Il ne peut y avoir qu'un seul vainqueur, qu'un seul être aimé. | Ft. Muse des Forêts

Le soleil se lève à peine, et pourtant ton coeur se retient déjà de soupirer. Lorsque Mouette Rieuse a souhaité former une patrouille pour chercher les chatons, tu as été parmi les premiers à se porter volontaires. Cela, sans compter sur l'intervention de ton frère, Terre Brûlée. Celui-ci est aussi déterminé à contribuer aux fouilles, faisant que vous vous retrouvez désormais à faire équipe. Ça faisait longtemps, qu'une telle chose n'était pas arrivée, et autant dire que ça ne t'avait pas manqué. En marchant aux côtés de l'immense matou, tu te sens toute petite. Tu as arrêté de croire aux discours de supériorité de tes parents, mais il est évident que les ressentis qui y ont été mêlés sont plus durs à effacer. Oui, cette petite sortie matinale aurait été bien plus agréable aux côtés d'un autre guerrier. Comme Chant d'Antan, par exemple. Sa présence est si apaisante, que son souvenir pourrait presque balayer le sentiment de gêne qui t'envahit depuis tout à l'heure. Il vous faut toutefois faire avec, et tu fais de ton mieux pour rester focalisée sur votre objectif : les chatons. C'est ce qu'il y a de plus important à tes yeux aujourd'hui, même si cela signifie passer du temps avec Terre Brûlée. Alors que le vague fumet d'une proie parvient à tes narines, le guerrier tigré file vers l'avant. Tu le suis du regard, jusqu'à ce qu'il se retourne avec un campagnol entre ses crocs. Bien sûr, qu'il fait le fier. Surtout face à toi, le moindre prétexte semble être bon. Tu t'attends à ses paroles, connaissant ses discours par coeur, mais tes oreilles se plaquent malgré tout en arrière lorsqu'il te dépasse pour enterrer sa proie.

Difficile de dire si cela te blesse, ou te met simplement en colère. Peut-être un peu des deux. Ton naturel jovial a toujours pris le dessus, lors de tels moments, mais c'est bien plus difficile face aux membres de ta famille. Tu aimerais vraiment que celle-ci soit plus large. Qu'il y ait d'autres guerriers et guerrières capables de comprendre que vous mettre en compétition n'a causé que du tord, et que vous n'avez rien à prouver. « Je suis ravie que cela t'apporte de la joie, Terre Brûlée. » réponds-tu alors en masquant ton amertume. Tu sais que cela lui fait plaisir. Et en même temps, on lui a toujours apprit à se comporter ainsi. À se réjouir du malheur des autres. Il n'était pas comme ça, avant. Vous n'étiez pas comme ça. Mais tu doutes qu'il en ait seulement le souvenir, tant de lunes s'étant écoulées depuis cette époque. « Puisque tu es si fort, j'imagine que tu es déjà sur une piste pour nos chers chatons ? C'est le but de notre sortie après tout. » Tu le lui rappelles à travers un regard accusateur. S'il veut tellement recevoir des louanges, il n'a qu'à remettre la main sur vos petits disparus. Là encore, il pourra satisfaire vos parents. Tu décides de détourner les yeux pour te focaliser vers l'avant. Il n'en vaut pas la peine. Tu aimerais t'en convaincre, mais il s'agit malgré tout de ton frère, de ton sang, aussi empoisonné par l'arrogance soit-il. Au moins, tu sais que si tu es motivée à retrouver les chatons, c'est pour leur bien à eux et non pour ta gloire personnelle. Le mâle ne peut en dire autant. T'en réjouir réellement reviendrait à rentrer dans son jeu, alors tu n'en fais rien, t'arrêtant à la simple constatation, ainsi qu'à celle que tu ne pourras sûrement pas te forcer à sourire aujourd'hui.

