui se fait nôtre ׀׀ Nocturne Jeu 24 Oct 2024 - 13:24
home it will be again
FT. rage de l'amour
Les premiers mots de Rage de l’Amour en son égard invitèrent un frisson d’angoisse au creux de Nuage Nocturne. Elle qui pensait avoir fait preuve de respect en accrochant le sol de ses yeux d’or, il s’était avéré qu’elle avait en réalité fait offence à sa mentor. N’avait-elle donc rien appris de son père, vaillant et appliqué ? La réponse était assez simple, pourtant elle ne s’imposa pas à la noiraude : non, elle n’avait rien appris de Pluie d’Étoiles. Elle n’avait pas eu le temps que conférait d’habitude une enfance sans remous. À une lune, elle avait été enlevée. Peu après, elle avait été décimée de son chez-elle. Pourtant, était-elle si différente de tous les chatons de son Clan ? De sa génération ? N’avaient-ils pas tous été kidnappés en ce jour funèbre, n’avaient-ils pas tous perdu patte face au déchirement du Monde ? Si. Avaient-ils pris autant de retard qu’elle ? Sûrement pas. Il lui fallait se réveiller, et vite. Elle devait faire honneur à son père le meneur, à sa mère la fière. Rage de l’Amour était sa porte de sortie, son échelle l’arrachant des limbes dans lesquelles elle s’était enfermée et la ramenant vers la lumière d’un jour nouveau.
Nuage Nocturne leva les yeux, s’efforçant de ne pas vaciller face à la carrure de celle qu’elle admirait déjà. « Pardon, Rage de l’Amour… je ne voulais pas-… » La fin de cette phrase, je ne voulais pas t’offenser, flotta dans l’air et s’effaça immédiatement. Elle ne devait plus se trouver d’excuses. Se lamenter sur le passé était tout ce qu’elle avait connu, et bien que consciente que cela prendrait beaucoup de temps et de douleur pour perdre cette méchante habitude, elle était au moins décidée à essayer, cette fois-ci. Elle ne quitta donc plus la lieutenante des yeux tandis qu’elle lui expliquait leur programme tout dessiné. Quand le temps vint pour elle de parler à nouveau, à la suite d’une question dont elle ne possédait pas encore la réponse, Nuage Nocturne cligna des yeux, perdue. Elle voulait prendre le temps d’y réfléchir, mais pourtant, elle avait déjà trop attendu jusqu’ici. Une réponse, bien que floue, s’imposa à son esprit comme une porte vers la liberté.
« La… lumière ? commença-t-elle avant de reprendre pour expliquer son raisonnement. La lumière qui rythme nos vies, qui apparaît le matin et disparaît derrière les montagnes le soir, nous permettant d’avancer quand elle est là et nous forçant à patienter quand elle s’en va ? »
Ce n’était sûrement pas la bonne réponse. Nuage Nocturne ne put empêcher ses yeux de divaguer vers le sol à nouveau ; on ne changeait pas quelqu’un en un jour, malheureusement. Son cœur se mit à battre, terrifiée à l’idée d’être passée pour une simplette. Qu’allait donc penser la brave Rage de l’Amour de sa piètre apprentie ?
Sujet: Re: Cette terre qui se fait nôtre ׀׀ Nocturne Ven 25 Oct 2024 - 17:08
Rage de l'Amour CETTE TERRE QUI SE FAIT NÔTRE — Lune 1217
Je n’eut pas à me répéter par deux fois. Sitôt mon injonction faite, les yeux pailletés d’or de Nuage Nocturne papillonnèrent vers moi, et un frisson imperceptible sembla lui redresser la nuque. Oh, sans bravache aucune : rien de l’assurance effrontée qui germait habituellement dans le regard des novices assoiffés de tout faire et tout savoir. J’avais passé assez de temps avec Lys Nuageux pour reconnaître cette étincelle terrible chez les jeunes fougueux, présage de maintes mésaventures à venir... assez pour en noter l’absence chez celle qui me faisait face.
Lorsque sa voix s’éleva de nouveau, ce fut pour se confondre en excuses gauches qu’elle ne termina pas. Mal à l’aise, face à la jeune chatte si visiblement en proie à ses démons, je ne relevai pas la phrase laissée en suspens et laissais les évidences qu’elle soulevait s’évaporer entre nous. Les luttes que menaient les autres m’avaient toujours trop douloureusement rappelé les miennes. Je souffrais peu de voir mes pairs exprimer leurs tourments aussi publiquement, si impudiquement – ils se transformaient en miroir trop dérangeant pour que j’y plonge le regard.
