Neuf poésies pour neuf vies. | Chours et cérémonie.

ft. Poésie des Ours.


Neuf poésies pour neuf vies.
« When the stars look down on me, what do they see? »

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Elle a passé la nuit à observer les étoiles sans pouvoir fermer l'oeil une seule seconde. Cœur de Chouette en est certaine : elle n'a jamais été aussi anxieuse de toute sa vie. A côté de ce qu'elle s'apprête à affronter, la Bataille contre les Étoiles Noires lui apparaît bien dérisoire. Ses pensées sont encombrées par une myriade de questions, toutes laissées sans réponse à l'heure qu'il est. Elle se demande si les Étoiles là-haut savent déjà qu'elles vont devoir la recevoir, et si elles connaissent déjà leur verdict. Ou peut-être que les guerriers étoilés n'ont tout simplement pas l'intention de lui accorder un rêve, laissant la lieutenante de l'Ombre seule près des Cristaux de Lune, sans son nouveau nom, avec une seule vie et obligée d'expliquer à un clan entier que les Étoiles l'ont refusée en tant que meneuse. Ce serait la pire honte de toute sa vie. Pourtant les ancêtres n'ont jamais montré qu'ils étaient contre sa nomination en tant que lieutenante, mais peut-être espéraient-ils qu'Étoile Ailée change d'avis en se rendant compte que Cœur de Chouette n'est absolument pas faite pour ce rôle. Pas une seule fois cette nuit la jeune femelle s'est dit que peut-être c'était sa destinée.

L'aube commence à peine à s'infiltrer au travers des arbres de la forêt que Cœur de Chouette quitte son poste d'observation pour retourner au camp. Ce sera certainement une belle journée, pas trop chaude mais ensoleillée. Parfaite pour se rendre aux Cristaux de Lune sans perdre trop de temps. Mais quelque part, la féline aurait peut-être préféré être prise dans les intempéries, repoussant le moment fatidique où les Étoiles lui feraient part de leur refus. Ses camarades ne sont pas encore réveillés, même la patrouille de l'aube n'est pas encore partie. Le froid de la matinée lui fait du bien même si son long pelage ne lui permet pas de recevoir beaucoup d'air. Près de l'antre d'Hymne des Ombres elle remarque deux ballots d'herbes soigneusement préparés, ration suffisante pour couper sa faim jusqu'à son voyage aux Cristaux de Lune ainsi que celle de Poésie des Ours. Décidément, sa sœur pense vraiment à tout : le clan de l'Ombre n'aurait pu rêver meilleure guérisseuse. Cœur de Chouette met les herbes de côté avant d'entrer dans l'antre d'Hymne des Ombres, le cœur battant à une telle vitesse qu'elle a mal à la poitrine. Au centre sont endormis Étoile Ailée et Éclair Ambré et Poésie des Ours rêve non loin d'eux. Bien sûr, il n'aurait jamais voulu quitter sa sœur, même pour la nuit. A la vision de sa meneuse Cœur de Chouette doit se retenir de pleurer ; elle a l'air tellement fragile ainsi... elle se demande encore comment une telle tragédie a pu arriver. Puis elle prend son courage à deux pattes et caresse du bout du museau la tête de son ancien mentor.

« Poésie des Ours ? C'est Cœur de Chouette, il est temps de partir. Je t'attends dehors, n'oublie pas de manger les herbes concoctées par Hymne des Ombres. »

Sa voix tremble et elle ne cherche même pas à le cacher. Après tout, le matou l'a déjà vue dans tous ses états, il n'y a plus aucun secret entre eux. Elle se remémore avec nostalgie ses premiers entraînements, où c'était elle qui devait réveiller son mentor au risque qu'il ne l'oublie. Les temps alors étaient bien plus joyeux et innocents. C'est un sacré chemin que les deux chats ont parcouru, avec beaucoup de malheurs certes mais aussi beaucoup de rires et une complicité sans limite. Cœur de Chouette s'éclipse de l'antre sans bruit, salut du bout du museau les quelques guerriers tirés de leur sommeil par la lumière du jour avant de rejoindre le calme de la forêt. Elle prend le temps de faire sa toilette correctement et avale d'un coup les herbes de la guérisseuse. Pas de lapin ce matin mais elle est persuadée qu'elle aurait recraché toute réelle nourriture de toute façon. Elle a envie de pleurer, de se cacher sous terre et de ne jamais revenir à la surface. Est-ce que tous les futurs chefs de clan se sentent aussi mal avant de recevoir leur nom d'Étoile ?

