Heal what has been hurt - Saule Pleureur

Seulement cinq orties... Deux ails sauvages... Plus de feuilles d’oseilles... Les stocks de plantes avaient bien rapetissé, suite à la guerre. Saule Pleureur avait organisé la tanière tout à fait différemment, depuis le départ de Rose Délicate. Non pas qu’elle était du genre à rendre invivable l’endroit, mais le nouveau guérisseur fonctionnait bien différemment. Il aimait avoir des repères à la fois visuels et olfactifs, ce qu’il avait plutôt bien réussi à faire en emménageant cette petite tanière. Si auparavant le sommeil au sein de la tanière des guerriers était difficile, il l’était un peu moins ici, seul avec ses pensées. Des songes qui ne cessaient de l’épuiser, car ils prenaient de la place et apparaissaient en nombre dans son esprit. Un miaulement le dérangea, mais il n’y fit que peu attention, trop occupé à faire la liste mentale de ce qui lui manquait et de ce qui, au cas où, pourrait être utile. Quelques minutes de silence s’écoulèrent, durant lesquelles on pouvait entendre le large matou gris marmonner pour lui-même. Ainsi, il finit par se tourner vers la source du bruit, l’air las et fatigué. Il le reconnût. Il ne s’intéressait pas à grand monde, mais il n’oubliait jamais ses erreurs.

Une infection d’une violence rare. C’est ce qui avait brutalement eut raison du père de cet enfant qui, sous ses yeux, proposait son aide. A sa place, Saule Pleureur aurait préféré mourir plutôt qu’aider quelqu’un qui avait commis une erreur aussi fatale. En réalité, ce n’était pas une erreur. Simplement un manque de chance. Une maladie bien trop rapide. Les remèdes étaient les bons, mais ils ne faisaient que le soulager. Sa mort était certaine. Mais malgré tout, le guérisseur persistait à croire qu’il aurait pu faire quelque chose. Qu’il aurait pu arracher son âme de la Toison Argentée pour la faire revenir sur terre. Il aurait dû avoir ce pouvoir. A quoi bon être soigneur si c’était pour faire face à des cadavres ? Ce jour-là, face au regard vitreux du guerrier, il était resté impassible. La mine grave. Le regard perdu... Plein de froideur. Il avait été en colère, contre lui-même et toutes les forces extérieures qui l’avait poussé vers cette situation. Il revint à la réalité, faisant face à l’apprenti à la robe brune.



Il ne prononçait pas souvent le nom des siens. Mais lui, ce petit, il lui devait un minimum de respect. Pour son père, mais pas seulement. Il avait la réputation d’être un bon novice, ce qui lui octroya le rang de représentant. Ce n’était pas rien, à cet âge-là. Il saluait son sérieux. L’énorme matou se leva, étirant ses pattes avant, d’un signe de la queue, de l’inviter à le suivre. Saule Pleureur n’était guère des plus loquaces. Il l’était un peu plus avec Pin Sylvestre, de par leur liaison particulière. Il était son jumeau après tout, comme une véritable partie de lui, quoiqu’il puisse bien en dire. Il laissa échapper un long bâillement, répercussion d’une énième nuit blanche. Le soleil filtrait à peine entre les nuages, signe que l’aube pointait tout juste le bout de son museau. Il lança une œillade au plus petit derrière-lui :



Il fit craquer son cou avant de sombrer dans le tunnel menant à l’extérieur du campement. Il n’accorda pas un regard aux gardes, ni même un bonjour. Il n’était pas de ceux qui prétendaient. Bien que guérisseur, il restait le même. L’herboriste en lui sommeillait, mais était bien là. Un guerrier farouche. Une âme tourmentée. Si les étoiles lui avaient pardonné, il douta des pensées de ce novice. Il aurait toutes les raisons du monde de le détester. Il se fichait qu’on le déteste, mais il ne pouvait s’empêcher de se détester lui-même. Ses pas le menèrent tout naturellement à un petit coin d’herbes tout près du camp. Il n’était pas son apprenti, mais...



Il se pencha pour en attraper dans sa gueule, creusant un petit trou pour les loger. En voilà déjà un de fait. Il cocha mentalement ça sur sa liste et fit un signe de tête pour l’encourager à continuer. Ils allaient sans doute devoir faire le tour du territoire, peut-être même aller en terres libres... Il n’allait pas lui faire franchir les frontières. Le petit restait un novice. C’était trop dangereux, ces temps-ci... Sans véritablement y mettre les formes, car ce n’est pas de son genre, il lança :



Cela pouvait sonner comme une menace, mais c’était une grande preuve d’empathie et d’amour pour Saule Pleureur. Bien que ce n’était pas très... clair.

