L'eau rugissante et infinie | Reflet du Jour

Le soleil était haut dans le ciel moucheté de nuage blancs. Pour la première fois depuis qu'il était arrivé sur ces territoires, il faisait relativement beau. Si une brumeuse grisaille avait perduré quasiment jusqu'au milieu de la journée, le brouillard avait fini par se lever pour enfin laisser passer quelques rayons de lumière. Sur l'immense lande de sable qui s'étendait à perte de vue, un vent constant et salé soufflait, gonflant le pelage du solitaire qui y marchait à pas lents.

Il avait louvoyé un peu entre les bandes de territoires, détectant ça et là des marques qui ressemblaient à des frontières, sans être encore capable de déterminer exactement où elles commençaient ni où elles s'arrêtaient. Une chose était certaine : il n'y avait pas qu'un seul groupe de chats dans les environs. Il avait remarqué des fumets un peu différents selon les endroits, et qui se croisaient très rarement. Jusque là cependant, il avait évité un rencontre directe avec ces matous-là. Il avait bien aperçu un petit groupe passer de loin, depuis un gros arbre où s'était perché, mais le vent en sa faveur avait permis qu'il ne soit pas détecté.

C'est l'odeur du paysage elle-même qui l'avait intrigué, alors qu'il poursuivait vers le nord-est, et l'avait emmené jusqu'à ce qui semblait être la fin du monde. Archange n'avait jamais vu ni senti un tel paysage. L'air était presque âcre, le sel semblait rentrer dans tout son être. Lorsqu'il se lécha les babines, il y trouva ce goût désagréable. Quant à l'espèce de rivière qui se trouvait là... était-ce réellement une rivière ? Il y avait bien plus d'eau qu'il n'en avait jamais vu.

Une eau sombre, sauvage, qui allait et venait en feulant contre le sable. Il marchait en gardant ses distances avec elle, même si parfois le vent venait faire pleuvoir sur son pelages quelques gouttes, ou le moucheter d'écume. Il avait hésité sur la direction à prendre ; puis il s'était aperçu qu'au Nord, des constructions de Bipèdes ainsi que leurs habitants avaient élu domiciles. Il s'était donc dirigé vers le sud, la mer à gauche, son épais pelage fouetté par les embruns.

L’heure n’était peut-être pas aux promenades de santé, j’en avais bien consciente. Mais avec l’ambiance qui régnait dans le camp, je commençais à penser que j’allais pourrir de l’intérieur si je ne sortais pas respirer un peu. Devenir comme eux tous, ruminant dans ma barbe, les yeux fixant le vide avec des airs déprimés. Hors de question ! Et puis, il y avait cette assemblée trop rapidement passée, j’avais donné rendez-vous à mes amis, mais j’avoue que ce n’étair pas totalement par hasard si j’étais venue me balader sur la plage. Je laissais mes yeux traîner vers le territoire de nos voisins, me demandant si par pure coïncidence je ne pouvais apercevoir une fourrure roux vif familière. C’est que j’avais à peine eu le temps d’approcher Nuage de Feu lors de la réunion, et déjà Etoile Embrasée sonnait le départ ! Mais bien sûr, je ne pouvais en vouloir à personne, alors j’avais gardé des commentaires pour moi même, je jouais à la guerrière modèle ces derniers temps et je crois que je suis plutôt bonne actrice.

Mes pattes se posaient sur le sable, cette matière qui me faisait si étrange aux coussinets. Sèche, je m’enfonçais dans les grains de sable fin comme dans la neige qui couvrait la forêt quelques semaines plus tôt seulement. Humide, le sable se solidifiait sous mes pattes ! Mais je n’eut pas le temps de courir jusqu’à la bande de sable qui bordait l’eau où meurt le soleil. Un intrus !!! Je le vit à l’instant même où je me préparais à quitter l’abris des derniers bosquets séparant notre territoire de la plage. J’humais l’air, le vent portant instantanément l’odeur de l’eau salée à moi, mais je n’en senti aucune autre de clanique. Avais-je affaire à… un solitaire ?? Mais celui-ci ne ressemblait ni à la meurtrière Belladone ni à l’énigmatique Ninja, avec son long pelage gris, il marchait simplement sur le sable. Mon cerveau tournait à toute allure, j’étais certaine qu’il préparait un plan machiavélique pour nous nuire, un solitaire n’avait rien à faire ici de toutes façons !

