Il s’agit de cette heure. Le moment du partage est fini, et après les joyeuses conversations autour de poissons fraîchement pêchés chacun peut se retirer dans sa tanière. Une attention particulière est portée sur les chatons et les apprentis afin qu’ils regagnent bien l’abri des roseaux entremêlés, et les voilà tous regroupés dans cet espace exigu, et les conversations non terminées du repas continuent, ici cet apprenti qui se vante de ses progrès de pêche, là deux autres qui jouent en se partageant leurs dernières nouvelles techniques de combat apprises, roulent dans la mousse et font du désordre.

Mythe Nuageux sent vite les sons se brouiller autour de lui, créer une mixture pâteuse qui lui hurle dans les oreilles. Le monde tourne et il manque d’air. Il se faufile au dehors, fixe un point sombre sans vraiment le voir. Il fait seulement le vide dans son esprit, apprécie ce vide, juste pour un instant. Il savoure les murmures du silence, les clapotis de l’eau, il imagine avec ces sons tout un monde aquatique, des animaux étrange sortant la nuit dans la rivière, des plantes imaginaires rampant sous l’eau … Et il sursaute, manquant presque de basculer dans le vide lorsqu’une voix s’élève derrière lui. Il a lâché un petit cri, espère que ça ne s’est pas entendu. Mais il aurait reconnu la voix entre mille et il est heureux de l’entendre alors il se retourne tout de même, car ce n’est pas une rencontre qu’il veut éviter, au contraire.

Il est souvent compliqué pour Mythe d’être avec d’autres chats, mais pas avec sa sœur. Il n’a pas à sans cesse devoir se rappeler de sourire, de parler, d’être drôle, d’être poli… Non, même s’il a parfois peur qu’elle se vexe ou s’ennuie et l’abandonne, il sait au fond de lui qu’il s’agit d’une peur irrationnelle car au fond, rien ne peut briser les liens du sang n’est-ce pas ? Alors il espère qu’elle l’aime autant que lui, du fond de son cœur, et laisse ses muscles tendus se relâcher et son esprit cesser de tourner en rond sur les mêmes pensées inquiètes. Il la laisse mener la danse et se laisse porter par la petite tornade qu’est Petite Légende. Son flot de parole ininterrompue l’amuse, sa curiosité est titillée aussi. Mais il est tiraillé : par les temps qui courent, les apprentis n’ont pas vraiment le droit de sortir seuls sans prévenir personne la nuit…

« Chuuuut, chuuut Légende ! Je ne sais pas si tu es au courant, mais si tu continues on ne risque pas d’aller nulle part. »

Comme d’habitude, ses mots ne sonnent pas comme il le voudrait, ils sont trop durs, trop froids, trop pressants, ce n’est pas comme ça qu’il voulait dire les choses. Il pose le bout de sa queue sur le museau de sa sœur pour l’inciter à baisser la voix de manière plus douce, par les gestes, c’est un langage qu’il maîtrise parfois mieux, mais il n’est pas assez à l’aise pour pouvoir l’utiliser avec tout le monde. Puis il regarde autour de lui d’un air inquiet, cherchant encore à se décider. Il ne veut pas s’attirer de problèmes, il ne saurait comment réagir à une punition. La vision de lui et sa sœur devant le promontoire à subir le courroux de Mélodie des Étoiles ou d’Éclat de Rire le terrorise. Mais s’il refuse, alors Légende ira sûrement seule… Et puis il rate une bonne opportunité de sortie avec sa sœur. Les entraînements ne leurs laissent pas beaucoup de temps à passer ensemble. Un tiraillement dans son cœur le pousse à accepter de la suivre. Elle lui manque… ? Oui, c’est cela qu’il ressent, elle lui manque sûrement. Alors après ce temps de réflexion auquel il faut de toute manière être habitués avec l’apprenti clair, il se décide finalement à prendre l’initiative, la suppliant du regard d’attendre qu’ils soient éloignés du camp pour parler, et se coule dans un coin de rivière peu profonde en prenant garde à ne pas faire de bruit afin de regagner rapidement l'autre côté de la berge.

«Dé-désolé, je ne voulais pas qu’on se fasse prendre tout à l’heure… Mon entraînement se passe bien, Royaume Illusoire est très gentil. »

C’était vrai, Royaume Illusoire était gentil. Parfois trop gentil, trop tactile aussi, trop bavard… Trop de tout, c’était parfois dur à suivre. Mais il restait bienveillant en toute circonstance, ce qui donnait à Mythe Nuageux une impression de bien faire, il était donc réellement heureux d u déroulement de son apprentissage. Mais il y avait quelque chose de bien plus intéressant pour le moment.

