Mélancolie sous les étoiles - ft. Lune Givrée

Mélancolie sous les étoiles.
Lune Givrée & Cœur de Pluie
Lune 1204


La journée avait été harassante. Cœur de Pluie avait chassé toute la journée, multipliant les allers-retours. La saison des feuilles mortes étant déjà bien avancée, il fallait diversifier au maximum les lieux de chasse pour être sûr de trouver du gibier. Assez étonnement, la chasse d’aujourd’hui avait été plutôt fructueuse, et l’escadron se félicita de savoir que les anciens et les reines mangeraient à leur faim. Même s’il redoutait la saison des neiges qui arrivait à grands pas, il s’efforçait du mieux qu’il pouvait de se concentrer sur le présent. Tout le monde était déjà suffisamment sur les nerfs à cause des tensions qui régnaient sur la vallée ces derniers temps. Bien décidé à reposer ses pattes et son esprit, il s’étendit dans la tanière des guerriers et entreprit une toilette complète avant de laisser le sommeil l’emporter.

Lorsqu’il ouvrit les yeux, la nuit était totale. Il s’étira longuement puis sortit de la tanière à pas feutrés. Il leva les yeux vers la Toison Argentée. Le ciel nocturne était entièrement dégagé. La lune n'était qu'un fin croissant qui s’étirait comme un sourire bienveillant. Réduite à cette forme, elle n’éclipsait pas les étoiles, bien visibles et rivalisant de lumière, semblant toutes s’efforcer de briller plus fort que les autres. L’air était étrangement doux pour la saison. Cette ambiance un peu hors du temps donna à Cœur de Pluie des envies de balade. Il quitta le camp d’un pas léger. Il savait exactement où il voulait aller.

Le champ de fougère s’étendait devant lui, comme une mer aux teintes automnales. De jour, on distinguait le vert vigoureux et le vert vieilli, tirant sur l’orange ou le brun, mais de nuit, il n’y avait que les ombres et les reflets argentés des étoiles. Le chasseur tigré aimait cet endroit la nuit. Par ce temps, il doutait que l’on puisse trouver plus agréable sur leur territoire. Il grimpa à l’un des chênes qui trônait fièrement au milieu de toute cette verdure. Perché sur une branche, Pluie contempla la beauté du paysage avec émerveillement. Sous ses pattes, un océan d’ombres, et au-dessus de sa tête, un océan de lumière. La forêt de Cerfblanc avait beau lui manquer de temps à autre, il devait bien admettre qu’il avait rarement vu un endroit aussi beau. Un instant il ferma les yeux et se laissa bercer par le hululement d’un hibou. Enivré par le parfum des plantes presque séchées, mais toujours odorantes, il était content d’être venu.

Lorsqu’il rouvrit les yeux, un mouvement, presque imperceptible, attira son attention. Il y avait un autre félin, en bas, à plusieurs longueurs de queue. Si le temps n’avait pas été aussi dégagé et la nuit aussi calme, il ne l’aurait sûrement jamais remarqué. Intérieurement, il marmonna une prière au Clan des Étoiles pour qu’il s’agisse d’un chat de l’Ombre et non pas d’un intrus. La nuit était bien trop belle pour se battre.

Il descendit du chêne et s’approcha calmement de l'endroit où il avait aperçu la silhouette. Il était ardu de se repérer dans le champ une fois au sol, mais l’exercice était grisant. Il fut soulagé lorsqu’il parvint à distinguer l’odeur de son clan. S’approchant doucement, il reconnut Lune Givrée. Ils n’étaient pas proches, bien qu’ils aient déjà partagé des patrouilles et des expéditions de chasse. Il était arrivé du côté de son flanc droit. Elle ne l’avait pas encore remarqué, ou du moins, elle n’en avait rien laissé paraître. Elle était assise, dans une élégante simplicité, la tête levée vers le ciel. Ses yeux fixaient les étoiles intensément, une expression empreinte de tristesse sur le visage. Il avisa la tâche en forme de lune sur l’épaule droite de la guerrière, et les multiples tâches blanches parsemant son manteau gris perle. Son pelage était exactement à l’image du ciel ce soir-là. L’escadron s’avança et s’assit non loin de la reine, prenant soin de lui laisser de l’espace.

« Charmante nuit, n’est-ce pas ? »

Lune Givrée ne trouvait pas le sommeil, comme chaque nuit depuis la mort de son chaton, elle n'avait pas envie de devoir encore demander des remèdes au guérisseur pour pouvoir dormir. Elle expira, la fatigue était pourtant au rendez-vous, mais dès qu'elle fermait les yeux, elle avait l'image du petit corps moue qu'elle enterrait en sanglotant.

Elle s'étira en courbant le dos, puis s'extirpa silencieusement de la tanière des guerriers, prenant soin de ne réveiller personne. Une brise fraîche vint caresser son visage, elle frissonna. La saison des neiges était pour bientôt, et le temps en témoignait, les journées se raccourcissaient, le soleil se laissait de plus en plus dissimulé par les nuages, des petites averses venaient parfois perturber les journées de chasse, et le vent, froid, se levait en début de soirée, forçant les guerriers à se réfugier plus tôt dans leur tanière. Et puis sa fourrure, robe grise perle délicatement pommelée de gris-blanc très clair qui s'était un peu épaissie.

Lorsqu'elle prit la sortie du camp, l'air lui sembla encore plus froid, et elle hérissa sa fourrure pour se réchauffer, elle observa les quelques étoiles qu'elle parvenait à voir entre le feuillage des arbres. La guerrière se dirigea vers un coin qu'elle aimait tout particulièrement, cette endroit l'apaisait énormément, et permettait à son cœur lourd de s'alléger le temps de quelques heures. Le fait de rester là, sous la toison argentée, lui donnait l'impression d'être plus proche de Petite Plume, sa fille mort-née quelques lunes plus tôt, après tout, à présent, elle faisait partit du Clan des Etoiles, et l'observait certainement de là-haut.

Elle se hissa un chemin dans les fougères sèches, celles-ci s'effritaient sur son passage, brisant le silence de la nuit, on entendait également quelques hululement d'une chouette plus loin dans la forêt, et des criquets qui chantaient en contrebas du champ de fougères. Elle rejoignit une petite colline, un peu plus bas, se posa, le regard posée sur le ciel, la lune souriait ce soir, et elle eut le sentiment que sa fille aussi lui souriait. Elle esquissa un sourire triste, et des larmes perla ses yeux verts pâles.

