They shoot you down, but you won’t fall. ‘Cause you’re titanium ♪ Ft. Perle de Jais

A l’heure où la volupteuse toile céleste s’était emparée des dernières lueurs battantes du jour, le camp s’endormait peu à peu. Délaissant leurs nombreuses corvées pour prendre un repos certainement bien mérité, les félins vaquaient à leurs occupations. A quelques pas de lui, deux femelles discutaient de la portée à venir de la plus jeune des deux. L’oreille du matou pipa en direction d’un trio de guerriers, qui eux, s’accordaient un repas partagé, qui précèderait probablement une toilette mutuelle et amicale. Renforcer les liens… Pour ce faire, il fallait d’ores et déjà en avoir, des relations, n’est-ce pas ? Non pas qu’il était lui même le chat le plus antipathique de Cerfblanc, seulement, Dent de Sabre était connu pour passer ces temps de repos de fin de journée en solo. Le partage, à son sens, résultait de bien plus que de coups de langues réguliers sur un pelage rendu poussiéreux par un quotidien de labeur.

Son raisonnement semblait à minima en partie valide. Bien que solitaire de coeur, il s’échinait tout le jour, faisant passer le clan de l’Ombre avant ses besoins, comme le code du guerrier le stipulait. Il gardait un œil attentif sur les apprentis, et rendant visite aux reines et leurs chatons, s’assurait qu’ils ne manquent de rien. Son rôle à lui, finalement, même s’il se jouait dans l’ombre, c’était que chaque félin s’adonne aux activités dans lesquelles il s’impliquait quotidiennement. Remplacer un jeune père à la patrouille de l’aube afin qu’il salue ses enfants avant de démarrer un nouveau jour. Accompagner l’apprenti guérisseur pour lui éviter plusieurs voyages de cueillette. Chercher de la mousse supplémentaire pour la couche d’une reine à la portée plus dévastatrice qu’il n’y paraissait... Tout ça, il pouvait le faire. Et pourtant… Il faisait face depuis un temps qu’il jugeait beaucoup trop long à une situation sur laquelle il n’avait aucun pouvoir.

Avisant le camp dans une revue de détail rapide, ses yeux ambrés se plissèrent. La tanière… ? Chances infimes. Trottinant jusqu’au groupement de couches et tendant le cou pour renifler l’odeur des chats déjà installés, ses épaules s’affaissèrent imperceptiblement. Perle de Jais s’était extirpée du camp. Cela ne l’étonnait plus, mais provoquait toujours cette petite griffure froide, là, sous les côtes. Il l’avait suivie. Il lui avait parlé. Ou du moins, il avait bercé les airs pendant qu’elle restait impassible. Muée dans une carapace de tourments qu’il ne pouvait qu’effleurer de ses mots. Dent de Sabre n’était pas le seul à s’inquiéter lourdement pour la chatte à l’épaisse fourrure d’ébène. Loin de là… Ses proches la soutenaient comme il le pouvait, mais lui, à son échelle… Que pouvait-il bien faire de pl... Les muscles du guerrier tressautèrent. Non, il n’abandonnerait pas. Perle de Jais était son amie. La féline pleine de douceur, aux yeux d’un bleu très sombre toujours illuminé malgré tout. Il se devait de faire revenir cette lueur.

Le museau entrouvert dans l’espoir de cerner l’odeur délicate de la jeune femelle, le matou trottinait aussi vite que sa lourde carcasse le lui permettait. Pourvu qu’elle ne se soit pas décidée à se noyer dans ses pensées tout en haut d’un chêne… La piste de son amie emplit soudainement ses narines. Marquant un arrêt, il inspira machinalement une bouffée d’air autant pour s’assurer de la direction de la piste qu’en guise d’automotivation. Le mâle mit un moment à entrapercevoir la silhouette de Perle de Jais, son pelage commençant à réellement se fondre au coeur du royaume de la nuit. Triste métaphore, pensa Dent de Sabre. L’avait-elle seulement entendu… ? Son pas n’était pas réputé pour être le plus léger… Mais… Rivée dans la contemplation des cieux, ses épaules se creusaient maintenant alors qu’elle baissait la tête vers ses pattes. La griffure froide, là, sous les côtes.