L’époque ou toi et Terre Brûlée étiez proches te manque, c’est indéniable. Mais lorsque tu es à côté de lui, aujourd’hui, une part de toi souhaiterait ne jamais avoir partagé le même nid, pas plus que le même sang. Pour d’autres, le fait d’avoir des frères et des sœurs est une bénédiction du Clan des Étoiles. Pour vous, il s’agit plutôt de l’inverse. En le voyant se pavaner ainsi, tu n’as pas pu t’empêcher de répliquer de manière un peu plus cinglante. Il y a des moments appropriés à son attitude, et d’autres un peu moins. Tu n’arrives pas à croire qu’il se joue de vos différences encore aujourd’hui, alors qu’une partie de votre clan a disparu. Et cette réplique, ton frère l’a apparemment sentie passer. La queue en panache, il ne tarde pas à te rattraper, te mettant face aux différences qui subsistent entre vous. Peut être qu’il a gagné l’amour de vos parents. Mais tu ne le laisseras pas prétendre que tu ne te soucies pas du sort des chatons. Alors que, c’est à peine si tu arrives à en dormir la nuit ! Ta queue s’agite avec irritation, tandis que le matou commence à renifler le sol un peu plus à l’avant, comme s’il était déjà passé à autre chose. Ou bien peut être s’imagine t-il recevoir les louanges de vos parents, s’il s’avérait qu’il retrouverait bel et bien les chatons. Tes yeux se lèvent vers le ciel, et tu trottines pour le devancer à ton tour.  « Tu ne vois que ce qui t’arrange, alors je ne vais pas essayer de te convaincre que tu fais fausse route. » Si quelqu’un est capable de sortir Terre Brûlée de cet état d’esprit, tu as compris depuis bien longtemps que ça ne serait pas toi.

Tu t’efforces de te concentrer à nouveau sur vos recherches, inspectant les arbres et les buissons en quête de la moindre trace, de la moindre odeur. Mais rien. C’est comme si vos petits s’étaient totalement volatilisés, et chaque patrouille envoyée revient malheureusement avec ce même constat. Au moins, te focaliser sur autre chose t’aide à oublier l’irritation que t’a fait ressentir ton frère. Tu essaies toujours de passer au dessus, d’être plus mature que lui pour ne pas laisser toute cette histoire t’étouffer. Et puis, il reste ton frère. Tu n’as pas envie de le détester. Toi, dans un monde idéal, tu préférerais t’entendre avec tout le monde, sur un pied d’égalité. Mais c’est un désir utopiste et tu en es bien consciente.  « Ça ne t’épuise pas, de toujours essayer d’être le meilleur dans tout ? Qu’est ce que tu feras, lorsqu’ils ne seront plus là ? » Par ils tu veux bien sur parler de vos parents. Ils ne sont plus tous jeunes, et vous menez une vie plutôt difficile. Tout peut arriver, et tu imagines que perdre leur présence serait une terrible épreuve pour ton frère. Lui, qui a toujours vécu et agi pour les satisfaire eux. Ne serait ce pas comme perdre une raison de vivre ? Tu ne le souhaites pas bien sûr. Personne ne peut souhaiter un tel malheur et encore moins à sa propre famille. Mais, y penser est certainement une manière pour toi de trouver la faille dans l’apparente perfection de Terre Brûlée.

Dans tes paroles, tu as essayé de raisonner ton frère, bien qu'en sachant qu'il n'aime pas trop être questionné. Terre Brûlée s'est toujours estimé digne de ses actions, et juste dans son comportement. Un guerrier parfait autrement dit, qui ne peut être contesté. Toutefois, aujourd'hui, tu as osé. Et, le matou tigré semble décidé à te le faire regretter. Ton pelage s'hérisse légèrement, lorsqu'il se retrouve nez à nez avec toi, de toute évidence furieux. Lui qui habituellement, même dans la colère, se contrôle toujours suffisamment, semble avoir perdu le contrôle cette fois-ci. Pendant un instant, tu te demandes si ton frère va se jeter sur toi, mais il n'en fait rien. Tu soutiens son regard, alors qu'il entame un discours que tu as déjà entendu à de maintes reprises. Une déception. Une honte. Tu ne peux empêcher tes sourcils de se froncer, mais cette expression est bien vite remplacée par celle de l'indignation. Il sous entend que tu souhaiterais voir vos parents disparaitre ! C'est une terrible pensée, bien trop terrible pour toi, et il est hors de question que tu laisses Terre Brûlée dire une chose pareille sans le contredire. De son côté, celui-ci est toujours enragé, tellement qu'il gratte le sol et envoie valser des touffes d'herbe derrière lui. Mais de ça, tu t'en fiches. Il ne te fait pas peur, et de toute façon s'il s'en prenait à un membre de son propre clan, c'est lui qui aurait le plus d'ennuis. « Comment peux-tu dire une chose pareille ?! Je ne souhaite de mal à aucun chat, et encore moins à nos parents ! Je les aime, mais ça ne m'empêche pas de reconnaître qu'ils ne sont pas parfaits. » La perfection, c'est bien le mot qui fâche dans votre famille. Peu importe à quel point vous souhaitez l'être, personne n'est dépourvu de défauts. Pourquoi ton frère ne peut-il pas comprendre qu'il serait dans son intérêt de prendre un peu de recul ? S'il était à ta place, rien qu'un moment... peut-être qu'il s'en rendrait compte.