Elle n'entendit pas l'intru qui s'approchait et sursauta lorsque celui-ci brisa le silence ; Charmante nuit, n'est-ce pas ? Lune Givrée se retourna brusquement et figea son regard attristé sur le matou qui venait d'arriver. Cœur de Pluie. Un brave guerrier de son clan, connu pour sa gentillesse et son dévouement, elle grimaça d'abord gênée, puis tenta d'imiter ce qui semblait être un sourire.

"- Hm.. Oui, c'est vrai. Elle marqua une pause, cherchant ses mots, le ciel est dégagée et la lune sourit gaiement ce soir. "

Elle termina sa phrase par un franc sourire cette fois-ci. Et l'invitait d'un signe de tête à la rejoindre sur la colline, elle observa les étoiles à nouveau, une expression sérieuse sur le visage, elle semblait être prise de doutes et de questions.

"- Tu penses que chaque étoile représente un membre du Clan des Etoiles ?"

Sa question était peut-être naïve, mais elle espérait secrètement que sa petite s'épanouissait dans ce monde mystique où vivaient leurs ancêtres, et qu'elle jouait avec d'autre chatons, partis trop tôt eux aussi.

Mélancolie sous les étoiles.
Lune Givrée & Cœur de Pluie
Lune 1204


Lorsque Lune Givrée se tourna brusquement vers lui, Cœur de Pluie compris qu’il l’avait surprise et s’en voulut immédiatement. Il ne souhaitait ni l’effrayer, ni l’interrompre à vrai dire. En fait, il ne savait même pas pourquoi il s’était approché, pourquoi il lui avait adressé la parole. D’ordinaire, s’étant assuré qu’il s’agissait bien d’un membre de son clan et non d’un intrus, il aurait simplement passé son chemin. En fait, quelque chose l’avait touché dans le regard de la jeune reine.

« Hm.. Oui, c'est vrai. Le ciel est dégagé et la lune sourit gaiement ce soir. »

Comme par réflexe, à la mention de la lune, le guerrier leva les yeux pour la contempler. Il s’était lui-même fait la réflexion de la ressemblance de la lune avec un sourire. Parfois pourtant, il avait du mal à distinguer si elle lui souriait avec bienveillance ou si elle se riait de lui. Il secoua la tête. S’il pouvait ne serait-ce qu’un instant arrêter de penser aux états d’âmes de l’astre et se concentrer sur le réel !

Il plongea ses yeux dans ceux de Lune Givrée. La beauté du ciel nocturne se reflétait dans son regard d’émeraude pâle. Les larmes qui perlaient à ses paupières laissèrent place à un sourire, mais son regard exprimait toujours une profonde tristesse. D’un signe de tête, elle l’invita à rompre la distance qui les séparait. L’escadron hésita, mais finit par s’avancer pour la rejoindre. Il s’assit à côté d’elle, et suivant son exemple, leva de nouveau la tête vers le ciel.

« Tu penses que chaque étoile représente un membre du Clan des Étoiles ? »

Il fut d’abord surpris par cette question. Il était généralement admis que chaque étoile représentait un chat du clan des Étoiles et que leurs ancêtres veillaient sur eux depuis la Toison Argentée. Il appartenait à chacun d’y croire ou non, mais Cœur de Pluie ne pouvait se détacher de son éducation. Pour lui, le clan des Étoiles était aussi réel que les fougères sous ses coussinets ou que la brise dans sa fourrure. Il lui arrivait de se sentir seul, perdu et abandonné. Il lui arrivait même d’être en colère contre ce clan céleste. Mais jamais il n’avait remis en doute leur existence. Il jeta un coup d’œil à sa camarade, ne sachant quoi lui répondre. Elle fixait toujours les cieux, avec ferveur. En l’observant, il trouva autre chose que du simple doute dans ses grands yeux tristes. De la tendresse. Et il se souvint alors.

Petite Plume.

Il se souvenait de cette soirée de deuil qui avait suivi la mise bas de Lune Givrée. Il se souvenait s’être dit qu’elle était bien trop jeune pour porter un tel poids sur ses épaules. Puis il était passé à autre chose, comme le reste du clan. La vie continuait malgré les épreuves. Mais pas pour Lune Givrée. Pas pour une mère. Perdre un aîné était dans l’ordre naturel des choses. Perdre son enfant, voilà une épreuve dont on ne se remettait probablement jamais.

Le guerrier se sentit aussitôt stupide. À ses côtés ne se tenait pas une guerrière qui doutait de l’existence de leurs ancêtres, mais une mère qui espérait encore le meilleur pour son chaton, même après sa mort. Il en fut profondément ému. Il prit soudainement conscience de la détresse dans laquelle elle devait se trouver. Les étoiles étaient supposées incarner ses ancêtres. Pas sa fille. Le chasseur gris chercha les mots qui pourraient apaiser ce cœur écorché, en vain.

« Je … Je ne peux pas en être sûr, mais j’ai envie d’y croire. »

Il avait conscience qu’il ne devait pas être très convaincant. Ne sachant que faire d’autre, il pressa son flanc contre celui de la reine pour lui témoigner sa compassion. Il savait qu’il ne brillait pas par son éloquence, mais il savait aussi que souvent, un simple geste exprimait plus que les mots. Le chasseur eût alors envie de se confier. Était-ce la douceur de la nuit, l'harmonie du ciel ou la présence de Lune Givrée ? Il n'en savait rien, mais il avait ce besoin, enfoui tout au fond de lui, d'en parler.

« Neige Éternelle est là-haut. Je ne sais pas si tu te souviens d'elle.»

Calculant rapidement, il réalisa que sa camarade n'était sûrement même pas encore apprentie lorsque les clans avaient quitté Cerfblanc. Il soupira doucement, l'émotion le gagnait peu à peu.

« Elle a succombé à la maladie durant le Grand Voyage. Elle était mon mentor, et la seule personne avec qui j'avais l'impression que rien n'était jamais grave. Pour elle, j'ai envie d'y croire. »

Toisant le ciel, il se surpris à espérer de tout son être que Neige Éternelle chassait là-haut, dans l'infinie beauté stellaire.

La guerrière grise observait toujours les étoiles lorsque le matou tigré lui répondit, hasardeusement qu'il ne savait pas, mais qu'il avait envie d'y croire. Elle eut un sourire timide, et fut touchée lorsqu'il se pressa contre elle, réconfortant. C'était la première fois depuis longtemps que quelqu'un lui accordait un moment affectueux, elle avait oubliée à quel point c'était agréable d'avoir la compagnie de quelqu'un. Elle s'était privée de tellement de plaisirs de la vie depuis la mort de Petite Plume, comme si elle se punissait de n'avoir pu mettre au monde son enfant vivant. Et ce soir, sous ce ciel étoilé et cette lune souriante, elle appréciait la compagnie de Cœur de Pluie, et l'en remerciait intérieurement.