« Alors, c’est quoi le truc important à faire à la Grotte aux Murmures ? Esprit Vagabond t’a vraiment donné une mission secrète ? »

Il ouvre de grands yeux, imaginant Légende Nuageuse tellement talentueuse qu’elle se montrerait déjà digne de se voir confiée ce genre de mission. Mais après tout, tout semble tellement facile pour elle, cela l’étonnerait à peine, il n'y a qu'à voir comment elle est encore pleine d'énergie après une journée d'entraînement, elle sera pour sûr bientôt la meilleure des guerrières.

Il ouvre de grands yeux tandis qu’elle lui répond, tentant de comprendre les implications de ses paroles. Alors… Ils sont vraiment sortis en douce du camp sans l’autorisation de personne ? Oh là là. Un frisson passe dans son dos à cette idée. Et puis en même temps… Un étrange fourmillement parcourt ses pattes. Il est tiraillé entre l’envie de tenter de se montrer raisonnable et rentrer discrètement au camp avant que la nuit ne tombe complètement, et, de l’autre côté, celle de suivre sa sœur où elle voudra l’emmener. Après tout, ils ne partagent que peu de moments depuis leur nomination en tant qu’apprentis, toujours chacun occupés avec leurs entraînements respectifs. Si elle semble toujours bouillonner d’énergie, lui croule sous la fatigue tous les soirs, drainé par les journées entières passées auprès de Royaume Illusoire, à tenter de sans cesse se montrer sous son meilleur jour et repousser ses limites, sans avoir l’impression de ne jamais arriver à être à la hauteur. Il étouffe d’ailleurs un bâillement à cet instant, ce qui lui donne un peu le temps de peser le contre et le pour avant de se décider. Après tout, Légende a raison, si c’est pour s’entraîner ils ne devraient pas avoir de soucis, ce n’était pas une si grande bêtise ! Ils n’avaient de toute façon pas le temps de se voir ainsi à un autre moment qu’au soir.

« D’a-d’accord, je te suis. Mais on se dépêche hein ? S’il te plait, j’ai peur que quelqu’un donne l’alerte si on est trop longtemps absents. »

Il a un air un peu penaud en disant cela, comme s’excusant d’être le trouble-fête. Mais il n’y peut rien, il a toutes ces inquiétudes qui tournent sans cesse dans sa tête, et les membres de sa famille sont bien les seuls avec qui il ose les exprimer, au risque de les importuner. Docile, il suit donc sa sœur vers la plage, s’apaisant durant le trajet. C’est que la lueur dorée du soleil tombant se mélangeant au bleu nocturne qui s’empare peu à peu du monde est très jolie. Il se surprend même à hâter le pas, jusqu’à courir sur le sable vers l’immensité d’eau lorsqu’ils arrivent sur la plage. Le spectacle est magnifique. Il s’assoit un instant, oubliant la raison de leur venue, et la grotte toute proche qui les attend. Ici, il laisse simplement son esprit se calmer, et, pour une première fois, se vider. Il n’y plus rien, plus rien d’autre que lui et le soleil, et le chant régulier des vagues qui vient le bercer.

« Viens par-là Légende ! »

Il l’appelle avec enthousiasme, heureux de partager cet instant magique avec sa sœur simplement. C’est comme ça qu’il aime Mythe. Il n’a pas toujours les mots, parfois les gestes aussi viennent à lui manquer. Mais il y a les intentions, les proies qu’il offre parfois à sa famille, les regards qu’il pose sur eux, ou simplement les instants à partager. Il espère qu’elle profite du spectacle autant que lui. Lui, ça le fait rêver cette immensité d’eau. Ça lui donne le tournis aussi un peu, toute cette eau sans fond capable d’avaler le soleil tous les soirs. Alors que l’astre leurs offre ses dernières lueurs rougeoyantes qui s’éparpillent joyeusement entre les vagues, Mythe se demande quels autres spectacles magiques leur réserve le monde.

« C’est beau hein ? Quand on voit ça, c’est comme si plus rien n’avait d’importance. Je suis content que tu aies eu l’idée qu’on sorte, ça aurait été trop triste de rater ça. »

Il ne sourit pas, son air reste comme à son habitude peu expressive, mais son cœur est en joie. Oui, il remercie sa sœur de savoir le sortir de son trou. Puis il se rappelle la raison de leur visite et fini finalement par se hâter vers la grotte. Sans le soleil pour l’illuminer par la trouée rocheuse du haut, elle semble bien sombre, et le bruit des vagues décuplé en écho fait régner une ambiance mystique dans le lieu. Ils semblent presque être entrés dans un autre monde ici. Mythe frissonne un peu.

