level of concern — nuage d'ortie

Le soleil se levait à peine dans le ciel, il venait tout juste de faire son apparition quand Nuage de Lionne quitta la tanière des apprentis, les poils en bataille. Elle n’avait même pas pris le temps de faire un brin de toilette au réveil, sentant son estomac lui hurler qu’il fallait le nourrir. Grognante, il fallait encore qu’elle émerge correctement de son sommeil avant d’être la petite boule d’énergie habituelle que tout le monde connaissait. Ce matin, Mûre des Bois n’était pas venue la réveiller et pour cause : l’apprentie rousse avait quartier libre pour la matinée, c’était repos pour récupérer de l’entraînement intensif de la veille. La novice sentait encore les brûlures dans ses muscles. Elle balaya le camp du regard à la recherche d’une tête familière mais Nuage de la Mouette, Nuage de Bambou ou Périple des Nuages n’étaient pas en vue. Elle lâcha un soupir d’agacement en croisant le regard de Panthère des Nuages puis Odyssée des Nuages, les deux jeunes soeurs proches du matou noir et blanc. Elle aperçu la silhouette de celui-ci au loin, de quoi faire bondir instantanément son coeur, ce qui la déstabilisa et l’énerva.

Lorsque Nuage d’Ortie entra dans son champ de vision, l’apprentie rousse se précipita pour attraper une souris sur le tas de gibier et se dirigea vers elle, la queue haute. Elle déposa devant la demoiselle l’animal en souriant.


Bien sûr, il se tramait quelque chose dans la tête de Nuage de Lionne. Elle n’agissait pas sans avoir un réel intérêt dans un coin de son esprit. Les deux femelles n’avaient jamais vraiment eu l’occasion de parler, la femelle brune était encore trop jeune lorsque la lionne se trouvait encore dans la pouponnière et une fois devenue apprentie, elle était trop occupée entre ses entraînements et ses taquineries avec Nuage de la Mouette pour s’intéresser à une future guerrière en herbe. Ainsi, peut-être serait-ce la première fois qu’elles allaient avoir une conversation qui allait durer plus de deux minutes.

Un rayon de soleil tomba sur le museau de Nuage d'Ortie, la réveillant presque en sursaut. Aussitôt, la petite chatte se mit sur ses pattes et entreprit de s'étirer pour chasser la fatigue de ses membres. Elle n'avait pas très bien dormi. L'excitation l'avait maintenue éveillée de longues heures durant et ne plus être au contact de Fleur d'Orage avait été plus déstabilisant que ce à quoi s'était attendu la féline brune…  En effet, c'était la première fois que Nuage d'Ortie dormait dans la tanière des apprentis. Et aujourd'hui était sa première journée d'entraînement.
Surexcitée, elle se tourna vers ses frères, toujours assoupis, à quelques litières de la sienne. Nuage d'Ortie s'empressa de bondir jusqu'à eux pour les secouer vivement du bout de la patte. Ceux-ci ne réagirent pas. Elle insista, appelant leur nom, mais la seule réponse qu'elle obtint fut un vague "va-t-en" de Nuage d'Ivraie. Nuage d'Ortie recula, perplexe, avant de les laisser dormir. Comment pouvaient-ils ne pas être impatients de commencer l'entraînement ? Certes, ils avaient perdu leur père à peine deux jours auparavant, mais tout de même ! C'était un nouveau départ qui s'offrait à eux, inutile de trop ressasser le passé à présent.
Nuage d'Ortie sortit dans le campement, la fourrure encore plus ébouriffée que d'ordinaire. Son regard vert doré balaya aussitôt le campement, à la recherche de Fleur de Lys, qui lui avait été attribué la veille pour être son mentor. Mais elle ne vit nulle part la fourrure de son nouveau maître, à la place de quoi une boule de poils rousse fit irruption dans son champs de vision :

— Salut Nuage d'Ortie ! Alors, ça y est, tu es apprentie ? Dis, t’as faim, t’en veux un bout ?