« Neige Éternelle est là-haut. Je ne sais pas si tu te souviens d'elle.»

Elle se souvenait avoir entendu parler d'elle, mais elle avait très peu de souvenir de cette chatte au pelage immaculé.


« Elle a succombé à la maladie durant le Grand Voyage. Elle était mon mentor, et la seule personne avec qui j'avais l'impression que rien n'était jamais grave. Pour elle, j'ai envie d'y croire. »

Lune Givrée eut de la peine pour le guerrier tigré, elle savait à quel point c'était difficile de perdre un être cher, elle se disait que Cœur de Pluie pouvait au moins garder de bon souvenirs de son mentor, il avait du partager des moments joyeux en sa présence. Lune n'avait que l'image du corps sans vie de son chaton dans son esprit, elle regrettait tellement de n'avoir jamais eu la chance de connaître sa fille, comment était-elle ? Fougueuse ? Timide ? Gourmande ? Maladroite ? Son regard s'humidifia et une larme se fraya un chemin sur sa joue pour venir s'écraser lourdement sur le sol. Peut-être qu'il était temps de lâcher prise, après tout, elle n'en saurait jamais rien. Elle passait à côté de sa vie à attendre désespérément quelque chose qui ne viendrait jamais. Car les morts ne revenaient pas à la vie, aucun remèdes ni aucune prières ne pourraient y changer quelque chose.

« Elles y sont. Lune Givrée n'avait mentionnée à aucun le moment le nom de sa fille, mais elle sentait que Coeur de Pluie savait pourquoi elle se retrouvait ici, seule. Si ça se trouve Neige Eternelle veille sur Petite Plume, elles ne sont pas seules. »

La guerrière perle réfléchissait, et pour la première depuis des lunes, elle se sentit soulager, après tout, Petite Plume n'était pas seule, elle chasserait à jamais au Clan des Etoiles, elle vivrait toujours dans son cœur, et au moins, elle ne courait aucun danger de là-haut.

« Je réalise que si Petite Plume veille sur moi, des étoiles, je dois la rendre triste à pleurer sa perte tout les jours. Elle marqua une pause, elle ne savait pas si c'était parce que Cœur de Pluie était le seul à lui donner de l'attention depuis longtemps, mais elle se sentait libérée, elle avait l'impression que le guerrier pouvait la comprendre, et qu'elle pouvait lui confier ses doutes et lui faire confiance. Peut-être qu'elles souhaitent simplement qu'on vive, pour elles ? »

Elle n'était pas convaincu par ses propres paroles, mais elle se disait, que si c'était elle qui avait succombée durant la mise bas, et pas Petite Plume, elle n'aurait pas voulu que sa fille pleure tristement sa mort jusqu'à s'empêcher de profiter de la vie, et se punir pour quelque chose que personne n'aurait pu maitriser à ce moment là. Le destin était peut-être déjà tout tracé pour chaque membre des clans, pour chaque être sur terre. La vie est injuste, mais devait-elle continuer à faire son deuil et se lamenter ? Le passé était... passé. Alors que le futur lui était à faire.

Mélancolie sous les étoiles.
Lune Givrée & Cœur de Pluie
Lune 1204


Cœur de Pluie contemplait le ciel avec nostalgie. Un flot de souvenirs jaillissait de sa mémoire pour danser devant ses yeux. En un instant, il revit son baptême d’apprenti et Neige Éternelle qui s’approchait de lui pour lui effleurer le museau. Il revit toutes les courses effrénées dans les sous-bois et les marais, toutes les parties de chasse et les séances de corps-à-corps. Il revit la grâce de son mentor alors qu’elle esquivait les coups sans le moindre effort. Il revit la fierté dans ses yeux bleus d’azur lorsqu’il reçut son nom de guerrier. Il aurait aimé qu’elle le voit devenir escadron.

Combien de fois, depuis la mort de la guerrière, avait-il erré sans but, se demandant pourquoi ce destin avait dû être le sien ? Plus qu’il ne pouvait compter. Il se tourna vers Lune Givrée. Il s’apprêtait à lui dire quelque chose, il ne savait pas quoi, mais il avait simplement envie de lui parler. Il en fut surpris, lui d’ordinaire si taciturne, si peu enclin à s’ouvrir aux autres, pas même à son propre frère … Mais il fut coupé dans son élan, remarquant une larme couler le long de la joue de la guerrière au pelage pommelé. Un torrent d'empathie le submergea. Il voulut lui crier que tout irait bien, que tout s’arrangerait. Il mourrait d’envie de lui dire qu’il la protégerait, que rien de mauvais ne lui arriverait plus tant qu’il veillerait sur elle. Il avait passé tant de temps de sa vie à se morfondre, à broyer du noir, seul. D’un seul coup, le chagrin de Lune Givrée lui semblait insupportable.

Mais il n’en fit rien. Il était incapable de lui assurer tout cela. Avec les tensions qui régnaient sur la vallée, ce n’était plus qu’une question de temps avant qu’une guerre éclate. La mauvaise saison se profilait, apportant avec elle la faim, la maladie et le froid. L’avenir était incertain. Et Cœur de Pluie, malgré son envie de réconforter la jeune reine, ne dit rien et la contempla simplement, impuissant face à ses larmes.

« Elles y sont. Si ça se trouve, Neige Éternelle veille sur Petite Plume, elles ne sont pas seules. »

Cette pensée, aussi fragile qu’elle était, réchauffa le cœur du chasseur. Il la voyait, apprenant à Petite Plume les rudiments de la chasse.

« Je réalise que si Petite Plume veille sur moi, des étoiles, je dois la rendre triste à pleurer sa perte tous les jours. Peut-être qu'elles souhaitent simplement qu'on vive, pour elles ? »

C’était la première fois que Lune Givrée prononçait le nom de sa fille depuis le début de leur conversation. Pluie fut étonné de la sagesse de la guerrière. Lui-même était rarement si optimiste. Il était d’accord avec elle, bien sûr, simplement il n’était pas sûr d’en trouver la force. Il passait le plus clair de son temps à se demander quel était le sens de sa vie. Ne plus jamais s’en soucier et simplement vivre, voilà une perspective réjouissante. Il n’était pas sûr d’y arriver, mais il ne lui coûtait rien d’essayer. Il fixa Lune Givrée avec douceur. Dans ses yeux jaunes, brillait un respect tout neuf. Malgré son jeune âge et les épreuves qu’elle avait endurées, elle faisait preuve d’une force déconcertante. Et cette volonté de vivre lui donna les mots.