Le matou pris soin d’évoluer lentement et de faire crisser quelques herbes quand il fût suffisamment armé mentalement pour rejoindre son amie. S’il ne savait ni réellement quoi lui dire, et comment agir pour lui apporter le moindre réconfort, il ne pouvait décemment pas rester en retrait, à la regarder comme un renard observe des lapereaux. Arrivé à sa hauteur, non pas en face à face intrusif mais bien sur son côté, il se surprit à renifler un peu nerveusement le sol. Devait-il vraiment justifier sa présence… ? Mal à l’aise avec les convenances sociales, il s’y essaya tout de même, sans grande conviction. « C’est encore une belle soirée, la lune brille bien haut, très visible ici. » Sachant qu’un ange aller peut être passer, il ajouta : « tu as toujours su trouver les jolis coins, j’ai l’impression. Même si… Je ne serais pas le seul à souhaiter »que tu y passes moins de temps… En ce moment. »

Une seconde, une heure, le temps cette chose imperceptible. Accompagnée des fantômes du passé je me rapprochais toujours plus d'eux, m'abandonnant aux songes infinis que m'offraient mon esprit afin de pouvoir espérer, pendant une infime parcelle volée au présent, d'oublier toutes ses douleurs infligées par le monde réel.Oublier ce que j'étais, qui j'avais pu être et qui j'aurais pu devenir sans elles. Avaient-Elles volé celle que j'étais ou au contraire avaient-elles révélées la vérité devant mes yeux ?

J'avais revu les visages de ma soeur et de sa fille, toutes deux parties rejoindre le clan des Etoiles, et étais-je réellement la responsable de leur mort?  Devais-je embrasser leur destiné, continuer ce que depuis plusieurs lunes j’entreprenais ? Toutes ses interrogations se bousculaient dans mon esprit torturé. Je me fondais toujours plus dans l'Ombre, évitant les autres, et je cherchais dans le silence de la nuit des réponses à mes éternelles souffrances.

Au commencement de ma chute, nombreux étaient ceux ayant essayé de me faire revenir à la surface, mais ils étaient incapables de comprendre que c'était le seul moyen d'échapper à ces images, ces cris qui me hantaient jusqu'à me faire perdre la raison. Je revoyais le visage de Petite Mélodie dans les chatons qui jouaient près de la pouponnière et Biche Solitaire chez cette Reine regardant avec tendresse ses chatons jouant devant elle. Tout cela me rappelait la chance qu'elle n'avait pas eu, rappelées bien trop vite par nos Ancêtres.

Bien vite, ils s'étaient résignés, se disant peut être que je reviendrais bien vite, afin d'effectuer les tâches que j'avais toujours apprécié faire pour retrouver la rassurante routine dans laquelle tous étaient plongés sans s'en rendre compte. Mais je ne pouvais pas, la solitude était mon seul repos. J'avais l'impression de pouvoir respirer à nouveau lorsque j'étais seule, dans la nuit à admirer les Étoiles, bercée par la douce brise nocturne. Mais cette bouffée d'air que je ressentais m'empoisonnait peu à peu, m'enfermant toujours plus dans cette bulle de solitude et me faisant quitter le monde réel.

Les forces quittaient mon corps qui avait pu être si gracieux, et ma fourrure terne n'était plus qu'un vague souvenir de ce qu'elle avait pu être. Je me nourrissais peu, c'était un cycle sans fin, le manque de nourriture me faisait perdre des forces et lorsque je chassais, ces forces me manquaient pour espérer attraper un animal. Cela faisait longtemps que je n'étais pas reparue au camp afin de me nourrir, la honte m'aurait étranglée, je m'étonnais de n'avoir été exclue du clan de l'Ombre, j'étais devenue un fantôme.