« Désolé de nous avoir fait perdre autant de temps. Je suis prêt ! Est-ce que tu as des techniques spéciales à m’apprendre ? »

Maintenant tout concentré sur le combat, Mythe attend impatiemment. Il s’imagine toujours que sa sœur est déjà un as dans l’art de la guerre et qu’il a tout à apprendre d’elle. Il se tient prêt, tel un apprenti attendant des directives de son mentor. Il est prêt à devenir un meilleur combattant pour le clan !

Il s’était laissé apaisé par le doux mouvement des vagues et les murmures de la grotte qui les entouraient, tels une coque protectrice qui les séparaient du monde. Les paroles rassurantes de Légende avaient fini par faire effet, et son esprit était moins focalisé sur le temps que durait leur escapade et les éventuelles remontrances qui les attendraient une fois de retour au camp. Il avait du mal à se faire au fait qu’ils étaient en train de commettre une bêtise, mais après tout, comme disait sa sœur, si personne ne se rendait jamais compte de rien… Ce serait comme s’ils n’étaient jamais sortis. Et puis, ça lui faisait une sensation de chaleur étrange au creux du cœur, cette petite confidence avec Légende, un secret qui serait bien gardé entre eux, un petit trésor de complicité.

Il attend à présent, ayant par avance pris la posture du petit guerrier prêt au combat, comme le lui avait montré Royaume Illusoire, les muscles bandés, le regard attentif. Le combat, il s’en était vite rendu compte, n’était pas la compétence sur laquelle le guerrier crème qui assurait son enseignement comptait passer le plus de temps. A vrai dire, leurs journées d’entraînements se transformaient plus souvent en balades qu’autre chose, même s’il sentait que le chat fournissait des efforts pour tenter de rester le plus classique possible et d’inculquer un savoir de manière pédagogique. Mais voilà, Mythe Nuageux ne pouvait s’empêcher de craindre de manquer encore plus d’expérience, lui qui avait déjà l’impression de manquer de toutes les qualités nécessaires pour être un guerrier digne de ce nom ! Au contraire de Légende, rapide et forte à la fois. L’attribution des rôles, elle le modèle, et lui l’élève s’impose donc pour lui tout naturellement. Il espère néanmoins qu’elle ne cherchera pas à inverser cela après. A cette pensée, il a l’impression que son esprit se vide de la moindre idée intéressante. Il ne saurait quoi lui montrer.

Il suit donc attentivement de l’œil les mouvements de l’apprentie bicolore lorsqu’elle plonge au ras du sol à toute vitesse vers un roseau, ennemi imaginaire désigné pour la démonstration. Il ouvre grand ses yeux, imaginant avec admiration le roseau comme étant un chat adverse féroce, et sa sœurette lui faucher aisément les pattes. C’est que ça lui avait l’air bien complexe tout ça. Légende semblait avoir des attentes assez hautes de lui, vu comment elle parlait de rapidité. Malheureusement, après l’avoir observée, Mythe se sent tout sauf rapide. Lourd et pataud, oui peut-être. Il se demande même s’il sera assez souple pour pouvoir recopier ses mouvements… Mais il prend une grande inspiration. Il ne veut pas la décevoir.

« Oui, je suis prêt. »

Il se place face à elle, reste immobile un instant, à essayer de calmer les battements de son cœur qui tremble d’anxiété. Dans sa tête, il se repasse en boucle les images de Légende lui expliquant les mouvements, tentant de s’imaginer les effectuer, de comprendre comment y réussir parfaitement. Enfin, il se lance, d’abord une impulsion en avant, puis il fond au sol, percutant l’apprentie sombre plus qu’il ne la fauche. Oh non ! Pour tenter de se rattraper, il donne quand même un coup de patte, là où auraient dû se trouver celles de Légende. Il réalise trop tard. Dans la confusion, il a oublié de garder ses griffes rentrées, et un mince filet de sang a giclé. Sans même comprendre où il l’a atteinte, il recule, horrifié. Un cri lui aurait échappé si cela avait été une réaction naturelle pour lui. Au lieu de cela, alors que tout s’affole dans son cœur et sa tête, il reste immobile, les yeux grands ouverts sur l’immensité de sa bêtise. Après un long moment finalement, un frisson vient le secouer tout entier, la parole lui revient.