« Oui, nous vivrons pour elles. Et un jour, Lune Givrée, tu auras des chatons. Et tu pourras leur dire que leur grande sœur veille sur eux depuis la Toison Argentée. »

Il allait poursuivre, lorsqu’un bruit dans les fougères attira son attention. Il ne le vit pas, mais le sentit. Un mulot. D’un bond, vif et précis, il attrapa la petite proie avant de l’achever d’un coup de croc. Ce mulot était bien maigrichon, mais cela n’avait rien de surprenant. Ayant chassé pour les anciens toute la journée, Pluie savait qu’il pouvait se permettre de manger. L’odeur alléchante du petit rongeur lui fit prendre conscience qu’il n’avait quasiment rien avalé depuis la veille. Il retourna près de la guerrière gris perle et déposa son butin à ses pattes.

« On partage ? » dit-il, souriant timidement.

« Oui, nous vivrons pour elles. Et un jour, Lune Givrée, tu auras des chatons. Et tu pourras leur dire que leur grande sœur veille sur eux depuis la Toison Argentée. »

Des chatons ? Une lueur paniquée embrasa le regard émeraude de Lune Givrée, elle déglutit mal à l'aise. Elle ne voulait plus de chatons, du moins elle ne pouvait pas. Elle n'avait pas été capable de donner la vie à Petite Plume, pourquoi le serait elle pour d'autres ? Et puis, elle ne voulait plus faire d'enfants avec n'importe qui, elle s'était entichée du premier mâle venu, lui susurrant des mots doux à l'oreille, lorsqu'elle lui avait annoncé sa grossesse, il avait fui aussi vite que son ombre. C'était hors de question qu'elle reproduise la même erreur, si elle devait à nouveau surmonter une épreuve aussi terrible que la perte d'un enfant, elle ne voulait pas être seule. Alors la réponse était simple, c'était non.

Le matou tigré disparut un moment, et Lune Givrée huma l'air, elle reconnut le fumé léger d'un rongeur, et ses doutes se concrétisèrent lorsqu'il revint un butin dans la gueule qu'il déposa entre les deux camarades. Elle observa le corps maigre du mulot et se rendit compte que la saison des neiges arrivait à grand pas. La tension palpable entre les clans n'arrangeaient en rien la situation qui menaçait les Clans, elle soupira, fatiguée que la paisibilité des clans étaient un loin souvenir derrière eux.

« On partage ? »

Le sourire sincère et timide du jeune guerrier apaisa le cœur de Lune Givrée, après tout, elle venait de clamer qu'ils devaient vivre leur vie, ce n'était le temps de ruminer sur un futur inexistant. Le moment présent était plus important. Elle accepta d'un hochement de tête et pris une mince bouchée. Lune Givrée n'était pas une guerrière très gourmande, elle avait beaucoup maigris depuis la mort de Petite Plume, et elle avait pris l'habitude de se priver, prétextant qu'il fallait en laisser plus pour les anciens et chatons, alors qu'il y en avait bien assez pour tout le monde parfois. Elle savoura sa bouchée, qui malgré elle, lui soulagea l'estomac.

« Merci à toi. Elle laissa s'échapper un ronron satisfait et reconnaissant. Mais tu sais, je vais t'avouer quelque chose.. Elle regarda ses pattes, gênée. Je ne penses pas que je pourrais avoir à nouveau des chatons un jour. Ses yeux s'embua à nouveau de larmes, décidément la guerrière perle était bien émotive ce soir. Je n'ai pas envie de revivre la même chose. »

Et quand elle parlait de revivre la même chose, elle parlait non seulement, de sa mise bas éprouvante, mais aussi de sa longue période de deuil seule avec elle-même et  sans aucun soutien. Bien sûr les guerriers de son Clan avait su être compatissant au début, mais la mort d'un chaton, c'était assez commun malheureusement, et les membres des clans avaient pris pour habitudes de s'en remettre assez rapidement, contrairement à Lune, qui elle, n'avait toujours pas fini son deuil. Elle tourna brusquement la tête, elle ne voulait pas que Cœur de Pluie la voit à nouveau pleurer, alors qu'elle venait de sortir un discours encourageant sur le fait d'aller de l'avant. Mais à présent c'était une nouvelle peur qui la prenait. Et si elle ne pouvait jamais avoir de chatons et trouver un compagnon parce qu'elle était incapable de donner la vie ? L'amour s'arrêtait-il au fait de créer une famille, ou pouvait-il être plus fort et passionné que ça ? Elle n'en savait rien, elle n'avait jamais été réellement aimée, et avait eu le malheur de tomber bêtement amoureuse d'un mauvais bougre qui ne voulait rien de concret avec elle, dans le seul but de la séduire. Et si elle était condamnée à revivre exactement le même schéma ?

Mélancolie sous les étoiles.
Lune Givrée & Cœur de Pluie
Lune 1204


Lune Givrée prit une petite bouchée du mulot. Cœur de Pluie la regarda tendrement tandis qu’elle se restaurait, avant de prendre un morceau à son tour. Il ferma les yeux un instant, se délectant des saveurs qui se répandaient doucement sur ses papilles. Le mulot, peu courant sur les terres de l'Ombre, était de loin une de ses proies favorites. La nuit était toujours aussi agréable. Depuis combien de temps se tenaient-ils là, assis sous les étoiles ? Leur conversation était loin d’être joyeuse, pourtant elle soulageait son cœur et apaisait ses tourments. Ici, au milieu des ombres, ils étaient deux âmes hors du temps. Loin des responsabilités, loin des rivalités claniques. Au fond de lui, il souhaitait que cette nuit ne se termine jamais.

« Merci à toi. Mais tu sais, je vais t'avouer quelque chose.. Je ne pense pas que je pourrais avoir à nouveau des chatons un jour. Je n'ai pas envie de revivre la même chose. »

Cœur de Pluie releva la tête et contempla la reine d’un air désolé. Sa voix était douce, comme la pluie sur la terre meuble. Elle fixait ses pattes. Le jeune mâle s’en voulut. En évoquant des futurs chatons, il espérait simplement lui remonter le moral, la soulager un peu de son fardeau. Il n’avait pas pensé que son traumatisme l’empêcherait de se projeter à nouveau dans une maternité. À bien y réfléchir, cela semblait plutôt logique. Ses yeux brillaient de larmes mais elle détourna soudainement la tête, comme pour se cacher. Le chasseur ne réagit pas tout de suite. Il ne voulait pas la brusquer, il ne voulait pas la forcer à penser à tout ça. Il devinait pourtant qu’elle n’avait pas besoin de lui pour ça, qu’elle devait déjà y penser tout le temps depuis ce jour maudit, et que rien ne pouvait lui enlever l’image du corps sans vie de sa fille.