Mais heureusement que j’étais là. Au bon endroit au bon moment, comme on dit. Alors voilà, je vais le suivre prudemment, il me mènera à leur antre secrète d’où ils préparent tous leurs méfaits, puis j’irai rapporter l’information à Etoile Embrasée. Peut-être serais-je promue… lieutenante ! Mes yeux brillent à cette idée, mes griffes se plantent dans le sol sablonné. Foi de Reflet du Jour, je ne vais pas le laisser me filer entre les pattes. Alors qu’il se dirige à l'opposé des drôles de bâtiments accueillant des bipèdes durant la bonne saison, leur tournant le dos, je longe la plage en même temps que lui sans le quitter des yeux, bien décidée à le prendre en filature.

Le grand mâle avançait d'un pas mesuré, la tête et la queue basses. De temps en temps, les cris stridents des oiseaux qui vivaient là lui arrachaient un tressaillement d'oreille. Lorsque l'un d'entre eux se posa non loin, il constata comme ils étaient grands, et se demanda s'ils étaient dangereux, comme ces rapaces qui pouvaient emmener les petits. Leurs pattes n'étaient pas crochues mais il n'aimait pas la manière dont les créatures le dévisageaient sans peur véritable. Visiblement, elles ne craignaient pas les chats, et ce même s'il était un individu de bonne taille. Les locaux ne devaient sans doute pas les chasser.

D'instinct, ses pas le rapprochèrent de l'eau pour trouver un meilleur appui sous ses lourdes pattes. Lorsqu'il s'en éloignait, il s'enfonçait désagréablement, presque à mi-pattes, et cela rendait sa progression laborieuse. Il avait l'impression que son pelage était imbibé de sable et de sel ;il en faudrait du temps pour effacer cette sale odeur. Cependant, il surveillait d'un oeil la progression des vagues sur le sable, n'ayant aucune envie de se retrouver trempé en plus. Tout ce sel venait visiblement de l'eau, qui exhalait son âcre parfum. Plusieurs fois, le matou fronça le nez.

Il aperçut au loin une haut construction et ralentit l'allure. Hm. Des bipèdes devant et des bipèdes derrière. Il n'avait plus qu'à tenter de remonter par les terres. Le sel qui saturait l'air l'empêchait de savoir si l'odeur d'un groupe était présente ou non, mais il prit le risque. Au pire, il croiserait des locaux et découvrirait un peu plus en détails ceux qui vivaient là. Il tourna donc le dos à la mer pour prendre la direction du territoire qui lui faisait face.

Reflet du Jour

Je ne quittais pas l’intru des yeux, j’osais à peine cligner des paupières, malgré mes yeux piqués par le vent marin qui venait jusqu’à moi. Je ne pouvais m’empêcher de grimacer : cette odeur salée allait prendre des jours à quitter mon pelage ! L’air prudent de l’inconnu me confortais dans mon intuition : il avançait comme s’il voyait cette eau sans fin pour la première fois, tête et queue basse, l’allure peu fière. Ahah, inspecteur Reflet du Jour était dans la place ! Aucun détail ne m’échappait. Pas de bol, je n’allais pas le lâcher.

Je ricanais presque en imaginant l’aide précieuse que j’apporterai au clan en suivant le matou grisâtre jusqu’à son repère. Nul doute que je serai couverte de gloire, et puis Reflet du Jour, seconde d’Etoile Embrasée, ça sonnait pas mal non ? Plus qu’à espérer qu’Âme de Venin ne le prenne pas trop mal, mais bref, je m’emportais peut-être un peu. J’étais sortie de mes heureuses pensées brusquement alors que le solitaire se retournait, mon sang bouillonant dans mes veines alors que je me figeais dans les fourrés, osant à peine respirer. Il… il venait par ici… oui pas de doutes… est-ce qu’il m’avait entendue ? J’étais foutue !!