Enfin Poésie des Ours la rejoint, et avant qu'il ne puisse dire quoique ce soit elle lui intime de se taire quelques temps. Elle a besoin de respirer, de courir et de se débarrasser de la tension qui s'accumule dans ses nerfs. Le vent la frappe en plein visage et ses coussinets se coupent sur le sol asséché mais elle ne ressent ni le froid ni la douleur. Seuls les battements incessants de son cœur comptent, car elle a l'impression qu'il va exploser. La présence de son ancien mentor la rassure comme toujours et petit à petit elle sent la pression redescendre. Après une course effrénée elle s'arrête un instant, faisant face à Poésie des Ours pour la première fois de la matinée. Lorsqu'elle croise ses prunelles elle sait qu'elle est à deux griffes de s'effondrer et elle plonge son museau dans la chaleur réconfortante de l'immense fourrure de l'Escadron.

« Je suis... désolée de t'avoir imposé un tel silence mais je... je ne pouvais pas parler. Je... je sais que tu ne veux pas quitter Étoile Ailée tant qu'elle est encore faible et je veux vraiment te remercier de bien vouloir m'accompagner... j-j'ai besoin de toi. »

Sa voix s'étrangle, de peur et d'anxiété mais aussi de culpabilité. Poésie des Ours a déjà perdu une sœur lorsqu'il n'était qu'un apprenti, sa vie d'adulte devrait-elle se solder par la perte de la deuxième ? Cœur de Chouette espère d'un côté que cette excursion lui changera un peu les idées : le matou a toujours aimé parcourir les terres de son territoire lors de mauvais moments. Elle ne veut pas le forcer à parler de sa sœur s'il n'en a pas envie, mais la lieutenante lui a bien fait comprendre dès le moment où Étoile Ailée a été retrouvée qu'elle serait toujours là pour l'écouter et sécher ses larmes, pour calmer ses angoisses. Nuit et jour, Cœur de Chouette sera toujours là pour son ancien mentor. Et elle sait que c'est réciproque, c'est pourquoi elle a préféré le choisir lui pour l'escorter jusqu'aux Cristaux de Lune. Nul autre chat n'aurait pu la rassurer simplement par sa présence.

« Qu'est-ce que je fais là, Poésie des Ours ? Et si les Étoiles ne veulent vraiment pas de moi ? »

Pour la première fois depuis des jours, mes yeux se sont enfin fermés. J'ai pu trouver un peu de repos au creux de la nuit, au milieu des bruissements sauvages et des senteurs amères. Le sommeil m'a arraché à mes angoisses pour me plonger dans mes souvenirs, je m'y suis abandonné avec reconnaissance et une pointe de culpabilité. La dernière fois que je suis resté aussi longtemps dans la tanière de la guérisseuse, c'était aux premiers temps de mon apprentissage, après que le Traître a tenté de m'assassiner. Ce jour-là, c'est ma mère qui a perdu une vie pour me protéger ; mais elle était jeune et forte, et il lui en restait encore huit. Tout comme il m'a paru incroyable que ma sœur devienne une Étoile à son tour, je n'arrive pas à croire que ses vies lui ont été reprises aussi vite qu'elles lui ont été données.

Après ce qui me semble n'être qu'une minute ou deux, à peine le temps de fermer les paupières, je sens une caresse légère le long de ma joue. Encore plongé dans la brume de mes rêves, j'émets un grognement. Le soleil est à peine levé, n'est-ce pas un peu tôt pour partir à l'entraînement ? Puis j'ouvre les yeux. Je reconnaîtrais la voix de Cœur de Chouette entre mille, elle n'a pas besoin de me dire que c'est elle... à moins qu'elle tienne à se présenter par son nom tant qu'il est encore le sien ? Bientôt, elle aussi sera une Étoile... Mon cœur se serre en voyant ma jumelle, toujours étendue sur son lit de mousse. Éclair Ambré ne l'a pas quittée une seconde. Je souffre pour lui aussi – depuis l'accident, j'ai abandonné toute jalousie. Je suis trop soulagé que nous soyons deux à veiller sur elle, en plus de ma fille qui œuvre jour et nuit pour la soigner. J'échange quelques mots avec le guerrier roux puis lance un dernier regard vers ma sœur avant de quitter la tanière. La journée promet d'être longue.