Il pris son temps, humant les parfums alentour. Il regarda une nouvelle fois la Toison Argentée. Sa lueur avait faibli. L’aube ne tarderait sans doute plus. Il enterra les restes du mulot, remerciant intérieurement leurs ancêtres pour la vie de cette proie. Enfin, il se leva, et vint se placer là où Lune Givrée avait tourné la tête. Il plaça son museau sous son menton, avec toute la douceur dont il était capable, pour lui faire relever la tête. Il planta ses yeux dans les siens. Ce vert pâle était obsédant. C’était le même vert que les jeunes bourgeons une fois le printemps venu. Ce regard, si grand, si beau et pourtant si triste, évoquait le retour des oiseaux et la renaissance de la vie. Les nuances de gris dedans chatoyaient, comme le reflet de la lune sur la mer. Oui, ses yeux étaient comme la mer, changeante et insaisissable, et l’espace d’un instant, Cœur de Pluie voulut se noyer dedans. Comment un simple regard pouvait-il évoquer tant de choses ? Il n’en savait rien, et en eût le souffle coupé. Il faillit presque oublier ce qu’il voulait dire. Il prit une grande inspiration.  

« Je ne peux pas te dire que je te comprends. Excuse-moi, c’était maladroit de ma part d’affirmer que tu aurais de nouveau des petits. Si tu ne veux plus avoir de chatons, c’est ton choix, tout aussi honorable qu’un autre. » Il marqua une pause, choisissant ses mots avec soin. « Mais si la seule raison qui t’en empêche est la peur, dans ce cas … »

Il laissa sa phrase en suspens. Il ne savait pas comment la terminer. Après tout, qui était-il pour lui affirmer que sa peur était un frein à son bonheur ? Non, il ne pouvait tout simplement pas lui dire ça. Il baissa les yeux. Le parfum réconfortant de Lune Givrée flottait autour de lui. Il se sentait bête à présent, avec son discours inachevé. Voilà pourquoi il n’aimait pas parler, ça finissait toujours mal, il s’y prenait n’importe comment et vexait ses amis. Mais tout de même, il ne voulait pas rester sur cette note négative, alors, d’une voix mal assurée, il osa enfin le compliment qui lui brûlait les lèvres depuis qu’il l’avait rejointe sur cette petite colline.

« Tes yeux … tes yeux sont vraiment somptueux, Lune Givrée. »

Lune Givrée fixait toujours ses pattes, elle renifla honteuse, elle se sentait si faible. Pourquoi la vie pouvait être si difficile parfois ? Elle n'avait pas non plus beaucoup de lunes de vie, et pourtant, il lui semblait qu'elle vivait depuis des lustres, comme ci, la douleur imparable qui lui broyait l'estomac avait toujours été là. Elle ne se souvenait plus de la dernière fois qu'elle avait été heureuse, le sera-t-elle à nouveau un jour ?

Cœur de Pluie se rapprocha d'elle, dans un mouvement furtif, il se positionnait à présent de son côté droit, elle fut surprise lorsque celui-ci approcha son museau du sien, durant un moment, elle crut autre chose, mais ce fut une toute autre action qui se produis. Dans un geste empli de douceur, il lui releva la tête, et elle eut à nouveau la toison argentée dans son champ de vision. Elle esquissa un sourire timide, et contempla le ciel. Celui-ci prenait des teintes pourpre, et la lumière des étoiles faiblissaient lentement. L'aube n'allait pas tarder à pointait, une rosée cristalline s'installa sur la colline, et venait figée avec elle, le décor. Le matou tigré plongea son regard dans le siens, et elle se prit à admirer ses pupilles jaune tirant sur des tons presque dorés, leur donnant une teinte précieuse et envoutante. Elle avait l'impression que le soleil lui même était prisonnier dans ses yeux. Elle esquiva son regard, mal à l'aise de le fixer aussi longtemps, pendant que lui même semblait être pris dans ses propres yeux vert d'eau pâle, où les larmes venaient y ajouter des étincelles de lumières mélancoliques.

« Je ne peux pas te dire que je te comprends. Excuse-moi, c’était maladroit de ma part d’affirmer que tu aurais de nouveau des petits. Si tu ne veux plus avoir de chatons, c’est ton choix, tout aussi honorable qu’un autre. » Il marqua une pause, choisissant ses mots avec soin. « Mais si la seule raison qui t’en empêche est la peur, dans ce cas … »

Dans ce cas ? Il laissa sa phrase en suspens et Lune Givrée ressentit de la frustration, elle aurait tant aimé qu'il finisse ses paroles, et lui redonne une once de courage pour affronter le monde qui l'effrayait tant, elle se sentait si petite sous ce ciel immensément infini. Le matou ne se détacha à aucun moment du regard de la jeune guerrière perlée, et ses joues rougirent lorsqu'il ajouta ;

« Tes yeux … tes yeux sont vraiment somptueux, Lune Givrée. »

Un hoquet de surprise s'échappa de sa gorge, elle s'attendait à tout sauf ça. Le guerrier venait-il de la complimenter ? Elle bouillait de honte, et ne savait pas quoi faire, quelqu'un l'avait-il déjà regarder comme ça ? Maladroitement, elle changea de sujet, elle ne savait qu'elle était la marche à suivre dans ce genre de moment, elle n'était pas du genre à entreprendre quoi que ce soit, surtout depuis sa dernière expérience avec ce mâle mal attentionné. Elle ravala sa salive et lança, timidement.