Mais moi, la peur, ça ne m’empêchait pas de penser, bon d’accord il était gros, un peu plus que moi, mais est-ce qu’il avait eu l’enseignement de Plume de Mésange pour l’endurcir lui ? Sûrement pas ! Qu’il vienne, j’étais prête. Un dilemme se présentait à présent à moi : le laisser franchir la frontière en continuant ma filature, ou l’attaquer ? Hmm, oui hein, c’était tout de même plus prudent de continuer à le suivre en restant dans l’ombre, pas que je veuille éviter la confrontation hein, du tout, mais c’était ma première idée après tout.

Doucement, tout doucement, je reculais. Bien sûr, c’était pile quand j’avais besoin de chance que la malchance se présentait à moi, je m’en rendais compte en entendant un craquement sourd se produire sous mes pattes. Fichue brindille.

« Crotte de souris. »

Le juron m’a échappé. A moins que l’inconnu ne soit sourd, je crains que mon opération filature ne soit tombée à l’eau, alors pas question de perdre une seconde, avant que le truand ne mette une seule patte dans ma forêt, je saute devant lui. On va faire comme si tout était prévu.

« Halte là ! Où crois-tu aller comme ça ? Je sais que vous avez tendance à vous sentir partout chez vous ces temps-ci, mais crois-moi bien que je suis capable de te faire la peau. Alors tu vas gentiment me dire ce que vous manigancez par ici, toi et tes petits camarades. »

Je le toise, toutes griffes dehors, mon pelage ébouriffé me rendant encore plus imposante que je ne le suis réellement. Bon d’accord, il est encore un peu plus gros que moi mais quand même ! J’espère bien avoir de quoi faire trembler ce vieillard. Je me prépare à l’assaut.

Spoiler:

Le solitaire grimpa la petite butte de sable qui séparait l'eau de la forêt d'un pas lent, pestant intérieurement contre ce sol impraticable et le herbes hautes et coupantes qui le hérissaient. Fort heureusement, il laissa finalement place à un terre un peu meuble et couvert d'épines des pins qui poussaient en lisière de forêt. Mais alors qu'il allait pénétrer l'ombre de la canopée, un craquement résonna non loin devant lui. Le mâle se figea, les muscles tendus et les sens en alerte. Il leva légèrement la têt pour flairer les alentours, se demandant si les chats des groupes alentours postaient des gardes permanents à leurs frontières. Une attitude qu'il aurait jugée un chouille paranoïaque, mais ce serait tout de même une sacrée coïncidence que l'un d'entre eux se trouve à l'endroit exact où il réfléchissait à pénétrer leur territoire.

Et pourtant, c'était visiblement le cas.
Une chatte au poil ébouriffé jaillit des fourrés pour se planter devant lui. Plutôt grande, elle avait un pelage brun rayé de clair et de foncé - une couleur qu'il n'avait jamais vue et qui était réellement singulière. Même si elle n'atteignait pas la carrure du solitaire - mais la longueur du pelage devait sans doute jouer dans cette impression - elle était tout de même carrées d'épaules, avec des pattes musclées et un corps taillé pour le combat. Rien à voir avec le premier chat qu'il avait croisé sur ce territoire ; celle-ci semblait prête à en découdre et bien moins sympathique à son égard.

Les mot qu'elle déblatéra, en revanche, n'eurent aucun sens pour lui. Elle avait visiblement l'air de le confondre avec un autre chat qui ferait partie d'un groupe - et ce n'était clairement pas son cas, ses maudits ancêtres en soient remerciés. Il rabattit les oreilles et plissa légèrement les yeux.

"Mes petits camarades ?" Lâcha-t-il simplement d'un ton froid.