Comme le guerrier obéissant que je ne suis pas, je commence à manger les herbes dont mon apprentie m'a parlé. J'ai la gorge nouée mais je me force à mâcher et avaler chaque feuille. Puis, c'est sans un regard en arrière que je quitte le camp pour rejoindre Cœur de Chouette à la lisière de la forêt. J'ai eu toute la nuit pour réfléchir à ce que j'ai à lui dire – mais d'un geste, elle m'intime de garder le silence. Je respecte son choix sans protester, me contentant de la suivre à travers les bois. Nous courons à en perdre haleine, comme si nous étions seuls, comme si nous étions libres. D'autres pourraient penser qu'elle fuit, mais je la sais bien plus courageuse que moi. Mon apprentie fera ce qu'on attendra d'elle et c'est ce qui me terrifie. Devra-t-elle perdre toutes ses vies elle aussi, devrai-je la voir s'éteindre comme toutes les étoiles avant elle ?

Lorsque enfin elle s'arrête et me fait face, je suis frappé par sa vulnérabilité. Elle se blottit contre moi comme si elle nous étions encore le mentor et l'apprentie, et je comprends combien il lui a été difficile de faire le chemin jusqu'ici, et en même temps combien il était nécessaire. Ce n'est que dans notre solitude partagée qu'elle peut se laisser aller à la tornade d'émotions qui l'habitent. Et à cet instant je les ressens aussi, comme si ce contact physique établissait un lien entre nos deux cœurs. Le sien bat à un rythme si effréné que je crains qu'il ne s'arrête. Elle trouve pourtant encore la force de culpabiliser et douter d'elle-même : son assurance, déjà si jeune, la voilà anéantie par le poids des responsabilités futures. J'en veux alors à nos ancêtres avec une hargne renouvelée. C'est de leur faute si elle a peur, si elle souffre et pleure. De quel droit imposent-ils ainsi leur volonté sur les vivants ?

« Les Étoiles ne méritaient pas ma sœur et elles ne te méritent pas non plus. » Ma voix sonne plus abruptement que je ne l'aurais voulu, trahissant ma colère. Je m'efforce d'y mettre plus de douceur alors que je cherche le regard de mon amie. « Tu n'es pas obligée, Cœur de Chouette. Oublie tout ce que l'on dit, ce que l'on nous enseigne depuis notre enfance pour nous faire obéir aveuglément. La destinée n'existe pas, c'est un mensonge, une illusion, une entrave à la liberté et au bonheur. Quelqu'un d'autre prendra ta place, puisqu'il le faut... Et si tu veux t'échapper, si tu veux fuir cette vie que l'on t'impose, je viendrai avec toi. »

Soudain, j'ai peur.

« Je ne veux pas te perdre, ma Chouette. »

ft. Poésie des Ours.


Neuf poésies pour neuf vies.
« Take me back when I believed, back when I was unafraid just like a thief. »

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Elle ne s'attendait pas à entendre une telle colère dans la voix de son ancien mentor. Ses mots claquent, percent le silence de la forêt. Alors seulement maintenant Cœur de Chouette réalise à quel point Poésie des Ours souffre. Ce n'est pas simplement le deuil de sa sœur blessée qu'il porte, mais celui de toute une vie. De Nuage Légendaire, de tous les fantômes qui hantent ses nuits. Ce n'est pas étonnant que le guerrier soit parfois si fatigué ; à force de lutter on finit par s'épuiser. Car il n'y a aucune victoire dans la bataille menée contre la mort. Elle gagne, à tous les coups. Si Étoile Ailée est encore en vie, son espérance a été réduite de moitié. Et quelle vie ? Privée de ses ailes à jamais elle ne pourra plus voler. Poésie des Ours l'a compris bien avant Cœur de Chouette qui hier encore demandait des nouvelles de l'ancienne meneuse à sa sœur. Mais Hymne des Ombres avait été ferme : l'espoir dans un tel cas est inutile. Il faut avancer, et la lieutenante est bien surprise de voir son mentor tenir encore sur ses pattes. Elle admire sa force, celle qu'il cache au fond de lui et qu'il pense ne pas avoir. Cette force qui lui permet encore de donner des conseils précieux à son apprentie qui, des lunes plus tard semble ne rien avoir appris de la vie. Car elle doute et pleure encore, comme après la mort d'Ombre du Soleil.