« Tu.. tu n'as pas à t'excuser, après tout, comme tu dis, c'est une épreuve qui... qui est propre à moi. Elle bafouillait, mal à l'aise. Je ne souhaite jamais que ça t'arrive à toi, et ta future ou actuelle compagne.. Après tout elle ne savait pas si le cœur du guerrier appartenait à quelqu'un. Elle ne pouvait pas se permettre d'être ambigüe envers lui. Je.. je n'ai plus envie d'avoir de chatons avec quelqu'un qui ne serait pas capable de m'aimer et de me soutenir. Le.. Le père de Petite Plume était un mâle séducteur, et il m'a eut dans son jeu, j'ai été naïve. Lorsqu'il a apprit que j'attendais des petits, il m'a abandonné, et il a été encore plus cruel lorsqu'il a sut pour la mort de Petite Plume, il m'a accusé d'être une incapable et qu'il n'aurait jamais dû flirter avec moi.. Elle ne savait pas pourquoi elle déblatérait tout ça maintenant, peut-être que la tension qui s'exerçait entre les deux guerriers, était palpable, il ne m'a jamais aimé.  »

Une lueur triste dansait dans les yeux de Lune Givrée, quand est-ce qu'elle allait cesser d'être si fragile ? Elle se surprise à détaillé les yeux du guerrier, oui c'était bel et bien un soleil dans ses iris, un soleil couchant aux rayons orangés et dorés.

« Les... Les tiens sont très bien, aussi. »

Sont très bien ? Mais qu'elle maladroite et empotée qu'elle était, elle n'était même pas capable de retourner un compliment correctement. L'odeur chaude du guerrier l'apaisait et elle avait envie d'y engouffre son museau et de se blottir contre lui, mais elle n'oserait jamais un geste pareil, comme aucun autre d'ailleurs.

Mélancolie sous les étoiles.
Lune Givrée & Cœur de Pluie
Lune 1204


La réaction de Lune Givrée fut … déroutante. En même temps, à quoi s’attendait-il ? Cœur de Pluie s’éloigna un peu d’elle pour la laisser respirer.

« Tu.. tu n'as pas à t'excuser, après tout, comme tu dis, c'est une épreuve qui... qui est propre à moi.  » Le guerrier constata qu’elle semblait avoir les mêmes difficultés que lui à s’exprimer. Il sentait que s’il lui parlait de ses angoisses concernant son manque d’éloquence, de son manque de confiance en lui et de son désir de faire ses preuves, elle le comprendrait. « Je ne souhaite jamais que ça t'arrive à toi, et ta future ou actuelle compagne..  »

Une compagne ? Lui ? Il n’y avait jamais pensé. Il ne s’était jamais intéressé à ces choses-là. Il doutait même que quelqu’un puisse réellement s’intéresser à lui en dehors de ses devoirs envers le clan. L’amour de sa défunte mère et de son frère semblait aller de soi. Ils étaient liés par le sang. Et bien qu’Hiver Ensoleillé et lui ne s'adressaient quasiment plus la parole, ils étaient frères. De même l’attention que lui avait toujours porté Neige Éternelle ne tenait qu’au fait qu’il avait été son apprenti. Il y avait bien Dent de Sabre, leur lieutenant, qu’il considérait comme son ami. Mais l’amour d’une compagne, celui dont parlait Lune Givrée, c’était quelque chose de bien différent de tout cela. Il n’avait jamais envisagé de fonder une famille, d’aimer quelqu’un profondément, que cet amour résulte en la naissance d’adorables petits. En même temps, il n’était que lui. Un bon chasseur, un moins bon guerrier, certes dévoué corps et âme au clan et à ses devoirs d’escadron, mais qu’avait-il vraiment de plus à offrir ? Il n’était ni drôle, ni charismatique, encore moins jovial … Il n’avait jamais accompli de grands exploits. En somme, il ne se considérait pas vraiment digne d’admiration. Qui pourrait avoir envie de fonder une famille avec lui ? Et pourtant, l’idée germa dans cœur. Cette idée incongrue jusqu’alors, ne semblait plus si dénuée de sens. Pour lui qui avait toujours les idées noires, une famille, une compagne aimante et des petits ne seraient-ils pas une source de lumière constante ? Il chassa cette pensée aussi vite qu’elle était apparue. La question restait la même. Qui pourrait bien vouloir de lui ?

« Je.. je n'ai plus envie d'avoir de chatons avec quelqu'un qui ne serait pas capable de m'aimer et de me soutenir. Le.. Le père de Petite Plume était un mâle séducteur, et il m'a eut dans son jeu, j'ai été naïve. Lorsqu'il a apprit que j'attendais des petits, il m'a abandonné, et il a été encore plus cruel lorsqu'il a sut pour la mort de Petite Plume, il m'a accusé d'être une incapable et qu'il n'aurait jamais dû flirter avec moi.. Il ne m'a jamais aimé.  »

Cœur de Pluie était abasourdi. Ce récit poignant lui transperçait le cœur. Il sentit une colère froide l’envahir. Comment pouvait-on se montrer aussi insensible face à la mort, aussi sourd à la souffrance ? Comment quelqu’un pouvait-il être aussi cruel et froid dans une situation comme celle-là ? Comme si la pauvre guerrière ne se sentait pas déjà assez coupable … Qui pouvait bien vouloir lui faire du mal à elle. Le matou tigré la détailla une fois de plus. Elle se tenait là, face à lui, élégante et simple, d’une beauté émouvante. Il ne s’expliquait pas comment elle pouvait sembler à la fois si forte et si vulnérable, si fragile. Si ç’avait été lui à la place de ce mâle … Il aurait veillé jour et nuit à ses côtés pour la soutenir, se privant d’eau et de nourriture pour ne pas la quitter des yeux un seul instant. Il aurait défié quiconque de manquer de tact en sa présence, il l’aurait protégé du monde extérieur. Il aurait été simplement là pour elle, une présence réconfortante, une épaule sur laquelle pleurer, une oreille pour écouter, un cœur pour que la douleur soit partagée. Mais ce n’était pas lui. Ce chat égoïste n’avait-il donc aucune conscience de la chance qu’il avait ? Lire de l’amour dans ces yeux verts d’eau … Et bien, cela devait valoir plus que n’importe quoi d’autre.

Quel idiot !

« Les... Les tiens sont très bien, aussi. »

La voix de Lune Givrée le sortit de ses pensées. Il lui sourit en guise de remerciement, son récit lui ayant momentanément ôté la capacité de parler.  

Les premiers rayons du soleil percèrent finalement à l’horizon. La lumière qui venait chasser l’obscurité, faisant écho à ses pensées sur sa situation sentimentale. Et s’il était resté dans l’ombre assez longtemps ? N’était-il pas temps de laisser une lueur d’espoir éclaircir sa vie ?  
Il tourna doucement la tête vers la jeune reine. Les tâches blanches sur son pelage perle étaient teintées du rose pâle de l’aurore. Les étoiles étaient de moins en moins visibles. Bientôt, il leur faudrait retourner au camp, là où les appelaient leurs responsabilités respectives. Un sublime dégradé allant du pourpre au corail illuminait le ciel. Le cœur du guerrier fut emplit de déception. Quel malheur qu’une aube aussi majestueuse annonce la fin de ce moment magique.