C'était Nuage de Lionne, une apprentie un peu plus âgée. Son pelage flamboyant était presque aussi ébouriffé que celui de Nuage d'Ortie (bien qu'assurément plus soyeux) et son ton était avenant lorsqu’elle déposa une souris aux pattes de la petite brune. Un peu surprise, Nuage d'Ortie lui adressa un sourire plein de dents, ravie à l'idée de se faire une première véritable amie chez les apprentis. Ces derniers temps, tout le monde semblait vouloir l'éviter, à commencer par ses propres frères… Peut-être était-ce là l'occasion de se refaire une place ?  

— Salut ! Tu n'aurais pas pu mieux tomber : je meeeeuuurt de faim ! S'exclama-t-elle. On pourrait aller manger avec Odyssée des Nuages, ça te dis ? J'adorerais qu'elle me raconte des trucs sur sa vie de Solitaire !

Nuage d'Ortie jeta un regard lourd de curiosité à la jeune apprentie assise un peu plus loin. Bien qu'un peu isolée, la vie de chat errant devait être riche en rebondissements : personne pour te protéger, personne pour t'interdire quoique ce soit. La liberté. Juste toi et le danger. Mais Nuage d'Ortie n'était pas prête pour autant à quitter son Clan. Elle aimait bien trop la vie entourée de ses camarades, elle se contenterais donc du récit de ce qu'aurait pu être sa vie si elle était née Solitaire.

Nuage de Lionne n’avait jamais été aussi excitée par un plan qu’elle avait conçu toute seule dans sa petite tête. L’arrivée d’Odyssée des Nuages dans le clan avait pour le moins perturbé la jeune demoiselle rousse qui n’avait pas apprécié la réaction de Nuage de la Mouette ; elle avait surpris chez lui un intérêt nouveau, quand bien même il s’était excusé deux jours plus tôt pour lui avouer qu’il tenait énormément à elle. Persuadée que cela avait été des paroles en l’air le jour où il lui avait dit cela, elle n’avait vraisemblablement pas eu tord. Il était désormais temps de mettre en place son plan de vengeance qui commençait doucement avec l’entrée en jeu de Nuage d’Ortie qu’elle venait d’accoster gentiment avec une souris à la clé. Si la nouvelle apprentie était ravie de rencontrer d’autres novices et semblait contente de se faire de nouveaux amis — quoique, Nuage de Lionne restait encore méfiante à l’idée de devenir réellement son amie — elle sut dérouter assez rapidement la furie rousse en lui parlant immédiatement d’Odyssée des Nuages.

Dans un contexte un peu plus propice, elle aurait sauté sur l’occasion pour aller poser des questions à la nouvelle arrivante, jusqu’à l’assomer tellement elle lui en aurait demandé sur son passé et sa vie de chatte errante. Mais il en était tout autre avec le regard que Nuage de la Mouette portait sur elle, de quoi allumer la flamme de la jalousie de la lionne qui sommeillait en elle. Dans une réaction excessive quant à la situation, Nuage de Lionne s’exclama un peu trop vite, un peu trop fort.


Mais elle se rendit soudainement compte qu’elle avait peut-être fait une erreur en n’arrivant pas à contrôler ses émotions, se laissant emporter doucement vers un chemin sombre. Se reprenant pour ne pas que son plan ne tombe à l’eau, elle laisse alors son esprit affuté vers les choses tout seul.


Happer sa curiosité, remettre à plus tard le fait que Nuage d’Ortie veuille absolument aller poser des questions à Odyssée des Nuages et le tour était joué.

La réaction de Nuage de Lionne fut instantanée :

— Non ! S'écria-t-elle brutalement.

