La paix se paie en sang et en larmes

Souvenir des Étoiles me fait un dernier signe de tête et s’enfonce dans la forêt avec le reste de son escouade. Je me permets un soupir déçu dès lors que sa queue disparait entre les buissons. Qu’est-ce que je peux bien faire maintenant ? J’ai beau m’être entraîné ce matin même, mes pattes débordent toujours d’énergie. Je peux encore savourer l’adrénaline qui coule dans mes veines tandis que je bondis sur mon mentor, danse quelques instants puis lui assène un puissant coup sur le museau, avant d’être moi-même repoussée. Je me sens si vivante quand je me bats. Tout semble alors si simple, si évident, comme s’il s’agissait de l’ordre naturel des choses.

Pic du Sapin m’a longtemps privé de ce plaisir afin de m’aider à me focaliser sur mon gros point faible : la chasse. Mais je m’améliore dans ce domaine avec mon nouveau mentor, et celui-ci ne souhaite pas que je sois en reste lors d’une bataille. Malheureusement il m’impose à présent de me reposer convenablement avant de participer à l’expédition du soir, ainsi je suis condamnée à attendre au camp.

Je me résous à faire contre mauvaise fortune bon cœur et à aller aider à prendre soin des anciens. Mais à peine arrivée à leur tanière, j’aperçois deux apprentis en train de remplacer leurs mousses et un troisième qui leur retire leurs puces. Décidément… Je change de direction pour m’approcher de l’antre de notre guérisseuse.

« Salutations Fée, j’ai un peu de temps devant moi, puis-je t’aider ? »

Elle tourne vers moi une gueule pleine d’herbes et secoue négativement la tête, avant de m’indiquer d’un geste un chat à ses pattes dont elle est en train de s’occuper. Le signe est clair : elle a envie d’espace. Je souris à mon amie pour masquer ma déception et je ressors aussitôt. Je devrais être contente que personne n’ait besoin d’assistance, mais je me sens terriblement inutile.

Et ennuyée. Je retourne près des buissons de ronces qui servent de tanières aux guerriers et aux novices et je m’allonge devant, à même le sol. Mon regard glisse un à un sur les chats encore présents aux camps. Le soleil arrive bientôt à son sommet et beaucoup sont en train d’échanger un repas en discutant. Je devrais en faire de même, mais je ne sais pas vraiment à qui parler. Ma sœur et mes parents sont de sortie, la première en entraînement et les seconds avec leurs propres apprentis. Papillon Ephémère est clairement occupée à effectuer son travail de guérisseuse, et je ne me sens pas capable d’aller déranger Mouette Rieuse. Malgré notre échange quelques jours plus tôt je continue d’être un peu trop intimidé par le lieutenant pour converser de tout et de rien avec lui, surtout quand il est entouré de guerriers comme il l’est à présent.

En parlant du loup… J’aperçois Forêt de Bambou non loin. Je n’ai jamais vraiment discuté avec elle, comme la majorité des membres du clan en vérité. J’ai passé mon enfance dans les pattes de mes parents, avec ma sœur, et ensuite à m’entraîner avec Pic du Sapin. Ce n’est que depuis que Souvenir m’a ouvert les yeux sur mes capacités que j’ai enfin réussi à relever la tête et à voir autour de moi, à sortir de ma bulle.

Je détourne le regard pour fixer le sol. Mes capacités… Maintenant que je connais mon don au combat, je brûle d’envie de le développer et de l’utiliser pour prouver ma valeur ainsi que protéger mes proches. Avec la Horde qui rode ces derniers temps, ce genre de compétence est plus que jamais nécessaire. Je sors les griffes et je commence à dessiner les stratégies classiques dans la terre afin de me les remettre en tête.

Bonjour Luciole Nuageuse. Tout va bien pour toi ? Qu’est-ce que tu fais toute seule ici, il y a un problème ? »

Je relève la tête vers l’origine de cette douce voix et me retrouve alors éblouie. La silhouette fine de la chatte se découpe sur le contrejour et son sourire éclatant en ressort d’autant plus. Les contours de son pelage brun prennent une tournure dorée, presque irréelle. Ses yeux verts m’observent avec une curiosité non dissimulée.

« Pic du Sapin ? », je laisse échapper dans un murmure tout juste audible.

C’est absurde, impossible. La féline devant moi était à deux années-lumière des apparitions qui venaient me rendre visite dans mes plus sombres moments. Elle était tangible, palpable… De par le léger mouvement de sa fourrure sous la brise, ou sa capacité à bloquer les rayons du soleil.

Je me redresse, et dès lors que ma tête dépasse la sienne, j’arrive enfin à distinguer ses traits et à la reconnaitre. Encore une fois, j’use de ma vue plutôt que de mon odorat. C’est devenu un réflexe. Aussi étrange que ça puisse paraitre pour un chat, c’est plus instinctif pour moi.

« Bonjour, Forêt de Bambou. »

J’ajoute à ceci un respectueux signe de tête tandis que ma discussion avec Mouette Rieuse me revient en mémoire. J’ai toujours admiré la Chasseuse pour ses compétences, et l’estime que notre Lieutenant a pour elle n’a fait qu’accroitre la mienne. Peut-être pourrait-elle partager un peu de sa sagesse et de sa vision avec moi aujourd’hui ?

« Je dois me reposer pour la patrouille nocturne. J’en profite donc pour réviser nos techniques de combats. Étant donné que la Horde est partout, je me disais que ce ne serait pas mal d’adapter nos stratégies classiques afin de réagir efficacement face à des embuscades, même en sous-nombre et avec des apprentis fraichement nommés. »

Du bout de la griffe, je lui pointe différents endroits de mon dessin.

« Là, et là, par exemple, ce sont les attaques en duos qu’on enseigne dès le début de notre formation. Pourquoi ne pas y ajouter la possibilité que le chat en soutient essaie d’aveugler l’assaillant, avec de la terre ou une branche, afin de fuir si la situation semble dangereuse ? »

Je fixe un instant la scène.

« Peut-être même qu’il pourrait tenter de lui crever l’œil, s’il s’y prend ainsi ! », je m’exclame en dessinant quelques flèches afin d’appuyer ma pensée.

Je me tourne vers mon ainée, excité à l’idée d’avoir son avis sur mon concept.