« Je .. Je suis bien ici, avec toi. »

Il aurait aimé choisir d’autres mots pour le lui dire, de beaux mots. Mais face à sa beauté à elle, il se sentait bien incapable de les trouver.

Les premiers rayons du soleil percèrent le jour, déployant avec lui, toute sa beauté aux couleurs chaudes, rose, orangée et doré. La vallée s'éclaira, faisant scintiller les gouttes de rosées, les étoiles n'étaient plus dans le ciel, elles s'étendaient tout autours d'eux, créant un royaume harmonieux où Lune Givrée et Cœur de Pluie en étaient les roi et reine à cet instant. Le visage jadis triste de Lune Givrée laissa place à de l'émerveillement, ses yeux s'ouvrirent grands, elle resta estomaquée devant ce spectacle dont elle ne lasserait jamais. Les levés de soleil, c'est ce qu'elle préférait, voir l'astre lumineux se frayait un chemin dans les cieux pour veiller sur la vallée. Elle ronronnait de plaisir, à cet instant, elle se sentait si vivante.

« Je .. Je suis bien ici, avec toi. »

Le guerrier tigré brisa le silence, il l'observait, toujours avec cette expression si douce et bienveillante. Elle se laissa transporter par les émotions qui l'assaillaient, des émotions qu'elle n'avait pas ressentit depuis si longtemps qu'elle arrivait à peine à les définir. Elle se sentait légère, comme envelopper dans un cocon protecteur où rien ne pouvait lui arriver. Elle avait ce sentiment que cette nuit, avait changée quelque chose à sa vie. Elle avait eu une vraie conversation avec une personne attentive et bienveillante. Cœur de Pluie était un ami idéal, il semblait dévoué et généreux, elle n'aurait pu souhaiter meilleure compagnie que la sienne.

« Je .. Je pourrais rester là avec toi, toutes les nuits jusqu'à contempler les levés du soleil. »

Quoi ?! Elle avait vraiment sortit ça comme ça ? Pour qui se prenait-elle au juste ? Elle était morte de honte, et voulait s'enterrer six pieds sous terre tellement elle se sentait ridicule. Cœur de Pluie avait surement mieux à faire que de vouloir rester avec elle tout les jours de sa vie à regarder l'aube se lever. Elle plaqua ses deux oreilles avec ses pattes avant pour se cacher les yeux. Elle savait qu'à ce moment, elle rougissait fort, et qu'il verrait sa tête et prendrait peur quand à ses attentions. Lune n'était personne, juste la guerrière triste et isolée du Clan de l'Ombre, personne ne faisait attention à elle, alors pourquoi quelqu'un d'aussi charismatique et loyal que Cœur de Pluie s'intéresserait à elle ? Et puis, elle venait de lui avouer qu'elle ne voulait surement plus d'enfants. Avec cette information, personne ne pouvait projeter un avenir avec la guerrière couleur perle.

Mélancolie sous les étoiles.
Lune Givrée & Cœur de Pluie
Lune 1204


Leur échange de regard avait quelque chose d’hypnotique. Cœur de Pluie avait le plus grand mal à se concentrer sur quoi que ce soit d’autre. Le soleil levant, la rosée scintillant sur les fougères, le ronronnement doux et régulier de Lune Givrée … Le chant d’un passereau vint achever de rendre le cadre idyllique.

« Je .. Je pourrais rester là avec toi, toutes les nuits jusqu'à contempler les levés du soleil. »

Le cœur du guerrier gris fit un bond dans sa poitrine. Il n’était pas sûr de bien comprendre. Il avait peur, tellement peur de mal interpréter ses propos. Il venait de passer une des plus belles nuits de sa vie. Une petite voix au fond de son être lui disait qu’il pouvait faire en sorte que cette nuit ne soit pas la dernière. Il tenta d’arrêter de penser un instant. … Bon, ça ne menait à rien. Il aurait simplement voulu y voir plus clair. En une nuit seulement, il avait reconsidéré énormément de choses concernant sa façon de vivre.

Cela lui semblait complètement improbable. Comment avait-il pu passer tant de temps à vivre aussi près de la chasseuse perle - partageant un clan, une tanière, des expéditions de chasse et des patrouilles - sans jamais comprendre qui se cachait derrière ce beau visage ?

Cette âme en peine, perdue et esseulée, presque invisible. Personne n’avait pris le temps d’aller la voir, de s’assurer qu’elle allait bien, qu’elle s’en sortait. Personne ne semblait s’inquiéter du fait qu’elle ne s’était jamais remise de la perte de sa fille, qu’elle ne s’en remettrait sans doute jamais.

Pluie ne savait pas qu’il était possible de s’attacher à ce point à quelqu’un en l’espace d’une seule nuit. Venir quérir ici un peu de solitude était probablement la meilleure décision qu’il ait prise depuis longtemps. Il n’y avait pas trouvé la solitude, mais il avait gagné bien plus important que ça. Quelque chose qu’il n’avait jamais espéré avoir.

« Lune Givrée je .. » Une fois encore, elle lui faisait perdre ses mots. Il voulait savoir qui elle était au-delà de son traumatisme. Quel coin du territoire de l’Ombre préférait-elle ? Quelle était sa proie favorite ? Avait-elle le moindre souvenir de Cerfblanc ? Était-elle plutôt douée au combat ou à la chasse ? Un tourbillon de questions sifflait dans la tête du chasseur tigré et il se retint de toutes les poser d’un coup. Les questions pouvaient attendre. Ils auraient bien d’autres nuits pour ça. Du moins, il l’espérait. « Je sais que la perte de Petite Plume est un fardeau que tu porteras jusqu’à la fin de ta vie … mais ça ne veut pas dire que tu dois le porter seule. »

Il plongea une fois encore dans l'océan qu'était son regard, souhaitant que ce moment de partage s'éternise encore un peu.

Alors que les expressions du guerrier se bousculèrent sur son visage, Lune Givrée ne put s'empêcher de le trouver adorable, il y avait quelque chose de doux en lui, lorsqu'elle était en sa présence, il y avait un halo d'apaisement qui la submergeait et c'était comme une caresse délicate sur sa joue. Elle se surprit à l'admirer, il était humble, mais aurait tellement pu s'imposer dans ce monde, c'était un guerrier fidèle et toujours partant, il avait bon fond. Lorsqu'elle repensait à toute ses lunes passées dans le même Clan que lui, il lui semblait que Cœur de Pluie ne contestait jamais une tâche et se montrer toujours partant pour aider, malgré tout, il restait discret et modeste, et c'était une qualité qui le rendait d'autant plus intéressant.