Il lui semblait inutile d'en dire plus, cet autre chat sachant très bien remplir la conversation à elle toute-seule ; peut-être même pourrait-il glaner quelques informations si ses propos continuaient d'être aussi fournis. La queue du mâle remua légèrement de gauche à droite, alors qu'il imprimait dans son esprit l'odeur de ce territoire et celle de cette femelle. Plus qu'à mettre un nom sur cela et il agrandirait son encyclopédie des terres locales.

"Ce sont tes terres ?" Demanda-t-il finalement, toujours d'un ton égal, en désignant la forêt derrière elle du museau.

Je plissais les yeux devant les paroles froides que le matou s’était contenté de prononcé, une question qui repenait mes propres mots. Oui, ses petits camarades, s’il croyait réussir à mes berner avec son air mi-désinvolte mi-ignorant, il se mettait la patte dans l’oeil jusqu’au coude. Et j’étais biend décidée à le lui montrer ! Foi de Reflet du Jour, je lui tirerai les vers du nez. Je souffle vers lui, cherchant à le dominer de toute ma prestance, même si malheureusement il m’est impossible de le regarder de haut, hors de question de le laisser croire qu’il me fait peur.

Je frétiller des moustaches à sa deuxième question, trouvant son ignorance absurde presque drôle. Je ne pouvais m’empêcher de me faire moqueuse devant lui, prenant un air tout bête pour lui répondre de manière grandiloquante.

« Et oui, je suis la reine de toutes les terres qui s’étendent de l’eau infinie jusqu’au pic de la montagne, je veille avec majesté sur ces lieux et tous leurs habitants- ben non nigaud !! »

Oui j’avoue, même pour moi ça faisait un peu trop, je me suis laissée emportée. Je reprend mon sérieux après une grimace.

« Mais elles appartiennent à mon clan alors bas les pattes. »

Fis-je en faisant un pas vers lui, l’incitant à reculer. Mes griffes me démangeaient, je n’aimais vraiment pas me tenir si près de lui et de son odeur si étrangère, alors il avait intérêt à mettre de la distance avant que ça ne parte. Je le fusille du regard à présent.

« Et avant tout, c’est à moi de poser les questions, et tu ferais mieux d’y répondre fissa au lieu d’en poser des nouvelles, si tu ne veux pas qu’on te fasse la peau. Qu’est ce que tu viens faire là ? »

Archange était un chat difficile à mettre hors de lui - et il était encore plus difficile de se rendre compte qu'il était en colère. La seule manifestation de la bouffée d'agacement qu'il ressentit à la plaisanterie un peu méprisante de l'inconnue fut ses yeux qui se réduisirent à deux fentes bleu glace, et sa queue qui se figea derrière lui. Il laissa passer sa tirade sans broncher et, comme il l'espérait, la chatte finit par lâcher ses airs théâtraux pour finalement lui dire ce qu'il avait envie d'entendre : il était bien sur le point de pénétrer sur les terres de l'un des clans locaux. Pas de chance, elle ne précisa pas lequel et il n'avait pas encore bien retenu leurs noms.

Elle le menaça de nouveau avant d'enchaîner sur une question... qui au moins avait le mérite d'être suffisamment vague pour être sensée, contrairement à ce qu'elle avait lancé auparavant. Dans une autre vie il aurait peut-être rebondit en faisait lui aussi preuve d'une fausse bêtise, mais il n'avait plus vraiment le coeur à perdre du temps avec ça.

"Quelle importance ?" Répondit-il froidement.

Il ignorait s'il se trouvait sur ses terres ou non, en vérité. L'odeur forte du sel que portait l'immense étendue d'eau et le vent qui soufflait dans son dos l'empêchait de sentir autre chose que cette brise iodée et désagréable. Vu la manière dont l'inconnue avait surgi devant lui, il supposa qu'il avait mis une patte ou deux à un endroit défendu - car si c'était simplement du préventif c'était un peu exagéré à son goût.

Mais cette rencontre était une bonne occasion de savoir quels étaient exactement les interdits que ces clans formulaient à l'égard des étrangers, alors il renonça à l'idée de s'en aller de suite - qui pourtant lui caressa l'esprit vu le regard équivoque que lui lança l'inconnue. Il le soutint sans mot dire, aux aguets.