C’était ce qu’il avait dit, le guérisseur. Il avait semblé agacé, à bout de force. Il n’arrivait pas à comprendre ce qu’il lui manquait. Ce guerrier était plein de vitalité, de puissance... N’y avait-il donc aucun remède ? Aucune prière qui suffirait ? Les Étoiles, parfois, étaient égoïstes. Elles ouvraient leurs portes trop facilement, s’était-il dit. Saule Pleureur avait toujours eu ce rapport ambivalent aux Étoiles, entre crainte, admiration et amertume. Ça n’avait pas été facile pour lui de devenir guérisseur. Parce qu’il avait conscience qu’ils devaient agir en leurs noms, mais il lui arrivait de ne plus en avoir envie. Leurs décisions ne lui plaisaient pas toujours. C’était étrange pour certain, mais un guérisseur ne se remettait jamais d’une mort. C’était un poids qu’il gardait, un nom qui resterait ancré. Une nouvelle à annoncer, une famille à conseiller... Une silhouette de plus dans la Toison Argentée. Sans doute était-ce parce qu’il avait lui-même perdu ses parents qu’il ressentait une sorte d’empathie pour Nuage Silencieux. Il lui ressemblait, quelque part. Néanmoins, lui, ne s’était pas laissé aveugler par la colère.

Le grand gris observa son cadet s’atteler à sa tâche, un peu maladroit, peu confiant. Il ne le reprit pas, se contentant de son côté d’en récolter un peu aussi. Le goût des plantes, on ne s’y habituait jamais vraiment. C’était une odeur qui, pour le museau d’un guérisseur, ressemblait à celle de la mort. Il avait appris à oublier que s’il récoltait tout ça, c’était parce qu’il savait que des malheurs surviendraient. Il se souvenait de sa vision, elle était nette et toujours aussi terrifiante. Nuage Silencieux répondit, d’un ton calme, avec douceur, qu’il ne lui en voulait pas. Elle était là, la différence entre les deux venteux. Saule Pleureur sourit à moitié, soufflant du nez. Les jeunes étaient différents, plus les lunes passaient et plus, ils s’apaisaient. Les mœurs étaient peut-être en train de changer. Les esprits s’élargissaient. Il ne savait pas si c’était une bonne chose, mais il était certain que l’évolution était primordiale. La mort de Plume d’Été aurait pu être évité. Comme celles de nombreux autres guerriers. L’apprenti ne s’en rendait sans doute pas encore compte, mais les félins ne devaient pas mourir pour de telles choses. C’était absolument contre-productif. Si le guérisseur s’attelait toutes les lunes à récolter des plantes, à confectionner des remèdes, ce n’était pas pour soigner de futurs cadavres. Le petit rictus du novice lui fit rouler les yeux au ciel. Cette candeur lui manquait parfois.


Il lui fit un signe de la queue, le guidant à travers la lande. Il y avait une certaine légèreté dans l’atmosphère. Saule Pleureur n’était pas autant aux aguets qu’à son habitude. Plus depuis qu’il avait été nommé guérisseur. Il restait tout de même digne de lui-même. Il ne l’avouera pas, mais s’il n’avait pas vu sa mère il aurait peut-être fini par... quitter son Clan ? Ils parcouraient le territoire côte à côte, jusqu’à arriver aux falaises. Il passa au travers d’un large buisson, derrière lequel on trouvait un chemin moins difficile. Ainsi, ils grimpèrent. Jusqu’à arriver aux sommets. L’horizon se déployait à perte de vue, le bruit des vagues n’étaient plus qu’un écho. Cet endroit était certes celui qui avait tué sa mère, mais c’était aussi celui qui le rapprochait le plus d’elle. Il se coucha, léchant sa patte en s’exclamant :


Car il les avait vus, lors de sa vision. Il en avait vu beaucoup. Des chats qu’ils connaissaient de plus ou moins loin. Mais certains visages ne s’oubliaient pas, notamment ceux de ses patients décédés. La Guerre avait été dévastatrice, autant pour les vivants que pour les morts. C’était une sombre période. Il se souvenait sans mal de sa colère envers la Rivière et l’Ombre. De ses pattes remplies du sang de Mélodie des Étoiles. Du lieutenant de la Lune et de son chef, qui avaient rompu leur éternelle neutralité.



Il pesta doucement, se relevant pour s’étirer.



Il avança un peu vers un buisson, cueilli quelques plantes qui ne poussaient que dans les hauteurs, et pivota un peu vers Nuage Silencieux.