A la lueur des premiers rayons, la fourrure grise tigré du matou s'éclaira dans des teintes argentée, elle était impressionnée par ces nuances de couleur qui jouait avec les rayures de son pelage, comme si elle ondulaient lentement, et Lune Givrée n'arrivait plus à détacher son regard des motifs envoutants de la robe du guerrier. Pourtant, en sentant le regard du guerrier qui l'embrasait de son intensité, elle prit le risque de le croiser. Et lorsque ses yeux verts d'eau se plongèrent dans ceux or du guerrier, elle eut une bouffée de chaleur. Ses yeux étaient comme deux joyaux illuminé, scintillant d'or et de léger reflets orangés, le soleil était bel est bien prisonnier à l'intérieur, maintenant Lune Givrée en était persuadée.

« Lune Givrée je .. »

Encore ce suspense qu'il aimait tant faire peser entre eux, elle avait envie de le brusquer soudainement pour lui faire cracher les mots de la bouche, mais elle devait garder le contrôle sur ses émotions, ils étaient pratiquement face à face, leurs regards s'affrontaient frénétiquement, et leur corps tendus par la tension palpable, leur donnaient l'impression d'être figés dans le décor, il y avait quelque chose de fantaisiste dans cette scène.

« Je sais que la perte de Petite Plume est un fardeau que tu porteras jusqu’à la fin de ta vie … mais ça ne veut pas dire que tu dois le porter seule. »

Elle resta d'abord bouche bé, ses pensées fusaient dans sa tête tel des puces affamées, elle n'était pas sure de bien interpréter ses paroles.. Qu'elle ne devait pas le porter seule ? Mais c'était son fardeau.. Qui serait assez fou pour avoir à subir ça avec elle. Elle s'imagina portant une charge lourde sur ses épaules, suivant un chemin escarpé où des aiguilles de pins venaient se loger dans ses coussinets, elle ne trouvait plus son souffle et avait du mal à tenir la cadence, puis soudain, un corps plus lourd la soulageait brusquement d'une moitié du poids, lui donnant un peu de légèreté. Elle retrouvait peu à peu son souffle et ses membres respiraient. Lorsqu'elle se projeta cette image. Elle ne voyait qu'un chat capable de lui apporter une chose pareille dans la réalité actuelle, Cœur de Pluie était un ami idéal, elle comprenait désormais qu'elle pouvait réellement compter sur quelqu'un. Mais une pensée saugrenue lui titillait la tête, elle n'éprouvait pas que de l'amitié à son égard, elle s'en rendait bien compte. Lune éprouvait une forte attirance face à lui, et elle se rendait compte qu'il avait été là tout ce temps sous son nez sans que jamais elle ne puisse le voir, trop préoccupée par ses problèmes, tout ce temps, elle aurait pu avoir un ami sur qui compter et qui aurait pu lui réapprendre à vivre pleinement, et qu'à la place, elle avait passé son temps à se lamenter.

Elle se sentait presque égoïste, et lui que voulait-il ? Qu'est-ce qui le faisait vibrer dans ce bas monde ? Qu'est-ce qu'il projetait dans sa vie ? Quel était son passé ? Souffrait-il lui aussi ? Il avait perdu une personne pour qui il avait éprouvé beaucoup de respect et d'admiration, ça devait être difficile.

Lune Givrée se jeta subitement dans ses bras, elle avait comme envie d'avaler toute la peine en lui et de la jeter plus loin, au lieu de cela elle serra sa poitrine contre la sienne, dans l'espoir que les battements de son propre cœur apaiserait le sien. Leurs fourrures s'entremêlèrent, et chaleur irradia de leur corps, faisant barrage à la brise glacial du matin.

Alors que leur tête était dangereusement proche, elle murmura ;

« J'aimerais que cet instant soit gravé pour toujours dans ma mémoire. »

Mélancolie sous les étoiles.
Lune Givrée & Cœur de Pluie
Lune 1204


À en juger par l'expression de Lune Givrée, Cœur de Pluie sut que sa proposition déguisée l’avait déstabilisé. Elle semblait réfléchir à toute vitesse.

Il s’attendait à tout, sauf à ce qui suivit.
Elle aurait pu se braquer, se vexer devant l’audace de ses propos. Elle aurait pu ne rien dire, ne rien faire. Elle aurait pu changer de sujet, gênée, lui dire qu’il était temps qu’elle s’en aille. Elle aurait pu sourire, ou pleurer. Elle aurait pu continuer de le fixer de ses doux yeux.
Mais elle ne fit rien de tout ça. La guerrière se jeta sur lui et vint se lover tout contre son poitrail.

Et Cœur de Pluie sut à ce moment-là que dans chacune de ses actions, elle le surprendrait et surpasserait ses attentes. Il compris qu’il était foutu, parce qu'après une simple nuit, il savait qu’il ne pouvait plus se passer de sa présence. Son contact soudain fut comme la foudre sur un arbre et embrasa son cœur d’un feu inextinguible. Ému, il savoura la chaleur de son corps contre le sien, s’enivra de son odeur réconfortante. Il n’entendait plus rien que leurs ronronnements et les battements de leurs cœurs.

« J'aimerais que cet instant soit gravé pour toujours dans ma mémoire. »

Il ronronna de plus belle et se pressa un peu plus contre sa fourrure perle. Le soleil était bien visible désormais, quoique toujours bas, inondant l’horizon d’une lumière rougeoyante radieuse. Au-dessus d’eux, le ciel était d’un bleu de plus en plus clair. Ils allaient devoir rentrer, rompre la magie.

Cœur de Pluie plaça son front contre celui de Lune Givrée, comme pour l’aider à réaliser son souhait. Lui non plus ne voulait jamais oublier cet instant.

« Profitons encore un peu de ce moment, avant de rentrer … »

Il avait murmuré ses quelques mots, de peur de briser leur étreinte s’il haussait trop la voix. Ce qu’il lisait dans les yeux de Lune Givrée l’intimidait autant que ça le rendait confiant. Pour la première fois depuis de nombreuses lunes, il se sentait en paix.

Et ils restèrent encore un peu, enlacés sur cette petite colline, à contempler la beauté du soleil levant.

[fin du rp]