« Je suis désolé, je ne voulais pas… ça va ? Pardon. J’aurai dû m’entraîner sur le roseau aussi avant. Tu peux le faire sur moi avec les griffes sorties aussi, je ne vais pas bouger. Et tu pourras t’entraîner aussi comme ça, enfin même si je sais que tu n’en as pas vraiment besoin. »

Tout se mélange un peu dans sa tête et ses paroles, et bien que le sang qui a coulé se soit vite tarit, il a l’impression que l’immensité du ciel et de la mer vient de lui tomber sur la tête, que la grotte s’est écroulée sur eux, et que c’est de sa faute.

Il s’est plongé dans une immobilité totale tel une statue, déterminé à ne pas même ciller lorsque Légende des Nuages lui rendra la pareille. Mais avant même qu’il ne l’attende vraiment, elle s’est exclamée pour l’interrompre dans ses excuses. Ses paroles rassurantes le font le sortir de sa torpeur paniquée, mais il reste honteux. Après tout, il lui semble naturel qu’elle lui rende le coup. Même pas par rapport à lui et ses sentiments, il s’agirait seulement de… rétablir la balance de l’univers ? Il a l’impression que le monde ne tournera pas rond tant qu’il n’a pas payé pour son erreur d’une manière ou d’une autre. Après tout, s’il n’était pas aussi maladroit, tout cela ne serait pas arrivée. Mais le sujet semble clos pour elle, et il ne veut pas que le sourire sincère qu’elle arbore se dissipe par sa faute. Il fixe la fine marque gravée sur la joue de sa sœur. Le sang a disparu, mais il effleure la peau de sa queue, comme pour s’assurer de ce qu’il voit.

Encore sous le choc, il ne fait qu’opiner de la tête à sa proposition. Il ne s’en rend compte que maintenant, mais de l’air frais lui ferait du bien. Sous le coup de l’anxiété, celui de la grotte semble s’être comme solidifié, il a le sentiment d’étouffer. Il laisse donc Légende des Nuages le mener au dehors, et inspire aussitôt une grande bouffée d’air marin. Il revient peu à peu à lui grâce à la fraicheur du vent du soir et à la lueur de la lune qui s’est levée. Il ne peut s’empêcher de s’en vouloir un peu, il suppose bien que si regarder les étoiles lui convient parfaitement, il ne s’agit peut-être pas de la soirée rêvée pour sa sœur. Il aimerait pour voir lui proposer quelque chose de plus excitant. C’est alors qu’une idée lui vient, et il se lance sans se donner davantage le temps d’hésiter.

« Je-je connais un endroit bien pour admirer la mer si tu veux. Si ça te dis… »

Il s’assure qu’elle le suit avant de se diriger vers un monticule rocheux qui monte vers la falaise. Le chemin n’est pas très simple, mais le jeune apprenti très doué en escalade ne s’en rend pas compte, il gravit naturellement les côtes rocheuses. Connaisseur, il sait où placer ses pattes, quelles prises saisir entre ses griffes et sur quels rochers sauter pour arriver au bout de l’ascension. Il s’arrête tout de même de temps en temps pour s’assurer que Légende Guerrière arrive à le suivre, il l’a déjà blessée, alors si en plus elle tombe par sa faute !  Mais il est persuadé qu’elle n’aura aucun mal à le suivre, après tout elle est douée dans tout ce qu’elle entreprend à ses yeux.

Ils arrivent bientôt à destination. Une petite avancée de pierre plate qui s’ouvre dans la falaise, identique à beaucoup d’autres du même type, mais celle-ci est la plus grande trouvée par le matou.  

« On est au-dessus de la grotte maintenant. Si tu regardes là en bas, on peut voir l’intérieur par le trou. Comme si c’était fait exprès pour espionner. Et là devant, on voit tout l’océan. »

En effet, juste à côté de l’endroit de la falaise où ils sont, le dôme de la Grotte aux Murmure s’avance dans l’océan, légèrement plus bas que la hauteur des falaises. Mythe est à la fois excité et dans l’appréhension. C’est la première fois qu’il vient ici avec quelqu’un. Derrière eux au fond de la petite corniche, dans un nid d’oiseau abandonné, il a des trésors cachés, de jolis galets ramassés dans le delta, des feuilles séchées ou des plumes toutes douces qu’il n’a pas osé ramener dans la tanière des apprentis de peur qu’on se moque de lui. Il a parfois passé de longues heures perché au-dessus de la grotte, à observer les éventuels visiteurs qui pêchaient ou s’entraînaient dedans, ou les génies qui s’affairaient sur la plage. Il n’ose pas lui demander si ça lui plaît, de peur de la réponse. Alors il se retourne vers l’océan, vers le ciel piqueté d’étoiles, vers la fine ligne rouge qui teinte encore l’horizon.