Une part de toi comprend doucement que si ton frère se met dans cet état, c'est au fond que tu as touché une corde sensible. De quelle manière exactement, tu ne peux en être sûre. Vous avez cessé de vous comprendre depuis longtemps après tout. Tu espères que s'il nourrit des doutes, ceux-ci penchent du bon côté. Enfin, il ne sert à rien de théoriser pour le moment. Tu es convaincue que si quelqu'un peut changer ton frère, ça ne sera pas toi. Un constat désolant, mais qui n'a au fond rien de surprenant. Vos parents vous ont monté les uns contres les autres, réduisant à néant toute l'estime que vous pouviez ressentir mutuellement. « Je ne m'attends pas à ce que nous ayons le même avis sur ce sujet. » Et pourtant, tu ne ressens pas le besoin de lui feuler au museau. Cela pourrait toutefois te défouler, à y réfléchir ! « Si tu es heureux ainsi, ça te regarde après tout. » souffles-tu avant de baisser le museau pour essayer de trouver une piste, avançant doucement sans regarder le matou. Vous êtes tellement différents, c'est vrai. Peut-être que Terre Brûlée est fait pour vivre dans ce genre de famille. Fait pour répéter les mêmes schémas, pour ne jamais en voir les limites. En pensant à ça, tu espères sans méchanceté, de ne jamais avoir de neveux ou de nièces.

T'es un peu étonnée de lire de l'amusement dans le regard de Terre Brûlée. Tu l'es aussi de voir qu'il ne réplique pas immédiatement, lui qui aime tellement avoir le dernier mot. Cela te laisse quelques instants de répit, alors que vous avancez silencieusement dans la forêt. À vrai dire, il t'est bien égal de poursuivre ou non cette conversation. Vous ne serez jamais d'accords, vous ne vous comprendrez jamais... c'est comme si vous veniez de mondes tout à fait différents. Il n'y a que vos pelages identiques pour rappeler à tous que vous appartenez bel et bien à la même famille. La paix ne dure pas bien longtemps, finalement, et tu n'es pas très surprise d'entendre à nouveau la voix de ton frère. Comme si quiconque pouvait se réjouir d'une telle chose... même si tu sais que votre famille a ses tords, tu aurais amplement préféré avoir l'amour de vos parents. Mais ça, ce n'est pas possible. Il n'y a pas de places pour deux à leurs yeux et tu ne peux rien y changer. Tu peux juste l'accepter et essayer d'apprécier ta vie telle qu'elle est. Parfois, c'est le seul moyen d'être heureux : il faut aimer ce que vous possédez, et arrêter d'en désirer plus. Alors peut-être que tu devrais juste accepter de laisser cette discussion se terminer. Tu as essayé, une fois de plus, en vain. « Les seules approbations dont j'ai besoin sont celles de Souvenir des Étoiles et de Mouette Rieuse, et je fais chaque jour de mon mieux pour servir le clan. » Tu préfères couper court ainsi, et ne pas relancer un débat supplémentaire. Si vos parents étaient si parfaits, alors peut-être qu'ils seraient chef et lieutenant du clan. Mais ce n'est pas le cas, et leur avis n'a pas autant d'importance que celui de vos supérieurs. D'ailleurs, cela a dû être une déception, pour Terre Brûlée, de ne pas être désigné lieutenant. Vous avez plus ou moins le même âge que Mouette Rieuse après tout. Comme quoi, cette obsession de la perfection ne mène pas toujours au plus haut.

Tu te gardes de le lui rappeler. Apparemment, il veut mettre fin à vos recherches, et cela t'arrange bien. De toute façon, il n'y a aucune trace des chatons ici. Tu es bien consciente que quadriller encore et encore les mêmes zones ne changera rien à votre problème, mais une part d'espoir subsistait encore tout de même, assez pour que tu te sentes déçue. « Rentre sans moi, je vais chasser. » réponds-tu alors sur un ton égal. Il n'a pas à te donner d'ordres, et tu n'as pas envie de partager le chemin du retour en sa compagnie. Tu commences déjà à emprunter un chemin différent, essayant de te concentrer pour repérer les effluves de futures proies. Au moins, rapporter quelques prises te permettra de te sentir utile, et de meilleure humeur après cette patrouille catastrophique. En plus, comme Terre Brûlée a lui même déjà fait une prise, tu n'as pas envie de l'entendre s'en vanter à votre retour. Non, tu ne veux plus l'entendre, ni penser à lui... la journée va encore être longue et tu ne veux pas la passer à ruminer.