Nuage d'Ortie faillit sursauter, une peu surprise par la véhémence de sa camarade. Avec un tel refus, Nuage d'Ortie se demanda si Nuage de Lionne avait eut un différent avec Odyssée des Nuages… En tout cas, elle avait l'air de suffisamment la détester pour refuser tout contact avec elle. Curieusement, cela fit plaisir à Nuage d'Ortie. Elle que tout le monde semblait vouloir éviter ces derniers temps, il y avait au moins Nuage de Lionne pour la préférer elle plutôt que qu'Odyssée des Nuages. Cette pensée tourna un moment dans l'esprit de l'apprenti me brune. C'était un constat à la fois triste et amusant. En tout cas, Nuage d'Ortie se jura de profiter de cette situation pour tenter de regagner la confiance de tout le monde. Elle en avait assez de ce demi isolement, et particulièrement du rejet manifeste de ses frères. Elle espérait regagner leur confiance un jour, même si elle ignorait comment s'y prendre…

— Tu sais, reprit Nuage de Lionne, je peux aussi te raconter tout ce que j’ai appris avec mon mentor, Mûre des Bois, sur la chasse et le combat. Tu ne veux pas en savoir plus sur ça ? Et puis, j’en ai fait des bêtises, moi, tu devrais voir. Tu veux que je te raconte ?

À ces mots, les yeux des Nuage d'Ortie se mirent à briller. Bien sûr qu'elle mourrait d'envie de tout savoir de la vie d'apprentie ! Elle le découvrirait très bientôt, mais si elle avait déjà une longueur d'avance, peut-être pourrait-elle impressionner son mentor suffisamment pour que cela contribue à mettre un terme aux regards étranges qu'elle subissait depuis la mort de Sapin Noir. Et puis si Nuage de Lionne avait des aventures en plus à raconter, cela ne pouvait être qu'un bonus !
Enthousiaste, Nuage d'Ortie se mit à rebondir sur place :

— Oh si, je veux tout savoir ! S'exclama-t-elle.

L'apprentie au pelage ébouriffé chercha alors du regard un lieux propice pour s'installer et écouter les histoires de son aînée tout en dégustant leur souris. Ses yeux se posèrent sur l'arbre immense qui trônait au centre du camp. Son tronc était creux, mais l'écorce qui le recouvrait était suffisamment rugueuse pour offrir des prises propices à l'escalade. Depuis toujours, Nuage d'Ortie rêvait de pouvoir grimper jusqu'à sa cime. Mais sa mère était toujours sur son dos pour l'empêcher d'accomplir son dessein. Mais maintenant qu'elle était apprentie, Fleur d'Orage avait repris ses activités de guerrière et n'était plus là pour lui interdire quoi que ce soit.
Un sourire malicieux se dessina sur le museau de Nuage d'Ortie puis elle poursuivit :

— Et si tu me racontait tout ça en haut de cet arbre ? Le dernier arrivé en haut est une cervelle de souris !

Sans attendre de réponse, Nuage d'Ortie attrapa la proie qu'avait apporté sa camarade puis s'élança vers l'arbre creux.

— Oh si, je veux tout savoir ! s’exclama la petite femelle brune.

Au grand soulagement de Nuage de Lionne, elle était clairement emballée par l’idée, de quoi ravir la femelle rousse. Elle avait eu si peur de devoir se retrouver en face de la nouvelle femelle du clan qui accaparait tout son petit Nuage de la Mouette que Nuage de Lionne était carrément incapable d’être proche d’elle, encore moins lui parler et peut-être bien l’entendre raconter de meilleures histoires qu’elle. Et puis, elle semblait aussi s’accaparer de l’attention de Nuage d’Ortie alors qu’elle, parmi une poignée de chats, était la seule à venir tenir compagnie à la nouvelle apprentie — allez savoir pourquoi.

— Et si tu me racontait tout ça en haut de cet arbre ? Le dernier arrivé en haut est une cervelle de souris !