« Le soleil saigne tous les jours dans l’eau… Mais il renaît toujours le matin suivant. Qu’est ce qu’il se passerait si un jour il décidait de ne pas revenir ? »

Il lève le nez vers les étoiles. Peut-être que ça ne le dérangerait pas tant que ça, un monde de nuit éternelle. Tout est plus tranquille la nuit, plus doux, plus silencieux. Il a l’impression que ses pensées sont plus libres, ses paroles aussi.

Légende avait l’air d’être sincèrement heureuse de découvrir le promontoire de son frère. Celui-ci sentit une bulle de fierté enfler dans son cœur devant les paroles impressionnées de l’apprentie bicolore. Les compliments qu’ils recevaient le plus souvent concernaient ses butins de pêche, ou sa manière appliquée de marquer les frontières. Il s’agissait d’activités qu’il n’appréciait pas forcément mais qu’il savait être indispensable pour le clan, et les effectuer du mieux qu’il le pouvait sembler être la seule manière d’être apprécié. Mais la grimpe, les rêveries, la découverte de paysages nouveaux ? C’est ce qu’il aime vraiment, et c’est la première fois que quelqu’un y voit du positif aussi ! Et ce n’est pas n’importe qui ! Alors il s’empresse de répondre à sa question, comme pour essayer de retenir encore un peu l’instant et la quiétude que Légende sait mieux que personne faire naître en lui.

« J’ai trouvé ça par hasard. Je crois juste que j’aime bien voir le monde de plus haut, prendre de la distance… Tout semble plus calme, souvent. Et puis, on est sûrs de ne pas être dérangés tout le temps par untel qui veut qu’on lui fasse les tiques, ou unetelle qui demande à boire… Enfin, pas que je ne sois pas content de faire tout ça, c’est normal hein ! Mais je me sens si fatigué parfois… Alors je monte quelque part, en haut d’un arbre, ou ici. Mis à part les oiseaux, il n’y a pas grand monde. Une pause. Il souffle, peu habitué à prononcer autant de mots à la fois. Mais il reprend, pour clore sa tirade, comme s’il avait trop parlé de lui-même. Mais je finis toujours par redescendre, tu me manquerais trop sinon ! »

Bon, et puis il aurait du mal à trouver de quoi manger, ainsi perché dans les airs. Mais c’est vrai que quand il pense à ce qui le retiens en bas, les quatre pattes bien sur terre, l’une des premières choses à laquelle il pense est sa famille, et Légende dont il est le plus proche.

Celle-ci ne semble d’ailleurs pas vraiment avoir compris sa question. Elle cherche à le rassurer. A-t-il peur ? Il tente de se concentrer sur ses émotions, se demandant si la peur est l’une d’elle. Mais il ne croit pas. Il se plaît simplement à imaginer le monde différemment. Il se demande ou va le soleil lorsqu’il disparaît. Sombre-t-il sous les flots ? Va-t-il éclairer un monde aquatique que jamais ni lui ni Légende n’auront la chance d’approcher ? Ou peut-être qu’il s’efface simplement pour laisser les étoiles briller. L’apprenti tigré lève les yeux au ciel, à la recherche des premiers points lumineux qui devraient commencer à parsemer l’obscurité. Il s’imagine, Légende et lui, à chasser les ragondins sous les étoiles. Il ronronne.

« Tu as raison, il n’y a pas de quoi s’inquiéter. Tout ira bien ! »

Il ne parle plus du soleil. Mais Légende arrive à lui faire croire qu’en effet, tout ira bien. Il se laisse aller un instant. Lorsqu’elle se colle à lui, il se trouve surpris mais ne se dérobe pas. Peut-être qu’elle a froid, se dit-il en l’entourant de sa queue pour tenter de lui apporter un peu plus de chaleur. C’est vrai que le vent vient de se lever.

« Peut-être qu’on devrait descendre… Esprit Vagabond va nous mettre en corvée pendant une semaine entière s’il s’aperçoit qu’on est sortis parce qu’on tombe malade.  »

Il ouvre la voie, descendant prudemment et montrant au fur et à mesure à Légende où elle peut poser ses pattes. Lorsqu’il repose ses pattes sur le sable de la plage, la nuit s’est définitivement installée. Mais il n’a pas encore envie de rentrer… Après tout, Légende des Nuages ne l’a-t-elle pas appelé par soif d’aventure ? Il doute qu’elle ait trouvé son compte dans cette escapade.

« Est-ce que… tu veux qu’on aille chercher ces fameux ragondins ? »

Mythe Nuageux a entendu parler de ces bêtes, mais il n’en a jamais vu… Légende pourra peut-être les lui montrer, elle a l’air de les connaître ! Peut-être qu'elle pourra même lui montrer comment ça se chasse ?