Je passais mes journées et mes nuits seule, je n'avais pas rejoint la tanière des guerriers depuis bien longtemps. Si un apprenti arrivait un jour à suivre mes traces, il était bien probable qu'il ne reconnaisse pas mon odeur, seuls quelques guerriers ayant été mes amis pourraient me reconnaître...

Après une journée semblable à toutes les autres, je m'étais finalement laissée tomber au près d'un rocher, le regard perdu dans le ciel. J'allais sans doute m'endormir dans un sommeil sans rêves, et plus rien ne pourrait venir troubler l'illusion de tranquillité que je m'étais inventée.. Je me laissais perdre dans le monde des rêves, le regard plongé dans les étoiles lorsqu'une odeur familière vint chatouiller mes sens, je pouvais également entendre des craquements se rapprochant peu à peu de moi.

Je m'attendais à ce qu'il renonce bien vite, dépité de voir que je n'avais pas changé, et que j'étais toujours résignée à ne pas retourner au clan. Mais il ne partait pas, Dent de Sabre ne voulait pas abandonner. Je pouvais sentir sa présence, auprès de moi, je ne quittais pas du regard les étoiles mais je sentais qu'il voulait quelque chose. Qu'il ne voulait pas renoncer.

Un léger sourire, sans doute imperceptible pour ce guerrier avec qui j'avais pu, autrefois partager des moments de joie, passa sur mon visage lorsqu'il évoqua ma capacité à trouver des endroits ayant une certaine beauté. Certes, l'endroit où mes pattes m'avaient laissé tomber était beau, mais j'y étais car la force m'avait quitté pour partir plus loin, quelque part ou peut être il ne m'aurait trouvé. Je tournais la tête vers le guerrier d'ébène et le regarda avec une certaine tendresse, je pouvais me rendre compte de sa bonne volonté, mais j'étais perdue et personne ne pourrait me sauver car je le voulais.

"Je te connais tu sais, tu viens ici comme d'autres ont pu le faire avant toi. Mais je ne reviendrais pas, ne perd pas ton temps à essayer de sauver quelque chose de perdu. " Je n'avais pas parlé depuis longtemps, ma voix me semblait étrangère mais je devais lui dire, il méritait de vivre, cela ne servirait à rien de  vouloir me faire revenir.

"J'ai fait des erreurs dans ma vie, et c'est ainsi que je pourrais espérer pouvoir un jour être pardonnée. Ma place n'est plus dans le clan de l'Ombre, je  rejoindrait bientôt ceux qui m'attendent. "

Je me détachais du regard de Dent de Sabre pour retrouver le réconfort de la lueur des étoiles brillants par milliers, illuminants les cieux.

"Je te connais tu sais, tu viens ici comme d'autres ont pu le faire avant toi. Mais je ne reviendrais pas, ne perd pas ton temps à essayer de sauver quelque chose de perdu." Ses mots glacèrent le sang du guerrier. Il eût l'impression que le liquide rouge se figeait dans ses veines, et il s'immobilisa. Malgré la dureté des paroles choisies, une once de lumière accula le coeur du félin à un espoir qui semblait pourtant démesuré. Depuis combien de temps, depuis combien de jours, n'avait-il pas entendu le son de la voix de la féline ? Depuis combien de temps n'avait-elle pas prononcé une aussi longue réplique ? Le ton était bas, le son était étouffé. La fatigue transparaissait dans sa voix. Tout le mal être qu'elle éprouvait modulait ses mots, faisant écho à sa propre résignation quand à la disparition du moindre goût de vivre. Quelque chose de perdu. Avec d'infinies précautions, Dent de Sabre s'allongea sur le sol, laissant reposer sa tête sur ses grosses pattes. Il n'osait rétorquer. Il n'osait même répondre. La belle et autrefois étincelante Perle de Jais lui donnait l'impression de pouvoir se briser au moindre haussement de ton. Il aurait pourtant voulu la secouer. Refermer ses mâchoires sur la peau de son cou puis lui hurler la pure vérité : le clan de l'Ombre avait besoin d'elle. La fière guerrière l'avait servi comme personne, et se montrerait encore digne de faire partie des meilleurs éléments du clan. Sabre en était persuadé. Cette sombre époque n'était que le reflet des temps de malheurs qu'elle avait traversés. Elle se terait entre des remparts, se morfondait dans les murailles de sa propre souffrance. Le chasseur ne pouvait qu'effleurer cette carapace autodestructrice dans laquelle elle pensait se complaire. Et lui. Que pouvait-il bien faire...?