L’apprentie au pelage roux considéra le temps d’un instant la proposition mais la réponse était évidente. Après tout, ce n’était pas une question que l’on pouvait à une furie comme elle. Grimper en haut d’un arbre sans se soucier des conséquences, simplement pour ressentir l’adrénaline dans ses veines, l’énergie nouvelle dans ses pattes et ses griffes qui se frotteraient bientôt à l’écorce rugueuse ? Nuage d’Ortie avait clairement tapé dans le mille en proposant cela et Nuage de Lionne ne sentait même confuse. Comment avait-elle pu loupé une femelle aussi casse-cou qu’elle, franchement ?
Sans attendre sa toute nouvelle amie, la novice de Mûre des Bois se mit aussitôt à courir, fonçant tête baissée dans la compétition pour battre la jeune apprentie brune. Elle était déjà au pied de l’arbre, les griffes dans l’écorce dure de l’arbre, prête à atteindre sa cime au plus tôt. Elle progressait sans regarder en bas, sans se soucier du danger. Et une fois arrivée à une branche convenable, elle lâcha à l’intention de son amie :

Derrière elle, Nuage d'Ortie entendit bientôt le galop de sa camarade. Heureuse que Nuage de Lionne soit entrée dans son jeu, l'apprentie brune bondit en avant et accéléra sa course. Mais malgré ses efforts, sa nouvelle amie, plus âgée et plus expérimentée, ne tarda pas à la dépasser. Désemparée, Nuage d'Ortie la vit sur jeter sur l'arbre et commencer à l'escalader à toute allure, alors qu'elle-même n'était pas encore arrivée à son pied. Un peu frustrée, la novice au pelage ébouriffé dû admettre qu'elle avait encore une belle marge de progression avant de devenir une guerrière digne de ce nom.
Avec l'espoir vain de rattraper la chatte rousse, Nuage d'Ortie se jeta sur l'écorce et s'y agrippa de toute ses forces. Elle commença son ascension aussi vite qu'elle le pu, manquant de tomber à plusieurs reprises, mais cela n'eut d'autre effet que de lui arracher des exclamation enthousiastes. Elle atteignit enfin les premières branches, essoufflée et décida de s'y poser une seconde. Un regard vers le haut lui apprit que Nuage de Lionne était déjà loin. Un regard vers le bas lui montra qu'une chute lui assurerait au moins une fracture. Un frisson d'excitation parcourut son échine, arrachant un ronronnement à l'apprentie, puis elle se jeta à l'assaut des derniers mètres qui la séparait de la cime.
Nuage d'Ortie crocheta enfin la branche où était assise sa camarade et se hissa péniblement dessus. Elle se redressa de toute sa petite taille, se tenant fièrement debout malgré les légères oscillations du perchoir. Elle voulait ressentir l'euphorie du déséquilibre et du risque de la chute, mais grâce à sa longue queue, elle trouva rapidement l'équilibre malgré elle. Un peu déçue, elle n'eut cependant pas le temps de se plaindre : un regard autour d'elle et elle sentit son coeur s'emballer de nouveau. Depuis la cime du grand arbre, Nuage d'Ortie pouvait voir l'immensité du territoire de Valeemar. Elle vit la mer, la forêt, la lande, la rivière… Le monde lui sembla soudainement si vaste qu'elle en eut le vertige.

— Bon alors, t’es prête à écouter mon histoire, dis ? S'exclama Nuage de Lionne.

Nuage d'Ortie s'arracha à la contemplation du paysage pour se tourner vers sa nouvelle amie. Elle s'assit pour déposer la souris entre elles et prit une mine songeuse.

— Le coin tranquille : c'est ok. La vue magnifique : c'est ok. Le casse-croûte : c'est ok. Énuméra-t-elle avant d'ajouter dans un rire : Tout est parfait, je suis toute ouïe ! On partage ? Termina-t-elle en désignant la proie d'un geste de la queue.