Quoiqu’il en fût, ce moment de gêne passé, je notais avec satisfaction que celui de la jeune chatte demeura vissé sur moi pendant la durée de mon maladroit discours — je m’en félicitais silencieusement. Une barrière de franchie. La progression était rapide, bien. Ce qu’elle me répondit, en revanche, me désarma un instant. La lumière ? Une réponse décidément plus profonde que ce à quoi je m’étais attendue – et différente de ce que j’avais en tête. Néanmoins…
« Ce n’était pas la réponse à laquelle je m’attendais, » je choisis mes mots avec attention, « mais elle n’est pas fausse pour autant. La lumière bat la mesure de nos vies, et nous éconduit jusqu’à notre fin, en effet, Nuage Nocturne. Certains de nos camarades dédaignent donner sa place au soleil – notre Clan est après tout celui qui se meut dans l’obscurité. Ils ont tort. Notre Ombre n’est jamais aussi élongée que lorsque la lumière est forte. La lumière du soleil… et des Étoiles, » je ponctue le mot d’un regard acéré. « Nos Ancêtres nous montrent la voie et nous ne sommes jamais aussi forts qu’éclairés de leurs conseils. La foi et le respect du Clan des Étoiles, voilà un pilier de notre Clan. Retiens-le bien, Nuage Nocturne. »
Je ne savais quelle place le respect du Clan des Étoiles occupait dans l’éducation de Pluie d’Étoiles et Lune Givrée — peu importait. Nul doute qu’il était plus présent que chez les portées venues de nulle part, qui piaillaient dans la pouponnière et, pour certaines, envahissaient déjà la tanière des apprentis. Les rejetons ramenés par Liberté des Ombres m’hérissaient le poil autant que leur père ; l’affection que je portais à Ardeur de la Tigresse me prévenait de faire tout commentaire quant aux siens, mais je n’en pensais pas moins. Le Clan de l’Ombre, gorgé d’étrangers ne répondant ni de nos coutumes, ni de notre foi – le soulèvement des marécages était une réponse on-ne-peut-plus clair de nos Ancêtres. Nuage Nocturne était aujourd’hui une jeune pousse encore frêle, mais elle serait demain un des arbres sur lequel notre Clan allait compter… il me revenait de lui servir de tuteur du mieux que je le pouvais.
Déjà, par sa réponse, la jeune chatte me donnait raison d’espérer... Je posais sur elle un regard dans lequel, pour la première fois depuis le début de notre conversation, perçait l’intérêt. La voilà qui avait de nouveau baissé les yeux. Hmpf. Une barrière pas si aisément franchie que ça, semblait-il… « Tu n’as pas à avoir honte des opinions que tu avances, » dis-je, la voix limpide. « Pas avec moi, en tous cas. Lors de réunions du Clan, c’est à tes aînés de prendre la parole en premier – comme j’en défère aux miens… » Même avec mon grade.
Je ne me faisais pas d’illusions quant aux œillades et murmures qui avaient suivis ma nomination. Une chatte de dix-huit lunes, seconde du Clan ! La nouvelle était restée bloquée en travers de la gorge de vétérans pour plusieurs lunes, encore aujourd’hui. Chaque prise de parole que j’effectuais me demandais un sens aigu de la diplomatie afin d’apaiser les ego meurtris. À dire vrai, je commençais à me rendre compte à quel point une journée éloignée de ce sac de politiques internes me ferait du bien. Cet apprentissage semblait arriver à point nommé…
« Bien que le respect de notre hiérarchie soit primordial, comme je te l’ai dit, nous somme une paire, désormais – nous partagerons beaucoup plus que de simples avis. Ce que tu me dis, dis-le à voix haute et sans ciller. Sans craindre mes représailles non plus – peu importe la vérité ou l’erreur qu’ils contiennent. Les guerriers sont loin d’être parfaits, » miaulais-je, me remémorant la cacophonie des discussions animées qui avaient suivis la catastrophe. Je réfrénais une grimace. La scène avait été peu digne d’un conseil de vétérans… « Nous nous trompons chaque jour. C’est mon rôle d’aiguiser ton jugement… Si tes propos ne méritent pas que tu les épaule de ta confiance, garde-les pour toi, » j’assénais finalement.
Les pattes parcourues de fourmillements d’être restée là à bavarder, je me levais d’un geste fluide. « Bien — aujourd’hui, ce n’est pas la lumière que je t’emmène voir, mais notre territoire. Je pense qu’un peu d’exploration après les bouleversements récents ne sont pas de trop… y as-tu déjà mis les pattes, en dehors de notre évacuation du camp ? » demandais-je en prenant la direction de la sortie. Il était règle connue qu’au moins la moitié des chatons de la pouponnière franchissaient avec allégresse les interdits les privant de sortie au moins une fois… pourtant, une voix me soufflait que cela risquait peu d'être le cas de ma nouvelle apprentie. Mais qui savait combien d'éclats cachés abritait Nuage Nocturne ? Je commençais à comprendre que la tâche serait plus ardue que prévue...
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Sujet: Re: Cette terre qui se fait nôtre ׀׀ Nocturne