S'échapper, fuir. Elle l'a déjà fait. Cœur de Chouette a déjà délaissé son clan pour se concentrer sur elle et sur son frère. En y repensant, la féline se trouve bien égoïste. Pourtant, alors que Poésie des Ours lui offre une nouvelle fois un échappatoire, elle hésite. Un comportement qu'elle sait indigne du rôle de chef, car jamais Étoile Ailée ni Étoile de Mystère n'auraient un jour songé à tout laisser pour partir. Mais encore et toujours elle est persuadée de ne pas être à la hauteur. Peut-être que plus âgée, elle aurait fini par accepter ce rôle sans hésiter. Mais elle est lieutenante depuis à peine quelques lunes... les choses n'étaient pas censées se passer ainsi. Elle aurait dû profiter encore de nombreuses lunes avant d'accepter le poids du clan sur ses épaules. Pourquoi le clan des Étoiles lui avait-il infligé une telle punition ? Pourquoi Étoile Ailée l'avait choisie ? Elle aurait mieux fait de ne jamais revenir, il y a vingt lunes de cela. Chouette aurait fait un joli nom pour une solitaire.

« Tu ne me perdras pas, Poésie des Ours. Je te le promets. Même si je deviens une Étoile, je me battrai. Je ne ferai pas de ce nom une malédiction. »

Elle ne sait pas si cette conviction vient vraiment d'elle ou si elle a simplement envie de rassurer son ami. Elle déteste le voir si abattu, et il doit être dans un état très sombre pour proposer une fuite. Cœur de Chouette avait besoin d'entendre ces mots, d'avoir une dernière fois le choix. Celui de fuir ou d'accepter, car vraiment elle ne peut rien faire d'autre. Il n'est pas question de retourner au camp pour annoncer sa démission ; l'exil alors serait la meilleure solution. Abandonner ou avancer. Elle a l'impression de changer d'avis toutes les secondes, à chaque nouveau battement de cœur une nouvelle décision. Peut-être devrait-elle lancer une pierre, jouer à pile ou face : sceller son destin dans un caillou plutôt que d'elle-même. Car si le hasard décide et qu'elle échoue, ce ne sera pas vraiment sa faute, n'est-ce pas ? Si c'est elle qui prend la décision, le blâme lui revient entièrement de droit. Ses angoisses les plus profondes semblent prendre le dessus un instant, puis se cristallisent dans une rage nouvelle. Elle doit se battre. Pour Poésie des Ours, pour Petit Renard, pour ses frères et sa sœur. Elle ne veut pas les abandonner, alors Cœur de Chouette deviendra une Étoile.

« Je ne peux plus fuir. » Sa voix est étonnement ferme, décidée. « Étoile Ailée comptait sur moi en me nommant lieutenante, et je lui ferai honneur. Je prendrai soin du clan, de toi, de ma famille. Et si pour ça les Étoiles doivent me prendre, elles ne seront pas déçues du voyage. »

C'est une lueur nouvelle qui brille dans ses yeux. Celle d'un meneur qui mène les siens au combat et leur ordonne de protéger les plus faibles. D'un chef qui se place tout en haut du promontoire pour se faire entendre. Mais il y a aussi dans son sourire toute la douceur d'une mère qui prend soin de ses petits, et d'une amie qui conseille ses camarades. L'adrénaline retombée, elle plante son regard dans celui de son ancien mentor.

« Et dire que tu refuses d'être lieutenant, alors que je n'ai jamais eu de meilleur conseiller. Tu as toujours su montrer à la chouette les poésies de la vie, ce n'est pas juste que tu puisses rester tranquillement dans ton coin... personne ne m'aurait laissé la possibilité de fuir. Tu n'as pas idée à quel point je te dois tout, Poésie des Ours. Alors je t'interdis d'abandonner aussi. Tant que je serai là, tu devras rester à mes côtés. Ce sera mon premier ordre en tant qu'Étoile. »

A ces mots, elle se rend compte que le mur d'eau qui la sépare des Cristaux de Lune n'est plus qu'à quelques queues de distance. Elle ne ressent pourtant pas la terreur la paralyser : elle se sent attirée par la grotte qui semble l'appeler. Pourtant, elle n'y va pas de suite. Cœur de Chouette ne deviendra pas une Étoile sans une dernière étreinte avec son mentor.