"J'ai fait des erreurs dans ma vie, et c'est ainsi que je pourrais espérer pouvoir un jour être pardonnée. Ma place n'est plus dans le clan de l'Ombre, je  rejoindrait bientôt ceux qui m'attendent. " Dégouté par la morne lueur qui rendait presque morbide le regard autrefois incandescent de Perle de Jais, le matou se redressa d'une traîte. « Comment peux-tu dire ça ?! » S'efforça-t-il de ne pas cracher. Qu'espérait-elle au juste ? Etre bannie du clan pour se laisser mourir en solitaire dans un coin sombre de la forêt ?! Non. Personne ne pouvait envisager de la chasser du clan. Absolument personne. « Ta place ne sera jamais ailleurs que parmi les tiens, Perle de Jais. Tu ne peux en douter. Cela te permettrait d'avoir la conscience tranquille, afin de te laisser aller davantage, rien de plus. » Le ton de sa voix s'était considérablement radouci. La féline au pelage enmêlé n'avait nullement besoin qu'on lui donne des leçons, Sabre s'en doutait bien, et réussissait pour l'instant à garder son calme. A la voir ainsi, complètement abattue, privée de tout élan vital, il se sentait entièrement découragé. Pourtant, si ses yeux ambrés ne quittait pas la silhouette de sa chère amie, il ne pouvait se résoudre à la percevoir comme elle était. Pour lui, elle était toujours la resplendissante et honorable guerrière. Cependant, même les voiles de la nuit ne pouvait lui camoufler l'entièreté de la réalité : la féline était famélique. Malgré son pelage épais, il était clair qu'elle approchait les limites de son corps. Dent de Sabre en était horrifié. Plus encore, il réalisa que la parfum délicat de sa robe d'ébène perdait de sa saveur.

Les oreilles du mâle s'affaissèrent. Du même temps que Perle de Jais sacrifiait son énergie vitale à s'égarer dans un océan de repentance infondé, elle... Elle perdait l'odeur du clan. Les iris vifs du matou se brouillèrent aussi subitement que ce constat venait de lui serrer le coeur. Il ne pouvait supporter cela. Presque égoïstement, il se tapit au sol, et réduisit la distance qui le séparait de sa chère Perle de Jais. Il aurait presque pu effleurer son pelage du bout du museau. Pourtant, il se retint. Ce n'était pas sa fierté qui l'en empêchait, mais belle et bien celle de l'ancienne Jais, fière, et majestueuse. Comme il aurait aimé imposer à son esprit troublé la manière dont il la percevait alors... L'image d'une chatte à la loyauté inébranlable, élégante, vive et respectée. Sabre ne savait pas ce qui était réellement le pire. La voir ainsi, désabusée, prête à accepter toute sentence susceptible de la guérir définitivement de ses souffrances, ou continuer à idéaliser la merveilleuse féline qu'elle était avant. Le guerrier ferma les yeux un instant. « Jais. » S'autorisa-t-il à l'appeler. « Aides-moi. Aides-moi à t'aider. » Sabre baissait les armes. Il savait très bien que Perle de Jais ne pouvait se relever sans une bribe d'auto-détermination. Dès qu'il en perçavrait la moindre esquisse, il serait prêt à soulever des montagnes pour l'épauler... Mais... Était-ce seulement encore possible ? Rouvrant les yeux et laissant échapper une larme, symbolisant autant l'espoir que la tristesse, il avisa de nouveau sa chère amie : « Je t'en prie. » souffla-t-il, alors que son murmurre s'évanouissait dans l'immensité des ténèbres.